Date : 20230125
Dossier : IMM-5759-21
Référence : 2023 CF 116
[TRADUCTION FRANÇAISE]
St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 25 janvier 2023
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE : |
MIGUEL ANGEL LOPEZ ESCOBEDO
DIANA VANESA ARRIAGA CARDONA
CATHERINE BRIDGETT LOPEZ ARRIAGA
EVELYN SCARLETT LOPEZ ARRIAGA
|
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
MOTIFS ET JUGEMENT
[1] M. Miguel Angel Lopez Escobedo (le demandeur principal), son épouse Vanesa Arriaga Cardona et leurs filles Catherine Bridgett Lopez Arriaga et Evelyn Scarlett Lopez Arriaga (collectivement, les demandeurs) sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés. Dans sa décision, la SAR a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés selon laquelle les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Mexique, leur pays de citoyenneté.
[2] Les demandeurs ont désigné à titre de défendeur le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Toutefois, aucun ministre ne porte ce titre. Conformément à une directive émise le 2 novembre 2022, le nom du défendeur est devenu le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur).
[3] Les demandeurs ont présenté leur demande d’asile au Canada en raison de leur crainte de persécution par le cartel Los Zetas. La SPR a rejeté leur demande d’asile pour des motifs de crédibilité et a conclu, à titre subsidiaire, qu’ils disposaient d’une PRI dans les villes de Mérida et de Campeche, situées entre 1 700 et 2 300 kilomètres de leur résidence à Zacatecas.
[4] La SAR a examiné les conclusions de la SPR et a tenté de tirer des conclusions indépendantes. Elle a souligné que dans leur appel, les demandeurs n’ont pas contesté les conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées par la SPR. La SAR a tiré ses propres conclusions défavorables en matière de crédibilité.
[5] La SAR a donné aux demandeurs la possibilité de présenter des observations sur la disponibilité d’une PRI à Cabo San Lucas. Elle a conclu que les demandeurs disposent d’une PRI à Cabo San Lucas.
[6] Les demandeurs affirment maintenant que les conclusions défavorables de la SAR en matière de crédibilité sont fondées sur un examen microscopique de la preuve. Ils soutiennent également que la conclusion concernant la disponibilité d’une PRI à Cabo San Lucas est déraisonnable.
[7] Le défendeur fait valoir que la décision de la SAR est raisonnable, et que l’intervention de la Cour est injustifiée.
[8] La décision de la SAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, suivant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [Vavilov], [2019] 4 RCS 653.
[9] Dans l’examen du caractère raisonnable, la Cour doit se demander si la décision faisant l’objet du contrôle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci »
; voir l’arrêt Vavilov au para 99.
[10] La question déterminante soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la conclusion de la SAR concernant la disponibilité d’une PRI à Cabo San Lucas est raisonnable.
[11] Le critère relatif à une PRI viable est énoncé dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1992] 1 CF 706, aux pp 710 et 711. Il s’agit d’un critère à deux volets qui prévoit ce qui suit :
- Premièrement, la Commission doit être convaincue que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans l’endroit proposé comme PRI.
- Deuxièmement, il doit être objectivement raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur cherche refuge dans une autre région du pays avant de demander l’asile au Canada.
[12] Afin d’établir qu’une PRI est déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la situation à l’endroit proposé comme PRI mettrait en péril sa vie et sa sécurité s’il y voyageait ou s’y réinstallait; voir Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1994] 1 CF 589, aux pp 596 et 598.
[13] Les demandeurs font valoir que la SAR s’est livrée à des conjectures dans son évaluation du premier volet du critère relatif à la PRI, lorsqu’elle a conclu que le cartel Los Zetas n’est pas motivé à les retrouver à Cabo San Lucas. Ils se rapportent au paragraphe 34 de la décision de la SAR, qui prévoit ceci :
[34] Je souligne qu’il est mentionné dans le cartable national de documentation (CND) qu’une dette importante ou une vengeance personnelle peuvent motiver le cartel Los Zetas à chercher quelqu’un à l’extérieur de la région qu’il contrôle [renvoi omis]. Cependant, j’estime que le comportement des appelants ne motiverait pas le cartel à les suivre dans tout le Mexique. Même si j’admets que les Zetas voulaient recevoir une somme des appelants chaque mois, selon moi, c’est insuffisant pour motiver le cartel à les rechercher dans tout le Mexique.
[14] Je suis du même avis que les demandeurs, à savoir que s’il n’y a aucune explication justifiant le fait que le montant de la dette réclamée auprès du demandeur principal diminuerait la motivation du cartel à poursuivre les demandeurs jusqu’à Cabo San Lucas, la conclusion de la SAR semble hypothétique. Si elle est hypothétique, cette conclusion ne satisfait pas à la norme d’une décision « transparente, intelligible et justifiée »
énoncée dans l’arrêt Vavilov.
[15] Compte tenu de ma conclusion ci‑dessus, il n’est pas nécessaire que j’examine le deuxième volet du critère relatif à la PRI.
[16] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SAR est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR pour nouvel examen. Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-5759-21
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour qu’il rende une nouvelle décision. Il n’y a aucune question à certifier.
« E. Heneghan »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS
DOSSIER :
|
IMM-5759-21 |
INTITULÉ :
|
MIGUEL ANGEL LOPEZ ESCOBEDO ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE |
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 2 NOVEMBRE 2022 |
MOTIFS ET JUGEMENT
|
LA JUGE HENEGHAN |
DATE DES MOTIFS :
|
LE 25 JANVIER 2023 |
COMPARUTIONS :
Vanessa G. Johnson |
POUR LES DEMANDEURS |
Daniel Engel |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Johnson Law Avocat Toronto (Ontario) |
POUR LES DEMANDEURS |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |