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Date : 20230130

Dossier : T-379-21

Référence : 2023 CF 140

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2023

En présence de la juge adjointe Mireille Tabib

ENTRE :

MOLO DESIGN LTD.

demanderesse

et

CHANEL CANADA ULC,

PROCEDES CHENEL INTERNATIONAL SA

ET CHANEL SAS

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS MODIFIÉS

[1] La présente ordonnance est rendue à la suite de la requête des défenderesses, Chanel Canada LLC, Procedes Chenel International SA et Chanel SAS (collectivement Chanel), visant à faire appliquer l’ordonnance conservatoire rendue dans la présente affaire le 11 avril 2022, ainsi que le principe de l’engagement implicite. La requête a été entendue à l’automne 2022; la dernière audience ayant eu lieu le 5 décembre 2022.

[2] Il ne fait aucun doute que Todd MacAllen, l’un des cofondateurs de la société demanderesse, Molo Design Ltd (Molo), a transgressé l’ordonnance conservatoire. Il l’a fait en divulguant aux avocats de Molo basés en France, en Italie, à Taïwan, en Allemagne et aux États-Unis des informations contenues dans certains documents qui avaient été communiqués par Chanel dans le cadre des procédures, et qui avaient été désignés comme étant « confidentiels ». Il n’est pas contesté qu’en agissant de la sorte, M. MacAllen a également violé le principe de l’engagement implicite. Entre autres, la divulgation a été faite par courriel en date du 14 septembre 2022, lequel M. MacAllen reconnaît avoir envoyé aux avocats de Molo basés dans les différents pays susmentionnés. Il ne fait aucun doute que les informations divulguées dans ce courriel étaient des [traduction] « informations confidentielles », telles que décrites dans l’ordonnance conservatoire. La divulgation de ces mêmes informations peut également avoir été faite par la communication à ces mêmes avocats d’un dossier de requête dont le contenu n’avait pas été correctement caviardé.

[3] L’ordonnance conservatoire énonce très clairement que les informations confidentielles [traduction] « doivent demeurer confidentielles, ne doivent être utilisées qu’aux fins de l’instance [l’action visée intentée devant la Cour] et ne doivent être divulguées à personne, excepté aux termes de la présente ordonnance ».

[4] La requête de Chanel vise l’obtention d’une réparation sous forme de mesures correctives destinées à garantir qu’aucune autre utilisation ou divulgation des informations confidentielles n’aura lieu, de même que l’application de sanctions destinées à punir Molo pour son comportement. Je commencerai par analyser la partie de la requête de Chanel portant sur les sanctions, avant d’examiner les mesures correctives demandées.

I. Sanctions

[5] La violation d’une ordonnance conservatoire est une affaire très sérieuse. Cela peut causer un préjudice à la partie dont les informations confidentielles ont été divulguées illégalement. Cela peut également avoir des conséquences très graves pour la partie en question, de même que pour les personnes qui ont enfreint l’ordonnance. Ces dernières peuvent faire l’objet d’une procédure pour outrage au tribunal et être passibles d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement. La violation du principe de l’engagement implicite est tout aussi grave. Elle érode la confiance du public dans le processus judiciaire et porte atteinte à l’autorité de la Cour. Les conséquences pour ceux qui l’enfreignent peuvent aller du sursis ou du rejet de l’instance à une procédure pour manquement à l’engagement envers le tribunal (Juman c Doucette 2008 CSC 8 au para 29).

[6] Comme je l’ai indiqué aux parties lors de l’audience du 5 décembre 2022, je refuse d’accorder la sanction demandée par Chanel dans la présente affaire, à savoir le rejet d’une partie de la déclaration de Molo. La raison de mon refus est qu’au moment de l’audition de la requête, il est apparu que la violation de Molo n’avait pas causé de préjudice à Chanel au-delà des frais engagés dans le cadre de la présente requête. En outre, toute atteinte à l’intégrité du processus judiciaire causée par la conduite de Molo n’est pas entièrement liée à la forme de sanction demandée.

[7] Je me garde aussi de tirer des conclusions sur l’état d’esprit ou l’intention de M. MacAllen ou des représentants de Molo, ou sur le caractère répréhensible de leur conduite, car je ne veux pas préjuger d’une future procédure pour outrage au tribunal que Chanel pourrait souhaiter engager en raison de la violation de Molo.

[8] Alors que je rédigeais la présente ordonnance, Chanel a écrit à la Cour pour l’informer qu’il y avait peut-être eu une autre utilisation inappropriée des informations confidentielles visées. Je ne tiens pas compte de ces allégations dans la présente ordonnance; celle-ci est fondée uniquement sur les faits et les informations dont je disposais au moment de l’audience tenue le 5 décembre 2022. Le droit de Chanel de demander l’application de mesures ou de sanctions supplémentaires ou accrues à la lumière des nouvelles informations énoncées dans la lettre de ses avocats, datée du 24 janvier 2023, est réservé.

[9] Compte tenu de ce qui précède, la présente ordonnance ne vise pas à sanctionner les divulgations faites dans le passé, mais plutôt à définir une mesure corrective appropriée pour garantir le respect des conditions de l’ordonnance conservatoire et empêcher toute nouvelle utilisation inappropriée des informations confidentielles.

II. Mesures correctives

A. Les dispositions de l’ordonnance conservatoire

[10] L’ordonnance conservatoire contient des dispositions qui précisent ce qu’une partie est tenue de faire lorsqu’elle est responsable de la divulgation non autorisée d’informations désignées comme confidentielles. Les paragraphes 17 et 20 sont ainsi libellés :

[traduction]
17. Si des informations confidentielles ou des informations réservées aux seuls avocats sont divulguées à quiconque autrement que de la manière autorisée par la présente ordonnance, la partie destinataire responsable de cette divulgation portera immédiatement tous les faits pertinents relatifs à la divulgation à l’attention de la partie productrice ayant désigné les informations comme étant confidentielles ou réservées aux seuls avocats, et fera tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher toute nouvelle divulgation des informations.

20. Toute partie qui divulgue par inadvertance des informations confidentielles ou des informations réservées aux seuls avocats, dès qu’elle découvre la divulgation, doit en informer rapidement par écrit tous les destinataires involontaires des informations en question. Les destinataires du document doivent alors rapidement demander à toutes les personnes auxquelles l’information a été divulguée de s’abstenir de lire ou de consulter l’information et les prier de la renvoyer, y compris toutes les copies, à la partie l’ayant divulguée, ou de détruire l’information et toutes les copies. Aucun document divulgué par inadvertance ou information qu’il contient ne peut être utilisé ou divulgué par le(s) destinataire(s) sans l’autorisation de la Cour.

[11] Il est évident que l’objectif et l’intention derrière ces clauses correctives sont d’empêcher toute diffusion et utilisation ultérieures d’informations confidentielles et de limiter et de contrôler le préjudice qui pourrait résulter de la divulgation initiale. L’un des préjudices provoqués par la divulgation non autorisée est l’érosion de la confiance entre les parties quant au respect de la confidentialité de leurs informations à l’avenir.

[12] L’obligation d’aviser sur le champ la partie productrice de toute divulgation non autorisée et de « tous les faits pertinents relatifs » témoigne de l’intérêt de la partie productrice non seulement de connaître l’étendue de la divulgation, mais aussi d’être informée des mesures correctives prises par la partie en défaut et de pouvoir effectuer un suivi. Je n’ai aucune hésitation à conclure que Molo, selon l’obligation découlant de l’ordonnance conservatoire, qui lui dicte de porter à l’attention de Chanel tous les faits pertinents relatifs à la divulgation, doit notamment informer cette dernière sur une base continue au sujet de toute mesure prise par Molo pour se conformer aux autres obligations prévues aux paragraphes 17 et 20 de l’ordonnance conservatoire, de même qu’au sujet des résultats de ces mesures.

[13] En l’espèce, Molo devait donc prendre les mesures correctives suivantes :

  1. Informer rapidement par écrit tous ses avocats basés à l’étranger que les informations qui leur ont été communiquées dans le courriel du 14 septembre 2022 faisaient l’objet d’une ordonnance conservatoire.

  2. Demander à tous les avocats basés à l’étranger de lui indiquer le nom de toutes les personnes auxquelles les informations ont été divulguées, ainsi que les détails entourant cette divulgation.

  3. Demander à tous les avocats basés à l’étranger de bien vouloir immédiatement :

  • a)cesser tout usage des informations;

  • b)s’abstenir de divulguer ou d’utiliser les informations, sauf avec l’autorisation expresse de la Cour;

  • c)restituer les informations et toutes les copies de celles-ci à Molo, ou les détruire;

  • d)demander à toutes les autres personnes à qui les informations ont été divulguées de faire de même;

  • e)faire rapport à Molo au sujet de l’exécution de ces directives.

[14] La demanderesse avait alors le devoir d’informer Chanel en détail de tout ce qu’elle avait fait, et de lui communiquer les réponses reçues de ses avocats étrangers.

[15] J’insiste sur le fait que le devoir en matière de réparation d’une partie qui, intentionnellement ou par inadvertance, divulgue des informations confidentielles en violation d’une ordonnance conservatoire, consiste notamment à informer tous les destinataires potentiels que la divulgation a été faite en violation d’une ordonnance de la Cour. Il n’en faut pas moins pour satisfaire à l’obligation de cette partie de faire « tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher toute nouvelle divulgation des informations ». Un destinataire à qui l’on a simplement demandé, dit ou ordonné de cesser d’utiliser les informations est moins susceptible de percevoir le caractère urgent et la nécessaire de ces directives et de les exécuter que le destinataire qui est informé que la divulgation a été faite en violation d’une ordonnance de la Cour. En effet, une procédure pour outrage au tribunal peut être engagée contre toute personne qui, connaissant l’existence d’une ordonnance de la Cour, « agit de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour » (Règles des cours fédérales, article 466c)).

B. Ce que Molo a fait pour respecter ses obligations

[16] La question de savoir si Molo a fait ce qu’il fallait pour respecter ses obligations en vertu de l’ordonnance conservatoire à la suite de sa violation est la question centrale en l’espèce. Lors de l’audition de la requête, en fonction des faits tels qu’elle les connaissait à l’époque, Chanel était convaincue que des mesures suffisantes avaient été prises en ce qui concerne la divulgation aux avocats allemands, taïwanais et américains. Mon ordonnance ne s’applique donc pas à ces avocats en particulier et il n’est pas nécessaire que je précise ce qui a été fait à leur égard. Je ne décrirai que ce qu’il apparaît, d’après le dossier, que Molo a fait en ce qui concerne les avocats français et italiens. Je me pencherai ensuite sur ce que Molo semble avoir omis de faire.

[17] Molo a révélé à Chanel que M. MacAllen avait envoyé un courriel à Benjamin May, basé en France, et à Alberto Tornato, basé en Italie, le 14 septembre 2022. Ce courriel contenait des informations confidentielles. Ces messieurs sont des avocats engagés par Molo et impliqués dans la poursuite des actions en violation du droit d’auteur engagées au nom de Molo à l’encontre de Chanel dans ces pays. Une copie du courriel envoyé à M. May a été fournie. Aucune copie du courriel envoyé à M. Tornato n’a été fournie, mais M. MacAllen affirme que son contenu est [traduction] « identique » à celui du courriel envoyé à M. May.

[18] M. MacAllen déclare que le 16 septembre 2022, il a demandé à MM. May et Tornato de [traduction] « détruire ou supprimer les courriels du 14 septembre 2022 ». Il ne précise pas si ces directives ont été données oralement ou par écrit. Il n’est pas fait mention d’autres instructions données par M. MacAllen ou par Molo à ces deux avocats.

[19] M. Tornato a écrit aux dirigeants de Molo, le 17 novembre 2022, pour déclarer qu’il avait été [traduction] « informé » que la Cour l’avait [traduction] « invité » à écrire une lettre à Molo exposant les détails de la [traduction] « correspondance prétendument échangée » entre eux, notamment un courriel de M. MacAllen daté du 14 septembre 2022. Selon M. Tornato, la lettre est [traduction] « destinée à être déposée [au dossier] ou présentée » à des tiers dans le cadre de la procédure canadienne. M. Tornato indique qu’il refuse de [traduction] « faire suite à cette invitation », affirmant que les règles déontologiques en vigueur en Italie l’obligent à s’abstenir de divulguer quoique ce soit concernant les informations qui lui ont été fournies par Molo, et que Molo ne peut le soustraire à cette obligation. Il conclut en disant [traduction] : « [a]insi, il est de mon droit et de mon devoir de m’abstenir de divulguer toute information destinée à être divulguée à des tiers ».

[20] M. May a écrit à l’avocat canadien de Molo le 18 novembre 2022. Dans sa lettre, il déclare avoir reçu la demande de ce dernier. Cette demande visait à fournir à Molo une déclaration confirmant de manière explicite la réception par son cabinet de documents confidentiels, notamment du courriel du 14 septembre 2022 et du dossier de requête caviardé mentionné au début de la présente ordonnance, ainsi que la date à laquelle ces documents ont été reçus. Elle visait également à indiquer le nom des personnes à qui les documents ont été communiqués, à confirmer si ces dernières ou d’autres destinataires les ont examinés, à indiquer l’usage qu’elles ou d’autres destinataires ont fait des informations qu’ils contenaient et, finalement, à s’assurer que toutes les copies des documents ou des informations ont été détruites et qu’elles ne seront plus utilisées ou divulguées. On a également demandé à M. May, dans la mesure du possible, de retirer le dossier de requête caviardé et toute traduction de celui-ci de tout dossier déposé devant la Cour, de même que tout document, toute observation ou tout autre élément matériel qui s’y réfère ou s’y rapporte. M. May déclare également qu’il comprend que la déclaration qu’on lui a demandé de faire sera transmise aux défenderesses de Chanel dans le cadre de l’action canadienne.

[21] M. May soutient que les règles du secret professionnel auxquelles les avocats français sont assujetties lui interdisent de divulguer [traduction] « à des tiers, directement ou indirectement, ses correspondances avec sa cliente, Molo, ses fondateurs ou d’autres avocats ». Il précise que le client ne peut pas se soustraire à ces règles. Il affirme : [traduction] « [p]ar conséquent, nous ne pouvons pas accéder à la demande de notre cliente [...] de fournir une déclaration indiquant si nous avons reçu ou non certains documents de sa part ». Par ailleurs, il confirme que le dossier de requête caviardé de la procédure canadienne avait été déposé comme faisant partie de son mémoire dans le cadre de la procédure française, et qu’un nouveau mémoire, duquel le dossier de requête et les paragraphes connexes ont été retirés, a maintenant été déposé. Il fournit également des détails sur l’utilisation et la diffusion de ces documents.

[22] La position adoptée par les avocats français et italiens est quelque peu consternante en raison de l’étroitesse de leur interprétation des demandes qui leur ont été adressées, ainsi que de leur apparente détermination à ne pas se préoccuper de la teneur de ces demandes. Cependant, ce qui est le plus flagrant dans le dossier dont je suis saisie est l’absence de tout élément prouvant que Molo a bien respecté les obligations suivantes, établies par suite de sa violation de l’ordonnance conservatoire, et telles qu’elles ont été précisées ci-dessus :

  1. Informer rapidement par écrit MM. May et Tornato que les informations qui leur ont été communiquées dans le courriel du 14 septembre 2022 faisaient l’objet d’une ordonnance conservatoire.

  2. Demander à MM. May et Tornato de lui indiquer le nom de toutes les personnes auxquelles les informations ont été divulguées, ainsi que les détails entourant cette divulgation.

  3. Demander à MM. May et Tornato de bien vouloir immédiatement :

  • a)cesser tout usage des informations;

  • b)s’abstenir de divulguer ou d’utiliser les informations, sauf avec l’autorisation expresse de la Cour;

  • c)demander à toutes les autres personnes à qui les informations ont été divulguées de cesser et de s’abstenir de les utiliser ou de les divulguer et les prier de renvoyer ou de détruire ces informations;

  • d)faire rapport à Molo au sujet de l’exécution de ces directives.

[23] Plus précisément, la seule chose dont on puisse conclure avec certitude que Molo a bien prié MM. May et Tornato de faire, c’est de détruire le courriel du 14 septembre. Nous pouvons également conclure que MM. May et Tornato sont désormais avisés de l’existence d’une ordonnance conservatoire prononcée au Canada. Cependant, il est difficile de savoir s’ils connaissent les termes de cette ordonnance, ou s’ils savent que la divulgation faite par M. MacAllen dans le courriel du 14 septembre constitue une violation de cette ordonnance. Rien n’indique que MM. May et Tornato ont été avisés du fait que Molo doit se conformer à certaines obligations qui lui incombent par suite de sa violation de l’ordonnance, et qu’elle risque d’être pénalisée, potentiellement de manière très sévère, si elle ne respecte pas ou persiste à ne pas respecter ces obligations.

[24] En effet, il semble que l’on ait perdu de vue, dans le vif du litige, que la violation de l’ordonnance est le fait de Molo, que les obligations en matière de réparation incombent à Molo, que les efforts pour respecter ces obligations doivent être déployés par Molo et que les conséquences du manquement à ses obligations seront la responsabilité de Molo. Tout le monde, que ce soit Chanel ou les avocats canadiens et étrangers de Molo, s’est plutôt attaché à obtenir de la part des avocats étrangers, aussi directement que possible, un compte rendu de ce qu’ils ont fait des informations dont il est question en l’espèce. Les obstacles dressés par ces avocats ont été créés précisément en raison du fait que Chanel a préféré, naturellement, obtenir les informations directement auprès d’eux plutôt qu’auprès de Molo. Cependant, cela a permis à Molo de quitter commodément l’avant-scène. Molo s’est contentée de laisser les avocats déterminer ce que les avocats étrangers pouvaient ou ne pouvaient pas divulguer indirectement à Chanel ou à la Cour.

[25] Il s’agissait d’une erreur. C’est Molo qui a commis la violation de l’ordonnance, et c’est à elle qu’incombent les obligations de réparation et d’information. Étant donné que Molo a largement manqué à son fardeau de démontrer ses propres actions et efforts, je refuse de me pencher plus avant sur la question de savoir si la position des avocats étrangers paraît justifiée et si une réponse plus utile pourrait être obtenue de leur part, ou comment elle pourrait l’être. C’est à Molo, et non à Chanel ou à la Cour, de déterminer quelles sont les informations qu’elle peut obtenir de ses propres avocats étrangers, et de déterminer si elle peut les utiliser pour se conformer à ses obligations de façon efficace et concrète et comment elle peut le faire. Cela pourrait débuter avec une explication de Molo à ses propres avocats étrangers, dont on peut supposer qu’ils ont l’obligation de veiller aux intérêts de leurs clients, de la situation difficile dans laquelle elle se trouve. À partir de là, Molo devra déterminer elle-même, avec l’aide de ses avocats étrangers, comment elle peut remédier à ses manquements. S’il s’avère que ses avocats étrangers sont tellement entravés par leurs obligations professionnelles qu’ils ne peuvent pas fournir à leur propre cliente les informations dont elle a besoin pour se sortir de la situation difficile dans laquelle elle s’est elle-même plongée, c’est à Molo qu’il appartient de l’expliquer à Chanel. Il faudrait également que Chanel soit convaincue d’avoir épuisé toutes les possibilités qui s’offraient à elle. Il est possible que le dilemme ne puisse être résolu qu’à la condition où MM. May et Tornato restituent tous les documents de Molo et cessent d’agir en son nom. En effet, l’expert en droit italien appelé par Molo pour l’appuyer dans le contexte de la présente requête a laissé entendre que cela pourrait être la seule option offerte à un avocat, s’il estime qu’il ne peut pas légalement se conformer aux directives de sa cliente. Il s’agit peut-être, en fin de compte, du seul moyen pour Chanel d’obtenir l’assurance qu’elle recherche, c’est-à-dire la certitude qu’aucune autre utilisation des informations ne peut être faite par l’intermédiaire de ces avocats.

[26] Toutefois, la Cour ne peut pas et ne doit pas dicter à Molo ou à ses avocats étrangers de quelle façon agir. Cela pourrait avoir des effets indésirables et contre-productifs comme ceux que nous avons constatés jusqu’à présent, à savoir que Molo se voit présenter ses obligations comme une série d’étapes à suivre, sans être tenue responsable ni subir de conséquences dans le cas où l’une de ces étapes ne peut être mise en œuvre exactement comme prévu.

[27] En bref, Molo a clairement l’obligation de « faire tout ce qui est en son pouvoir » pour empêcher toute nouvelle divulgation des informations qu’elle a illégalement divulguées. Certains des éléments nécessaires au respect de cette obligation sont précisés dans la présente ordonnance. La manière dont Molo parviendra à s’acquitter de cette obligation ne regarde qu’elle; toutefois, elle est tenue de fournir tous les faits pertinents à Chanel, ce qui inclut la confirmation de la manière dont elle s’est acquittée de son obligation et, si un élément ne peut être obtenu, elle est tenue d’indiquer les mesures qu’elle a entreprises et les raisons pour lesquelles elles n’ont pas abouti.

III. Dépens

[28] Chanel n’a pas réussi à obtenir certaines des mesures correctives demandées dans sa requête. Il est possible que d’autres formes de mesures n’aient pas pu être mises en œuvre ou qu’elles aient été présentées sous une forme qui a engendré plus de problèmes qu’elle n’en a résolus. Il n’en reste pas moins que Molo a enfreint l’ordonnance conservatoire. Ce faisant, elle n’a pas pris de mesures rapides et efficaces pour se conformer à toutes les obligations qui lui incombaient en vertu de l’ordonnance conservatoire. Sa réponse aux solutions proposées par Chanel s’est avérée ambiguë, suggérant un déni de toute responsabilité dans la recherche d’une solution efficace. Cela mérite des sanctions en termes de dépens.

[29] Chanel a présenté un mémoire de frais dont le calcul est basé sur le nombre d’unités maximal prévu à la colonne V du tarif. Les honoraires réclamés dans le mémoire sont excessifs, puisque pour chaque article, une majoration de 50 % des honoraires pour un « second avocat » est calculée. Le calcul de ce montant n’est applicable qu’en cas de comparution ou de préparation d’un procès ou d’une audition d’une demande. Le tarif, correctement interprété, ne prévoit pas non plus d’honoraires distincts pour la préparation de l’audition d’une requête.

[30] Compte tenu du temps consacré à la présente affaire et de sa complexité, je suis convaincue que le montant de 15 000 $ est approprié dans les circonstances.

[31] Les parties conviennent également que les frais liés à l’abandon par Molo d’une requête antérieure pour une nouvelle désignation des informations confidentielles devraient être attribués à Chanel et calculés selon le nombre d’unités maximal prévu à la colonne V du tarif. Molo a proposé que ce calcul soit confié à un officier taxateur. Je ne vois pas pourquoi il serait judicieux de le faire. Chanel a présenté un mémoire de frais qui, hormis les excès mentionnés ci-dessus, fournit des indications plus que suffisantes pour me permettre d’exercer mon pouvoir discrétionnaire en accordant un montant fixe au titre des dépens liés à la requête abandonnée. Je suis convaincue que le montant de 8 000 $ correspond à peu près au nombre d’unités maximal prévu à la colonne V du tarif pour les mesures qui semblent avoir été prises, et qu’il est adéquat dans les circonstances.

LA COUR ORDONNE :

1. La demanderesse doit, sans délai :

a. transmettre une copie de la présente ordonnance et de l’ordonnance conservatoire rendue le 11 avril 2022 à MM. Benjamin May et Alberto Tornato;

b. informer MM. Benjamin May et Alberto Tornato, par écrit, que les informations qui leur ont été fournies dans le courriel de M. Todd MacAllen du 14 septembre 2022 l’ont été en violation de l’ordonnance conservatoire du 11 avril 2022;

c. demander à MM. Benjamin May et Alberto Tornato de lui communiquer par écrit le nom de toutes les personnes à qui ils ont divulgué les informations, de même que des détails à propos de cette divulgation;

d. demander à MM. Benjamin May et Alberto Tornato, par écrit, de bien vouloir immédiatement :

a. cesser tout usage des informations;

b. s’abstenir de divulguer ou d’utiliser les informations, sauf avec l’autorisation expresse de la Cour;

c. exiger de toutes les autres personnes auxquelles les informations ont été divulguées qu’elles cessent et s’abstiennent d’utiliser ou de divulguer les informations, et qu’elles les détruisent ou les leur renvoient pour qu’ils puissent les détruire ou les renvoyer à la demanderesse;

d. faire rapport à la demanderesse au sujet de l’exécution de ces directives.

 

  1. La demanderesse fournira à Chanel, en temps utile et de manière régulière, tous les faits pertinents relatifs à l’exécution de ses obligations en vertu de la présente ordonnance et de l’ordonnance conservatoire.

  2. Dans l’éventualité où elle ne peut se conformer à l’une ou l’autre des parties de la présente ordonnance, la demanderesse devra communiquer à Chanel tous les faits pertinents justifiant cette incapacité, en plus de lui indiquer toutes les mesures qu’elle aura prises pour tenter de se conformer à la présente ordonnance et à ses obligations en vertu de l’ordonnance conservatoire.

  3. Les obligations énoncées dans la présente ordonnance ne visent pas à limiter les mesures que la demanderesse peut être tenue de prendre pour se conformer aux exigences de l’ordonnance conservatoire.

  4. Les droits des défenderesses de demander d’autres sanctions, y compris sous la forme d’une procédure pour outrage au tribunal, relativement aux violations antérieures de l’ordonnance conservatoire et du principe de l’engagement implicite sont réservés.

  5. Les droits des défenderesses de demander toute forme de réparation ou de sanction relativement aux violations de l’ordonnance conservatoire dont elles n’avaient pas connaissance au 5 décembre 2022 sont réservés.

  6. Les dépens relatifs à la présente requête devront être payés par la demanderesse aux défenderesses et sont fixés à un montant de 15 000 $.

  7. Les dépens relatifs à la requête abandonnée de la demanderesse visant la modification des désignations faites en vertu de l’ordonnance conservatoire devront être payés par la demanderesse aux défenderesses et sont fixés à un montant de 8 000 $.

(vide)

« Mireille Tabib »

(vide)

 

 

 

Tra

Juge adjointe

 

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-379-21

 

INTITULÉ :

MOLO DESIGN LTD. c CHANEL CANADA ULC, PROCEDES CHENEL INTERNALTIONAL CA et CHANEL SAS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 décembre 2022

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LA JUGE ADJOINTE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 JANVIER 2023

COMPARUTIONS :

David Reive

Kaleigh Sonshine

Pour la demanderesse

 

Michael Crichton

Will Boyer

Pour les défenderesses

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Reive

Kaleigh Sonshine

Miller Thompson LLP

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

 

Michael Crichton

Will Boyer

GOWLING WLG

Toronto (Ontario)

 

Pour les défenderesses

 

 

 

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