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Date: 20230127


Dossier: T-1845-21

Référence: 2023 CF 131

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

PHILIPPE PAYETTE

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur, M. Philippe Payette, présente une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du 15 novembre 2021 dans laquelle un agent de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] responsable de la conformité des prestations a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la Prestation canadienne de relance économique [la PCRE].

[2] M. Payette soutient que depuis le 1ier décembre 2012, il est atteint d’une invalidité grave et permanente qui l’empêche de travailler. Il prétend que les allégations de l’ARC selon lesquelles il ne respecte pas les critères de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE] sont fausses puisqu’il s’est conformé aux critères en ayant gagné un revenu net de plus de 5 000$ pour l’année 2020 et en ayant subi une baisse de plus de 50% de son revenu.

[3] En contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de conclure en l’admissibilité ou non de M. Payette à la PCRE. Le rôle de la Cour est simplement de déterminer, à la lumière de la preuve et des arguments qui ont été présentés devant l’agent, si sa décision est raisonnable.

[4] Pour les motifs qui suivent, et en conformité avec le rôle de la Cour, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable.

II. Le contexte

[5] La LPCRE est entrée en vigueur le 2 octobre 2020 et a établi la PCRE. Cette prestation était offerte afin de fournir un soutien au revenu pour toute période de deux semaines comprise entre la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, aux salariés et aux travailleurs indépendants admissibles qui ont été directement touchés par la pandémie de COVID‑19. Le ministre responsable de la PCRE est le ministre de l’Emploi et du Développement social (LPCRE, art 2, 3 et 4). Cependant, la PCRE est administrée par l’ARC.

[6] Pour y être admissible, un contribuable doit rencontrer les critères cumulatifs prévus à l’article 3 de la LPCRE, notamment:

- Le contribuable doit démontrer que ses revenus s’élevaient à au moins 5 000 $ pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle il a présenté sa demande.

- Pour chaque période de deux semaines pour laquelle des prestations sont demandées, le contribuable doit avoir été empêché d’exercer un emploi ou d’exécuter un travail pour son compte pour des raisons liées à la COVID‑19, ou d’avoir subi une réduction d’au moins 50 % de ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte par rapport à l’année précédente ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle il a présenté sa demande, pour des raisons liées à la COVID‑19.

- Pour chaque période de deux semaines pour laquelle des prestations sont demandées, le contribuable doit également démontrer avoir fait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte, afin de combler le manque à gagner.

- Le contribuable doit démontrer avoir été présent au Canada et en mesure de travailler durant la période de deux semaines pour laquelle des prestations sont demandées.

[7] Le fardeau de la preuve quant à l’admissibilité à la PCRE appartient au contribuable. En vertu de l’article 6 de la LPCRE, le demandeur est tenu de fournir tout renseignement exigé par l’agent relativement à sa demande.

A. La première décision de l’ARC

[8] M. Payette a demandé la PCRE pour les périodes 1 à 26 comprises entre le 27 septembre 2020 et le 25 septembre 2021. Ses demandes de PCRE pour les périodes 1 à 14, comprises entre le 27 septembre 2020 et le 10 avril 2021, ont été acceptées sans examen par un agent de validation de prestation et le demandeur a reçu les versements correspondants à ces périodes.

[9] Selon les notes au dossier du système interne de l’ARC, le demandeur aurait par la suite téléphoné le 27 avril 2021 pour faire une demande de PCRE pour les périodes suivantes. Lors de cette conversation, l’agent au dossier a noté que celui-ci avait effectué plusieurs demandes de la prestation canadienne d’urgence et de PCRE sans avoir produit de déclarations d’impôts depuis 2014.

[10] Le 28 mai 2021, le demandeur a téléphoné à l’ARC pour avoir de l’aide pour accéder à son dossier en ligne. Lors de cette conversation, l’agent au téléphone a invité M. Payette à produire ses déclarations d’impôts pour les années antérieures. Le demandeur a aussi indiqué à l’agent avoir transmis ses preuves de revenus par télécopieur et avoir amendé son T4 de janvier à mars 2020 pour ajouter 6 650$ à sa déclaration de revenus.

[11] Le 4 juin 2021, le demandeur a rappelé pour faire un suivi de sa demande de PCRE. L’agent lui a indiqué que l’ARC avait reçu son T4 le 20 mai 2022. Durant cet appel, le demandeur a indiqué qu’il avait travaillé du 1ier janvier au 1ier mars 2020 à titre de travailleur autonome, comme directeur dans le domaine du titanium robotique. Il a précisé avoir été payé en argent comptant d’un montant de 6 650$ et que par conséquent, il était dans l’impossibilité d’envoyer une preuve bancaire qu’il avait reçu cet argent.

[12] Lors de cette conversation, le demandeur a ajouté que son T4 de 2020 était selon lui suffisant pour prouver qu’il avait gagné ce revenu. Il a également expliqué qu’il avait arrêté de travailler, car il n’y avait plus de travail à ce moment (faisant référence à la pandémie), et qu’il était incapable de travailler vu son invalidité. Il a également mentionné ne pas être à la recherche d’un emploi et ne pas avoir produit de déclarations de revenus de 2014 à 2020.

[13] En soutien à ses demandes de PCRE, le ou vers le 7 juin 2021, le demandeur a soumis :

  • - un courriel daté du 19 mai 2021, lequel détaillait les montants reçus pour 2021; et

  • - un feuillet T4A (État du revenu de pension, de retraite, de rente ou d’autres sources) pour l’année d’imposition 2020, modifié à la main.

[14] Le ou vers le 16 juin 2021, encore en soutien à ses demandes de PCRE, le demandeur a soumis :

  • - Une feuille introductive par télécopieur qui détaille les montants reçus en 2021;

  • - Le T4 pour 2020 et le montant d’une fraude pour un montant de 986 271$;

  • - Un document médical daté du 15 août 2012;

  • - Les pages 2 et 3 de l’état des recettes et des déboursés pour la période du 1er mars 2009 au 30 septembre 2010, concernant des condos situés à Montréal;

  • - Un document intitulé « P-32 liquidation Payette SR ».

[15] Le 23 juin 2021, un agent de l’ARC a communiqué avec le demandeur par téléphone. À cette occasion, le demandeur a soutenu qu’il :

  • - A eu un accident cardiaque et qu’il a perdu la mémoire et beaucoup de capacité;

  • - Recevait des prestations d’invalidité depuis 2013;

  • - A été fraudé par sa famille;

  • - A reçu en 2020 un montant de 6 650$ en argent comptant et n’a aucune preuve pour le démontrer;

  • - Il aurait également modifié manuellement le T4A du gouvernement du Canada pour ajouter ce montant.

[16] Afin de procéder au premier examen, l’agent a considéré que le demandeur n’avait donc soumis aucune donnée pour 2019 (seulement prestation invalidité), aucune donnée pour 2020 (seulement prestation invalidité et prestations d’urgence). Il a aussi pris en considération les documents qui avaient été soumis par le demandeur soit ceux transmis les 7 et 16 juin en plus du T4 amendé reçu le 20 mai 2022. Il a aussi pris en considération le fait que le demandeur n’avait pas produit de déclarations de revenus depuis l’année 2014.

[17] Le 23 juin 2021, l’agent a rendu la première décision à l’égard de l’admissibilité du demandeur à la PCRE, dans laquelle il a conclu que le demandeur n’était pas éligible à la PCRE car le demandeur :

  • - N’avait pas gagné au moins 5 000$ de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendants en 2019, en 2020, ou au cours des douze mois précédant la date de sa première demande. L’agent a précisé dans ses notes d’observation que malgré le fait que le demandeur avait dit avoir reçu un montant de 6 650$ en 2020, il avait également précisé avoir reçu ce montant en argent comptant et par conséquent il n’y avait aucune preuve que ce montant ait été payé et encaissé. De plus, le demandeur n’a pas fait de déclaration d’impôt depuis 2013 et les seuls feuillets sont ceux de sa prestation d’invalidité qu’il reçoit depuis 2013;

  • - N’avait pas arrêté de travailler pour des raisons liées à la COVID-19;

  • - N’avait pas eu une baisse de 50% de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19.

[18] Le demandeur a reçu la lettre de refus le 28 juin 2021.

B. La deuxième décision de l’ARC

[19] Le 4 juillet 2021, le demandeur a transmis à l’ARC les documents suivants pour prouver qu’il avait gagné les 5 000$ requis :

  • - Une lettre explicative à l’attention de l’agent de l’ARC;

  • - Les pages 3, 4 et 5 de l’état des recettes et des déboursés pour la période du 1ier mars 2009 au 30 septembre 2010 concernant des condos situés Montréal (Propriété de la société Pour l’ère du Titane inc.);

  • - La première page de la décision du 28 juin 2021;

  • - Les articles 1458, 1474 et 1476 du Code civil du Québec ;

  • - Le certificat de naissance du demandeur.

[20] Par la suite, le 8 juillet 2021, le demandeur a transmis à l’ARC six factures de sa part à la société Titanium era inc. ayant comme objet : « calcul fraude-bureau de la publicité » pour un total de 6 650$.

[21] Le 13 juillet 2021, M. Payette s’est prévalu de son droit de demander un deuxième examen de la décision rendue le 28 juin 2021.

[22] Ce même jour, le demandeur a téléphoné à l’ARC. Lors de cet appel, un agent de l’ARC assigné à son dossier pour son deuxième examen (le deuxième agent) a informé le demandeur que l’ARC avait bien reçu ses nouveaux documents pour sa 2e demande d’examen. Le deuxième agent lui a également indiqué qu’il devrait soumettre une lettre explicative et des documents justificatifs pour son deuxième examen.

[23] Le 10 août 2021, le demandeur a rappelé l’ARC. Selon les observations notées au dossier, le deuxième agent lui a indiqué qu’il était souhaitable d’envoyer ses relevés bancaires pour prouver le dépôt du montant de 6 650$ en 2020. Le demandeur a alors mentionné avoir envoyé le T4E auquel il avait apporté des correctifs. L’agent au téléphone lui a indiqué que l’ARC devait recevoir le bon T4E, car celui envoyé démontrait seulement les prestations d’urgence reçues.

[24] Le 13 août 2021, le demandeur a transmis un feuillet T4 « État de rémunération payée » pour l’année d’imposition 2020 rempli à la main.

[25] Le 24 août 2021, un superviseur a rappelé le demandeur. Le superviseur a expliqué au demandeur que selon les informations au dossier, aucune déclaration de revenus n’avait été produite depuis 2013, qu’il recevait des prestations du Régime de rentes du Québec (RRQ) et qu’aucun feuillet admissible n’avait été transmis au dossier. Le superviseur a pris le temps de questionner le demandeur sur ses revenus et le demandeur lui a fait part qu’il avait été payé en argent comptant et qu’il ne pouvait démontrer avoir touché les sommes mentionnées.

[26] Le 25 août 2021, le demandeur a transmis un nouveau feuillet T4 « État de rémunération payée » pour l’année d’imposition 2020, cette fois-ci, rempli à l’ordinateur.

[27] Le 8 octobre 2021, un superviseur a rappelé le demandeur afin de l’aviser que l’ARC avait bien reçu sa demande et ses documents supplémentaires. Le superviseur a également informé le demandeur qu’il devait aussi déposer ses déclarations de revenus 2019 et 2020.

[28] Le 8 novembre 2021, le deuxième agent a contacté le demandeur par téléphone afin d’obtenir certaines précisions et a obtenu l’information suivante :

a) En juin 2017, M. Payette aurait trouvé une somme de 7 605$ en devises américaines dans un coffret situé dans l’ancienne usine de sa compagnie (la société Titanium era inc.) qui est désormais inactive depuis quelques années;

b) La société Titanium era inc. a été victime de fraude;

c) À partir de janvier 2020, le demandeur a monté un dossier pour défendre les intérêts de la société Titanium era inc. dans le but de la représenter en cour afin de récupérer de l’argent;

d) La société Titanium era inc. a fait faillite et est présentement inactive;

e) La société Titanium era inc. lui a versé 6 650$ en argent pour ses services à titre de travailleur autonome.

f) Il n’existe pas de preuve de dépôt de cet argent dans son compte personnel.

g) La compagnie ne détient pas de compte d’entreprise.

[29] Le 15 novembre 2021, suite à un examen approfondi du dossier du demandeur, le deuxième agent a rendu sa décision à l’effet que le demandeur était inadmissible à la PCRE pour les mêmes motifs soulevés dans la première décision.

[30] En effet, le deuxième agent a conclu qu’il était impossible pour lui de valider que le demandeur avait bel et bien gagné 5 000$ de revenus en tant que travailleur indépendant puisqu’il n’y avait aucune information concernant l’origine du montant allégué comme revenus de travail indépendant, ni de confirmation que le demandeur avait véritablement reçu un tel montant. De plus, le deuxième agent a ajouté dans ses notes au dossier que l’employeur du demandeur était son ancienne compagnie qui est présentement inactive.

[31] Le deuxième agent a également soulevé que le demandeur ne pouvait non plus prétendre avoir subi une perte de revenus d’au moins 50% puisqu’il n’avait aucun revenu admissible avant le mois de janvier 2020. En effet, le deuxième agent a précisé que la dernière déclaration de revenus du demandeur remontait à 2013 et qu’il ne travaillait plus depuis son accident cardiaque. De plus, le deuxième agent a précisé que rien n’empêchait le demandeur de faire ses recherches et de travailler son dossier d’entreprise durant la pandémie.

[32] Toujours en désaccord avec la décision, le demandeur a présenté sa demande en contrôle judiciaire le 3 décembre 2021.

III. Question en litige et norme de contrôle

[33] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question :

  1. La décision du 15 novembre 2021 rendue par le deuxième agent de l’ARC concluant que M. Payette est inadmissible pour recevoir la PCRE est-elle déraisonnable?

[34] La norme de contrôle appropriée pour la révision d’une décision d’un agent de l’ARC est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17 [Vavilov]; Maltais c Canada (Procureur général), 2022 CF 817 aux para 18-19 [Maltais]). Le rôle de notre Cour est d’examiner le raisonnement suivi par le décideur administratif et le résultat obtenu pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Vavilov au para 85). Le fardeau de preuve de démontrer qu’une décision est déraisonnable incombe à la partie qui conteste la décision (Vavilov au para 100 (voir aussi Aryan v Canada (Attorney General), 2022 FC 139 au para 16 [Aryan]; Hayat v Canada (Attorney General), 2022 FC 131 au para 14; Kleiman v. Canada (Attorney General), 2022 FC 762 au para 29 [Kleiman]).

IV. Analyse

A. La raisonnabilité de la décision

[35] Le fardeau incombe à M. Payette de démontrer à l’ARC qu’il satisfait, selon la prépondérance des probabilités, aux critères établis par la LPCRE afin de recevoir une prestation (Walker v. Canada (Attorney General of Canada), 2022 FC 381 au para 55 [Walker]). Tel que le rappelle le Juge Diner dans la décision Ntuer c. Canada (Procureur général), 2022 CF 1596 [Ntuer] au paragraphe 24, « les critères d’admissibilité à l’article 3 de la Loi sont cumulatifs, c’est-à-dire qu’un demandeur doit satisfaire tous les critères pour être admissible à recevoir des prestations en vertu de la PCRE et/ou PCMRE. »

[36] Tel que discuté, le fardeau incombe aussi à M. Payette, dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, de démontrer que la décision du deuxième agent est déraisonnable.

[37] Il est important de noter que dans l’analyse de la raisonnabilité de la décision du deuxième agent, la Cour peut considérer le rapport sur la deuxième révision de l’ARC ainsi que les notes au dossier interne de cet agent. Ceux-ci font partie des motifs de l’agent, comme le sont les notes du Système mondial de gestion des cas utilisés par les agents d’immigration (Aryan au para 22; Kleiman au para 9; Vavilov, aux para 94‑98).

[38] En lisant les motifs expliquant la décision du deuxième agent, il est clair que celui-ci a examiné tous les renseignements fournis par M. Payette lors de sa demande initiale, ainsi que lors de ses nombreuses interactions téléphoniques avec l’ARC, en plus de prendre en considération les documents déposés par le demandeur. Le deuxième agent a également regardé les divers registres internes de l’ARC qui étaient pertinents à l’analyse de la présente question de faits.

[39] Le deuxième agent s’est donc appuyé sur l’entièreté de la preuve qui était à sa disposition pour conclure que le demandeur ne remplissait pas les critères de la PCRE.

[40] Suite à l’analyse de ces documents et des réponses de M. Payette à ses questions, le deuxième agent a conclu qu’il lui était impossible de valider que le demandeur avait véritablement gagné un montant de 5 000$ de revenus nets de travail indépendant en 2020, ou pour une autre période pertinente aux fins de la PCRE.

[41] En effet, bien que le demandeur prétend avoir gagné un revenu de travailleur autonome de 6 650$ en 2020, le deuxième agent n’a pas été en mesure d’établir la source de cette somme d’argent. Aucune copie de chèque ou de relevé bancaire pouvant servir à établir que ce paiement aurait véritablement été fait ou encaissé n’a été déposé au dossier.

[42] De plus, le demandeur n’a pas fait de déclaration de revenus depuis 2013. Le deuxième agent n’a donc pas été en mesure de vérifier si le demandeur avait véritablement subi une perte de 50% de ses revenus. M. Payette n’a pas non plus été en mesure de démontrer qu’il ne travaillait plus pour des raisons liées à la COVID-19.

[43] À mon avis, le dossier démontre que le deuxième agent a tenu compte de tous les documents et informations fournis par M. Payette, ainsi que des explications de celui‑ci. En fait, tel que le soumet le défendeur, la somme des informations fournies par le demandeur est venue mettre un doute sur les revenus qu’il a gagné.

[44] J’ai examiné les observations du demandeur au regard du régime législatif de la LPCRE et la preuve des parties qui sont au dossier, et je conclus que le demandeur n’a relevé aucune erreur ou omission importante dans la deuxième décision qui justifie l’intervention de la Cour.

[45] Les motifs avancés par le deuxième agent pour rejeter la demande de PCRE de M. Payette sont intelligibles et justifiés à la lumière de la preuve et du dossier devant lui. Le deuxième agent a examiné la preuve déposée au dossier et a discuté avec le demandeur afin que celui-ci puisse justifier les faiblesses de sa demande. Celui-ci n’a pas été en mesure de transmettre les informations nécessaires pour se décharger de son fardeau de preuve.

B. Absence de preuve de revenu admissible de 5 000$

[46] M. Payette n’a pas été en mesure de démontrer qu’il gagnait un revenu d’emploi ou un revenu net de travail indépendant de plus de 5 000$ en 2019, 2020, ou au cours des douze mois précédant la date de sa première demande.

[47] Le demandeur prétend s’être qualifié à cette exigence en ayant gagné la somme de 6 650$ en 2020. Toutefois, dans son rapport de deuxième examen, le deuxième agent soulève des doutes quant à l’origine de ce montant que le demandeur prétend avoir reçu à titre de revenu net de travail indépendant.

[48] Le demandeur a transmis un T4 fait à la main à ce montant ainsi qu’un autre T4 au même montant fait à l’ordinateur. Or, les deux T4 ne concordent pas et ceux-ci ont été réalisés par le demandeur lui-même. De plus, le demandeur n’a soumis aucune preuve du dépôt de ce montant dans son compte bancaire personnel.

[49] Le demandeur soumet dans une de ses lettres que Titanium era inc. aurait repris ses opérations le 1ier janvier 2020, ce qui explique pourquoi Titanium era inc. lui aurait payé la somme de 6 650$ pour du travail réalisé pour la compagnie entre le 1ier janvier et le 13 mars 2020. Or, le demandeur n’a fourni aucune autre information ou preuve pour démontrer ce fait allégué. En fait, il s’est même contredit, car le demandeur a affirmé durant sa conversation téléphonique avec le deuxième agent le 8 novembre 2021 que la compagnie avait fait faillite et était désormais inactive.

[50] Les observations écrites dans le rapport du deuxième agent démontrent qu’il remet en doute la crédibilité du demandeur à l’effet que cette somme provienne de sa compagnie, étant donné cette contradiction. Cette conclusion est raisonnable eu égard aux faits et à la preuve disponible au deuxième agent. Le demandeur aurait également, selon les notes au dossier interne de l’ARC pour les années 2013 à 2020, seulement reçu des prestations d’invalidité et aucun type de revenus d’emploi ou d’autres revenus par exemple à titre de dividende de sa compagnie, qui selon lui était active.

[51] Ainsi, le seul montant sur lequel peut se baser l’ARC pour vérifier que le demandeur se qualifie à ce critère est le montant de 6 650$ divulgué par M. Payette. Or, tel que discuté, il n’existe aucune façon d’établir la source de ce montant et si le demandeur l’a bel et bien reçu.

[52] Le système fiscal du Canada est un système d’auto-déclaration. Il part du principe que le contribuable est capable de fournir tous les documents pertinents à l’appui de sa déclaration (Walker au para 37). Dans le cas en l’espèce, le demandeur n’a complété aucune déclaration de revenus depuis 2013, ce qui lui est préjudiciable en l’espèce.

[53] Bien que le demandeur ait soumis que son T4 devrait être suffisant pour démontrer qu’il avait réellement gagné la somme de 6 650$ en 2020, tel n’est pas le cas. Ainsi, tel que spécifié dans la décision Ntuer :

[27] […] un avis de cotisation n’est pas suffisant pour établir qu’un demandeur a gagné un revenu net d’au moins 5000$ (Aryan au para 35). L’Agent était tenu d’évaluer non seulement les avis de cotisation soumis par M. Ntuer, mais également les autres éléments de preuve au dossier, dont les factures et reçus de paiement de clients soumis par M. Ntuer, ainsi que les informations disponibles à travers les registres internes de l’ARC, pour vérifier que M. Ntuer avait bel et bien gagné un revenu net d’au moins 5000 $.

[Je souligne.]

[54] La conclusion du deuxième agent à l’effet que la preuve présentée par M. Payette n’était pas suffisante, ni suffisamment crédible, n’est donc pas déraisonnable. Le raisonnement du deuxième agent quant à ce critère d’admissibilité est cohérent, fondé sur la preuve qui lui a été soumise et se justifie à l’égard de la LPCRE. Ses motifs illustrent une logique interne satisfaisante.

[55] Par conséquent, le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve à l’effet qu’il satisfait au critère d’avoir gagné un montant minimum de 5 000$ en revenus nets de travail indépendant en 2020, ou pour toute autre période pertinente aux fins de la PCRE.

C. Arrêt de travail pour des raisons liées à la COVID-19

[56] Tout comme l’agent de premier examen, le deuxième agent a conclu que le demandeur ne travaillait pas pour des raisons autres que la COVID-19.

[57] En effet, dans son rapport, le deuxième agent précise que le demandeur aurait pu continuer de faire ses recherches et de travailler sur son dossier pour défendre les intérêts de la société Titanium era inc. pendant la pandémie, et donc, il n’a pas arrêté de travailler pour des raisons liées à la COVID-19. Dans son raisonnement, il évoque également des doutes quant à la plausibilité pour l’entreprise d’engager le demandeur pour la représenter devant les tribunaux.

[58] De plus, le demandeur a lui-même admis le 4 juin 2021 lors d’une conversation avec un agent de l’ARC qu’il était incapable de travailler à cause de son invalidité. La conclusion du deuxième agent que le demandeur ne travaillait plus depuis son accident cardiaque, et qu’il n’a donc pas cessé de travailler en raison de la COVID-19, est raisonnable selon de la preuve qui était devant lui.

D. Réduction de revenu de 50% ou plus en raison de la COVID-19

[59] Même si le demandeur avait arrêté de travailler pour des raisons liées à la COVID-19, sa demande aurait tout-de-même échouée puisqu’il ne se conformait pas au critère de réduction de 50% de son revenu en raison de la COVID-19.

[60] En effet, le deuxième agent a conclu que M. Payette n’a pas été en mesure de démontrer que ses revenus hebdomadaires moyens avaient baissé d’au moins 50% par rapport à l’année précédente pour des raisons reliées à la COVID-19, puisqu’il ne travaille pas depuis son accident cardiaque en 2012. M. Payette soutient que ses revenus sont passés de l’ordre de 650$ par semaine à 0$, soit une baisse de 100%. Toutefois, il ne produit plus de déclarations de revenus depuis 2013 et reçoit seulement des prestations d’invalidité.

[61] Il était donc impossible pour le deuxième agent de mesurer la perte que le demandeur avait subie pour les périodes où il a demandé la PCRE, car il n’avait aucune preuve sur laquelle se baser pour vérifier que son revenu était inférieur de 50% à son revenu pour une période antérieure pertinente.

[62] En raison de ce manque de preuve, il n’était donc pas déraisonnable pour le deuxième agent de conclure que M. Payette n’avait pas été en mesure de se décharger de son fardeau et de prouver que son revenu avait bel et bien diminué de 50% ou plus en raison de la COVID-19. Ses motifs sont intelligibles, justifiés à la lumière de la preuve et du dossier devant lui, et illustrent une logique interne satisfaisante.

V. Conclusion

[63] Après avoir examiné les pièces justificatives de M. Payette et après avoir pris en considération les arguments des parties, je conclus, pour tous les motifs qui précèdent, que la décision du deuxième agent est raisonnable. Elle satisfait aux critères énoncés puisqu’elle est intrinsèquement cohérente en plus d’être transparente, justifiée et intelligible.

[64] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[65] Aucun dépens n’est réclamé de la part du défendeur.

[66] Finalement, je note qu’à la demande du défendeur, en conformité avec la règle 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, l’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T-1845-21

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucun dépens n’est réclamé de la part du défendeur et aucun n’est accordé.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1845-21

 

INTITULÉ :

PHILIPPE PAYETTE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JANVIER 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RÉGIMBALD

 

DATE DES MOTIFS:

LE 27 JANVIER 2023

 

COMPARUTIONS:

Philippe Payette

POUR LE DEMANDEUR

(NON-RÉPRESENTÉ)

 

Me Claude Lamoureux

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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