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Date : 20230327


Dossier : IMM-9777-21

Référence : 2023 CF 418

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

JESUS ALBERTO GALLARDO GUTIERREZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Jesus Alberto Gallardo Gutierrez, est un citoyen du Mexique. Il affirme craindre que sa vie soit menacée par le cartel Barrendera parce qu’il a refusé de payer la somme mensuelle que le groupe tentait de lui extorquer et qu’il a déposé une plainte auprès de la police.

[2] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 9 décembre 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté son appel et a confirmé la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] avait rejeté sa demande d’asile au motif qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SPR et la SAR ont toutes deux conclu que le demandeur avait des possibilités de refuge intérieur à Mexico et à Mérida [les PRI].

[3] Le demandeur soutient que la SAR a commis des erreurs fatales dans son analyse des deux volets du critère applicable à une PRI. En particulier, le demandeur allègue que la SAR n’a pas tenu compte de la preuve documentaire objective contenue dans le cartable national de documentation [le CND] concernant les moyens dont dispose le cartel pour le retrouver dans les villes proposées comme PRI. En ce qui concerne le deuxième volet du critère, le demandeur fait valoir en outre que la SAR a effectué un examen microscopique de la preuve contenue dans le CND. Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que le demandeur disposait de PRI viables dans les villes susmentionnées.

[4] La seule question en litige est celle de savoir si la SAR a raisonnablement conclu que le demandeur disposait de PRI viables à Mexico et à Mérida.

[5] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Analyse

[6] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, telle qu’énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85).

[7] Si un demandeur d’asile a une PRI viable, sa demande d’asile présentée au titre des articles 96 ou 97 sera irrecevable, indépendamment du bien‑fondé des autres aspects de la demande (Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 7). Le critère permettant d’évaluer la viabilité d’une PRI comporte deux volets. Les deux volets doivent être remplis pour pouvoir conclure qu’un demandeur d’asile dispose d’une PRI. Le premier volet consiste à établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté ou qu’il n’est pas exposé à un risque visé à l’article 97 à l’endroit proposé comme PRI. Le deuxième volet exige que la situation dans la région du pays où se trouve la PRI soit telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris de sa situation personnelle (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 (CAF) aux p 597‑598; Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643 aux para 10‑12; Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428 au para 9; Mora Alcca c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 236 au para 5 [Mora Alcca]; Souleyman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 708 au para 17).

[8] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en concluant que le cartel Barrendera n’avait pas les moyens de le chercher et de le retrouver dans les villes proposées comme PRI. Il fait valoir que la SAR n’a pas tenu compte de l’onglet 7.8. du CND, qui traite de la capacité, et donc des moyens, des groupes criminels organisés de traquer les individus et d’exercer des représailles. Le demandeur invoque l’arrêt Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 140 [Zheng], et fait valoir que la SAR était tenue de reconnaître cette preuve dans le CND qui contredit directement ses conclusions.

[9] Le défendeur soutient que l’argument du demandeur est sans fondement parce que la SAR a en fait mentionné l’onglet 7.8 dans ses motifs, qu’il n’y a aucune mention du cartel Barrendera dans le CND et que le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve documentaire concernant le cartel. Le défendeur fait valoir qu’il incombait au demandeur de prouver que le cartel existe et qu’il a les moyens de le retrouver.

[10] Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur en concluant que la preuve n’établissait pas que les membres du cartel Barrendera avaient les moyens de retrouver le demandeur. La SPR et la SAR ont toutes deux conclu que le cartel Barrendera n’était pas mentionné dans le CND, malgré la preuve exhaustive sur le crime organisé au Mexique. La SAR a noté qu’elle n’avait pu trouver aucun élément de preuve concernant ce groupe et que le demandeur n’avait mentionné aucun élément de preuve au sujet du groupe dans le mémoire qu’il lui a présenté. Elle a également estimé que le demandeur n’avait pas été en mesure de fournir des éléments de preuve précis au sujet de la zone d’influence du groupe lorsque la SPR l’avait interrogé à cet égard.

[11] Le demandeur soutient que la SAR a fait une analyse microscopique parce qu’il est indiqué à l’onglet 7.8 du CND que les groupes criminels organisés sont en mesure de retrouver facilement les individus dans d’autres régions du Mexique et d’exercer des représailles contre eux. Il fait valoir que le fait que le cartel Barrendera ne soit pas mentionné dans le CND ne devrait rien changer à la preuve objective qui montre que ces groupes criminels ont les moyens de le retrouver s’ils le souhaitent.

[12] La difficulté pour le demandeur réside dans le fait qu’au bout du compte, c’est à lui qu’incombe le fardeau de cette preuve et que l’on ne peut reprocher à la SAR l’absence d’éléments de preuve objectifs sur le cartel Barrendera. De plus, les éléments de preuve fournis par le demandeur ne servent pas à compenser l’absence de preuve documentaire objective. Le demandeur soutient que c’est le cas parce que sa crédibilité n’est pas en cause et que, pour cette raison, il bénéficie de la présomption de véracité. Bien que je note que la SPR a conclu que le demandeur était crédible en ce qui concerne l’attaque commise par deux agresseurs et les blessures qu’il a subies, elle a jugé qu’il n’avait pas établi que les agresseurs étaient liés au cartel ou que ce cartel avait plus qu’une influence locale ou régionale. La SAR n’a pas examiné la question de la crédibilité, mais a plutôt conclu que la preuve ne montrait pas que les membres de ce cartel disposaient des moyens nécessaires pour retrouver le demandeur dans les villes proposées comme PRI. Il ne s’agit donc pas d’une question de crédibilité.

[13] En ce qui concerne le deuxième volet, il appartient au demandeur de prouver qu’une PRI est déraisonnable (Jean Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1106 au para 21). Comme l’a affirmé le juge René LeBlanc dans la décision Mora Alcca, le fardeau de la preuve est exigeant :

[14] Je suis conscient que le fardeau de démontrer qu’une PRI est déraisonnable dans un cas donné, fardeau qui incombe au demandeur d’asile, est très exigeant. En effet, il lui faut démontrer rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril sa vie et sa sécurité là où il pourrait se relocaliser. La preuve qu’il doit apporter à cet égard doit être réelle et concrète.

[Renvois omis.]

[14] Pour prouver qu’une PRI est déraisonnable, le demandeur est tenu d’apporter une preuve réelle et concrète qui montre qu’il existe des conditions qui mettraient en péril sa vie et sa sécurité s’il se réinstallait à l’endroit désigné comme PRI. L’essentiel de l’argument du demandeur repose sur le fait qu’il est exposé à un risque parce que le cartel Barrendera peut le retrouver et que, par conséquent, les PRI sont déraisonnables. Le demandeur affirme également, de façon plus générale, que la preuve figurant à l’onglet 7.8 du CND montre que les deux villes ne sont pas sûres et qu’il est déraisonnable au regard de l’arrêt Zheng que la SAR ait tiré une conclusion différente sans reconnaître la preuve contraire.

[15] Le défendeur soutient que le demandeur s’est livré à une interprétation sélective de l’onglet 7.8 et que la SAR a raisonnablement conclu que Mérida se trouvait dans l’État le plus sûr et le plus paisible du Mexique d’après la preuve dont elle disposait. De l’avis du défendeur, les passages auxquels a renvoyé le demandeur ne contredisent pas directement les conclusions de la SAR.

[16] Compte tenu de la preuve documentaire dont disposait la SAR, et en particulier les onglets 1.5 et 7.8 du CND, je ne suis pas convaincue que la SAR a procédé à une analyse microscopique de la preuve et que sa décision était donc déraisonnable.

III. Conclusion

[17] Pour les motifs énoncés ci‑dessus, je conclus que la décision de la SAR n’est pas déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[18] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑9777‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9777-21

INTITULÉ :

JESUS ALBERTO GALLARDO GUTIERREZ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 MARS 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

Le 27 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Mark J. Gruszczynski

Pour le demandeur

Julien Primeau‑Lafaille

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Avocats

Westmount (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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