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Date : 20230222


Dossier : IMM-4423-22

Référence : 2023 CF 260

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

MUHAMMAD ZEESHAN ET MUHAMMAD AZAM QURESHI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] M. Muhammad Zeeshan est un ressortissant du Pakistan qui réside actuellement dans ce pays. Son père, M. Muhammad Azam Qureshi, est également originaire du Pakistan. En 2017, M. Qureshi a déposé une première demande d’asile au Canada. Il en a présenté une deuxième, mise à jour, en 2018. Cette même année, lorsque sa demande a été accueillie, il a présenté une demande de résidence permanente dans laquelle il avait inscrit sa femme et son fils cadet, M. Zeeshan. M. Zeeshan avait 24 ans lorsque son père a déposé sa demande d’asile et 25 ans lorsque celui-ci l’a ajouté à sa demande de résidence permanente.

[2] Le 29 octobre 2021, les demandeurs ont reçu une lettre d’équité procédurale qui indiquait que M. Zeeshan ne correspondait pas à la définition d’[traduction] « enfant à charge » au sens de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] en raison de son âge. Dans la lettre, les demandeurs étaient invités à présenter, s’ils le souhaitaient, des renseignements et des éléments de preuve pour que la demande soit examinée sous l’angle des considérations d’ordre humanitaire.

[3] M. Qureshi, sa femme et ses huit enfants sont des musulmans ahmadis. Dans ses observations, M. Zeeshan a mis l’accent sur ses liens avec le Canada à travers ses parents, la liberté de religion au Canada, sa situation au Pakistan, ainsi que la réalité des musulmans ahmadis dans ce pays.

[4] Le 27 avril 2022, un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada à Londres, en Angleterre, [l’agent] a rejeté la demande de M. Zeeshan au motif que les considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas l’octroi d’une dispense des exigences de la LIPR [la décision].

[5] Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur : a) en ne donnant pas une explication raisonnée concernant son traitement de la question de la discrimination systémique subie par les musulmans ahmadis; b) dans son traitement et son appréciation de l’expérience personnelle de M. Zeeshan, notamment à la lumière de l’expérience vécue par son père; c) en appliquant le mauvais critère et en ne tenant pas compte de l’ensemble des considérations d’ordre humanitaire en jeu.

[6] Le défendeur soutient que, même si l’agent a expressément reconnu que la communauté ahmadie est victime de discrimination au Pakistan, il a raisonnablement conclu, compte tenu de tous les facteurs d’ordre humanitaire, que l’octroi d’une dispense n’était pas justifié. Le défendeur fait valoir que l’agent a raisonnablement conclu que M. Zeeshan bénéficiait d’un soutien familial, puisque ses parents peuvent l’appuyer financièrement depuis le Canada et qu’il habite avec ses trois frères et sœurs aînés.

[7] Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Norme de contrôle

[8] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85).

[9] Il incombe aux demandeurs de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de l’agent (Vavilov, au para 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de révision que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que les lacunes ou les insuffisances reprochées ne sont pas « simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100). Comme M. Zeeshan l’a fait remarquer au cours de l’audience, « une décision sera déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle » (Vavilov, au para 103).

[10] La Cour doit centrer son attention sur la décision effectivement rendue par le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle elle serait parvenue à la place du décideur administratif. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne devraient pas modifier les conclusions de fait, et il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125).

III. Analyse

A. Question préliminaire – Nouveaux renseignements

[11] Dans ses actes de procédure et au début de l’audience, le défendeur a soulevé la question de savoir si les renseignements compris dans l’affidavit de Shafia Bhatti daté du 19 décembre 2022, en particulier les paragraphes 3 et 4, devraient être écartés au motif que l’agent ne disposait pas de cette information.

[12] M. Zeeshan soutient que l’information a été ajoutée dans le but de convaincre la Cour que l’affaire n’est pas théorique.

[13] La règle générale veut que le dossier de preuve qui est présenté à la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 [Access Copyright]. Bien qu’il existe des exceptions à cette règle générale (Access Copyright, au para 20), aucune ne s’applique en l’espèce.

[14] Les renseignements consignés aux paragraphes 3 et 4 de l’affidavit de Mme Bhatti ne seront pas pris en considération. Toutefois, je fais remarquer la préoccupation de M. Zeeshan en ce qui concerne le caractère théorique et je confirme que cette question n’est pas en cause dans la présente affaire.

B. La décision est raisonnable

[15] L’agent a conclu que M. Zeeshan n’était pas admissible à titre d’« enfant à charge » au sens du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, puisqu’il avait plus de 22 ans lorsque la demande de son père a été déposée. Par conséquent, l’agent a évalué la demande de M. Zeeshan sur le fondement des considérations d’ordre humanitaire aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR.

[16] Une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR est une mesure exceptionnelle et discrétionnaire (Kok c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 741 au para 7); Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265 aux paras 19-20). Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre le large pouvoir discrétionnaire d’exempter les étrangers des exigences habituelles de la loi et de leur accorder le statut de résident permanent au Canada s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient. Le pouvoir discrétionnaire à cet égard représente une exception sensible et flexible qui vise à accorder un redressement en equity, notamment pour mitiger la rigidité de la LIPR dans les cas appropriés (Rainholz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 121 [Rainholz] aux para 13 et 14).

[17] Les motifs d’ordre humanitaire s’entendent des faits, établis par la preuve, de nature à inciter toute personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne – dans la mesure où ses malheurs justifient l’octroi d’un redressement spécial aux fins des dispositions par ailleurs applicables de la LIPR (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 aux para 13 et 21 [Kanthasamy]). Comme l’a mentionné mon collègue le juge Andrew D. Little, « selon l’interprétation retenue du paragraphe 25(1), l’agent doit évaluer les difficultés auxquelles le ou les demandeurs se heurteront lorsqu’ils quitteront le Canada. Bien qu’ils ne soient pas employés dans la loi elle-même, la jurisprudence d’appel a confirmé que les adjectifs "inhabituelles", "injustifiées" et "excessives" décrivaient les difficultés susceptibles de justifier une dispense au titre de cette disposition » (Rainholz, au para 15).

[18] Il incombe à la personne qui présente une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, en l’espèce M. Zeeshan, d’établir que l’octroi d’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire est justifié. Le demandeur qui ne présente pas de preuve ou qui omet de produire des renseignements pertinents à l’appui de sa demande le fait à ses risques et périls (Rainholz, au para 18).

[19] L’agent a reconnu que la communauté ahmadie est victime de discrimination au Pakistan, mais a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour démontrer que la situation personnelle de M. Zeeshan justifiait l’octroi d’une dispense. M. Zeeshan soutient que cette conclusion est déraisonnable compte tenu des documents tirés du cartable national de documentation qu’il a présentés, de ses expériences, et du fait que son père a obtenu le statut de réfugié parce qu’il avait vécu des expériences similaires aux siennes. Il fait valoir que la décision n’est pas fondée sur une analyse rationnelle comme cela est requis.

[20] Le défendeur soutient que M. Zeeshan fait essentiellement valoir ce qui suit : l’agent aurait dû accueillir sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire après avoir conclu qu’il était un musulman ahmadi. Le défendeur souligne qu’il y avait peu d’éléments de preuve au dossier et que les facteurs soulevés, pris dans leur ensemble, ne satisfaisaient pas au critère. Il fait valoir qu’en plus de la discrimination, l’agent a pris en compte le fait que le demandeur poursuit des études universitaires, habite avec ses trois frères et sœurs aînés et dispose d’un réseau familial au Pakistan.

[21] Je ne suis pas convaincue que la décision était déraisonnable. Je conviens avec le défendeur que le critère n’est pas de savoir si la Cour serait arrivée à la même conclusion que l’agent. La Cour suprême a clairement indiqué qu’un tribunal doit s’abstenir de trancher à nouveau la question en litige, et qu’elle doit uniquement examiner la question de savoir si la décision, y compris le raisonnement suivi par le décideur et l’issue de celle-ci, est raisonnable (Vavilov, au para 83).

[22] En l’espèce, compte tenu du dossier dont disposait l’agent, je suis convaincue qu’il est possible de suivre son raisonnement sans se buter sur une faille décisive sur le plan de la rationalité ou de la logique. En d’autres termes, la décision est fondée sur une analyse rationnelle et ne renferme aucune lacune susceptible de miner les exigences en matière de justification, d’intelligibilité et de transparence.

[23] Je conviens avec M. Zeeshan que l’agent n’a pas expressément mentionné certains des actes de discrimination qu’il a décrits dans sa lettre intitulée [traduction] « Renseignements supplémentaires (Mise à jour) dans le dossier IMM 5283 ». Néanmoins, je conclus que cette omission ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle compte tenu de la décision dans son ensemble. De plus, le décideur est présumé avoir soupesé et considéré toute la preuve qui lui a été présentée (Burai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 966 au para 38).

[24] Bien que M. Zeeshan ait fait remarquer que son père a obtenu le statut de réfugié, je ne suis pas convaincue que ce facteur est suffisant pour rendre la décision déraisonnable. Il existe des différences importantes, sur le plan des considérations juridiques et factuelles, entre la demande d’asile présentée par M. Qureshi et l’évaluation, par l’agent, de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de M. Zeeshan.

[25] Je ne suis pas d’accord avec M. Zeeshan pour dire que l’agent n’a pas appliqué le bon critère en omettant d’examiner l’ensemble des facteurs d’ordre humanitaire en jeu, notamment sa réunion avec sa famille, son point de vue culturel selon lequel il est toujours un enfant à charge, ainsi que le soutien émotionnel et financier que ses parents pourraient lui prodiguer. Je conclus que l’agent a expressément mentionné les observations de M. Zeeshan selon lesquelles il dépend de ses parents sur les plans culturel et financier, et qu’il a ensuite abordé la question de ses finances ainsi que des membres de sa famille avec qui il habite. En fin de compte, je conclus que, par son argument, M. Zeeshan demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve examinée par l’agent, ce que je refuse de faire.

IV. Conclusion

[26] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les motifs de l’agent satisfont à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4423-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4423-22

INTITULÉ :

MUHAMMAD ZEESHAN ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 FÉVRIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 22 FÉVRIER 2023

COMPARUTIONS :

Nicholas Blenkinsop

POUR LES DEMANDEURS

Michel Digout

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Classic Inc.

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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