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Date : 20230314


Dossier : IMM-6435-21

Référence : 2023 CF 341

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

FRANCISMAR DOS SANTOS E SILVA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Francismar Dos Santos E Silva, est citoyen du Brésil. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 19 août 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] portant qu’il était visé par une exclusion suivant l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [la Convention], ainsi que l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SAR a conclu que le demandeur avait commis deux crimes graves de droit commun, chacun étant suffisant à lui seul pour lui refuser l’asile.

[2] Avant d’arriver au Canada en 2018, le demandeur a vécu sans statut aux États-Unis pendant environ 16 ans. Lors de son séjour dans ce pays, il a été accusé de plusieurs infractions. Le 12 avril 2002, dans l’État du Connecticut, il a été accusé de trois infractions : possession de stupéfiants, vente de certaines drogues illicites et vente de drogues illicites à moins de 1 500 pieds d’une école, d’un logement social ou d’une garderie. Le 31 janvier 2016, dans l’État de la Floride, il a été accusé de conduite avec facultés affaiblies. Il ne s’est présenté en cour pour aucune des instances et demeure visé par des mandats non exécutés.

[3] Pour parvenir à sa conclusion, la SAR a rejeté l’argument du demandeur voulant que la SPR était tenue d’examiner l’infraction de 2016 au regard des dispositions du Code criminel en vigueur à l’époque. À l’appui de son argument, le demandeur a invoqué l’arrêt Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50 [Tran], dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré que, pour ce qui est d’établir si une personne est interdite de territoire au Canada pour grande criminalité en application de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, la peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement devait être applicable au moment de la commission de l’infraction, et non au moment de l’évaluation de l’admissibilité. La SAR a jugé que l’arrêt Tran ne s’appliquait pas en l’espèce, car celui-ci venait clarifier la portée de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, et non de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention, sans compter que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 157 [Sanchez], a expressément indiqué que la SPR était tenue de trancher la question de l’exclusion au regard de la peine applicable au moment de l’évaluation.

[4] La question centrale en l’espèce est de savoir si la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Tran a une incidence sur celle rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Sanchez, et, plus particulièrement, si l’arrêt Tran vient modifier le moment en fonction duquel la peine doit être considérée pour ce qui est d’établir la gravité d’un crime dans les cas d’exclusion et d’admissibilité. Autrement dit, et comme l’a soulevé le demandeur : l’arrêt Sanchez fait-il toujours autorité?

[5] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en concluant que l’arrêt Tran ne s’appliquait qu’aux résidents permanents et aux étrangers visés par l’article 36 de la LIPR, mais non aux réfugiés visés par l’article 98, qu’elle a mal appliqué les facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404 [Jayasekara], lorsqu’elle a examiné les accusations de conduite avec facultés affaiblies portées contre lui, et qu’elle a écarté des éléments de preuve pertinents concernant les accusations liées aux stupéfiants.

[6] De son côté, le défendeur soutient que l’arrêt Tran ne s’applique pas aux demandeurs d’asile, que la SAR aurait commis une erreur si elle avait fait abstraction de l’arrêt Sanchez, et que la SAR a raisonnablement conclu que les crimes commis par le demandeur pouvaient être qualifiés de graves.

[7] Pour les motifs qui suivent, et en dépit des arguments avisés de l’avocate du demandeur, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[8] Les parties ont soulevé de nombreuses questions, que je reformule ainsi :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que l’arrêt Tran de la Cour suprême ne s’appliquait pas pour ce qui est des décisions relatives aux cas d’exclusion fondées sur l’article 98 de la LIPR?

  2. La SAR a-t-elle écarté des éléments de preuve pertinents concernant les accusations liées aux stupéfiants?

  3. Y a-t-il une question à certifier?

[9] Le demandeur affirme que la première question doit être évaluée selon la norme de la décision correcte, puisqu’il s’agit d’une question de droit. Le défendeur soutient quant à lui que la norme qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable, et que la question de l’applicabilité de l’arrêt Tran n’est pas une question de droit d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble.

[10] Je suis d’accord avec le défendeur. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a souligné qu’il existait une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas (aux para 10, 31, 58). Les questions de droit générales qui sont d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble sont toutefois susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov, aux para 58‑59). Cela dit, la Cour suprême précise que « le simple fait qu’un conflit puisse être “d’intérêt public général” ne suffit pas pour qu’une question entre dans » la catégorie de la norme de la décision correcte (Vavilov, au para 61). En l’espèce, bien qu’il y ait, à mon avis, un intérêt qui va au-delà de la présente affaire ainsi qu’un débat quant à la jurisprudence applicable, la question n’atteint pas le seuil fixé par la Cour suprême, à savoir celui de la question de droit générale d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble (Vavilov, aux para 60‑61). Je conclus donc que la première question en litige doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En outre, même si j’avais déterminé que la norme applicable était celle de la décision correcte, ma conclusion sur cette question aurait été la même.

[11] À moins d’une situation qui appelle un contrôle selon la norme de la décision correcte, ce qui, ai-je conclu, n’est pas le cas en l’espèce, la norme de contrôle qui s’applique dans les cas d’exclusion en application de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention est celle de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 10, 16‑17; Sanchez, au para 8; Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 12 au para 12 [Abbas]; Diaz Castillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1118 au para 10).

[12] Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Il incombe au demandeur, la partie qui conteste la décision, de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la SAR (Vavilov, au para 100). Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie contestant la décision que celle‑ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances reprochées « ne [sont] pas […] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100).

[13] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). Ainsi, il y a lieu de faire preuve de retenue, en particulier à l’égard des conclusions de fait et de l’appréciation de la preuve. À moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision ne devrait pas modifier les conclusions de fait. Ce n’est pas le rôle de la Cour, lors du contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». La cour de révision doit uniquement être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » (Vavilov, aux para 102, 104).

III. Analyse

A. La SAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’appliquer l’arrêt Tran de la Cour suprême

[14] Avant décembre 2018, conduire un véhicule avec les facultés affaiblies par l’alcool était punissable d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement. La situation a toutefois changé le 18 décembre 2018, alors qu’une modification au Code criminel a porté la peine maximale à dix ans. Ce fait est pertinent, parce que c’est sur la base de cet alourdissement de la peine maximale que la SAR a conclu que le crime commis par le demandeur était présumé grave, conformément à la déclaration de la Cour suprême du Canada selon laquelle « le crime est généralement considéré comme grave lorsqu’une peine maximale d’au moins dix ans d’emprisonnement aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada » (Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 au para 62). La SAR a précisé que la présomption de gravité du crime peut être réfutée par la prise en considération des facteurs énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara. En l’espèce, la SAR a jugé que ces facteurs ne permettaient pas de réfuter la présomption de gravité.

[15] Pour arriver à la conclusion que l’arrêt Tran ne s’appliquait pas, la SAR a fait remarquer que, dans cet arrêt, la Cour suprême avait conclu que l’expression « punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans » employée à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR visait l’emprisonnement maximal possible au moment de la commission de l’infraction pour ce qui était de déterminer l’admissibilité d’une personne au Canada. Elle a conclu que l’analyse fondée sur l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention différait de celle fondée sur l’article 36 de la LIPR, et que l’arrêt Sanchez demeurait applicable parce qu’il concernait directement l’alinéa Fb) de l’article premier.

[16] Le demandeur avance que, comme son infraction remontait à 2016, la SAR était tenue, sur la foi de l’arrêt Tran, de l’examiner au regard des dispositions du Code criminel en vigueur à l’époque. Il fait valoir que, même si les critères d’admissibilité et d’exclusion ne sont pas identiques, la date à retenir, même postérieurement à l’arrêt Tran, devrait être celle de la commission de l’infraction dans tous les cas, que ce soit celui d’un visiteur, d’un travailleur, d’un résident permanent ou d’un demandeur d’asile. S’il en allait autrement, affirme le demandeur, la loi serait appliquée de manière discriminatoire. Il ajoute que le fait d’appliquer l’arrêt Tran de manière aussi limitée assujettit les demandeurs d’asile à une norme plus contraignante que celle qui prévaut pour les résidents permanents et les étrangers.

[17] Le défendeur affirme qu’il était raisonnable pour la SAR d’analyser la question de l’exclusion d’après les principes de l’arrêt Sanchez. À son avis, la jurisprudence et le droit font une distinction claire entre l’alinéa 36(1)a) de la LIPR et la section F de l’article premier. Il soutient qu’une personne peut à la fois avoir qualité de réfugié au sens de la Convention au Canada, tout en étant interdite de territoire au Canada, ce qui souligne la nature distincte des critères, des analyses et de l’intention de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR et de l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention. Il estime qu’il n’appartenait pas à la SAR de faire progresser le droit et que, si elle avait cherché à le faire, sa décision aurait été déraisonnable.

[18] Je ne suis pas convaincue que la SAR ait commis une erreur en concluant que l’arrêt Sanchez s’appliquait en l’espèce et qu’elle n’était pas tenue d’appliquer l’arrêt Tran à son analyse fondée sur l’alinéa Fb) de l’article premier. Je conviens avec le défendeur qu’il n’appartenait pas à la SAR d’élargir la portée de l’arrêt Tran, alors qu’il n’est indiqué nulle part dans celui-ci que l’analyse était allée au-delà de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR.

[19] La décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sanchez est tout à fait pertinente compte tenu de la question certifiée dans cet arrêt et de la réponse qui y est donnée au paragraphe 9 :

Question : Lorsque le commissaire de la Section de la protection des réfugiés évalue l’équivalent canadien d’une infraction commise à l’étranger dans le contexte de l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et des facteurs énoncés dans l’arrêt Jayasekara, doit‑il évaluer la gravité du crime en question en fonction du moment où il a été commis ou, si un changement a été apporté entre‑temps à l’équivalent canadien, en fonction du moment où a lieu l’audience concernant l’exclusion de la Section de la protection des réfugiés?

Réponse : Si un changement a été apporté à la peine applicable à l’équivalent canadien de l’infraction, l’évaluation devrait être faite au moment où la Section de la protection des réfugiés tranche la question de l’exclusion prévue à l’alinéa Fb) de l’article premier.

[20] La Cour d’appel fédérale a conclu que, « [d]ans son examen de la peine prévue par les lois canadiennes pour le crime équivalent, la SPR ne saurait ignorer les lois qui sont en vigueur au moment où elle rend sa décision » (Sanchez, au para 6). La conclusion de la Cour d’appel fédérale est sans équivoque.

[21] La Cour d’appel fédérale a également souscrit en grande partie au raisonnement ci‑dessous, exprimé par la Cour fédérale :

[60] […] C’est au Canada de décider de ceux qu’il juge indésirables, et le point de vue du Canada à cet égard peut évoluer dans le temps quand le Parlement modifie sa façon de percevoir des crimes particuliers. Un crime jugé auparavant avec plus d’indulgence pourra sembler beaucoup plus menaçant et répugnant au fil du temps et des gouvernements. À mon avis, le demandeur d’asile qui ne mérite pas la protection au moment de l’audience ne peut être autorisé à demander l’asile en s’appuyant sur le fait que son activité criminelle était considérée comme étant moins grave à l’époque où elle a été commise. Si c’était le cas, le Canada pourrait accorder l’asile à des demandeurs que le pays est parvenu à considérer comme étant hautement indésirables et non méritants. Je ne crois pas que le Canada puisse avoir les mains liées de cette façon (Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 913).

[22] En revanche, le raisonnement de la Cour suprême dans l’arrêt Tran était axé sur le statut de résident permanent de M. Tran et sur la présomption du caractère non rétrospectif. La Cour suprême a indiqué que l’obligation qu’ont les résidents permanents de se conformer à la loi et de ne pas se livrer à des activités de « grande criminalité », au sens du paragraphe 36(1) de la LIPR, doit leur être communiquée à l’avance. Autrement, il pourrait en découler des iniquités (Tran, aux para 40‑49). Bien que le législateur puisse changer de position au sujet de la gravité d’un crime, il ne peut changer les obligations mutuelles entre les résidents permanents et la société canadienne sans le faire clairement et sans équivoque (Tran, au para 42). La Cour suprême a conclu que le législateur ne l’avait pas fait dans l’affaire Tran et que M. Tran ne pouvait pas savoir, au moment de commettre l’infraction, qu’il s’agissait d’un acte de « grande criminalité » pouvant contrevenir à ses obligations et mener à son renvoi (aux para 41‑42). Aussi la Cour suprême a-t-elle conclu que « [l]e droit de demeurer au Canada est conditionnel, mais il dépend du respect des obligations qui peuvent être connues. Par conséquent, la date pertinente pour évaluer la grande criminalité dont il est question à l’al. 36(1)a) est la date de la commission de l’infraction, et non la date de la décision quant à l’interdiction de territoire » (au para 42).

[23] J’estime que le raisonnement qui sous-tend la décision de la Cour suprême dans l’affaire Tran diffère des considérations qu’ont exprimées la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Sanchez. À mon avis, il était raisonnable pour la SAR de conclure que le raisonnement suivi dans l’affaire Sanchez s’appliquait en l’espèce, même si l’arrêt Tran était plus récent. L’alinéa 36(1)a) de la LIPR porte sur les déclarations de culpabilité pour des crimes commis au Canada, tandis que l’alinéa Fb) de l’article premier concerne les crimes commis à l’extérieur du pays d’accueil avant l’admission dans celui-ci. De fait, si elle avait choisi de s’écarter de la jurisprudence établie, à savoir l’arrêt Sanchez, et d’élargir la portée de l’arrêt Tran en vue de l’appliquer dans le contexte de l’exclusion, la SAR aurait couru un grand risque de voir sa décision être jugée déraisonnable.

[24] Le demandeur soulève la question connexe de savoir si la SAR, [traduction] « après avoir appliqué le mauvais critère en droit canadien, a rendu une décision déraisonnable quant à l’infraction de conduite avec facultés affaiblies ». Il soutient que la SAR serait parvenue à un résultat différent si elle avait utilisé le critère énoncé dans l’arrêt Tran, puisque l’article 255 du Code criminel de l’époque assortissait cette infraction d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement. De plus, il affirme que la SAR n’a pas tenu compte du fait que le ministre avait créé une exemption pour les personnes qui demandaient à entrer au Canada et qui avaient été reconnues coupables d’une infraction de conduite avec facultés affaiblies commise avant le 18 décembre 2018. Il fait valoir que la somme de ces erreurs rend la décision déraisonnable.

[25] Je ne souscris pas à l’avis du demandeur. Premièrement, je suis arrivée à la conclusion qu’il était raisonnable pour la SAR de s’appuyer sur l’arrêt Sanchez et de considérer que la peine pertinente dans le cadre de l’évaluation était celle en vigueur au moment de trancher la question de l’exclusion, et non au moment de la commission de l’infraction. Deuxièmement, la SAR a examiné la directive du ministre et a conclu qu’elle s’appliquait à l’article 36 de la LIPR. Je ne vois aucune raison d’intervenir.

B. La SAR a-t-elle écarté des éléments de preuve pertinents concernant les accusations liées aux stupéfiants?

[26] Le demandeur soutient que, selon la preuve documentaire, il avait conclu un accord de plaidoyer pour le chef d’accusation de possession, ce qui lui avait valu une absolution inconditionnelle pour les autres chefs, de sorte qu’il ne pouvait pas s’agir‑là d’un crime grave. À l’audience, la conseil a expliqué que, d’après ce qu’indiquaient les documents, l’annulation du plaidoyer et le refus de poursuivre enregistré le 23 novembre 2020 équivalaient à une absolution inconditionnelle. Le demandeur avance que la SAR a délibérément fait abstraction du règlement de l’accusation, ce qui rend la décision déraisonnable.

[27] Le défendeur réplique que la SAR savait très bien que le demandeur n’avait pas été poursuivi, mais que, au vu des accusations de possession et de vente de stupéfiants ainsi que des renseignements contenus dans le rapport de police, elle avait néanmoins jugé que le crime était grave. La SAR, s’appuyant sur la décision Abbas, a conclu que l’exclusion d’un demandeur d’asile en raison d’accusations rejetées ne constituait pas une erreur susceptible de contrôle. Le défendeur insiste sur les réserves exprimées par la SAR quant à la crédibilité du demandeur. Il estime que, compte tenu de ce qui précède, la SAR a raisonnablement évalué la gravité du crime au regard de la preuve dont elle disposait.

[28] Le demandeur ne m’a pas convaincue que la SAR avait commis une erreur susceptible de contrôle dans son traitement de la preuve portant sur les accusations liées aux stupéfiants. Comme je le mentionne ci-dessus, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve examinée par la SAR (Vavilov, au para 125). La SAR a pris en considération les documents de la cour supérieure de l’État du Connecticut et la lettre d’accompagnement du procureur du citoyen de même que l’enregistrement d’un refus de poursuivre. Elle a examiné la jurisprudence applicable en ce qui concerne les accusations rejetées, puis elle a évalué la preuve au dossier. En définitive, j’estime que la question est celle du poids accordé à la preuve, la SAR en ayant accordé davantage au rapport de police. Par conséquent, je refuse d’intervenir.

C. Y a-t-il une question à certifier?

[29] Comme l’a récemment déclaré la Cour d’appel fédérale, pour être dûment certifiée, la question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Laing, 2021 CAF 194 au para 11). De plus, une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire ne peut être dûment certifiée (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 aux para 46‑47; Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 au para 36).

[30] Le demandeur propose que soit certifiée la question suivante :

[traduction]

La décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Tran c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 RCS 289, a-t-elle modifié le moment en fonction duquel la peine doit être considérée pour ce qui est d’établir la gravité d’un crime dans les cas d’exclusion, ainsi que dans les cas d’admissibilité, mettant ainsi les demandeurs d’asile sur un pied d’égalité avec toutes les autres personnes qui cherchent à entrer au Canada?

[31] Le demandeur soutient que la question proposée satisfait aux critères, car elle transcende les intérêts des parties en ayant pour but de remédier au manque de parité entre les demandeurs d’asile dont la demande est examinée sous l’angle de l’exclusion et les autres, y compris les visiteurs, dont la demande est examinée au titre de la LIPR. Il affirme que la réponse à cette question est déterminante quant à l’issue de l’appel, puisque celui-ci ne serait pas nécessairement rejeté sur le fondement de l’infraction de conduite avec facultés affaiblies.

[32] Le défendeur estime que la jurisprudence est bien établie et que la Cour suprême, dans l’arrêt Tran, n’a aucunement laissé entendre que la présomption du caractère non rétrospectif qui prévaut dans le cadre de l’analyse fondée sur l’alinéa 36(1)a) s’appliquait de quelque façon à l’analyse fondée sur l’alinéa Fb) de l’article premier.

[33] Quant au critère de la transcendance des intérêts des parties, j’estime que nous sommes devant un cas limite. Bien que j’aie conclu qu’il était raisonnable pour la SAR de s’en remettre à un précédent établi, je crois également que la Cour d’appel fédérale devrait, si elle le souhaitait, avoir la possibilité de réexaminer le précédent qu’elle a établi dans l’arrêt Sanchez à l’aune de l’arrêt Tran et des arguments du demandeur concernant les critères divergents qui sont appliqués aux cas d’exclusion et d’admissibilité.

[34] En l’espèce, la difficulté réside dans le fait que, pour être dûment certifiée, la question doit trancher l’appel. C’est peut-être le cas en ce qui concerne l’infraction de conduite avec facultés affaiblies, mais ce ne l’est pas en ce qui a trait aux accusations liées aux stupéfiants. Durant l’audience, le demandeur a précisé qu’il ne contestait pas le fait que l’arrêt Sanchez s’appliquait à ces dernières accusations. Sa position était plutôt la suivante : comme il lui avait été nécessaire d’enregistrer un refus de poursuivre parce que le système informatique ne reconnaissait pas l’absolution conditionnelle, la SAR n’aurait pas dû conclure que le crime qu’il avait commis était grave.

[35] La SAR a écrit ce qui suit :

[104] Un seul crime est suffisant pour refuser l’asile [au demandeur] au titre de l’article 98 de la LIPR. Cependant, à la lumière de mon analyse indépendante, je conclus qu’il y a des raisons sérieuses de penser que [le demandeur] a commis deux crimes graves de droit commun, chacun étant suffisant à lui seul pour que [le demandeur] se voie refuser l’asile. Je conclus donc que [le demandeur] doit se voir refuser l’asile, en application de l’alinéa Fb) de l’article premier.

[36] Compte tenu des directives de la Cour d’appel fédérale sur les conditions de certification d’une question et de la conclusion de la SAR selon laquelle les accusations liées aux stupéfiants auraient suffi à elles seules à exclure le demandeur, je ne puis certifier la question.

IV. Conclusion

[37] Pour les motifs qui précèdent, j’estime que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[38] Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6435‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6435‑21

INTITULÉ :

FRANCISMAR DOS SANTOS E SILVA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 OCTOBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 14 MARS 2023

COMPARUTIONS :

Fiona Begg

POUR LE DEMANDEUR

Jocelyne Mui

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fiona Begg

Avocate

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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