Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 20230322

Dossier : T-1201-18

Référence : 2023 CF 397

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2023

En présence de madame la juge McDonald

RECOURS COLLECTIF

ENTRE :

GEOFFREY GREENWOOD et TODD GRAY

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LE ROI

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Dans le cadre de la présente requête, les demandeurs demandent que la définition du groupe dans l’ordonnance d’autorisation soit modifiée de manière à rétablir le groupe de familles, conformément à la définition initialement autorisée dans la décision Greenwood c Canada, 2020 CF 119 [la décision relative à l’autorisation]. Selon les demandeurs, le groupe de familles a été supprimé par inadvertance de la définition du groupe lorsqu’une ordonnance d’autorisation révisée a été rendue le 21 avril 2020 (non publiée) [l’ordonnance d’autorisation révisée].

I. Contexte

[2] Une mise en contexte s’impose. Le 23 janvier 2020, à la suite d’une audience sur l’autorisation contestée, j’ai rendu la décision autorisant la présente instance comme recours collectif. La définition du groupe autorisé incluait ce qui suit :

Toute personne ayant le droit de faire valoir une demande en application de la Loi sur le droit de la famille, LRO 1990, c F.3, ou d’une loi équivalente ou comparable en vigueur dans une autre province ou un autre territoire (le groupe de familles).

[3] Le 21 avril 2020, à la demande des parties, j’ai rendu une ordonnance modifiant la définition du groupe. La modification ne portait pas sur le groupe de familles et ne visait pas à le modifier ou à le supprimer. Cependant, dans cette ordonnance, le groupe de familles a été omis dans la définition du groupe.

[4] L’avocate du groupe reconnaît que cette omission est due à une inadvertance de sa part. Je ne suis toutefois pas certaine que l’omission lui est entièrement attribuable. Même s’il y avait consentement des parties, lorsqu’elle a été appelée à modifier la définition du groupe, la Cour aurait dû remarquer le changement dans la définition du groupe. Je constate également que l’avocat du défendeur ne semble pas avoir porté ce changement ou cette omission dans la définition du groupe à la connaissance de l’avocate du groupe ou de la Cour. Enfin, je remarque qu’aucune modification n’a été apportée à la déclaration et que le groupe de familles figure au paragraphe 18.

[5] Je prends acte que l’avocate du groupe ne voulait pas que le groupe de familles soit omis dans la définition du groupe contenue dans l’ordonnance d’autorisation révisée rendue en avril 2020.

[6] Entre-temps, en février 2020, le défendeur a interjeté appel de la décision relative à l’autorisation.

[7] Dans l’arrêt Canada c Greenwood, 2021 CAF 186, la Cour d’appel fédérale [la CAF] a confirmé l’autorisation du recours collectif, mais a conclu que la définition du groupe était trop vaste et a radié l’une des questions certifiées. La définition du groupe examinée par la CAF était la définition révisée du groupe contenue dans l’ordonnance d’autorisation révisée rendue en avril 2020. Par conséquent, la CAF n’a pas examiné directement le groupe de familles dans son évaluation de la définition du groupe.

[8] Le défendeur a présenté une demande d’autorisation d’appel de la décision de la CAF auprès de la Cour suprême du Canada [la CSC], qui l’a rejetée (voir Sa Majesté la Reine c Geoffrey Greenwood, et al, 2022 CanLII 19060 (CSC)). Après le rejet de cette demande, l’avocate du groupe a découvert que le groupe de familles avait été omis par inadvertance dans la définition du groupe contenue dans l’ordonnance d’autorisation révisée rendue en avril 2020. Elle a immédiatement pris des mesures pour en informer le défendeur et la Cour.

[9] Le défendeur n’a pas accepté que le groupe de familles soit rétabli dans la définition du groupe. Étant donné que l’avocate du groupe voulait éviter tout autre retard, les parties ont consenti à une ordonnance en septembre 2022 (qui ne contenait pas le groupe de familles dans la définition du groupe), afin que l’avis d’autorisation puisse être communiqué (Greenwood c Canada, 2022 CF 1317). La Cour a accepté de rendre cette ordonnance, étant entendu que les demandeurs présenteraient la présente requête.

[10] Dans le cadre de la présente requête, les demandeurs sollicitent une ordonnance en vue de rétablir le groupe de familles dans la définition du groupe. Le défendeur s’oppose à la réparation demandée.

II. Analyse

[11] L’article 334.19 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] prévoit ce qui suit :

Le juge peut, sur requête, modifier l’ordonnance d’autorisation ou, si les conditions d’autorisation ne sont plus respectées, retirer l’autorisation.

[12] Le défendeur soutient que, malgré l’article 334.19, la Cour n’a pas compétence pour modifier l’ordonnance d’autorisation en l’espèce. Il fait valoir que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et la règle du functus officio s’appliquent à la présente requête. Subsidiairement, il soutient qu’aucune preuve directe ne permet d’établir un « certain fondement factuel » justifiant l’inclusion du groupe de familles dans la définition du groupe. Enfin, il fait valoir que le groupe de familles est inapplicable en raison de la multiplicité des régimes législatifs provinciaux susceptibles de s’appliquer, de sorte qu’il est impossible de définir les personnes visées par la définition de ce groupe.

[13] J’examinerai ces questions ci-après. Toutefois, de manière générale, j’estime que l’article 334.19 des Règles confère à la Cour la compétence et le pouvoir discrétionnaire nécessaires pour examiner la présente requête.

A. La préclusion s’applique-t-elle?

[14] Le défendeur soutient que l’ordonnance d’autorisation révisée rendue en avril 2020 constitue une ordonnance définitive et que, comme il s’agissait de l’ordonnance examinée par la CAF, les demandeurs sont préclus de remettre en cause la définition du groupe.

[15] À l’appui de cet argument, le défendeur invoque la décision Tippett c Canada, 2021 CF 1338 [Tippett], dans laquelle la Cour a refusé de modifier une ordonnance d’autorisation. Dans cette décision, la requête a été rejetée, car elle était fondée sur de nouveaux éléments de preuve survenus pendant les interrogatoires préalables et que la définition du groupe élargie n’avait jamais été présentée à la Cour. De plus, les nouveaux éléments de preuve n’étayaient pas l’élargissement de la définition du groupe. Les circonstances dans la décision Tippett sont très différentes de celles de l’espèce.

[16] Les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont ainsi énoncées au paragraphe 25 de l’arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44 :

(1) que la même question ait été décidée;

(2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la [préclusion] soit finale;

(3) que les parties dans la décision judiciaire invoquée […] soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la [préclusion] est soulevée […].

[17] La question de l’inclusion du groupe de familles dans la définition du groupe a vraisemblablement été tranchée, puisque le groupe de familles était inclus dans cette définition dans la décision relative à l’autorisation. Dans son arrêt, la CAF n’examine pas directement la demande relative au groupe de familles, bien qu’il en soit question aux paragraphes 5 et 14. Toutefois, je reconnais que l’ordonnance d’autorisation présentée à la CAF était l’ordonnance d’autorisation révisée rendue en avril 2020, dans laquelle le groupe de familles avait été omis par inadvertance dans la définition du groupe.

[18] Le défendeur affirme que la Cour est précluse d’examiner la présente requête au motif que la question a déjà été tranchée. Pour les motifs qui suivent, je ne souscris pas à cette proposition.

[19] Tout d’abord, les requêtes présentées à l’étape de l’autorisation d’un recours collectif sont principalement des requêtes d’ordre procédural et ne concernent pas les décisions sur le fond. Dans le cadre du présent recours collectif, aucune conclusion judiciaire n’a été tirée sur le bien-fondé des demandes des demandeurs.

[20] De plus, l’ordonnance d’autorisation révisée rendue en avril 2020 ne porte aucunement sur le groupe de familles. Ce groupe n’a donc pas fait l’objet d’une décision judiciaire dans cette ordonnance.

[21] Par conséquent, je ne suis pas d’avis que l’omission par inadvertance du groupe de familles dans la définition du groupe empêche la Cour de se pencher de nouveau sur l’ordonnance d’autorisation révisée rendue en avril 2020.

B. La règle du functus officio s’applique-t-elle?

[22] En lien avec les arguments sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, le défendeur soutient également que la Cour ne devrait pas examiner la présente requête au motif que la Cour est functus officio.

[23] Comme l’a résumé la Cour suprême du Canada au paragraphe 33 de l’arrêt Société Radio‑Canada c Manitoba, 2021 CSC 33 [Société Radio-Canada], la règle du functus officio « indique que la décision définitive d’un tribunal qui est susceptible d’appel ne peut pas, en règle générale, être examinée de nouveau par le tribunal qui a rendu cette décision ».

[24] La règle du functus officio présuppose que la Cour a tiré une conclusion définitive sur le fond d’une affaire. En revanche, en autorisant la présente instance comme recours collectif, la Cour a simplement conclu que cette autorisation était justifiée en l’espèce. Aucune conclusion sur le fond ni sur les questions communes du recours collectif n’a été tirée.

[25] De plus, la CSC a reconnu l’application d’exceptions à la règle du functus officio, par exemple s’il faut corriger une bévue ou une erreur dans l’expression de l’intention manifeste du tribunal ou s’il existe une assise législative pour se pencher de nouveau sur une ordonnance (Société Radio-Canada, au para 33).

[26] Dans le cas des ordonnances d’autorisation de recours collectif, les tribunaux ont conclu que la règle du functus officio ne limite pas leurs pouvoirs législatifs de modifier une ordonnance d’autorisation (Sharbern Holdings Inc v Vancouver Airport Centre Ltd et al, 2005 BCSC 681 aux para 17-18, et Nova Scotia (Attorney General) v Murray, 2017 NSCA 29 aux para 22-23). Bien que ces affaires se rapportent à des lois provinciales en matière de recours collectif, les articles applicables des Règles permettent à la Cour d’exercer un contrôle semblable sur les recours collectifs.

[27] Enfin, je souligne que le défendeur n’a été en mesure de s’appuyer sur aucun fondement légal pour étayer son argument selon lequel la Cour n’a pas le pouvoir continu de modifier l’ordonnance d’autorisation.

[28] L’argument du défendeur selon lequel la Cour est functus officio en l’espèce est insoutenable.

C. Existe-t-il un « certain fondement factuel » au groupe de familles?

[29] Le défendeur soulève l’argument subsidiaire selon lequel il n’y avait pas, au moment de l’autorisation du recours collectif, et il n’y a toujours pas, de preuve permettant de conclure à l’existence d’un certain fondement factuel pour autoriser le groupe de familles.

[30] De plus, le défendeur soutient que la Cour ne devrait examiner la présente requête que s’il existe des « circonstances exceptionnelles » lui permettant d’accorder la réparation sollicitée par les demandeurs. L’avocat du défendeur n’a pas été en mesure de présenter à la Cour un fondement légal pour étayer sa position concernant le critère des « circonstances exceptionnelles », à la lumière de l’article 334.19 des Règles.

[31] Quoi qu’il en soit, se fondant sur le paragraphe 54 de la décision Johnson c Ontario, 2016 ONSC 5314 [Johnson], le défendeur fait valoir que, bien que les règles de preuve soient assouplies dans le cadre d’une requête en autorisation, une telle requête n’est pas un fourre-tout d’éléments de preuve. Il soutient que les déclarations relatées contenues dans les affidavits de MM. Gray et Greenwood sont insuffisantes pour satisfaire au fardeau de présentation requis pour autoriser le groupe de familles dans le cadre du recours collectif en l’espèce. Il ajoute que les rapports sur lesquels les demandeurs s’appuient ne peuvent servir qu’à compléter la preuve directe nécessaire et ne peuvent pas la remplacer pour satisfaire à l’exigence d’un « certain fondement factuel » pour inclure le groupe de familles.

[32] Dans la décision Johnson, la Cour supérieure a conclu que la preuve que la défenderesse cherchait à faire écarter n’était pas totalement inadmissible dans le cadre de la requête en autorisation. Les éléments de preuve contestés renforçaient simplement les affirmations des demandeurs et les aidaient donc à s’acquitter du fardeau de satisfaire à l’exigence d’un « certain fondement factuel » (aux para 65-67). Selon mon interprétation, la décision Johnson n’étaye pas la position du défendeur en l’espèce.

[33] Concernant cette question, dans la décision relative à l’autorisation, j’ai conclu que, même si la définition du groupe peut inclure un groupe de personnes important, les demandeurs ont satisfait aux critères de l’alinéa 334.16(1)b) des Règles et à l’exigence de « groupe identifiable » du critère d’autorisation en établissant un « certain fondement factuel » (décision relative à l’autorisation, au para 58). Selon mon interprétation, l’arrêt de la CAF n’infirme pas mes conclusions sur cette question.

[34] Je souligne également que les paragraphes 5 et 14 de l’arrêt de la CAF font référence aux demandes relatives au groupe de familles.

[35] Bien que le défendeur cherche à débattre à nouveau de cette question, les circonstances n’ont pas changé depuis le prononcé de la décision relative à l’autorisation. Il n’est donc pas nécessaire que je me penche de nouveau sur cette question.

D. La définition du groupe de familles est-elle inapplicable?

[36] Le dernier argument soulevé par le défendeur est que la définition du groupe de familles est inapplicable, car il serait impossible de définir les personnes visées par celle-ci, compte tenu de la multiplicité des lois provinciales susceptibles de s’appliquer et des différences entre elles.

[37] En termes clairs, le groupe de familles est un groupe secondaire, ce qui signifie que toute demande de ce groupe provient d’un membre du groupe principal qui peut par ailleurs faire une demande lui-même. Il est donc erroné d’affirmer que le groupe de familles n’est pas identifiable. Les intérêts de ce groupe sont compatibles avec ceux du groupe principal. Dans la décision Healey c Lakeridge Health Corporation, 2006 CanLII 36247, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que les demandes provenant d’un membre du groupe de familles [traduction] « font partie d’une catégorie spéciale », car elles sont dérivées de demandes faites par d’autres membres du groupe (au para 88).

[38] Je ne souscris pas aux observations du défendeur sur cette question. Comme je l’ai conclu au moment de l’autorisation, le groupe de familles est un groupe identifiable.

III. Conclusion

[39] Pour les motifs qui précèdent, je juge approprié d’ajouter le groupe de familles à la définition du groupe. Par conséquent, j’accueille la requête des demandeurs.


 

ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-1201-18

LA COUR ORDONNE :

  1. La présente requête est accueillie.

  2. L’ordonnance d’autorisation est donc modifiée de manière à remplacer la définition du groupe au paragraphe 2 de l’ordonnance par la suivante :

Tous les membres anciens et actuels de la GRC (soit les membres réguliers, les membres civils et les membres spéciaux) ainsi que les réservistes qui ont travaillé pour la GRC entre le 1er janvier 1995 et la date à laquelle leur unité de négociation est devenue assujettie à une convention collective.

et

Toute personne ayant le droit de faire valoir une demande en application de la Loi sur le droit de la famille, LRO 1990, c F.3, ou d’une loi équivalente ou comparable en vigueur dans une autre province ou un autre territoire (le groupe de familles).

Le présent recours collectif exclut les revendications dans les instances Merlo c Sa Majesté la Reine, dossier de la Cour fédérale nT 1685 16, Ross et al. c Sa Majesté la Reine, dossier de la Cour fédérale no T 370 17, et Gaétan Delisle et al. c Sa Majesté le Roi, dossier de la Cour supérieure du Québec no 500 06 000820 163. [Non souligné dans l’original.]

  1. Aucuns dépens ne seront adjugés à l’égard de la présente requête.

Vide

 

 

« Ann Marie McDonald »

Vide

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1201-18

 

INTITULÉ :

GEOFFREY GREENWOOD et TODD GRAY c SA MAJESTÉ LE ROI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 FÉVRIER 2023

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Megan B. McPhee

Rachael Sider

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Marilyn Venney

Jacob Pollice

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kim Spencer McPhee Barristers

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.