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Date : 20230123


Dossier : IMM‑2777‑22

Référence : 2023 CF 107

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

HASTI SADEGHINIA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard de la décision [la décision] en date du 27 janvier 2022 par laquelle un agent des visas [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté la demande de permis d’études présentée par la demanderesse.

[2] Comme il est expliqué plus en détail ci‑après, la présente demande est accueillie, parce que j’estime que la décision est déraisonnable dans son analyse des liens familiaux de la demanderesse au Canada et dans son pays de résidence.

II. Contexte

[3] La demanderesse, qui est citoyenne de l’Iran et est maintenant âgée de 14 ans, réside en Iran avec ses parents. Elle a reçu une lettre d’acceptation au titre du Programme des étudiants étrangers de Toronto pour fréquenter une école primaire du district scolaire de Toronto en 8année.

[4] Il s’agit de la troisième demande de permis d’études présentée par la demanderesse. Sa première demande a été rejetée le 12 octobre 2021, et sa deuxième, le 28 novembre 2021.

[5] Dans la décision qui fait l’objet du présent contrôle, l’agent a rejeté la troisième demande de permis d’études de la demanderesse. La partie pertinente de la lettre datée du 27 janvier 2022 annonçant la décision de l’agent est rédigée en ces termes :

[traduction]

[...] Après avoir examiné attentivement votre demande de permis d’études et les documents s’y rapportant, j’ai conclu que votre demande ne satisfait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR). Je rejette votre demande pour les motifs qui suivent :

  • Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre période de séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu de vos liens familiaux au Canada et dans votre pays de résidence.

  • Je ne suis pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de votre séjour, comme l’exige le paragraphe 216(1) du RIPR, compte tenu du but de votre visite.

[6] Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], qui font partie des motifs de la décision et accompagnaient celle‑ci, précisent ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné la demande. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à la fin de son séjour à titre de résident temporaire. Je souligne que : la cliente est célibataire et libre de ses mouvements, elle n’est pas bien établie et elle n’a pas de personnes à charge. La demanderesse est une mineure, âgée de 13 ans, qui demande à venir étudier au Canada en 8e année dans une école primaire du district scolaire de Toronto, de février à juin 2022. Le but de la visite en soi ne semble pas raisonnable, compte tenu du fait que des programmes d’études semblables sont offerts plus près du lieu de résidence de la demanderesse et à une fraction du coût. La demanderesse n’a pas présenté suffisamment de documents justificatifs pour me convaincre qu’elle disposera de suffisamment de fonds pour la visite. J’ai tenu compte des relevés bancaires, et les relevés fournis ne font cependant pas état des transactions permettant de retracer la provenance des fonds disponibles. Après avoir apprécié les facteurs en l’espèce, je ne suis pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs mentionnés précédemment, je rejette la demande.

[7] Le fait que le père de la demanderesse a amorcé une demande de résidence permanente au Canada pour lui‑même, son épouse et la demanderesse, dans la catégorie « démarrage d’entreprise » aux termes de l’article 98.01 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, est aussi pertinent eu égard aux arguments avancés par la demanderesse dans la présente demande de contrôle judiciaire.

III. Questions en litige

[8] La demanderesse soumet à l’examen de la Cour les deux questions qui suivent :

  1. La décision est‑elle raisonnable?

  2. L’agent a‑t‑il contrevenu aux droits de la demanderesse en matière d’équité procédurale?

[9] Suivant la formulation de la première question, les parties conviennent (et c’est aussi mon avis) que la norme de contrôle qui s’applique au fond de la décision est celle de la décision raisonnable.

[10] La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux questions d’équité procédurale reste celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35). Cela suppose, sur le plan fonctionnel, que l’analyse effectuée par la Cour porte sur la question de savoir si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

IV. Analyse

[11] Comme il est mentionné plus haut, la lettre de refus énonçait deux motifs pour rejeter la demande de permis d’études présentée par la demanderesse : a) ses liens familiaux au Canada et en Iran; b) le but de son séjour.

[12] La demanderesse a soulevé plusieurs arguments à l’appui de sa position selon laquelle la décision est déraisonnable et a été rendue à l’issue d’une procédure inéquitable. Elle met toutefois en lumière un argument, qui se rapporte à la conclusion relative au but de sa visite, soit que l’agent a omis à tort de prendre en compte la [traduction] « double intention » de sa demande. C’est‑à‑dire, bien que sa demande ait pour but l’obtention d’un permis d’études, ce qui l’autoriserait à résider au Canada de façon temporaire, la demanderesse est aussi visée par la demande de résidence permanente présentée par son père dans la catégorie du démarrage d’entreprise. Elle soutient que, dans ce contexte, l’agent a eu tort d’exiger qu’elle prouve le but de sa visite pour établir son intention de quitter le Canada à la fin de la période de son séjour autorisé.

[13] En fait, lors de l’audience relative à la présente demande, l’avocat de la demanderesse a proposé une question à certifier en vue d’un appel allant dans le sens de cet argument. Quelque peu reformulée pour refléter ce que j’en ai compris, la question est la suivante :

Le demandeur d’un permis d’études, qui est aussi visé par une demande de résidence permanente en cours de traitement par IRCC, doit‑il prouver le but de sa visite?

[14] Le défendeur affirme que l’argument avancé par la demanderesse ne saurait être retenu parce que sa situation est abordée de façon définitive au paragraphe 22(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et que le juge en chef Crampton a rejeté un argument similaire dans la décision Ramos c Canada (Immigration et Citoyenneté), 2017 CF 768 aux paragraphes 11 à 14 :

11. En ce qui concerne la deuxième question soulevée par M. Ramos, l’agent indique que le paragraphe 22(2) envisage la possibilité qu’un demandeur de permis de travail temporaire ait l’intention de devenir résident temporaire tout en espérant demeurer au Canada à titre de résident permanent. À ce sujet, M. Ramos fait valoir qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de mettre l’accent sur la question de savoir s’il quitterait le Canada à la fin de la période de son séjour autorisée. Il explique que les demandeurs qui présentent une demande dans le cadre du programme d’auxiliaire familial présenteront certainement ou assez souvent une demande de ce genre dans le but éventuel de devenir un résident permanent du Canada. Il suggère qu’il serait donc incongru d’exiger que ces demandeurs démontrent qu’ils ont l’intention de retourner dans leur pays d’origine à l’expiration de leur permis de travail temporaire. Il ajoute que c’est précisément parce qu’il n’existe pas de liens économiques suffisants que bon nombre de citoyens des Philippines viennent au Canada dans le cadre du programme d’auxiliaire familial et du programme antérieur.

12. C’est fort possible. Toutefois, le paragraphe 22(2) de la LIPR dispose comme suit :

Double intention

22(2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

Dual Intent

22(2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

13. Je suis d’avis que la formulation claire du paragraphe 22(2) indique manifestement que, même si l’intention de devenir un résident permanent n’empêche pas un demandeur de devenir un résident temporaire, l’agent qui examine une demande de permis de travail temporaire doit néanmoins être convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de sa période autorisée de séjour.

14. Cette exigence est renforcée par celle de l’alinéa 200(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), qui dispose comme suit :

Permis de travail – demande préalable à l’entrée au Canada

200 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), et de l’article 87.3 de la Loi dans le cas de l’étranger qui fait la demande préalablement à son entrée au Canada, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci‑après sont établis :

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

Work permits

200(1) Subject to subsections (2) and (3) — and, in respect of a foreign national who makes an application for a work permit before entering Canada, subject to section 87.3 of the Act — an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

(b) the foreign national will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

[15] En me fondant sur ces sources législatives et judiciaires, je souscris à l’affirmation du défendeur selon laquelle l’argument de la demanderesse ne saurait être retenu.

[16] J’estime toutefois fondée la position de la demanderesse selon laquelle la décision est déraisonnable dans son analyse des autres motifs de rejet de la demande, c.‑à‑d. ses liens familiaux au Canada et en Iran. Cette analyse se limite à l’affirmation de l’agent selon laquelle la demanderesse [traduction] « est célibataire et libre de ses mouvements, elle n’est pas bien établie, et elle n’a pas de personnes à charge ». La demanderesse soutient que, puisqu’elle est mineure, on ne peut pas s’attendre à ce qu’elle ait des personnes à sa charge ou à ce qu’elle soit indépendante financièrement. De plus, ses liens les plus proches, qui sont ses parents, ses proches et ses amis, sont en Iran, elle n’a pas d’attaches ou de liens réels au Canada, et elle est tenue de retourner vivre auprès de ses parents à la fin de sa période d’études. Elle invoque la décision Iyiola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 324 [Iyiola], au paragraphe 20, dans laquelle le juge Fuhrer a affirmé ce qui suit :

[20] Comme je l’ai déjà noté, la décision du Haut‑commissariat mentionne comme préoccupation que M. Iyiola pourrait ne pas quitter le Canada à la fin de la période autorisée de séjour. Il incombait à M. Iyiola de convaincre l’agent des visas à cet égard : alinéa 20(1)b) de la LIPR. S’agissant de ses attaches familiales au Canada et au Nigéria, cinq autres membres de sa famille vivent au Nigéria, y compris ses parents avec qui il réside, et aucun d’eux n’est mentionné dans les notes du SMGC. Compte tenu de cela, il était déraisonnable de présumer, sans autre analyse, qu’un frère aîné vivant au Canada représenterait un facteur d’attraction plus important : Obot c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 208 [Obot] au par 20. Par conséquent, je juge inintelligible l’absence de la moindre explication de la part du Haut‑commissariat ou dans les notes du SMGC rédigées par l’agent des visas au sujet des attaches familiales au Nigéria et de la manière dont elles ont été évaluées à la lumière des attaches familiales de M. Iyiola au Canada. De plus, je conviens avec les juges Russell et Mosley que l’absence d’enfants ou d’époux à charge ne devrait pas, sans autre analyse [comme en l’espèce], être jugée défavorablement dans une demande de permis d’études. Autrement, plusieurs étudiants ne pourraient pas être admissibles : Onyeka, précitée, par 48; Obot, précitée, par 20. Enfin, il est d’après moi inintelligible d’interpréter l’absence d’antécédents documentés de voyage à l’étranger [sans aucun autre élément, comme de mauvais antécédents de voyage] comme un indice qu’un individu prolongera son séjour autorisé au Canada : Onyeka, précitée, par 48; Ogunfowora, précitée, par 42.

[17] Le défendeur renvoie la Cour à la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526 [Singh] au paragraphe 43, dans laquelle le juge Russell a confirmé que la jeunesse et la liberté de mouvements du demandeur, même s’il a ces caractéristiques en commun avec d’autres étudiants, peuvent être pertinentes dans l’analyse qui doit être effectuée. Le défendeur affirme qu’un agent ne commet pas d’erreur en prenant en compte ces caractéristiques pourvu qu’il n’en fasse pas l’unique motif de la décision.

[18] J’estime que le raisonnement énoncé dans la décision Singh est compatible avec celui décrit dans la décision Iyiola en ce sens que les sources citées portent sur l’exhaustivité de l’analyse effectuée par un agent des visas. La décision en l’espèce fait problème parce que, ainsi que l’affirme la demanderesse, elle ne prend pas en considération ses importants liens familiaux en Iran et son absence de liens au Canada. À cet égard, la décision est semblable à celle qui a été jugée déraisonnable dans les affaires Obot c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 208 au para 20 et Onyeka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 336 au para 48. Ce sont les décisions invoquées dans la décision Iyiola.

[19] Il se peut que l’analyse de l’agent soit entachée implicitement par la notion de [traduction] « double intention », en ce sens que l’agent songeait aux liens familiaux de la demanderesse au Canada si les parents de celle‑ci étaient autorisés à déménager ici à la faveur de leur demande de résidence permanente. Cependant, il serait hypothétique d’analyser la décision sous cet angle, et c’est pourquoi je ne ferai aucune observation sur la question de savoir si une telle analyse serait raisonnable. La décision ne contient pas de raisonnement permettant à la Cour de comprendre l’analyse effectuée par l’agent des liens familiaux de la demanderesse et sa conclusion en résultant selon laquelle la demanderesse ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour.

[20] Puisque l’un des deux motifs relatifs à la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse ne quitterait pas le Canada a été jugé déraisonnable, il est impossible de savoir si l’agent aurait tiré la même conclusion si ce motif avait été dûment apprécié. Par conséquent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

[21] Compte tenu de la conclusion qui précède, il n’est pas nécessaire que la Cour examine les arguments avancés par la demanderesse concernant l’équité procédurale ou toute autre observation se rapportant au caractère raisonnable de la décision.

[22] Je fais remarquer que dans son mémoire des arguments, la demanderesse sollicite une ordonnance prévoyant l’octroi d’un permis d’études ou le renvoi de sa demande de permis d’études à un autre décideur pour nouvelle décision. La Cour n’a aucune raison de conclure que la demanderesse a nécessairement droit à un résultat favorable quant à sa demande de permis d’études. C’est pourquoi la réparation qui convient est l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire à un autre décideur.

[23] Étant donné que l’issue de la présente demande ne repose pas sur l’argument de la double intention avancé par la demanderesse, la question à certifier que celle‑ci a proposée ne permettrait pas de trancher un appel, et il ne serait donc pas opportun que la Cour la certifie.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2777‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit : La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2777‑22

INTITULÉ :

HASTI SADEGHINIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JANVIER 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JANVIER 2023

COMPARUTIONS :

Afshin Yazdani

POUR LA DEMANDERESSE

Andrea Mauti

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

YLG Professional Corporation

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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