Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL
ENTRE :
demanderesse
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le 14 janvier 2005, la demanderesse Axa Canada Inc. introduisait une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Direction générale de la politique et de la planification ( « Direction de la politique et de la planification - ARC » ) de l'Agence du Revenu du Canada ( « ARC » , autrefois désignée sous le nom d'Agence des douanes et du Revenu du Canada - ci-après « ADRC » ) datée du 17 septembre 2004 et communiquée à la demanderesse le 14 décembre 2004. Par cette décision, l'ARC refusait de donner suite à une demande de décret de remise de Taxe sur les produits et services ( « T.P.S. » ) de la demanderesse. Le pouvoir de décret, qui appartient en dernier ressort à la gouverneure générale en conseil, est prévu à l'article 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F-11 ( « LGFP » ). La procédure à suivre lors de telle demande est expliquée dans le document : « Lignes directrices de Revenu Canada concernant les remises d'impôt sur le revenu ou de TPS/TVH en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques ( « Lignes directrices » ). »
[2] D'autres demandes de même nature ont été introduites par les filiales canadiennes de la demanderesse (Axa Boréal Assurances Agricoles [dossier T-76-05]; Axa Insurance Canada [dossier T-77-05]; Axa Pacifique Compagnie d'Assurance [dossier T-78-05]; Axa Assurances Inc. [dossier T-80-05]). Le 12 mai 2005, à la suite d'une requête écrite de la demanderesse, le protonotaire Morneau rendait une ordonnance pour qu'un seul dossier de la demanderesse soit déposé pour valoir dans chacune des demandes. L'ordonnance qui suit devra donc être déposée dans les dossiers T-76-05, T-77-05, T-75-05, T-80-05 et les motifs du présent dossier font partie de l'ordonnance rendue dans chacun des dossiers.
[3] La demanderesse demande à la Cour fédérale :
1) D'ordonner que la décision quant au dossier de demande de décret soit cassée;
2) De retourner le dossier au décideur pour que la décision soit reconsidérée avec instruction d'appliquer les critères précisés aux Lignes directrices.
QUESTIONS EN LITIGE
[4] Les questions en litige sont les suivantes :
1) Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l'ARC?
2) L'ARC a-t-elle commis une erreur en refusant de donner suite à la demande de décret de la demanderesse?
CONCLUSION
[5] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
LES FAITS
[6] Vers le mois de février 2000, les représentants du ministre du Revenu national débutaient la vérification fiscale de la demanderesse et de ses filiales canadiennes pour les années d'imposition 1995, 1996, 1997 et 1998. Cinq rapports de vérification ont été rédigés par Revenu Canada, soit un pour la demanderesse, et un autre pour chacune de ses filiales canadiennes (à l'exception de Axa Boréal Assurances Agricoles, dont le rapport n'a pas été produit - je désigne les rapports comme suit « rapport de vérification - [( « Axa Canada Inc. » ) ou ( « nom de la filiale » )]. La vérification a pris fin en février 2002.
[7] Les dépenses qui sont à l'origine du présent litige sont les suivantes. En 1997 et 1998, la demanderesse a bénéficié des services (qualifiés de « services de gestion » par la demanderesse) de GIE AXA, la société-mère de la demanderesse. Il appert du rapport de vérification (Axa Boréal Assurances Inc., p. 7 à 16) que la contrepartie pour ces services fut versée par la demanderesse et ses filiales canadiennes au profit de la société-mère pour l'accomplissement de certaines fonctions centralisées (formations, système d'information centralisé, etc...). Conformément à l'article 218 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (LTA), la demanderesse s'est autocotisée aux fins de la T.P.S. sur la valeur de la contrepartie payée pour ces services. Cette somme a été remise au Ministère du Revenu national.
[8] La demanderesse a demandé, aux fins de l'impôt sur le revenu, que soit déduite de son revenu net la contrepartie payée pour les services de gestion, de manière à réduire son impôt payable. Or, une partie des déductions demandées correspondant aux dépenses pour les services de gestion pour les années 1997 et 1998 a été refusée par l'ARC. Pour l'année 1997, le montant versé au titre de la T.P.S pour les dépenses de services de gestion refusées est de 184 866$. Pour l'année 1998, ce montant est de 194 862$. Ces montants sont tirés du Rapport de remise de la T.P.S. daté du 6 mars 2003, produit par la Direction générale de législation et des enquêtes du ministère du Revenu du Québec ( « Direction de la législation et des enquêtes - MRQ » ) ( « Rapport de remise de la TPS - MRQ » ). Il appert du dossier qu'au total, le montant de T.P.S. payé sur les dépenses qui ont été refusées s'élève donc à approximativement 379 728$.
[9] Vers le début de l'année 2002, des négociations se sont tenues entre la demanderesse et les représentants de l'ARC. Le 5 février 2002, Wilfrid Lefevbre, représentant de la demanderesse, faisait parvenir à Robert Ouellette, Vérificateur principal, Grands dossiers de l'ADRC, une lettre confirmant l'entente intervenue entre les parties lors des négociations ( « Entente » ). Juste avant les salutations d'usage, la lettre se termine ainsi :
Si les termes des présentes sont conformes à l'entente intervenue entre les parties, je vous serais gré de signer la présente lettre et me la retourner à votre convenance.
Cette lettre porte la mention « Accepté » , suivie de la signature de M. Ouellette., et est datée du 12 février 2002. L'Entente prévoit notamment la réduction du montant de dépenses refusées dans le rapport de vérification. Les négociations qui se sont tenues entre les parties, et qui ont donné lieu à l'Entente, sont décrites sommairement dans un rapport daté du 7 octobre 2004, signé par Gilbert Deneault (M. Deneault a été chargé de remplacer M. Ouellette dans ses fonctions, pour les fins du présent dossier, à la suite de son départ à la retraite), et adressé à Ian Matthews, de la Vérification des grandes entreprises de l'ARC (page 146 du dossier de la demanderesse) :
[TRADUCTION] Une vérification complète du Groupe Axa a été faite, touchant principalement des aspects locaux et quelques enjeux internationaux. Les frais de gestion ne constituaient qu'un aspect de la vérification. Trois réunions ont été tenues pour en arriver à un accord. En tout temps, le Vérificateur principal, Grands dossiers de l'ADRC et le vérificateur étaient présents et ont négocié de bonne foi avec les représentants de la compagnie ainsi que leurs procureurs pour en arriver à une entente raisonnable pour les deux parties.
Cette description des négociations n'a pas été contestée.
[10] Le point 4 de l'Entente se lit comme suit :
4. Quant au montant de TPS refusé totalisant 379 728$ il serait récupéré auprès des autorités provinciales suivant le processus habituel et aucune inclusion dans le calcul du revenu de Axa Canada Inc. ou de l'une de ses filiales n'aurait à être effectué quant à la réception de ce montant.
[11] Le ministère du Revenu du Québec ( « MRQ » ) agit en territoire québécois à titre de mandataire de l'ARC pour l'application de la LTA en vertu de l'Entente relative à l'administration par le Québec de la partie IX de la Loi sur la taxe sur la taxe d'accise (L.R.C. (1985), ch. E-15) concernant la taxe sur les produits et services (Accord Canada-Québec). En mars 2002, la demanderesse et ses filiales canadiennes demandaient au ministre du Revenu du Québec le remboursement des montants de T.P.S. déjà versés correspondant aux dépenses dont la déduction a été refusée. Or, cette demande a été faite après l'expiration du délai prévu au paragraphe 261(3) de la LTA. Ce paragraphe prévoit que le remboursement de T.P.S. payé en trop ne peut être demandé que dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant. C'est la raison principale pour laquelle les demandes ont toutes été refusées. Il appert de l'affidavit daté du 10 mars 2005 de Michael McGlynn, directeur de l'Unité des publications techniques de la Direction de l'accise et des décisions de la T.P.S./T.V.H. de l'ARC ( « Direction de l'accise - ARC » ), que les demandes ont été refusées le 23 juillet 2002.
[12] Le 6 mars 2003, à la suite de ces décisions défavorables, la Direction de la législation et des enquêtes - MRQ recommandait à l'ADRC, dans son Rapport de remise de la TPS - MRQ intitulé « Rapport de remise de la TPS en faveur de Axa Canada Inc. présenté à la Direction des décision et de l'interprétation de la TPS/TVH [...] par le Ministère du Revenu du Québec » , d'adopter un décret au bénéfice de la demanderesse (uniquement elle - même si le montant demandé correspond à celui des dépenses refusées à la demanderesse et à ses filiales canadiennes) en vertu du paragraphe 23(2) de la LGFP. Cette initiative de la Direction de la législation et des enquêtes - MRQ faisait suite à une rencontre qui s'est tenue entre le représentant fiscal de la demanderesse et les représentants du MRQ. Les motifs de l'initiative sont expliqués, du moins en partie, dans un courriel adressé à Mme Karen Stirling, de la Direction de la politique et de la planification - ARC. J'en reproduis l'extrait pertinent (p. 186 du dossier de la demanderesse):
[...]
Lors du traitement de cette demande, le dossier a été acheminé à notre Direction, à l'attention de Me Serge Bouchard, afin de vérifier si la loi permettait effectivement d'accorder le remboursement demandé. Notre direction a conclu que la loi ne permettait pas à Revenu Québec de donner suite à cette demande de remboursement de TPS. Cependant, considérant la particularité du dossier et l'entente intervenue avec le vérificateur de l'ADRC, la Direction a décidé de soumettre une demande de remise de la TPS à l'attention de l'ADRC (je souligne).
[...]
[13] Le 29 mars 2004, une note de service ( « Note de service du 29 mars » , voir p. 157 à 161 du dossier de la demanderesse) contenant une analyse de la demande et une recommandation était remise au Comité sur les remises de l'administration centrale ( « Comité » ) d'examiner les rapports et les recommandations de remise tel que le prévoit les Lignes directrices aux points 3 et 4 de la Section 1. Cette note de service, préparée par l'Unité des publications techniques de l'ARC recommandait de refuser la demande de remise pour les motifs suivants :
1) Au moment où les négociations ont débuté, le délai pour demander un remboursement sous l'article 261(3) était déjà écoulé;
2) L'information donnée dans le para. 4 de l'Entente crée de fausses attentes [false expectations] chez la demanderesse mais ne constitue pas une mauvaise information [misinformation], et les propos du vérificateur n'ont pas eu pour effet d'entraîner des conséquences fiscales préjudiciables pour la demanderesse;
3) La demanderesse a déjà bénéficié d'allégements fiscaux importants du fait que les intérêts pour les services refusés pour les années 1995 et 1996 furent calculés dans le cadre des années 1997 et 1998, permettant ainsi au contribuable de payer moins d'intérêt;
4) Le montant de 379 728,09$ ne représente pas une difficulté financière sérieuse pour la demanderesse compte tenu de son chiffre d'affaires d'un milliard de dollars.
[14] Le 31 mars 2004, le Comité s'est réuni et a refusé de formuler une recommandation de remise au bénéfice de la demanderesse (voir le procès-verbal de la réunion, p. 154 à 156 du dossier de la demanderesse et les Lignes directrices aux pages 5 et 6). Le 17 septembre 2004, en réponse à la recommandation du MRQ du 6 mars 2003, la Direction de la politique et de la planification - ARC faisait parvenir à la Direction de la législation et des enquêtes - MRQ une lettre faisant état de la décision rendue, suivant des motifs pour l'essentiel similaires à ceux que la Note de service du 29 mars contient (p. 138 du dossier de la demanderesse). Le 14 décembre 2004, la Direction générale de la vérification des entreprises ( « Direction de la vérification des entreprises - MRQ » ) informait à son tour la demanderesse de la décision, ajoutant que le MRQ ne pourrait donner suite à la demande de remboursement.
ANALYSE
[15] C'est la décision de la Direction de la politique et de la planification - ARC contenue dans la lettre du 17 septembre 2004, communiquée le 14 décembre 2004, qui est visée par la présente demande de contrôle judiciaire. Conformément au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, le délai pour présenter une demande est de trente jours de la première communication de la décision :
18.1 (2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder. |
18.1 (2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days. |
La présente demande a été introduite en date du 14 janvier 2005, et les défendeurs ont reconnu à l'audience que c'était bien la lettre du 17 septembre 2004 qui faisait l'objet de la demande de contrôle judiciaire et qu'il n'y avait pas de prescription découlant de sa communication, étant donné qu'elle fut communiquée le 14 décembre 2004 et que la demande de contrôle judiciaire fut déposée dans les trente jours. La Cour a donc compétence pour statuer dans le présent dossier.
1. La norme de contrôle
a) Identification de la décision contestée
[16] La décision attaquée est une décision émanant du ministre du Revenu national, plus précisément de la Direction de la politique et de la planification - ARC, et non une décision de la gouverneure générale en conseil. Cependant, le pouvoir d'accorder un décret de remise de T.P.S. appartient, selon la LGFP, à la gouverneure générale en conseil. Cela doit être considéré pour les fins de l'analyse pragmatique et fonctionnelle.
[17] Avant d'entrer dans cette analyse, il importe de bien situer la décision prise par le Comité en l'espèce, en expliquant le processus administratif qui a mené à cette décision, jusqu'à la décision défavorable. Il faut aussi comprendre le processus qui aurait été suivi si la décision avait été favorable et qu'elle avait débouché en dernier lieu sur l'adoption d'un décret de remise de T.P.S. en vertu du paragraphe 23(2) de la LGFP. Cette procédure est en partie expliquée dans les points 3 et 4 de la section I des Lignes directrices.
[18] La recommandation d'émettre un décret émanait à l'origine de la Direction de la législation et des enquêtes - MRQ, qui a fait la demande au nom de la demanderesse. La demande a d'abord été acheminée à la Direction de l'accise - ARC, puis à l'Unité des publications techniques qui en a fait l'analyse. Cette analyse a été présentée au Comité pour prise de décision. Si la décision avait été favorable, le rapport du Comité aurait été suivi d'un projet de décret et d'une recommandation officielle rédigés par les Services juridiques de l'ARC. Ces documents se seraient ensuite retrouvés entre les mains du ministre du Revenu national, à qui il appartient de décider ou non de recommander à la gouverneure générale en conseil d'adopter un décret de remise de T.P.S. C'est à la gouverneure générale en conseil qu'il revient en dernier ressort de décider si un décret de remise doit être adopté, et le pouvoir doit être exercé en conformité avec la LGFP. C'est d'ailleurs ce que rappellent les Lignes directrices, au point 2 de la Section I :
En application du paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, c'est le gouverneur en conseil qui, sur recommandation du ministre, remet les impôts ou pénalités, y compris les intérêts connexes, « s'il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d'une façon générale, l'intérêt public justifie la remise » .
[...]
Les lignes directrices qui suivent sont fondées dans une large mesure sur des décisions déjà rendues dans des cas mettant en cause le Ministère. Cependant, le raisonnement sous-jacent autorisant les remises doit aussi être conforme à la Loi sur la gestion des finances publiques.
b) Identification de la norme de contrôle
[19] Pour déterminer la norme de contrôle applicable, les deux arrêts-clés sont Pushpanathan c. Canada [1998] 1 S.C.R. 982 et Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 S.C.R. 226. Dans cette seconde affaire, l'analyse pragmatique et fonctionnelle a été mise à jour, ce qui en fait maintenant la référence par excellence en la matière, bien que dans Pushpanathan c. Canada, précité, l'analyse soit plus détaillée.
[20] Il convient de rappeler les facteurs qui doivent être pris en considération pour déterminer la norme de contrôle applicable. Dans Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, précité, au par. 26, la juge en chef McLachlin écrit:
Selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle est déterminée en fonction de quatre facteurs contextuels -- la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l'objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question -- de droit, de fait ou mixte de fait et de droit. Les facteurs peuvent se chevaucher. L'objectif global est de cerner l'intention du législateur, sans perdre de vue le rôle constitutionnel des tribunaux judiciaires dans le maintien de la légalité. Le mérite de l'approche pragmatique et fonctionnelle tient à sa capacité de faire ressortir les éléments d'information pertinents sur la question de la déférence judiciaire.
[21] Le premier facteur concerne le mécanisme de contrôle prévu par la Loi. En l'espèce, il n'y a aucune clause privative. Dans Pushpanathan c. Canada, précité, au para. 30, le juge Bastarache écrit cependant que « [l]'absence d'une clause privative n'implique pas une norme élevée de contrôle, si d'autres facteurs commandent une norme peu exigeante » .
[22] Le facteur de l'expertise relative du décideur, qui m'apparaît ici être un facteur très important, commande une grande retenue à l'égard de la décision de l'ARC. En effet, l'ARC a une expertise certaine dans l'application des Lignes directrices. Les membres du Comité, en particulier, sont des fonctionnaires de l'ARC provenant de différents secteurs du Ministère et ils ont une expérience et une connaissance pointue des faits, du droit applicable en semblable matière tout en tenant compte de l'intérêt public.
[23] Quant à l'intention du législateur (objet de la loi), il me semble qu'elle commande également une grande retenue judiciaire. En effet, bien que la décision attaquée soit de nature administrative, il me semble que le paragraphe 23(2) LGFPvise à conférer à la gouverneure générale en conseil une large discrétion pour décider si un montant payé doit ou non être remis. Ce paragraphe se lit comme suit :
23. (2) Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut faire remise de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts afférents, s'il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d'une façon générale, l'intérêt public justifie la remise (je souligne). |
23. (2) The Governor in Council may, on the recommendation of the appropriate Minister, remit any tax or penalty, including any interest paid or payable thereon, where the Governor in Council considers that the collection of the tax or the enforcement of the penalty is unreasonable or unjust or that it is otherwise in the public interest to remit the tax or penalty (my emphasis). |
L'utilisation par le législateur du mot « estime » démontre un degré d'évaluation de facteurs qui fait appel a l'application d'une grande discrétion. De plus, l'objet de la loi prévoit que le gouverneur général en conseil doit déterminer si la remise est « d'intérêt public » . Le recours à cette notion, de même que le libellé tend à indiquer que le législateur souhaite laisser au ministre compétent et à ses fonctionnaires une large discrétion. Quant aux Lignes directrices, elles ne servent qu'à donner des balises générales aux fonctionnaires, avec exemples à l'appui, et à expliquer la marche à suivre pour faire une demande de décret. En effet, il est admis qu'en droit canadien que les politiques internes ou lignes directrices, qui sont des normes pararéglementaires, n'ont pas valeur exécutoire sauf si la loi le prévoit (Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendant of Brokers) [1994] 2 R.C.S. 557, au para. 75; Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1981] 1 C.F. 500, à la p. 513, conf. par [1982] 2 R.C.S. 2). Ainsi, le pouvoir dont dispose la gouverneure générale en conseil en vertu du para. 23(2) LGFP est de nature discrétionnaire, ce qui incite à la retenue. À la page 699 de ISSALYS, Pierre et LEMIEUX, Denis, L'action gouvernementale : Précis de droit des institutions administratives, Éditions Yvon Blais, 2002, les auteurs écrivent :
La possibilité que l'État puisse accorder au débiteur d'un prélèvement une remise de sa dette représente l'une des applications les plus caractérisées du pouvoir discrétionnaire à une situation individualisée. En effet, une telle décision comporte nécessairement une dérogation, dans le cas particulier d'un redevable, non seulement aux règles normales du prélèvement mais au principe d'égalité de traitement. (Dans notre cas, il s'agit d'une remise de la T.P.S.)
L'objet de la loi et l'intention du législateur m'incitent donc à faire preuve de retenue.
[24] Finalement, la nature de la question faisant l'objet de la demande de contrôle judiciaire invite également à une certaine retenue. L'ARC doit appliquer les Lignes directrices aux faits tout en tenant compte d'un ensemble de facteurs reliés à l'intérêt public. Il s'agit donc d'une question mixte de fait et de droit, qui requiert une connaissance approfondie des faits de dossiers très complexes.
[25] L'analyse pragmatique et fonctionnelle me mène à la conclusion que la norme de contrôle en l'espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable. Le libellé du paragraphe 23(2) LGFP, l'étendue du pouvoir discrétionnaire et l'expertise du décideur me convainquent qu'il faut faire preuve d'une très grande retenue à l'égard de la décision de l'ARC.
2. L'ARC a-t-elle commis une erreur?
[26] Les Lignes directrices précisent la raison d'être du pouvoir et les critères sur la base desquels les décisions sont fondées. Au point 2 de la section I des Lignes directrices, on peut lire :
En application du paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, c'est le gouverneur en conseil qui, sur recommandation du ministre, remet les impôts ou pénalités, y compris les intérêts connexes, « s'il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d'une façon générale, l'intérêt public justifie la remise » .
[...]
Le rôle du ministère vise à formuler une recommandation et à la soumettre au ministre pour approbation.
Les lignes directrices qui suivent sont fondées dans une large mesure sur des décisions déjà rendues dans des cas mettant en cause le Ministère. Cependant, le raisonnement sous-jacent autorisant les remises doit aussi être conforme à la Loi sur la gestion des finances publiques.
[27] Les Lignes directrices prévoient quatre principaux cas de remise, soit :
1) Préjudice grave
2) Mesure ou conseil erroné du Ministère
3) Difficultés financières assorties de circonstances atténuantes
4) Résultats imprévus découlant de la législation
[28] La demanderesse soutient essentiellement que l'ARC a refusé de tenir compte de certains faits pertinents et qu'elle a pris en considération des faits extérieurs. Elle insiste particulièrement sur les critères 2 et 4 dans son mémoire des faits et du droit. Dans un premier temps, il faudra donc se demander si le ministre a formulé à l'égard de la demanderesse une mesure ou un conseil erroné. Dans un deuxième temps, il faudra vérifier si la demanderesse a été victime d'un résultat imprévu découlant de la législation. Finalement, il s'agira de voir si l'ARC a tenu compte de faits extérieurs ou non pertinents pour prendre sa décision.
a) Mesure ou conseil erroné du ministre
[29] Le point 2 de la section 3 des Lignes directrices indique quels sont les éléments qu'il faut démontrer pour qu'une remise puisse être donnée en raison d'une mesure ou d'un conseil erroné du ministre :
- Le conseil était, dans les faits, erroné à ce moment;
- Le demandeur a agi sur la foi de conseil et a en conséquence payé un montant supplémentaire d'impôt en raison de la mesure ou du conseil erroné;
- Le demandeur avait des raisons de croire que le fonctionnaire agissait dans le cadre de ses fonctions officielles;
- Aux fins de l'impôt sur le revenu, la loi permettait au demandeur de prendre d'autres mesures qui auraient eu pour effet de réduire sensiblement le montant d'impôt à payer.
[30] À mon avis, pour savoir si un conseil erroné a été donné à la demanderesse, il faut examiner le libellé de l'Entente. Celle-ci constate la commune intention des parties et le fruit des négociations qui se sont tenues entre elles. Je reproduis de nouveau le libellé du point 4 de l'Entente:
4. Quant au montant de TPS refusé totalisant 379 728$ il serait récupéré auprès des autorités provinciales suivant le processus habituel et aucune inclusion dans le calcul du revenu de Axa Canada Inc. ou de l'une de ses filiales n'aurait à être effectué quant à la réception de ce montant.
Plusieurs remarques méritent d'être faites au sujet du libellé de ce point de l'Entente.
[31] D'abord, le rédacteur a employé le temps conditionnel ( « serait » et « n'aurait » ) au lieu du temps futur ( « sera » ). Cela indique que l'intention des parties n'était pas d'assurer que la demande de remboursement aurait le résultat souhaité par la demanderesse.
[32] Ensuite, le libellé réfère au « processus habituel » pour récupérer la TPS payée. Or, il est clair qu'une demande de décret de remise de TPS par la gouverneure générale en conseil ne constitue pas le « processus habituel » pour récupérer une somme d'argent. En réalité, il s'agit d'une « mesure extraordinaire » qui est employée dans les cas où la LTA ne permet pas d'obtenir le résultat désiré. C'est ce qu'indiquent en deux endroits les Lignes directrices, soit au point 1 de la Section I et au point 1 de la Section II :
SECTION I - RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX
1. Qu'est-ce qu'un décret de remise?
Un décret de remise est une mesure extraordinaire visant à libérer certains contribuables de la totalité ou d'une partie de leurs taxes ou de leurs impôts fédéraux, comme l'impôt sur le revenu et la taxe sur les produits et services (TPS) [...]. Toutefois, on émet un décret de remise seulement si les lois fiscales n'offrent pas d'autres possibilités d'allégement pour les contribuables et les inscrits aux fins de la TPS/TVH.
[...]
SECTION II - PROCESSUS RELATIF AUX DEMANDES DE REMISES
1. Quand une remise est-elle justifiée?
La remise permet au gouvernement d'accorder un allégement à une personne lorsque le résultat espéré ne peut pas être obtenu dans le cadre législatif fiscal actuel au moyen d'une cotisation ou d'une autre mesure
[...]
Les auteurs Pierre ISSALYS et Denis LEMIEUX, L'action gouvernementale : Précis de droit des institutions administratives, précité, décrivent eux aussi la procédure de demande de décret de remise comme une avenue exceptionnelle :
Bien que de telles remises puissent être accordées à des catégories de redevables, elles sont manifestement destinées à demeurer exceptionnelles. En témoigne l'exigence qu'il soit rendu compte annuellement au Parlement; l'examen des comptes publics permet à celui-ci de censurer éventuellement l'abus - ou peut-être l'usage trop parcimonieux - de ce pouvoir hautement discrétionnaire.
[33] En l'espèce, il est plus plausible que le « processus habituel » auquel référaient les parties est la demande de remise de TPS prévue à l'article 261 de la LTA, et non la demande de décret de remise du paragraphe 23(2) LGFP. Je reproduis les paragraphes pertinents de l'article 261 LTA :
261. (1) Dans le cas où une personne paie un montant au titre de la taxe, de la taxe nette, des pénalités, des intérêts ou d'une autre obligation selon la présente partie alors qu'elle n'avait pas à le payer ou à le verser, ou paie un tel montant qui est pris en compte à ce titre, le ministre lui rembourse le montant, indépendamment du fait qu'il ait été payé par erreur ou autrement.
[...]
(3) Le remboursement n'est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant.
|
261. (1) Where a person has paid an amount (a) as or on account of, or (b) that was taken into account as, tax, net tax, penalty, interest or other obligation under this Part in circumstances where the amount was not payable or remittable by the person, whether the amount was paid by mistake or otherwise, the Minister shall, subject to subsections (2) and (3), pay a rebate of that amount to the person.
[..]
(3) A rebate in respect of an amount shall not be paid under subsection (1) to a person unless the person files an application for the rebate within two years after the day the amount was paid or remitted by the person. |
Cette interprétation est conforme au libellé de l'Entente. La demande de remboursement, en vertu de l'Accord Canada-Québec, doit être faite auprès du MRQ. Cela explique la référence, dans le libellé, aux « autorités provinciales » . C'est d'ailleurs sur l'article 261 LTA qu'était fondée la première demande de remboursement faite par la demanderesse à la suite de la signature de l'Entente, comme l'indique l'affidavit de Mme Johanne Cassis, aux para. 7 et 8 (dossier de la demanderesse, p. 11 - voir également la demande et le rapport du vérificateur du MRQ refusant la demande, aux pages 174 à 176). À la suite de la signature de l'Entente, le mandataire de la demanderesse, M. Bruno Morin, contactait le MRQ pour le consulter sur la question de savoir s'il avait droit aux remboursements. Cela ressort du « Rapport du vérificateur » préparé par le MRQ à la suite du refus d'accorder le remboursement (p. 175 du dossier de la demanderesse):
Le fiscaliste de ces mandataires croit qu'il a droit à des rajustements concernant ces montants refusés et nous a consulté [sic] quand même avant de produire quelque demande que ce soit en février 2002. Nous [...] ne voyons pas de lien direct avec l'impôt fédéral comme il en existe sur certains éléments de la tps et d'autre part nous sommes d'avis que la dépense d'argent a été réellement faite, que la tps demeure due sur ces sommes. D'autre part nous autant que le mandataire étions coincé [sic] par la prescription prochaine ; aussi le mandataire a tenu à se prévaloir de ses droits et a réclamé dans les déclarations annuelles des cinq entités visées des ajustements créditeurs relatifs à ces sommes refusées par l'impôt fédéral, tout en nous avisant et en nous remettant les sommes dues sans tenir compte de ces ajustements créditeurs afin d'éviter dans l'éventualité D [sic]'un refus final, des charges de pénalités et intérêts.
L'ensemble du comportement de la demanderesse à la suite de la signature de l'Entente a donc été conforme à l'interprétation que je donne de l'Entente : elle s'est adressée aux autorités provinciales pour obtenir un remboursement. Ce n'est que par la suite qu'un décret de remise sous le paragraphe 23(2) LGFP a été demandé, comme cela est décrit dans la note de service du 29 mars, à la page 4 (page 160 du dossier de la demanderesse) :
[TRADUCTION] En mars 2002, les filiales canadiennes d'AXA ont demandé des remboursements de TPS pour la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2001 en compensation pour la TPS payable sur des biens et services importés, le tout pour la somme de 379,728.09$. Les remboursements ont été vérifiés et refusés par le MRQ (qui apparemment n'était pas au fait de l'entente négociée par le vérification de l'ARC) au motif d'absence de compétence législative pour accorder les ajustements demandés. Subséquemment, le représentant d'AXA Canada a rencontré les agents du MRQ à Montréal, et ont présenté la lettre du 5 février 2002, signée par l'agent de l'ARC, confirmant les termes convenus dans l'accord négocié entre les parties. À ce stade, le dossier a été renvoyé à la [Direction de la législation et des enquêtes - MRQ].
[34] Le Rapport de remise de la TPS - MRQ relate les mêmes faits :
La Société a présenté au [MRQ] une demande de remboursement de la TPS en invoquant une entente conclue avec monsieur Robert Ouellette, vérificateur de l'Agence des douanes et du revenu du Canada.
[35] En somme, le libellé de l'Entente ne permet pas de conclure qu'un conseil erroné a été donné à la demanderesse. Aussi, cette dernière ne s'est pas conduite d'une manière qui laisserait supposer qu'elle a cru que les représentants de l'ARC lui avaient garanti un remboursement ou conseillé de faire une demande de décret de remise. L'Entente ne confère pas non plus à la demanderesse un droit à un décret de remise, pouvoir qui appartient de toute façon à la gouverneure générale en conseil que l'ARC n'a pas la compétence d'engager. La demanderesse a plutôt fait, de son propre chef et sans qu'un conseil à cet égard ait été donné, une demande en vertu de l'article 261 et cette demande a été refusée puisque prescrite. De plus, la preuve relative au contenu des négociations qui se sont tenues entre les parties et aux circonstances dans lesquelles l'Entente a été conclue révèle d'ailleurs qu'aucun conseil erroné n'a été donné à la demanderesse ou à ses représentants à quelque moment que ce soit des pourparlers. Je fais l'inventaire de cette preuve dans les paragraphes qui suivent.
[36] D'abord, la décision du 17 septembre 2004 elle même rapporte qu'aucun conseil n'a été donné (p. 139 du dossier de la demanderesse) :
La déclaration du vérificateur de l'ARC visant le redressement de la TPS n'a pas incité les filiales de AXA Canada à rendre compte de la taxe de manière à entraîner des conséquences fiscales préjudiciables à leurs opérations. Sa déclaration peut plutôt avoir crée de fausses attentes auprès des filiales, qui ont pensé qu'elle pouvait récupérer la TPS appliquée aux frais de services de gestion, tandis qu'il n'y avait aucun recours législatif pour ce faire. En fait, le vérificateur de l'ARC affirme que le représentant fiscal de AXA Canada était entièrement conscient du fait qu'il pouvait tenter de récupérer la TPS auprès du MRQ, mais qu'il ne s'agissait certainement pas d'un fait accompli (je souligne).
[37] La note de service du 29 mars, qui a servi de base à la décision du Comité, s'est également appuyée sur ce fait :
[TRADUCTION] [...] La déclaration du vérificateur de l'ARC [concernant le remboursement de TPS] a créée de fausses attentes chez [les filiales canadiennes d'AXA] selon lesquelles la TPS payée sur les services de gestion pourrait être remboursée alors que, légalement, elle ne peut l'être (bien que le vérificateur dise, sans équivoque, qu'il n'a pas créé de fausses attentes à cet égard) (je souligne).
[38] De plus, la note de service envoyée par Gilbert Deneault à Ian Matthews en date du 7 octobre 2004 constate le même fait (p. 147 du dossier de la demanderesse) :
[TRADUCTION] Il est important de retenir que « serait récupéré » est écrit au temps conditionnel, ce qui signifie que ce n'est pas automatique; certaines conditions doivent être satisfaites pour que le remboursement puisse être accordé. Il est clair à notre avis que les représentants légaux des parties savaient très bien que si la phrase avait été écrite au futur c.-à-d. « sera récupéré » , le Vérificateur principal n'aurait jamais signé la lettre puisque aucune garantie de cette nature n'a été donnée par le passé. De plus, la phrase se termine par les mots « le processus habituel » , ce qui dénote clairement qu'un processus doit suivre la demande.
[39] Les notes téléphoniques 27 août 2003 de Gilbert Deneault à Karen Stirling sont également pertinente (p. 142 du dossier de la demanderesse). Celles-ci rapportent le contenu d'un appel :
[TRADUCTION] Tel que mentionné dans la lettre d'entente d'Ogilvy Renault, il est compris que la compagnie ferait une demande de remboursement de TPS sur les services de gestion dont la déduction a été refusée. Nous ne leur avons jamais confirmé au cours des négociations qu'elles avaient droit à un remboursement parce que cela n'était pas de notre ressort. En fait, j'ai insisté pour dire à Karen qu'au Québec, la TPS est administrée par le MRQ. Ainsi, contrairement aux vérificateurs de l'ARC dans les autres provinces, notre connaissance du droit lié à la TPS est très limité.
[40] Finalement, à la page 15 du rapport de vérification - Axa Boréal Assurances Inc. (pages 231 et 232 du dossier de la demanderesse), les négociations sont décrites comme suit :
[TRADUCTION] On doit se rappeler qu'il s'agissait simplement d'une proposition d'ouverture des négociations dans l'espoir d'en arriver à un accord mutuellement profitable. Au total, trois réunions ont eu lieu en présence des agents de la compagnie et de ses procureurs à la suite de notre voyage à Paris. Après de dures négociations, nous avons conclu l'accord suivant avec AXA Canada, en ce qui a trait à la vérification des services de gestion [...] :
7. Finalement, la compagnie va demander le remboursement de la T.P.S. refusée, c'est-à-dire $379,728 de la part des autorités respectives (je souligne).
Le rapport de vérification - Axa Pacifique Insurance Company, aux pages 14 et 15, contient un passage semblable (voir p. 254-255 du dossier de la demanderesse).
[41] Ces éléments de preuve dans leur ensemble font véritablement état du contenu des discussions entre les parties et permettent d'éclairer le libellé de l'Entente qui, de toute façon, m'apparaît clair. Il en ressort des passages précités qu'en tout temps, les représentants du Ministère se sont abstenus de donner quelque conseil erroné que ce soit à la demanderesse dûment représentée ou du moins qu'il n'y a pas de preuve démontrant qu'un tel conseil a été donné. Celle-ci a néanmoins choisi de signer l'Entente, malgré le fait que le délai du paragraphe 261(3) LTA était expiré.
[42] La demanderesse a beaucoup insisté sur deux arguments pour soutenir qu'elle a droit à une remise de TPS en vertu des Lignes directrices.
[43] D'abord, la demanderesse prétend que les parties devaient être au courant, au moment de la signature en février 2005, que le délai du paragraphe 261(3) LTA était déjà prescrit. En conséquence, le point 4 de l'Entente ne pouvait viser, selon la demanderesse. que les demandes de décrets de remise de TPS sous le para. 23(2) LGFP. La demanderesse se serait donc fait dire par les représentants de la défenderesse qu'elle aurait droit à un remboursement de TPS et c'est ce qui l'aurait incitée à signer l'Entente. Cet argument doit selon moi être rejeté, puisque cela est manifestement contraire tant au libellé qu'à la preuve au dossier concernant les discussions entourant la conclusion de l'Entente. Il n'est pas impossible que la demanderesse ait espéré qu'elle pourrait toucher les montants en litige. Cependant, je crois que la notion de conseil, pour s'appliquer, doit impliquer au minimum des paroles de la part de la demanderesse. En l'espèce, il n'y a aucune preuve que des paroles équivalant à un conseil ont été tenues, et ce n'est pas le rôle des vérificateurs de l'ARC de tenir lieu de conseillers fiscaux pour les contribuables, et de leur indiquer que le recours de 261 est prescrit et que le décret de remise est une « mesure extraordinaire » et discrétionnaire relevant de la compétence de la gouverneure générale en conseil.
[44] La demanderesse a également mis l'accent sur des extraits du contre-interrogatoire de M. McGlynn (voir les p. 43 à 45 du contre-interrogatoire, p. 100 à 102 du dossier de la demanderesse). Dans ces extraits, M. McGlynn reconnaît qu'un conseil erroné a été donné à la demanderesse mais qu'il est faux de dire que ce conseil a entraîné le paiement d'impôts additionnels :
[TRADUCTION] R. Je pense, je suis d'accord avec chaque élément [des circonstances dans lesquelles un décret de remise est accordé en vertu des Lignes directrices au motif qu'un conseil erroné a été donné]. Toutefois, cela doit être lu dans le contexte de la première phrase de la section 2. Mesure ou conseil erroné du Ministère : « On peut recommander une remise lorsque le demandeur est tenu de payer un montant supplémentaire d'impôt parce que le Ministère a pris une mesure erronée ou qu'il lui a donné un conseil erroné » .
[...] Notre conseil erroné n'a pas fait en sorte que la personne soit tenue de payer un montant supplémentaire d'impôt. C'est notre position, essentiellement. [...]
À mon avis, le point de vue de M. McGlynn doit être mis en contexte. Il concernait l'effet qu'aurait eu un conseil erroné, le cas échéant. De plus, il n'a pas participé personnellement aux négociations, et son opinion ne peut pas être considérée comme étant celle du Comité dans son entier (qui est composé de 3 autres membres, outre M. McGlynn- voir la page 154 du dossier de la demanderesse), qui a fondé sa décision sur plusieurs autres considérations, tel qu'il appert de la note de service du 29 mars, du procès-verbal de la réunion du 31 mars 2004, de la décision du 17 septembre 2004 et de la lettre communiquant la décision, datée du 14 décembre 2004.
[45] Finalement, j'ajoute que même si un conseil erroné avait été donné, il n'y aurait pas lieu de conclure que la demanderesse a droit à un décret de remise, puisque le montant de TPS payé sur les services de gestion n'a pas été payé en raison de propos qui auraient été tenus lors des négociations ou en raison de l'Entente. Or, comme M. McGlynn l'a souligné lors de son contre-interrogatoire, les Lignes directrices prévoient que la remise n'est possible que lorsque le demandeur est tenu de payer un montant additionnel d'impôt en raison de la mesure ou du conseil erroné. La première phrase du point 2 de la section III se lit ainsi :
On peut recommander une remise lorsque le demandeur est tenu de payer un montant supplémentaire d'impôt parce que le Ministère a pris une mesure erronée ou qu'il lui a donné un conseil erroné.
En fait, le montant de TPS payé l'a été avant que la vérification ne soit entamée (février 2000), et non à la suite des discussions ou de la signature de l'Entente. Le montant n'a donc pas pu être versé en raison d'un conseil erroné donné lors des négociations, puisqu'il avait été déjà versé avant même que celles-ci ne débutent.
[46] Pour ces motifs, j'estime qu'aucun conseil erroné n'a été donné à la demanderesse.
b) Résultats imprévus découlant de la législation
[47] La demanderesse soutient que le résultat de l'application de la LTA donne en l'espèce des résultats qui sont contraires à l'esprit de la loi. Elle attire notamment l'attention de la Cour sur des commentaires formulés par M. Deneault dans sa note de service envoyée à Ian Matthews en date du 7 octobre 2004. Le passage pertinent se lit comme suit :
En conclusion, différentes dates de prescription existent entre la législation sur l'impôt et la législation sur la TPS. À titre de suggestion, le problème de la prescription devrait être présenté aux Finances pour voir s'ils peuvent corriger l'anomalie en harmonisant les délais durant lesquels un remboursement peut être demandé en vertu de la Loi sur l'impôt et en vertu de la Loi sur la taxe d'accise. Si vous avez des questions, n'hésitez pas à me téléphoner.
[48] Le point 4 de la section III explique dans quelles circonstances une remise peut être accordée en raison de résultats imprévus découlant de la législation :
Il arrive occasionnellement que l'application de la loi donne des résultats qui sont de toute évidence inéquitables à l'égard d'une personne et contraires à l'esprit de la loi. Dans une situation de ce genre, une remise peut être recommandée pour corriger l'iniquité jusqu'à ce que la loi soit modifiée.
[49] Le libellé actuel du paragraphe 261(3) de la LTA, qui prévoit la prescription de deux ans, a été adopté en mars 1997, par le P.L. C-70, Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, la Loi de l'impôt sur le revenu, la Loi sur le compte de service et de réduction de la dette et des lois connexes, 2e sess., 35e Parl., 1997 (sanctionné le 20 mars 1997). Le nouveau libellé a raccourci le délai de 4 à 2 ans la prescription prévue à l'article 261 LTA, la faisant passer à deux ans. L'article 71 de cette loi se lit comme suit :
71. (1) Le paragraphe 261(3) de la même loi est remplacé par ce qui suit :
(3) Le remboursement n'est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant.
(2) Le paragraphe (1) s'applique aux montants suivants :
a) ceux qui, après juin 1996, sont payés ou comptabilisés au titre de la taxe ou d'un autre montant à payer ou à verser en application de la partie IX de la même loi;
b) ceux qui, avant juillet 1996, sont payés ou comptabilisés au titre de la taxe ou d'un autre montant à payer ou à verser en application de cette partie, à l'exception des montants dont le remboursement est demandé aux termes de l'article 261 de la même loi avant juillet 1998. |
71. (1) Subsection 261(3) of the Act is replaced by the following:
(3) A rebate in respect of an amount shall not be paid under subsection (1) to a person unless the person files an application for the rebate within two years after the day the amount was paid or remitted by the person.
(2) Subsection (1) applies
(a) to amounts that, after June 1996, are paid as or on account of, or are taken into account as, tax or other amount payable or remittable under Part IX of the Act; and (b) to amounts that, on or before the last day of that month, were paid as or on account of, or were taken into account as, tax or other amount payable or remittable under that Part, other than amounts that are claimed in an application under section 261 of the Act filed on or before June 30, 1998. |
[50] La demanderesse soutient que le but de la modification « était de limiter la responsabilité du gouvernement pour des demandes qui étaient souvent effectuées par des consultants en taxe de vente qui faisaient des réclamations de taxe pour le passé pour des industries spécifiques et desquelles ils recevaient une rémunération variant entre 30% et 50% des remboursements qui étaient effectués par le gouvernement » .
[51] Le libellé de l'article 71 est très clair : le législateur souhaitait qu'après deux ans du versement, il ne soit plus possible de demander un remboursement. Il est vrai que le motif pour lequel la loi a été modifiée est celui que la demanderesse prétend. Cependant, cela ne signifie pas que le législateur ne connaissait pas les conséquences de l'amendement législatif apporté. Il n'y a donc pas lieu de croire que la situation dans laquelle se trouve la demanderesse constitue un résultat imprévu découlant de la législation.
c) Faits extérieurs ou non pertinents
[52] La demanderesse soutient en dernier lieu que la défenderesse a tenu compte de faits extérieurs, soit les allégements fiscaux déjà consentis, et que cela n'aurait pas du être pris en considération dans la prise de décision du fait que les Lignes directrices ne font pas mention d'un tel critère.
[53] À mon avis, rien dans les Lignes directrices n'empêchait de tenir compte de pareil critère. Il faut garder à l'esprit que l'article 23(2) LGFP prévoit que les demandes doivent être évaluées à la lumière de l' « intérêt public » . En outre, le libellé des Lignes directrices révèle que les critères qui y sont énoncés ne sont pas limitatifs et que rien n'empêche de prendre en compte des critères additionnels :
SECTION II - PROCESSUS RELATIF AUX DEMANDES DE REMISE
[...]
5. Critères de remise
Même si les demandes de remise sont considérées selon leur bien-fondé, les cas ayant fait l'objet de remise présentent habituellement des caractéristiques communes. Celles-ci ont d'ailleurs servi à formuler des lignes directrices objectives concernant les remises et prévoyant quatre critères principaux de remise, c'est-à-dire :
[...]
SECTION III - LIGNES DIRECTRICES CONCERNANT LES REMISES
Les paragraphes qui suivent ne traitent pas de toutes les situations où une remise peut être recommandée. Toutefois, ils précisent dans quelle mesure une telle recommandation est justifiée. L'examen d'une demande de remise doit tenir compte des faits pertinents et des circonstances entourant le cas, y compris dans quelle mesure le demandeur respecte la loi. (je souligne)
***
[54] En matière de décret de remise de TPS fondés sur le paragraphe 23(2) LGFP, chaque cas est un cas d'espèce. Les décisions prises par l'ARC sont sujettes à la norme de la décision manifestement déraisonnable, puisqu'elles sont prises dans l'intérêt public par un décideur dont l'expertise est reconnue. Dans le présent dossier, la preuve révèle qu'aucun conseil erroné n'a été donné au contribuable et que le décideur pouvait à juste titre prendre en considération des facteurs non spécifiquement énumérés dans les Lignes directrices. De plus, dans son ensemble, la décision reflétée dans la lettre du 17 septembre 2004 n'est pas manifestement déraisonnable. Elle contient des justifications appropriées qui tiennent compte de considérations pertinentes en semblable matière. La discrétion exercée par le décideur pour en arriver à cette décision a tenu compte des faits du dossier, de la loi applicable et des Lignes directrices. Il n'y a pas de raison d'intervenir.
[55] Étant donné le résultat auquel j'arrive, les dépens seront en faveur des défendeurs.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE QUE :
- La demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens contre la demanderesse;
- Le présent jugement soit versé dans les dossiers T-76-05, T-77-05, T-78-05 et T-80-05.
JUGE
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-79-05
INTITULÉ : AXA CANADA INC.
demanderesse
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
défendeurs
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 13 décembre 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL
DATE DES MOTIFS : Le 9 janvier 2006
COMPARUTIONS:
Me Yves Saint-Cyr POUR LA DEMANDERESSE
Me Alain-François Meunier\ Me Gérald Danis POUR LES DÉFENDEURS
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
OGILVY RENAULT POUR LA DEMANDERESSE
Montréal (Québec)
VEILLETTE LARIVIÈRE POUR LES DÉFENDEURS
Montréal (Québec)