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Date : 20230210


Dossier : IMM-9344-21

Référence : 2023 CF 195

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 février 2023

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

ASSEM AHMAD ABDELRAHMAN SALEM

demandeur

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Salem, est un citoyen de l’Égypte. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 19 novembre 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé le rejet de sa demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés (la SPR). Le demandeur a demandé le statut de réfugié au Canada parce qu’il craignait d’être persécuté en raison de l’association perçue de son père avec les Frères musulmans. La SAR a accepté les allégations principales du demandeur, mais a conclu qu’il n’avait pas établi qu’il serait pris pour cible par les autorités égyptiennes s’il retournait au pays.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La SAR a effectué un examen approfondi de la décision de la SPR, des arguments du demandeur, des faits du dossier et de la preuve produite. Son analyse de la preuve et sa conclusion selon laquelle le demandeur n’avait pas établi le fondement objectif de sa crainte subjective de persécution en Égypte sont intrinsèquement cohérentes, compatibles avec la jurisprudence pertinente et elles présentent un raisonnement clair qui tient compte du cadre établi dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov).

I. Contexte

[3] Comme je le mentionne plus haut, la demande d’asile du demandeur est fondée sur son association avec son père, qui est un adepte de la foi islamique sunnite. Son père était muezzin à la mosquée d’Idris avant que la famille quitte l’Égypte pour se rendre en Libye en 1976, après qu’il eut été harcelé et détenu parce qu’il était soupçonné d’appartenir aux Frères musulmans. Le demandeur croit que les autorités égyptiennes recherchent toujours son père, car il est perçu comme un opposant au régime actuel.

[4] Le demandeur est né en Lybie en 1984. Il a déménagé en Égypte en septembre 2015 et n’a plus de statut en Libye.

[5] Les événements qui ont précipité le départ du demandeur d’Égypte ont commencé en 2017. Alors que le demandeur se rendait au travail le 22 septembre 2017, l’autobus dans lequel il voyageait a été arrêté à un point de contrôle à Alsalloum. Il a été sorti de l’autobus, ses pièces d’identité ont été inspectées et il a été détenu et interrogé pendant six heures avant d’être relâché. Le 5 novembre 2017, le demandeur a de nouveau dû sortir d’un autobus à un autre point de contrôle, celui de Siwa, et ses pièces d’identité et son téléphone cellulaire ont été inspectés. Il s’est fait dire d’envoyer une copie de sa pièce d’identité au poste de police le plus proche, puis il a été relâché.

[6] Environ une semaine plus tard, un agent de police a communiqué avec le demandeur et lui a demandé pourquoi il n’avait pas fourni de copie de sa pièce d’identité. Le 19 novembre 2017, trois agents en civil se sont présentés à sa résidence de travail et ont fouillé les lieux. Le demandeur a découvert plus tard que les agents y avaient volé de l’argent et d’autres objets.

[7] Le demandeur a quitté l’Égypte en août 2019 et est venu au Canada.

[8] La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur le 3 juin 2021, estimant qu’il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir que le gouvernement égyptien le prenait pour cible en raison des opinions politiques présumées de son père et de son appartenance vraisemblable aux Frères musulmans. La SPR a déclaré que le demandeur n’avait pas fourni d’explication raisonnable quant aux raisons pour lesquelles les autorités s’intéressaient toujours à son père quarante‑cinq ans après son départ du pays.

[9] Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[10] Contrairement à la SPR, la SAR n’a trouvé aucune raison de mettre en doute la crédibilité générale du demandeur et a reconnu que celui-ci avait une crainte subjective d’être persécuté en Égypte. Elle a toutefois confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait pris pour cible en raison de l’association perçue de son père avec les Frères musulmans.

[11] Les conclusions de la SAR étaient les suivantes :

  1. Le fait que le demandeur n’a pas subi de préjudice lorsqu’il a été détenu et interrogé à deux reprises alors qu’il voyageait dans les transports en commun en 2017, compte tenu de toutes les autres circonstances entourant ses interactions avec les autorités égyptiennes, indique clairement que ni lui ni son père ne sont perçus comme des opposants au régime actuel.

  2. Les autres circonstances mentionnées par la SAR étaient les suivantes : a) le demandeur a été arrêté à des points de contrôle de sécurité actifs; b) on lui a demandé sa carte d’identité nationale et il l’a fournie; c) il a donné des renseignements sur sa famille et son père, mais malgré cela, il a simplement été interrogé, puis relâché; d) rien n’indique que les agents s’intéressaient particulièrement au père du demandeur ou à ses activités politiques présumées lorsqu’ils ont fouillé la résidence du demandeur, même s’ils ont volé celui-ci.

  3. La police s’est renseignée sur son père en février 2015, mais l’affirmation du demandeur selon laquelle le gouvernement a poursuivi l’enquête sur son père après avoir examiné les anciens dossiers pour savoir qui appartenait aux Frères musulmans relève de la conjecture. Le demandeur est retourné en Égypte en septembre 2015 et est entré dans le pays avec son passeport. Si le demandeur ou son père étaient perçus comme des opposants au régime par les autorités, le demandeur aurait au moins été interrogé à son retour en Égypte.

  4. Aucun élément de preuve au dossier n’indique que les autorités égyptiennes recherchent le demandeur. Lorsque le demandeur a décliné son identité aux autorités en septembre et novembre 2017, il a été interrogé et remis en liberté.

  5. Les éléments de preuve objectifs concernant l’Égypte indiquent qu’aucune forme de dissidence n’est tolérée. En l’espèce, le demandeur a déclaré qu’il avait été interrogé au sujet de son père en septembre 2017. Sa carte d’identité nationale a été examinée en septembre et en novembre 2017, et il a été interrogé plus tard en novembre lorsque la police s’est présentée à sa résidence. Il n’a été question du père du demandeur lors d’aucun de ces entretiens de novembre. Si les autorités s’intéressaient au demandeur en raison du lien présumé de son père avec les Frères musulmans, elles ne l’auraient probablement pas libéré en septembre ou en novembre 2017, alors qu’elles connaissaient son identité.

  6. Le demandeur n’a pas démontré qu’il serait personnellement exposé aux risques énoncés au paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Les éléments de preuve indiquent que les autobus dans lesquels il voyageait en 2017 ont été arrêtés à des points de contrôle de routine. Le fait qu’il ait dû en sortir et qu’il ait été interrogé ne permet pas d’établir qu’il était personnellement visé. De même, la perquisition à sa résidence de travail semble avoir été liée au fait qu’il n’avait pas envoyé de copie de sa pièce d’identité à la police.

[12] La SAR a conclu que la demande d’asile du demandeur ne pouvait être accueillie, qu’elle soit examinée au titre de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la LIPR, et a rejeté l’appel.

III. Analyse

[13] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur dans l’évaluation de son profil cumulatif et dans l’analyse du risque prospectif auquel il serait exposé à son retour en Égypte. Il affirme, et je suis d’accord, que la décision de la SAR doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 10, 23; Zamor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 672 au para 6). Dans le cadre d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s’intéresser « à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » pour déterminer si celle-ci est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, aux para 83, 85).

[14] Le demandeur soutient que la preuve présentée à la SAR établissait qu’il serait perçu comme un opposant au régime actuel en Égypte, parce que son père était soupçonné d’être membre des Frères musulmans et avait dû fuir le pays, et qu’il avait lui-même été détenu et interrogé en 2017. Selon le demandeur, son affirmation selon laquelle les autorités égyptiennes le perçoivent comme un opposant et le poursuivraient s’il revenait au pays doit être présumée vraie, à moins d’une preuve du contraire. Il affirme qu’une telle preuve n’existe pas et qu’en fait, la preuve au dossier appuie ses allégations.

[15] Malgré les arguments habiles présentés par l’avocat du demandeur, je ne trouve aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR.

[16] L’argument du demandeur repose sur le principe général énoncé dans l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA), mais confond des conclusions de fait fondées sur la présomption voulant que le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile soit vrai avec les inférences qu’un décideur peut tirer de ces faits. La Cour s’est récemment penchée sur la portée de la présomption de vérité dans la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1410 :

[16] [...] [C]ette présomption ne s’applique pas aux inférences ou aux conclusions qu’un témoin tire des faits, ni aux conjectures sur des faits qui pourraient survenir. De même, elle ne s’applique pas aux craintes qui ne sont pas suffisamment étayées par la preuve objective : Araya Atencio c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 571 aux para 8–10; Hernandez c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF. no 657 (CF 1re inst) au para 6; Derbas c Canada (Solliciteur général),[1993] ACF. no 829 (CF 1re inst) au para 3.

[17] En l’espèce, la SAR n’a pas mis en doute la crédibilité du demandeur et a accepté son récit concernant les incidents de septembre et de novembre 2017. Le tribunal a pris acte de la crainte subjective du demandeur d’être persécuté en Égypte, mais n’a trouvé aucun fondement objectif à sa crainte de persécution. Je conclus que la preuve étaye raisonnablement la conclusion de la SAR.

[18] Le père du demandeur a quitté l’Égypte en 1976. La SAR a souligné que le demandeur avait été arrêté à des points de contrôle de sécurité actifs, où il avait présenté sa carte d’identité nationale. Au cours de l’interpellation de septembre 2017, il a été interrogé sur sa famille et son père, puis il a été relâché. En novembre 2017, la carte d’identité nationale du demandeur a de nouveau été examinée, et on lui a dit de fournir une copie de sa pièce d’identité ainsi que son adresse à la police locale. Il ne l’a pas fait, et trois agents sont venus à sa résidence plus tard dans le mois et ont fouillé ses effets personnels. Le demandeur n’a été ni arrêté ni accusé lors des contrôles de sécurité de routine, et son père n’a pas été mentionné lors des entretiens de novembre 2017. Après avoir examiné les circonstances entourant les interactions du demandeur avec les autorités, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir un lien entre les incidents de 2017 et l’opinion politique perçue de son père. La SAR a refusé d’inférer de ces incidents que la police recherchait le demandeur et que ce dernier était exposé à un risque prospectif de persécution en Égypte.

[19] La SAR a également examiné la déclaration d’un voisin selon laquelle, le 20 février 2015, la police s’est rendue dans l’ancien quartier du demandeur en Égypte pour poser des questions et recueillir des renseignements sur le père et la famille de celui-ci. Le tribunal a reconnu que la police s’était renseignée sur le père au début de 2015, mais il a fait remarquer que le demandeur avait pu facilement retourner en Égypte en septembre 2015. La SAR a inféré de cette séquence d’événements que, si le demandeur ou son père avaient été perçus par les autorités comme étant des opposants au régime, le demandeur aurait au moins été interrogé lorsqu’il s’est identifié à son entrée en Égypte.

[20] Le demandeur fait valoir que la SAR s’est livrée à des conjectures en concluant que les autorités égyptiennes ne le recherchaient pas et qu’elle ne peut pas parler au nom de l’agent de persécution. Je ne suis pas d’accord.

[21] Il incombe au demandeur d’asile de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, il éprouve une crainte subjective d’être persécuté et que cette crainte repose sur un fondement objectif (George c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 535 au para 14). En l’espèce, la SAR a conclu que le demandeur avait une crainte subjective d’être persécuté s’il retournait en Égypte. La question que devait trancher le tribunal était de savoir s’il existait un fondement objectif à cette croyance subjective. La SAR a accepté les faits centraux de la demande d’asile du demandeur. Elle n’a pas écarté ou mal interprété sa preuve ou son témoignage. La SAR n’était pas tenue d’adopter les inférences du demandeur concernant l’intérêt et les recherches de la police découlant d’un soupçon qui datait de 1976 et d’une série de contrôles de sécurité aléatoires en 2017. À cet égard, le demandeur s’est livré à ses propres conjectures ou inférences. Je conclus qu’il n’a pas établi l’existence d’une erreur dans la conclusion contraire de la SAR, à savoir que les autorités égyptiennes ne le recherchaient pas en raison de ses opinions politiques présumées.

[22] Enfin, la SAR a examiné les éléments de preuve objectifs concernant l’Égypte, qui montrent qu’aucune forme de dissidence n’est tolérée par les autorités égyptiennes. Les personnes qui expriment des opinions opposées au régime risquent d’être arrêtées, détenues et de subir des mauvais traitements sérieux. Cependant, la SAR a noté que le demandeur n’avait pas été accusé d’activités politiques ou de soutien aux Frères musulmans et qu’il n’avait pas été soumis à des interrogatoires ou à une détention continus. Le demandeur n’a pas allégué qu’il avait exprimé une opinion politique ou autre qui aurait pu attirer l’attention des autorités. Je juge que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur est ou sera perçu comme un opposant au régime actuel. Le demandeur n’a pas établi de lien entre la preuve documentaire de nature générale et sa situation personnelle (Chukwunyere c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 210 au para 14).

[23] En résumé, je conclus que la preuve dont disposait la SAR appuie son refus d’inférer que la police recherchait le demandeur en raison de sa relation avec son père et des incidents de 2017. La SAR a évalué la preuve et le témoignage de façon intelligible et complète et n’était pas tenue d’accepter la croyance du demandeur selon laquelle sa crainte subjective de persécution reposait sur un fondement objectif (Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 25). Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[24] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9344-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9344-21

 

INTITULÉ :

ASSEM AHMAD ABDELRAHMAN SALEM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 janvier 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 février 2023

 

COMPARUTIONS :

Omolola Fasina

Pour le demandeur

Brad Bechard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Loebach

Avocat

London (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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