Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Dossier : T-954-22

Référence : 2023 CF 243

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 février 2023

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

IPACK B.V.

demanderesse

et

MCINNES COOPER

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le présent appel est interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13) [la LMC]. La demanderesse, IPack B.V. (IPack), interjette appel de la décision rendue par un membre de la Commission des oppositions des marques de commerce, au nom du registraire des marques de commerce (le registraire), qui a radié l’enregistrement de la marque de commerce numéro LMC 701559, pour la marque LUCIFER, du registre des marques de commerce.

[2] La défenderesse n’a pas participé à l’appel.

[3] L’article 45 de la LMC prévoit une procédure sommaire qui permet au registraire de radier l’enregistrement d’une marque de commerce tombé en désuétude : Miller Thomson SENCRL, srl c Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134 [Hilton Worldwide] au para 9. À la demande de la défenderesse, le registraire a donné un avis au titre de l’article 45 pour l’enregistrement numéro LMC 701559, avis qui exigeait qu’IPack, en tant que propriétaire inscrite, démontre que la marque LUCIFER a été employée au Canada avec les produits visés par l’enregistrement, soit les bières et les ales, entre le 8 octobre 2017 et le 8 octobre 2020 (la période pertinente).

[4] En réponse à l’avis donné au titre de l’article 45, IPack a produit un affidavit de Michel Moortgat, directeur général d’IPack, daté du 18 mars 2021 (l’affidavit Moortgat). Dans cet affidavit, il est déclaré qu’IPack a accordé à la société belge Het Anker une licence exclusive pour l’emploi de la marque LUCIFER, et que Het Anker a importé et vendu de la bière et de l’ale de la marque LUCIFER au Canada au cours de la période pertinente. Les pièces jointes à l’affidavit Moortgat comprennent des factures émises par Het Anker, indiquant des ventes de produits LUCIFER en 2017 et en 2018, ainsi que des photographies de produits de marque LUCIFER vendus au cours de la période pertinente.

[5] Le registraire n’a pas exprimé de préoccupations concernant la preuve de l’emploi de la marque LUCIFER par Het Anker au Canada avec de la bière et de l’ale; toutefois, le registraire n’était pas convaincu que la preuve avait établi qu’IPack exerçait le contrôle requis sur les caractéristiques et la qualité des produits vendus par Het Anker. Par conséquent, le registraire a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que l’emploi de la marque LUCIFER par Het Anker était au profit d’IPack. La propriétaire inscrite n’ayant pas démontré l’emploi de la marque au cours de la période pertinente, le registraire a procédé à la radiation de l’enregistrement. Le registraire a déclaré que la décision aurait été différente si M. Moortgat avait attesté qu’IPack contrôlait les caractéristiques ou la qualité des produits au cours de la période pertinente, ou s’il avait produit une copie du contrat de licence qui établissait l’exercice d’un tel contrôle.

[6] Dans le cadre du présent appel, IPack a produit des éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés au registraire : LMC, art 56(5). IPack soutient que la preuve additionnelle démontre le contrôle requis sur les caractéristiques et la qualité des produits vendus par Het Anker, au Canada, au cours de la période pertinente, et IPack demande à la Cour d’annuler la décision du registraire.

[7] La norme de contrôle applicable dépend de la preuve additionnelle produite par IPack. La Cour procède à un contrôle selon la norme de la décision correcte, sous la forme d’un appel de novo, à l’égard des questions pour lesquelles elle est saisie de nouveaux éléments de preuve qui auraient pu avoir une incidence importante sur la décision du registraire : Hilton Worldwide, au para 47; The Clorox Company of Canada, Ltd c Chloretec sec, 2020 CAF 76 [Clorox] au para 21; voir aussi la décision Sea Tow Services International, Inc c Trademark Factory International Inc, 2021 CF 550 [Sea Tow Services] aux para 15, 17. Par ailleurs, la Cour contrôle la décision du registraire selon la norme de contrôle en appel énoncée dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 : Clorox, aux para 22, 23; Sea Tow Services, au para 18.

[8] La nouvelle preuve d’IPack est constituée d’un affidavit de Christophe Dupont, conseiller en propriété intellectuelle d’IPack, daté du 3 juin 2022 (l’affidavit Dupont). IPack soutient que l’affidavit Dupont fournit les éléments de preuve mêmes qui, selon le registraire, auraient conduit à une décision différente. Il décrit les éléments pertinents de l’historique de l’entreprise IPack et établit la chaîne de titres à l’égard de l’enregistrement. M. Dupont atteste qu’IPack a maintenu un contrôle direct sur la qualité des produits vendus par Het Anker au cours de la période pertinente. Une copie du contrat de licence entre IPack et Het Anker est jointe à l’affidavit Dupont, et M. Dupont atteste qu’il était en vigueur pendant la période pertinente.

[9] La pertinence est une question de qualité, et non de quantité : Align Technology, Inc c Osstemimplant Co, Ltd, 2022 CF 720 [Align] au para 15. Le critère n’est pas de savoir si la nouvelle preuve aurait fait changer d’avis le registraire, mais plutôt si elle aurait pu influer sur la décision : Sea Tow, au para 16, citant Papiers Scott Limitée c Georgia‑Pacific Consumer Products LP, 2010 CF 478 au para 49. La nouvelle preuve peut être pertinente si elle pallie des lacunes cernées par le registraire : Align, au para 15, citant Beverly Hills Jewellers MFG Ltd c Corona Jewellery Company Ltd, 2021 CF 674 aux para 38, 39.

[10] Je conclus que la preuve additionnelle fournie par IPack aurait pu avoir une incidence importante sur la décision du registraire. Par conséquent, la Cour peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi, ce qui comprend la conduite d’un appel de novo : Clorox, au para 21. Dans de telles circonstances, la Cour examine la question sur laquelle porte la preuve, en fonction de la norme de la décision correcte, et parvient à sa propre conclusion sur le fondement de l’ensemble de la preuve : LMC, art 56(1); Clorox, au para 21; Align, au para 13.

[11] Dans une procédure relative à l’article 45, la norme applicable en matière de preuve d’emploi n’est pas stricte, et il n’est pas nécessaire de présenter une surabondance d’éléments de preuve : Sim & McBurney c en Vogue Sculptured Nail Systems Inc, 2021 CF 172 [en Vogue] au para 14. Un affidavit ou une déclaration solennelle suffira si on y trouve une description factuelle de l’emploi de la marque en cause qui démontre que les conditions de l’article 4 de la LMC sont respectées : Spirits International BV c BCF SENCRL, 2012 CAF 131 [Spirits International] au para 8. La preuve d’une seule vente peut suffire, selon les circonstances, pour établir que la marque de commerce a été employée dans la pratique normale du commerce : en Vogue au para 14. Dans une procédure relative à l’article 45, le propriétaire inscrit doit démontrer qu’au cours de la période pertinente, il a lui‑même employé la marque ou que celle‑ci a été utilisée par une autre personne d’une manière qui lui a profité : Spirits International, au para 7.

[12] IPack soutient que l’affidavit Moortgat établit que la marque LUCIFER a été employée, au sens du paragraphe 4(1) de la LMC, en liaison avec les produits visés par l’enregistrement, à savoir les bières et les ales. Het Anker a vendu des produits arborant la marque LUCIFER au Canada, au cours de la période pertinente, dans la pratique normale du commerce. L’affidavit Moortgat joint des factures et des photographies à titre de preuve.

[13] Je suis d’accord. IPack a établi que Het Anker avait employé la marque LUCIFER au Canada, en liaison avec des bières et des ales, au cours de la période pertinente.

[14] La question suivante est de savoir si la preuve établit qu’IPack a exercé le degré de contrôle requis sur les caractéristiques et la qualité des produits vendus par Het Anker au Canada. Lorsque le propriétaire de l’enregistrement d’une marque se fonde sur l’emploi de sa marque de commerce par une autre personne, il incombe au propriétaire d’établir le contrôle direct ou indirect des caractéristiques ou de la qualité des produits ou des services en question, afin que l’emploi de sa marque par une autre personne profite au propriétaire : LMC, art 50; Live! Holdings, LLC c Oyen Wiggs Green & Mutala LLP, 2020 CAF 120 [Live!] au para 36, citant Empresa Cubana del Tabaco c Shapiro Cohen, 2011 CF 102 au para 84, conf par 2011 CAF 340; voir aussi Clorox, au para 56.

[15] Dans l’arrêt Live!, la Cour d’appel fédérale a relevé trois manières par lesquelles un propriétaire peut démontrer le contrôle requis aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi (au para 24) :

[16] IPack soutient qu’elle s’est acquittée du fardeau de la preuve avec l’affidavit Dupont, qui établit le contrôle nécessaire des trois manières.

[17] Je suis d’accord. L’affidavit Dupont établit qu’IPack a maintenu un contrôle sur les caractéristiques ainsi que la qualité de la bière et de l’ale de la marque LUCIFER que Het Anker a brassées, importées au Canada et vendues au cours de la période pertinente. M. Dupont atteste qu’IPack a maintenu un contrôle direct sur la qualité de la bière et de l’ale de la marque LUCIFER et qu’IPack a effectivement exercé ce contrôle par une inspection au moins annuelle de la bière et de l’ale produites par Het Anker sous licence, pour conclure qu’elles répondaient aux normes d’IPack. L’affidavit Dupont joint également une copie du contrat de licence et de sa traduction. Le contrat prévoit que le produit de la marque LUCIFER doit être conforme aux caractéristiques spécifiées par IPack, il donne à IPack le droit de contrôler le respect par Het Anker des caractéristiques spécifiées et d’autres exigences à tout moment du processus de brassage, et il comprend d’autres modalités démontrant le contrôle d’IPack sur les caractéristiques ainsi que la qualité des produits faisant l’objet de la licence. Je conclus que l’affidavit Dupont établit que l’emploi par Het Anker de la marque de commerce LUCIFER était au profit d’IPack.

[18] En conclusion, l’appel sera accueilli, et la décision du registraire sera annulée. La preuve établit que l’enregistrement numéro LMC 701559 devrait être maintenu.

[19] Étant donné que la défenderesse ne s’est pas opposée à l’appel, IPack ne sollicite pas l’adjudication de dépens.



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.