Dossier : T-1184-20
Référence : 2022 CF 1794
Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2022
En présence de monsieur le juge McHaffie
ENTRE :
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BLOSSMAN GAS, INC.
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demanderesse
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et
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ALLIANCE AUTOPROPANE INC.
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défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] L’issue de la présente demande repose sur trois principes du droit canadien des marques de commerce : (1) le titulaire d’une licence pour une marque de commerce n’a pas le droit d’enregistrer la marque de commerce du propriétaire en son propre nom; (2) une personne ne peut enregistrer une marque de commerce qui crée de la confusion avec une marque de commerce employée antérieurement au Canada par une autre personne; et (3) en l’absence de mauvaise foi, l’existence d’un enregistrement d’une marque de commerce constitue une défense contre des allégations de commercialisation trompeuse à l’égard de l’emploi par l’inscrivant de la marque enregistrée.
[2] Alliance Autopropane Inc [AAP] a obtenu le droit d’employer la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS en tant que titulaire d’une sous-licence de Blossman Gas, Inc. Pendant qu’elle était encore titulaire d’une sous-licence, AAP a produit une demande d’enregistrement en son propre nom du dessin-marque ALLIANCE AUTOGAS employé par Blossman. Elle a également demandé l’enregistrement de trois autres dessins-marques comprenant les mots ALLIANCE et AUTOPROPANE [les Marques AAP]. Blossman demande en l’espèce la radiation de l’enregistrement de ces quatre marques de commerce du registre des marques de commerce et demande qu’il soit interdit à AAP d’employer la marque ALLIANCE AUTOGAS, les Marques AAP ainsi que la marque de commerce et le nom commercial ALLIANCE AUTOPROPANE.
[3] Pour les motifs exposés ci-après, je conclus qu’AAP n’était pas la personne autorisée à enregistrer les marques de commerce en cause, car elles créaient de la confusion avec les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS de Blossman, que cette dernière avait employé au Canada par l’intermédiaire de licenciés avant qu’AAP n’adopte ses marques de commerce. Contrairement à ce qu’AAP soutient, Blossman avait suffisamment de contrôle sur la qualité ou les caractéristiques des services de ses licenciés pour que l’emploi de ces marques profite à Blossman, et Blossman n’a pas acquiescé à ce qu’AAP emploie les Marques AAP d’une manière qui l’empêche de demander des mesures de redressement. Les marques de commerce seront donc radiées du registre.
[4] Je conclus également qu’AAP a produit sa demande d’enregistrement de la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et Dessin (LMC954,034) de mauvaise foi, au sens de l’alinéa 18(1)e) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13. L’effet de cette conclusion est que l’enregistrement est invalide ab initio et qu’il ne peut servir de défense contre les allégations de commercialisation trompeuse portées par Blossman à l’égard de cette marque de commerce, des allégations que j’estime fondées. Cependant, les autres enregistrements de marque de commerce constituent une défense aux allégations de commercialisation trompeuse portées par Blossman à l’égard de l’usage antérieur des Marques AAP.
[5] Des dommages-intérêts de 20 000 $ sont accordés à Blossman à l’égard de la commercialisation trompeuse résultant du fait qu’AAP a continué à employer le dessin ALLIANCE AUTOGAS après l’expiration de sa licence. En outre, bien que l’enregistrement de mauvaise foi ne justifie pas nécessairement que soient octroyés des dommages-intérêts punitifs, je conclus que les circonstances justifient l’octroi de 5 000 $ en dommages-intérêts punitifs. Il convient également de rendre une injonction interdisant l’emploi futur du dessin ALLIANCE AUTOGAS, des Marques AAP ainsi que de la marque de commerce et du nom commercial ALLIANCE AUTOGAS.
[6] La demande est donc accueillie en partie, avec dépens de 31 662 $ en faveur de Blossman.
II.
Les questions en litige
[7] Blossman soulève les questions suivantes dans sa demande, que j’ai légèrement reformulées :
Les enregistrements canadiens des marques de commerce LMC954,034, LMC916,456, LMC916,457 ou LMC916,409 sont-ils invalides?
AAP s’est-elle livrée à de la commercialisation trompeuse?
Le cas échéant, quelles sont les mesures de redressement appropriées?
[8] Ces questions comportent des questions subordonnées, y compris la mise en doute par chacune des parties des éléments de preuve et les allégations d’AAP voulant que Blossman ait consenti à la conduite d’AAP, que Blossman n’ait pas employé ses marques de commerce au Canada et qu’elle n’ait pas de contrôle sur les caractéristiques ou la qualité des services de ses licenciés. J’examine ces questions à mesure qu’elles se posent dans le contexte des trois principales allégations soulevées par Blossman.
III.
Analyse
A.
Les enregistrements canadiens des marques de commerce sont invalides
(1)
Les enregistrements des marques de commerce en cause
[9] Voici en quoi consistent les quatre enregistrements de marques de commerce faits par AAP que Blossman tente de faire invalider :
LMC954,034 [la marque ’034]
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Numéro de demande : 1,693,995
Date de production : 16 septembre 2014
Date d’enregistrement : 2 novembre 2016
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[Description de l’image : Une marque principalement horizontale est représentée. À gauche, occupant environ un cinquième de la longueur de la marque, se trouve un élément de dessin constitué d’un motif de flamme chevauchant un motif de feuille. À droite, occupant les quatre cinquièmes restants de la marque, se trouvent les mots ALLIANCE AUTOGAS en lettres moulées, commençant par des lettres majuscules, au-dessus des mots POWERED BY PROPANE en lettres majuscules moulées plus petites.]
LMC916,456 [la marque ’456]
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Numéro de demande : 1,693,993
Date de production : 16 septembre 2014
Date d’enregistrement : 5 octobre 2015
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[Description de l’image : Un dessin ressemblant à une pointe de flèche quadrilatérale stylisée ou à une lettre majuscule A stylisée sous lequel apparaît le mot ALLIANCE en lettres majuscules moulées, qui lui-même se trouve au-dessus du mot AUTOPROPANE, la portion AUTO étant en lettres majuscules moulées et la portion PROPANE en lettres minuscules moulées.]
LMC916,457 [la marque ’457]
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Numéro de demande : 1,693,991
Date de production : 16 septembre 2014
Date d’enregistrement : 5 octobre 2015
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[Description de l’image : Une marque principalement horizontale est représentée. À gauche, occupant environ un cinquième de la marque se trouve le même motif de lettre A stylisée que dans la marque ’456, lequel apparaît au-dessus du mot ALLIANCE en lettres majuscules moulées de petite taille. À droite, occupant les quatre cinquièmes restants de la longueur de la marque, le mot AUTOPROPANE, dont la portion AUTO est en lettres majuscules moulées et la portion PROPANE est en lettres minuscules moulées, apparaît en caractères plus gros que les mots LE PLUS GRAND RÉSEAU D’AUTOPROPANIERS EN AMÉRIQUE, qui apparaissent en dessous en lettres majuscules moulées de petite taille.]
LMC916,409 [la marque ’409]
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Numéro de demande : 1,693,992
Date de production : 16 septembre 2014
Date d’enregistrement : 5 octobre 2015
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[Description de l’image : La marque est un dessin en forme d’étoile à huit pointes comportant un espace négatif octogonal au centre. L’étoile est formée de formes triangulaires stylisées superposées de différentes nuances de gris. La pointe de l’étoile pointant vers le haut reprend le motif de lettre A stylisée apparaissant dans la marque ’456. Dans la partie supérieure de l’octogone central stylisé, le mot ALLIANCE apparaît en lettres majuscules moulées au-dessus du mot AUTOPROPANE, dont la partie AUTO est en lettres majuscules moulées et la portion PROPANE est en lettres minuscules moulées.]
[10] Suivant la nomenclature utilisée par les parties, pour désigner collectivement la marque ’456, la marque ’457 et la marque ’409, qui comportent chacune les mots ALLIANCE et AUTOPROPANE, je vais utiliser l’expression les « Marques AAP »
. Par souci de clarté et de simplicité, lorsqu’il sera question du dessin apparaissant dans la marque ’456, la marque ’457 et la partie supérieure de la marque ’409, je l’appellerai le « motif de lettre A stylisée »
.
[11] Les quatre marques sont enregistrées en liaison avec la même liste de services liés aux véhicules fonctionnant au gaz propane. La liste complète de ces services se trouve à l’annexe A. Bien que plusieurs services soient énumérés, ils appartiennent tous à l’une ou l’autre des deux catégories générales suivantes : (i) des services liés à la vente, à l’installation et à l’entretien de systèmes de conversion au gaz propane, comme l’« Assemblage de systèmes de conversion au gaz propane pour véhicules »
; et (ii) des services liés à des stations de ravitaillement de gaz propane, comme l’« Exploitation de stations de ravitaillement au gaz propane de réservoirs de véhicules »
.
(2)
Les parties et leurs auteurs d’affidavits
[12] Blossman est une société du Mississippi qui a été fondée en 1951. Elle livre du gaz propane et vend des appareils au gaz propane comme des chauffe-eau, des barbecues et des foyers. Blossman se décrit comme étant la plus grande entreprise familiale du domaine du gaz propane aux États-Unis d’Amérique. À l’appui de la présente demande, Blossman a déposé l’affidavit d’Edward Hoffman. Lorsqu’il a fait son affidavit, M. Hoffman était un employé de Blossman et le président d’une filiale de Blossman, Blossman Services, Inc, qui exploitait l’entreprise d’équipement de véhicule de Blossman. M. Hoffman s’est joint à Blossman en juin 2014, après avoir travaillé pour la société Keystone Automotive Operations, Inc, qui était une cliente de Blossman.
[13] AAP est une société québécoise qui a été fondée en 2013. Elle est la propriété de deux autres sociétés québécoises : 9049-1135 Québec Inc, faisant affaire sous le nom Propane du Suroît, qui est contrôlée par Marquis Grégoire Jr; et Solugaz Inc, qui est contrôlée par Rock Boulianne. M. Grégoire et M. Boulianne sont les coprésidents d’AAP. M. Grégoire a souscrit un affidavit pour le compte d’AAP.
[14] M. Hoffman et M. Grégoire ont tous deux été contre-interrogés sur leurs affidavits. L’énoncé ci-après des faits ayant mené à la présente demande a été établi à partir des affidavits, des transcriptions des contre-interrogatoires ainsi que des documents produits en réponse aux engagements pris lors des interrogatoires préalables.
(3)
Les faits ayant mené à la présente demande
(a)
Le programme Alliance AutoGas
[15] En 2009, Blossman a commencé à faire la promotion et la vente du gaz propane comme carburant pour les véhicules aux États-Unis sous le nom d’Alliance AutoGas. M. Hoffman affirme que, dans le domaine, le mot anglais «
autogas »
est synonyme de gaz propane servant de carburant pour véhicules, et M. Grégoire a abondé dans le même sens, confirmant qu’il estimait que le mot «
autogas »
dans le dessin ALLIANCE AUTOGAS désignait du gaz propane. En plus de distribuer et de vendre du gaz propane servant de carburant, le programme Alliance AutoGas aidait les clients ayant un parc de véhicules – comme des entreprises de taxis, des entreprises de livraison ou des organismes gouvernementaux – à convertir les véhicules de ce parc en véhicules au gaz propane ou hybride propane/essence. Le programme comprenait l’installation de systèmes de conversion des véhicules ainsi que des infrastructures de ravitaillement et la fourniture de carburant.
[16] Le programme Alliance AutoGas est basé en Caroline du Nord, où M. Hoffman travaillait. Stuart Weidie, le président et PDG de Blossman, est le président d’Alliance AutoGas depuis sa création en 2009.
[17] Depuis juin 2009 environ, Blossman a un site Web, allianceautogas.com, en lien avec le programme Alliance AutoGas. Selon le site Web, Alliance AutoGas est un réseau de commercialisateurs de propane et de centres de conversion indépendants fondé par Blossman. Des captures d’écran du site Web prises au fil du temps montrent que Blossman emploie la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS en liaison avec le programme et l’entreprise depuis 2009. La marque de commerce est souvent représentée avec le slogan POWERED BY PROPANE dans la forme ci-après, que j’appellerai le « dessin ALLIANCE AUTOGAS »
:
[Description de l’image insérée : La même marque que la marque ‘034 ci-dessus, mais en couleur. À gauche, occupant environ un cinquième de la longueur de la marque, se trouve un élément de dessin constitué d’un motif de flamme comportant quatre nuances de bleu chevauchant un motif de feuille comportant deux nuances de vert. À droite, occupant les quatre cinquièmes restants de la marque, se trouvent les mots ALLIANCE AUTOGAS en lettres moulées bleu foncé, commençant par des lettres majuscules, au-dessus des mots POWERED BY PROPANE en lettres majuscules moulées bleu foncé plus petites.]
(b)
L’entente entre Blossman et Caledon Propane Inc
[18] Le 1er août 2012, Blossman a conclu une entente, intitulée «
Alliance AutoGas Dealer Agreement »
, avec Caledon Propane Inc, une société de gaz propane basée en Ontario [entente Blossman-Caledon]. Grâce à cette entente, Caledon a obtenu le droit exclusif, en tant que concessionnaire, d’employer le nom et les marques Alliance AutoGas à l’égard de ses clients et de son entreprise liés à Alliance AutoGas en Ontario, au Manitoba et au Québec. La clause 1(a) de l’entente Blossman-Caledon, qui porte sur les droits relatifs aux marques de commerce et la résiliation est rédigée ainsi :
[traduction]
1.(a) Dans la mesure permise par le droit applicable, le concessionnaire aura le droit exclusif d’employer le nom et les marques Alliance AutoGas à l’égard de ses clients et de son entreprise liés à Alliance AutoGas dans la zone exclusive du concessionnaire tant que la présente entente est en vigueur. Ce droit d’emploi se termine dès la résiliation ou l’échéance de la présente entente. Le concessionnaire a également le droit exclusif d’employer les noms commerciaux ou marques de commerce successeurs ou connexes de Blossman à l’égard de son entreprise liée à Alliance AutoGas dans la zone exclusive du concessionnaire pour la durée de la présente entente. Blossman affirme et garantit qu’elle est la seule propriétaire des noms commerciaux et marques de commerce visés dans la présente entente et qu’elle a le droit exclusif d’accorder au concessionnaire le droit de les employer conformément à la présente entente, et que ces noms commerciaux et marques de commerce ne contrefont aucune marque d’un tiers ni ne violent autrement de droit de propriété intellectuelle d’un tiers. Le concessionnaire peut employer le mot AutoGas après l’expiration ou la résiliation de la présente entente comme nom ou marque en liaison avec toute entreprise à condition que le concessionnaire n’emploie pas le mot « Alliance » (ou tout autre mot semblable créant de la confusion avec celui-ci) avec le mot « AutoGas ».
[Je souligne; en italique dans l’original.]
[19] Selon M. Hoffman, après avoir signé l’entente Blossman-Caledon, Caledon a établi des installations de fourniture de gaz propane au Canada sur lesquelles se trouvaient les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS, dont une sur la rue Martin Grove à Toronto et d’autres à Cornwall et à Moncton. M. Hoffman affirme également qu’une autre entreprise, Canwest Propane, en Alberta, a obtenu une licence en 2013 et a vendu du gaz propane et des systèmes de conversion en liaison avec les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS dans l’Ouest canadien. AAP met en doute la qualité et la nature du témoignage de M. Hoffman sur ces questions et soutient que Blossman n’a pas prouvé qu’elle employait ou contrôlait l’emploi des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS au Canada. Ces questions sont examinées plus loin, sous le titre « Emploi des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS au Canada »
.
(c)
Propane du Suroît et AAP
[20] Durant l’été 2013, M. Grégoire s’est renseigné sur les avantages qu’il y aurait à se joindre au réseau Alliance AutoGas. Il a téléphoné à David Finder, alors le gestionnaire des programmes d’énergie nationaux de Blossman, après avoir trouvé son nom sur le site Web d’Alliance AutoGas. M. Finder a dit à M. Grégoire que Blossman avait une entente avec Caledon pour le Canada et l’a dirigé vers Hugh Sutherland Jr. chez Caledon.
[21] M. Grégoire a parlé avec M. Sutherland et, en août 2013, ils ont convenu que Caledon attribuerait ses droits à l’égard d’Alliance AutoGas au Québec à Propane du Suroît ou à une société appartenant à Propane du Suroît. Il n’est pas contesté que la nouvelle société appartenant à Propane du Suroît est AAP, qui a été constituée en société une semaine avant que M. Grégoire ne signe l’entente le 23 août 2013. Je vais donc appeler cette entente simplement l’« entente Caledon-AAP »
et renvoyer à AAP comme étant une des parties à l’entente.
[22] L’entente Caledon-AAP était une brève lettre d’entente jointe à une copie de l’entente Blossman-Caledon. Au titre de l’entente Caledon-AAP, entre autres modalités, AAP (i) deviendrait [traduction] « membre d’Alliance AutoGas/AutoGaz pour le territoire du Québec »
; (ii) acceptait de développer le marché au Québec; et (iii) acceptait de respecter l’entente Blossman-Caledon. La durée de l’entente Caledon-AAP était censée être identique à celle de l’entente Blossman-Caledon. Lorsqu’il a signé l’entente Caledon-AAP, M. Grégoire a apposé ses initiales sur chaque page de l’entente Blossman-Caledon et en a signé une copie au nom de Propane du Suroît.
[23] Selon M. Hoffman, Blossman n’était pas au courant des négociations entre Caledon et Propane du Suroît. Cependant, dans un courriel daté du 13 septembre 2013, M. Sutherland a dit à M. Finder de Blossman que Caledon en était arrivée à une entente avec Propane du Suroît, laquelle allait [traduction] « s’occuper du Québec pour Caledon Propane »
. M. Finder a souhaité la bienvenue à M. Grégoire et l’a invité, ainsi que M. Boulianne, à une réunion au Mississippi.
[24] Plus tard, en mai 2015, M. Finder a écrit ce qui suit à MM. Sutherland, Grégoire et Boulianne : [traduction] « Alliance Propane relève de Caledon à l’heure actuelle. (Conformément à l’entente entre Caledon et Alliance AutoGas / Blossman Gas.) »
Il semble que ce soit ainsi que toutes les parties aient interprété la situation à tous les moments pertinents, c’est-à-dire qu’AAP était titulaire d’une sous-licence de Blossman en vertu de l’entente Caledon-AAP.
(d)
La création des Marques AAP
[25] En 2013, AAP a retenu les services d’une société de commercialisation appelée Soleil pour la création de dessins-marques et de documents de commercialisation. Soleil a préparé les logos qui figurent dans les Marques AAP, dont le motif de lettre A stylisée apparaissant dans les marques ’456 et ’457 et l’étoile à huit pointes apparaissant dans la marque ’409.
[26] Dans le cadre de son travail, Soleil a livré à AAP une sorte de document de proposition ou de brochure dont le titre est « IMAGINONS… »
, portant la date du 16 décembre 2013. Il ressort clairement de ce document que les Marques AAP ont été créées à partir du dessin ALLIANCE AUTOGAS. Bien qu’AAP le nie, le document comporte des pages consécutives qui (i) reproduisent le dessin ALLIANCE AUTOGAS avec une version de ce dessin dans lequel les mots ALLIANCE AUTOGAS sont remplacés par les mots ALLIANCE AUTOPROPANE et (ii) montrent l’évolution du dessin, qui commence par le motif de flamme et de feuille du dessin ALLIANCE AUTOGAS pour devenir une version préliminaire du motif de lettre A stylisée figurant dans les Marques AAP, qui est de couleur bleu et vert.
[27] Le document de Soleil comprend une liste des « principales forces »
de la société. La première était « [l]’appartenance au vaste réseau nord-américain Alliance AutoGaz »
. Il semble ne faire aucun doute, sur le fondement des éléments de preuve dans leur ensemble, dont les documents de commercialisation, le moment où le nom a été adopté et l’absence de toute autre explication avancée par AAP, que le mot ALLIANCE a été inclus dans le nom commercial et dans les marques de commerce d’AAP en raison du lien avec Blossman et le réseau Alliance AutoGas et pour mettre ce lien en évidence.
[28] Le document de commercialisation de Soleil daté de décembre 2013 comporte également une version initiale d’une marque de commerce semblable à la marque ’457, qui incorpore l’expression « Le plus grand réseau d’autopropaniers en Amérique »
. Le dessin en forme d’étoile de la marque ’409 n’apparaît pas dans ce document, mais il figure dans un guide de style de commercialisation ultérieur, daté du 10 octobre 2014.
[29] AAP a demandé l’enregistrement des Marques AAP, ainsi que de la marque ’034, le 16 septembre 2014. M. Grégoire a reconnu en contre-interrogatoire qu’AAP n’avait pas avisé Blossman qu’elle demandait l’enregistrement des Marques AAP et de la marque ’034. Selon le témoignage de M. Hoffman, Blossman n’était pas au courant de l’existence des demandes d’enregistrement, ni lorsqu’elles ont été produites, ni lorsqu’elles ont été annoncées.
(e)
La résiliation de l’entente Caledon-AAP et les tentatives de faire valoir les droits
[30] Le 14 juin 2016, Superior Propane a acquis Caledon. Les parties semblent être en accord que cette acquisition a eu pour effet la résiliation de l’entente Blossman-Caledon et par conséquent de l’entente Caledon-AAP. Quoi qu’il en soit, AAP ne soutient pas que ces ententes demeurent en vigueur, qu’elle a encore des droits en vertu de l’entente Blossman-Caledon ou de l’entente Caledon-AAP ou bien qu’elle a des droits en vertu d’une entente avec Superior Propane.
[31] Dans un courriel interne du 23 juin 2016, M. Finder a dit à un autre employé de Blossman qu’il avait [traduction] « écrit à Alliance Autopropane d’arrêter de s’associer avec Alliance AutoGas parce qu’il n’y a pas d’entente »
. Cependant, le dossier ne contient pas de copie d’une lettre ou d’un courriel que M. Finder aurait envoyé à AAP en juin 2016. Le 8 septembre 2016, les avocats américains de Blossman ont écrit à AAP pour lui demander de cesser d’employer [traduction] « la marque de commerce et le nom commercial Alliance AutoGas »
et de cesser de se dire membre du réseau Alliance AutoGas. Comme AAP le souligne, cette lettre ne lui demandait pas de cesser d’employer le nom « Alliance Autopropane »
, les Marques AAP ou le mot ALLIANCE.
[32] Il semble qu’il y a eu des discussions en vue d’un règlement après l’envoi de cette lettre, mais qu’elles n’ont pas abouti. Le 31 août 2018, les avocats canadiens de Blossman ont écrit à AAP. Dans cette lettre, Blossman a fait valoir ses droits à l’égard du dessin ALLIANCE AUTOGAS, a signalé qu’AAP avait enregistré la marque ALLIANCE AUTOGAS et Dessin et a demandé à AAP, entre autres choses : (i) de cesser d’employer le dessin ALLIANCE AUTOGAS ou toute autre marque de commerce pouvant créer de la confusion avec celui-ci; (ii) d’attribuer la marque ’034 à Blossman; et (iii) de s’abstenir d’employer l’expression « LE PLUS GRAND RÉSEAU D’AUTOPROPANIERS EN AMÉRIQUE »
dans des documents de publicité. Encore une fois, autre que la mention de marques de commerce créant de la confusion, la lettre ne mentionne pas expressément les Marques AAP ou de l’emploi du nom Alliance Autopropane. AAP se fonde sur ce fait pour plaider l’acquiescement, thèse qui est examinée ci-dessous.
[33] Encore une fois, il semble que les parties ont tenté de régler l’affaire, sans succès. La présente demande de contrôle judiciaire a été déposée le 5 octobre 2020.
(4)
Acquiescement
[34] Avant de me pencher sur la thèse de Blossman sur l’invalidité, je vais examiner la thèse d’AAP voulant que Blossman ne puisse obtenir les mesures de redressement qu’elle demande, y compris l’invalidation et l’injonction, parce qu’elle a acquiescé à ce qu’AAP emploie et enregistre les Marques AAP. Il reste à trancher la question de savoir si les défenses en equity de manque de diligence et de l’acquiescement peuvent être invoquées en réponse à une demande en radiation fondée sur le motif d’origine législative d’absence de droit à l’enregistrement : Precision Door & Gate Service Ltd c Precision Holdings of Brevard, Inc, 2012 CF 496 au para 43, citant Ling Chi Medicine Co (HK) Ltd c Persaud, 1998 CanLII 31084 (CAF) au para 2 [Ling Chi (FCA)]. Supposons, sans décider, que la défense d’acquiescement est disponible, à mon avis, l’argument d’AAP que Blossman a acquiescé dans ce cas ne peut être retenu.
[35] L’acquiescement est un principe d’equity qui peut empêcher le propriétaire d’une marque de commerce d’obtenir une mesure de redressement lorsqu’il a consenti à la violation de ses droits et que la partie ayant commis la violation s’est fondée à son détriment sur ce consentement : Boston Pizza International Inc c Boston Market Corp, 2003 CF 892 aux para 42–48. Le juge Zinn de notre Cour a récemment passé en revue la jurisprudence sur l’acquiescement en droit des marques de commerce : Norsteel Building Systems Ltd c Toti Holdings Inc, 2021 CF 927 aux para 32–36. Comme le juge Zinn l’a fait observer, un simple retard est insuffisant pour établir une défense d’acquiescement : Norsteel au para 36. Au contraire, le détenteur des droits doit faire quelque chose pour encourager l’auteur de la violation, et l’auteur de la violation doit agir à son détriment en se fondant sur cet encouragement : Norsteel aux para 33–35, citant Institut national des appellations d’origine des vins et eaux-de-vie et al c Andres Wines Ltd et al, 1987 CanLII 4051, [1987] OJ No 644 (SC) au para 210, conf par 1990 CanLII 6726 (ON CA), autorisation de pourvoi à la CSC refusée [1991] 1 RCS x (note); White Consolidated Industries, Inc c Beam of Canada Inc, [1991] ACF no 1076 (CF 1re inst); Remo Imports Ltd c Jaguar Canada Ltd, 2005 CF 870 au para 53; voir aussi Boston Pizza aux para 42–45; Precision Door au para 44.
[36] À l’appui de sa thèse de l’acquiescement, AAP fait observer que la relation commerciale entre les parties a commencé en 2013, qu’elle emploie le nom ALLIANCE AUTOPROPANE, les Marques AAP et la marque ’034 depuis cette date ou peu après et qu’elle a produit les demandes d’enregistrement des marques en 2014. Elle soutient que Blossman n’a pas tenté de faire valoir ses droits avant d’entamer la présente procédure en 2020, des années après qu’AAP a commencé à employer les marques, à la connaissance de Blossman, et après qu’AAP a obtenu l’enregistrement des marques.
[37] À mon avis, AAP n’a pas montré de signe d’encouragement ou de consentement qui constituerait un acquiescement. En ce qui concerne l’usage avant 2016, AAP était titulaire d’une sous-licence de Blossman à cette époque, une situation que Blossman et AAP reconnaissaient toutes deux comme telle. Le titulaire d’une licence ne peut raisonnablement invoquer son emploi de marques de commerce sous licence ou de marques de commerce créant de la confusion avec celles-ci durant la période de validité de la licence pour prouver qu’il y a eu acquiescement de la part de la personne ayant accordé la licence.
[38] Après la résiliation de l’entente Blossman-Caledon en 2016, Blossman a écrit à AAP pour faire valoir ses droits sur les marques de commerce. Même si on ne tenait pas compte de la communication qu’aurait envoyée M. Finder en juin 2016, au sujet de laquelle le dossier comporte peu de renseignements, Blossman avait fait valoir ses droits lorsque ses avocats américains ont écrit à AAP en septembre 2016, puis encore une fois lorsque ses avocats canadiens ont écrit à AAP en août 2018.
[39] AAP se fonde sur le fait que ni la lettre des avocats américains ni celle des avocats canadiens ne demandait expressément à AAP de cesser d’employer le mot ALLIANCE, le nom ALLIANCE AUTOPROPANE ou les Marques AAP. Les lettres portaient plutôt sur le dessin ALLIANCE AUTOGAS et la marque ’034, bien que Blossman savait qu’AAP employait ALLIANCE AUTOPROPANE. En effet, la lettre des avocats canadiens renvoyait même au slogan LE PLUS GRAND RÉSEAU D’AUTOPROPANIERS EN AMÉRIQUE apparaissant sur le site Web d’AAP, sans mentionner la marque ’457, qui incorporait la version française du slogan.
[40] Il est certainement difficile d’expliquer pourquoi, si Blossman considérait l’emploi d’ALLIANCE AUTOPROPANE ou des Marques AAP comme créant de la confusion, ou si elle considérait les Marques AAP comme étant invalides, elle n’en a pas fait expressément mention dans les lettres de ses avocats américains et canadiens. Les avocats canadiens de Blossman, qui la représentent dans la présente instance, ont été incapables d’expliquer ceci, sauf en renvoyant à la demande générale qu’AAP s’abstienne d’employer toute marque de commerce pouvant créer de la confusion avec le dessin ALLIANCE AUTOGAS et à l’existence de discussions de règlement subséquentes [traduction] « concernant les marques de commerce en cause dans le présent différend »
.
[41] Malgré l’absence de demande expresse dans les lettres des avocats, je conclus que rien ne démontre que Blossman a encouragé AAP à continuer d’employer ALLIANCE AUTOPROPANE ou les Marques AAP, ou encore qu’elle y a consenti. Comme le note Blossman, elle a demandé à AAP de ne pas employer de marques de commerce créant de la confusion. Dans le contexte, je ne peux conclure que le fait que les efforts de Blossman en vue de faire respecter ses droits aient porté principalement sur le dessin ALLIANCE AUTOGAS constitue un acquiescement à l’emploi d’ALLIANCE AUTOPROPANE ou des Marques AAP. Tout au plus, cela peut avoir retardé la prise de mesures pour le respect des droits, ce qui ne constitue pas un acquiescement : Norsteel au para 36. Bien que le retard puisse avoir un effet sur les dommages-intérêts, comme il en est question plus loin, il n’empêche pas Blossman de demander les mesures de redressement en l’espèce, y compris l’invalidation des marques de commerce et une injonction.
(5)
Le cadre législatif et les motifs d’invalidité
[42] Blossman a demandé que les quatre marques de commerce déposées en cause soient radiées du registre des marques de commerce en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce. Cette disposition autorise notre Cour à radier toute inscription dans le registre sur demande de « toute personne intéressée »
lorsque l’inscription ne définit pas exactement les droits existants du propriétaire inscrit. Je souscris à l’affirmation de Blossman qu’elle est visée par la définition large de « personne intéressée »
, dont le seuil a été décrit comme étant de minimis : Yiwu Thousand Shores E-Commerce Co Ltd c Lin, 2021 CF 1040 au para 22; Vancouver Association for Injured Motorcyclists c Alliance for Injured Motorcyclists Canada, 2010 CF 1207 au para 10; Norsteel aux para 13–21. Puisque Blossman a déposé la demande en vertu de l’article 57, il lui incombe de démontrer que les enregistrements sont invalides selon la prépondérance des probabilités : Havana House Cigar & Tobacco Merchants Ltd c Skyway Cigar Store, 1998 CanLII 7773 (CF) au para 43, modifiée pour d’autres motifs, 1999 CanLII 9100 (CAF).
[43] La Cour peut prononcer une ordonnance radiant l’enregistrement d’une marque de commerce en vertu de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce lorsque l’enregistrement est invalide au titre de l’article 18 : voir, par exemple, Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 au para 114; Norsteel aux para 1, 9–10, 76. Le paragraphe 18(1) énonce cinq cas dans lesquels l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide :
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[44] Blossman se fonde sur les alinéas 18(1)b), d) et e), c’est-à-dire les motifs du caractère distinctif, du droit à l’enregistrement et – en ce qui concerne la marque ’034 seulement – la mauvaise foi. Elle fait valoir sa thèse fondée sur le droit à l’enregistrement et la mauvaise foi avant de faire valoir celle sur le caractère distinctif. Je vais donc les examiner dans cet ordre.
(6)
AAP n’avait pas le droit d’enregistrer les marques de commerce
[45] Comme il a été noté plus haut, l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide si l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant le droit d’obtenir cet enregistrement : Loi sur les marques de commerce, art 18(1)d). L’« auteur de la demande […] ayant droit d’obtenir l’enregistrement »
visé à l’alinéa 18(1)d) est défini à l’article 16, qui régit le droit à l’enregistrement. Le paragraphe 16(1) est rédigé ainsi :
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[46] La version ci-dessus (actuelle) de l’article 16 s’applique même si elle est entrée en vigueur après l’enregistrement des marques de commerce en cause : Loi sur les marques de commerce, art 73(1). Par souci de précision, je fais observer que, bien que l’alinéa 18(1)d) s’applique « sous réserve de l’article 17 »
, cette dernière disposition ne s’applique pas en l’espèce étant donné l’identité de l’auteur de la demande et le moment où la demande a été produite : Loi sur les marques de commerce, art 17.
(a)
Les dates pertinentes dans l’analyse
[47] Par l’effet combiné de l’alinéa 18(1)d) et du paragraphe 16(1), la date pertinente lorsqu’il s’agit d’examiner l’invalidité fondée sur le motif des droits est la date de l’événement qui est survenu le premier entre la production de la demande et le premier emploi au Canada. AAP a produit ses demandes d’enregistrement pour chacune des quatre marques de commerce en cause le 16 septembre 2014. Dans le cas de la marque ’034, la demande a été produite sur le fondement d’un emploi envisagé, ce qui donne à penser qu’elle n’était pas employée à cette date. Bien que M. Grégoire ait affirmé dans son affidavit que la marque de commerce ’034, entre autres, avait été employée en ligne depuis au moins l’été 2014, AAP a précisé dans sa réponse à des engagements que la marque avait été employée pour la première fois sur son site Web en avril 2015. Comme aucune preuve ne montre qu’il y a eu emploi antérieur dans d’autres circonstances, la date du dépôt de la demande est la première et est par conséquent la date pertinente.
[48] M. Grégoire a témoigné, à l’égard de chacune des Marques AAP, qu’elles étaient employées depuis au moins l’été 2014. Cette affirmation correspond à ce qui figure dans les demandes d’enregistrement, qui font mention de dates de premier emploi diverses se situant entre le 20 mai et le 15 août 2014 pour les différents services énoncés dans les demandes, ainsi qu’aux documents de commercialisation datant de 2013–2014. Ni l’une ni l’autre des parties ne soutient que l’analyse relative à la confusion se ferait différemment ou aurait une issue différente qu’une date en mai ou en septembre 2014 soit utilisée. Pour les besoins de mon analyse, j’utiliserai la date du 20 mai 2014 comme étant la date pertinente en ce qui concerne les Marques AAP. Cela dit, il ne faut pas interpréter ce choix comme montrant que j’accepte qu’AAP a « employé »
les marques de commerce au sens de l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce alors qu’elle était titulaire d’une sous-licence de Blossman : voir, par exemple, Citrus Growers Assn Ltd c William D Branson Ltd, [1990] 1 CF 641 aux pp 646–647 et la discussion ci-dessous concernant le paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce et l’emploi par les distributeurs ou les licenciés.
[49] Aux dates pertinentes, AAP n’aurait pas eu le droit de procéder à l’enregistrement, et les enregistrements en cause auraient été invalides, si les marques de commerce avaient créé de la confusion avec une marque de commerce que Blossman avait antérieurement employée ou révélée au Canada ou avec un nom commercial que Blossman avait antérieurement employé au Canada : Loi sur les marques de commerce, art 16(1)a), c); 18(1)d). Je me penche maintenant sur la question de savoir si Blossman a établi qu’elle avait employé ses marques de commerce au Canada avant les dates pertinentes.
(b)
Emploi des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS au Canada
[50] Blossman soutient qu’elle emploie les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS et ALLIANCE AUTOGAS POWERED BY PROPANE, le dessin ALLIANCE AUTOGAS et le nom commercial ALLIANCE AUTOGAS au Canada depuis 2012 par l’intermédiaire de ses licenciés. Comme j’ai conclu que les allégations de Blossman concernant les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS et le dessin ALLIANCE AUTOGAS permettent de trancher l’affaire, je fais porter mon analyse ci-dessous sur ces marques de commerce et il n’est pas nécessaire que j’examine l’emploi du nom commercial ou de la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS POWERED BY PROPANE : Masterpiece au para 61.
[51] Une marque de commerce est employée en liaison avec des services si elle est « employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services »
: Loi sur les marques de commerce, arts 2 (« emploi »
), 4(2). Lorsqu’une marque de commerce est employée par un licencié et que le propriétaire de la marque de commerce contrôle directement ou indirectement les caractéristiques ou la qualité des services, l’emploi a le même effet que s’il s’agissait de celui du propriétaire et il profite au propriétaire : Loi sur les marques de commerce, art 50(1).
[52] La preuve de Blossman montrant son emploi des marques au Canada est constituée de l’affidavit de M. Hoffman et des documents qu’il joint à cet affidavit. Bien que M. Hoffman ne se soit joint à Blossman qu’en 2014, il travaille avec cette société depuis 2012, étant donné que son ancien employeur, Keystone, était un client de Blossman. Comme je l’ai résumé plus haut, le témoignage de M. Hoffman porte sur l’emploi des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS au Canada avant 2014 par deux licenciés, Caledon et Canwest. J’examine à tour de rôle les éléments de preuve concernant chacune de ces sociétés, puis j’examine les autres arguments d’AAP concernant l’emploi, y compris la question de savoir si Blossman a établi qu’elle contrôlait les caractéristiques et la qualité des services offerts par Caledon et Canwest.
(i)
Emploi par Caledon
[53] M. Hoffman soutient que, le 25 octobre 2012, lorsqu’il était avec Keystone, il s’est rendu à une station-service Esso sur la rue Martin Grove à Toronto à l’invitation d’un employé de Caledon s’appelant George Olah, qui était également un vice-président d’« Alliance AutoGas Canada »
. M. Hoffman affirme qu’il y avait à cette station-service des installations de ravitaillement en propane portant la marque ALLIANCE AUTOGAS, qu’il a pu faire le plein de son camion de Keystone avec du gaz propane ce jour-là et que des taxis et des limousines fonctionnant au gaz propane ont fait le plein à cette installation. En lien avec ce témoignage, M. Hoffman a produit deux photographies en pièce jointe à son affidavit : une d’une grande citerne de gaz propane portant le dessin ALLIANCE AUTOGAS, connectée à une pompe de ravitaillement, et une autre d’un véhicule du parc de Caledon portant le dessin ALLIANCE AUTOGAS orné d’une feuille d’érable.
[54] AAP met en doute la fiabilité de ce témoignage sur le fondement du contre-interrogatoire de M. Hoffman. En contre-interrogatoire, M. Hoffman a initialement affirmé qu’il avait lui-même pris les deux photographies et que la photographie de la citerne de gaz propane se situait à la station-service sur la route Martin Grove, tandis que la photographie du camion pouvait avoir été prise à une succursale de Keystone dans la région. En réponse à des questions subséquentes, M. Hoffman a affirmé que la photographie de la citerne pouvait avoir été prise soit par lui-même, soit par M. Olah, mais qu’il s’agissait de l’installation sur la rue Martin Grove. Lorsqu’on lui a plus tard présenté une image tirée de l’application Google Maps censée représenter le site de la route Martin Grove et montrant un édifice apparaissant d’une couleur différente (l’image en question n’a pas été produite devant la Cour), M. Hoffman a clarifié son témoignage en affirmant [traduction] « [qu’]il y a de nombreux sites de ravitaillement dans cette région. Est-ce que ça peut être un site différent? Oui. En regardant ceci de nouveau, oui. »
En réinterrogatoire, M. Hoffman a confirmé s’être rendu à un site portant les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS sur une citerne de gaz propane [traduction] « sans aucun doute à Toronto, sans aucun doute au Canada, et pris en photo sans aucun doute par moi-même, et George Olah a les photographies »
.
[55] AAP soutient que la crédibilité de M. Hoffman est affectée par ce changement dans son témoignage. Elle fait également observer que M. Hoffman a été incapable de donner des renseignements sur les dates auxquelles la station sur la rue Martin Grove a ouvert ou a fermé ses portes. Je conviens que le contre-interrogatoire a mis en évidence des éléments du témoignage de M. Hoffman qui n’étaient pas aussi précis qu’on le donnait à penser au départ et que M. Hoffman peut avoir commis une erreur ou avoir exagéré certains aspects de son témoignage. Cependant, je ne souscris pas à l’observation d’AAP selon laquelle ces lacunes minent la crédibilité de M. Hoffman au point que son témoignage doive être rejeté en totalité, étant donné les questions en litige en l’espèce.
[56] En particulier, la question principale à cette étape est de savoir si Blossman, par l’intermédiaire de son licencié Caledon, employait les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS au Canada avant l’emploi par AAP en mai 2014. Le témoignage de M. Hoffman, fondé sur une expérience directe en tant que client, est qu’il a personnellement vu les marques de commerce employées dans la pratique du commerce à la fin de 2012, par le fait qu’elles apparaissaient sur les installations d’une station de ravitaillement de gaz propane à Toronto et sur un véhicule de Caledon. Les éléments de preuve photographique, qui montrent le dessin ALLIANCE AUTOGAS sur de l’équipement de gaz propane portant également le nom Caledon Propane Inc est conforme au témoignage et le corrobore, indépendamment de l’identité de la personne qui a pris la photographie et du fait que M. Hoffman a reconnu n’être pas pouvoir dire catégoriquement si la photographie représentait la station sur la rue Martin Grove ou une autre station.
[57] Ces exemples d’affichage du dessin ALLIANCE AUTOGAS indiquent que la marque de commerce est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de services de livraison de gaz propane offerts par Caledon : Loi sur les marques de commerce, art 4(2). Je suis convaincu que l’emploi du dessin ALLIANCE AUTOGAS constitue également un emploi de la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS, étant donné que ces mots sont l’aspect prédominant du dessin-marque : Caterpillar Inc c Puma SE, 2021 CF 974 au para 101, citant Ridout & Maybee LLP c Omega SA, 2004 CF 1703 au para 10.
[58] M. Hoffman affirme également qu’au début de 2013, Keystone a obtenu l’aide de Caledon pour convertir son parc de véhicules en véhicules fonctionnant au gaz propane. Ces services ont été fournis à Toronto en liaison avec les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS. Ce témoignage est resté tel quel en contre-interrogatoire. Je suis convaincu que ce témoignage, basé sur ce dont M. Hoffman a eu personnellement connaissance, suffit à montrer que les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS étaient employées en 2013 en liaison avec l’installation de systèmes de conversion au gaz propane.
[59] M. Hoffman affirme que les véhicules convertis de Keystone se trouvaient à Cornwall et à Moncton et qu’il était [traduction] « au courant »
que Blossman avait établi des stations de ravitaillement portant la marque ALLIANCE AUTOGAS à ces endroits en 2012 ou en 2013. Je suis convaincu que M. Hoffman aurait su où se trouvait le parc de véhicules de sa société et quels services celle-ci utilisait. Cependant, M. Hoffman ne dit pas qu’il a personnellement vu les stations ni qu’il pouvait attester l’affichage ou l’emploi des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS. Il n’a pas non plus fourni de document à l’appui ni de preuve photographique à l’égard des installations dans ces villes. Bien que le dossier comporte un courriel datant d’octobre 2012 envoyé par M. Olah à M. Hoffman qui semble porter sur des travaux de construction au site de Cornwall, le courriel ne confirme ni ne démontre que l’installation était exploitée ou que les marques de commerce y étaient employées. Je suis donc incapable de conclure qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve établissant qu’il y avait des stations de ravitaillement à Cornwall ou à Moncton qui employaient ou montraient les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS avant mai 2014.
(ii)
Emploi par Canwest
[60] L’affidavit de M. Hoffman renvoie aussi à une entente entre Blossman et Canwest Propane et indique que Canwest a employé les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS en vertu d’une licence de Blossman à compter de 2013. Bien que M. Hoffman n’ait pas joint de copie de l’entente, il a joint un article d’un paragraphe tiré du site Web de LP Gas, une publication de l’industrie du gaz propane, daté du 17 mai 2013. Selon l’article, Canwest s’est [traduction] « jointe au réseau Alliance AutoGas »
et offrait, pour les parcs de véhicules dans la région de l’Ouest canadien, un programme de conversion au gaz propane. En contre-interrogatoire, M. Hoffman a convenu que l’entente avec Canwest était avant son arrivée chez Blossman et qu’il n’avait pas participé à la négociation de l’entente. Cependant, il a confirmé qu’il avait une connaissance personnelle des activités de Canwest en tant que membre du réseau Alliance AutoGas parce qu’il s’était rendu à de nombreux sites de ravitaillement à Calgary dans le cadre de son travail chez Keystone.
[61] Étant donné que M. Hoffman avait une connaissance personnelle des installations de ravitaillement de Canwest durant la période pertinente, je conclus que son témoignage établit que Canwest employait au titre d’une licence les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS en Alberta avant mai 2014.
(iii)
Emploi au titre de licences et contrôle des caractéristiques ou de la qualité
[62] Blossman soutient que l’emploi par Caledon et/ou Canwest joue au profit de Blossman en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce, puisque Caledon et Canwest employaient les marques au titre d’une licence et que Blossman contrôlait les caractéristiques et la qualité des services de Caledon et de Canwest. AAP soutient que Blossman ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver qu’elle contrôlait l’emploi des marques de commerce par ces titulaires de licences, renvoyant à la décision Empresa Cubana Del Tabaco (Sociale Cubatabaco) c Shapiro Cohen, 2011 CF 102 aux para 83–84, conf par 2011 CAF 340. Pour les motifs qui suivent, je conclus que Blossman a établi que l’emploi par Caledon et Canwest des marques ALLIANCE AUTOGAS constituait un emploi par Blossman en vertu du paragraphe 50(1).
[63] Comme le juge Kelen l’a noté dans la décision Empresa Cubana, les propriétaires inscrits de marques de commerce peuvent démontrer qu’ils ont le contrôle requis pour bénéficier de la présomption du paragraphe 50(1) de l’une des manières suivantes : (1) affirmer sous serment qu’ils exercent effectivement le contrôle requis; (2) produire des éléments de preuve démontrant qu’ils exercent effectivement le contrôle requis; ou (3) produire une copie du contrat de licence qui prévoit expressément l’exercice d’un tel contrôle : Empresa Cubana au para 84; Live! Holdings, LLC c Oyen Wiggs Green & Mutala LLP, 2020 CAF 120 au para 24; Caterpillar au para 52.
[64] Dans le cas de Caledon, Blossman a produit une copie de l’entente de licence, c’est-à-dire l’entente Blossman-Caledon. Cette entente obligeait Caledon à respecter les politiques, procédures et lignes directrices établies par Blossman, y compris en ce qui concerne l’établissement des prix, l’équipement, l’installation, l’affichage et l’étiquetage. Elle obligeait également Caledon, dans ses propres contrats, à respecter essentiellement les modèles de Blossman. L’entente prévoyait la possibilité pour chaque partie de résilier l’entente s’il y avait manquement à l’une ou l’autre des modalités durant plus de 30 jours. Dans son affidavit, M. Hoffman a également affirmé que Blossman contrôlait directement ou indirectement les caractéristiques et la qualité des services fournis par Caledon, et il a affirmé en contre-interrogatoire qu’il savait personnellement que Caledon avait accès à des documents de commercialisation, participait à des réunions du groupe des ventes et achetait des produits de Blossman.
[65] Pour contrer ces éléments de preuve quant au contrôle exercé au titre de la licence, AAP invoque un courriel du 21 janvier 2015 envoyé par M. Finder à M. Grégoire. Ce courriel semble faire partie d’une chaîne de courriels échangés par M. Finder et M. Grégoire, laquelle ne se trouve pas dans le dossier, mais qui semble avoir porté sur la commercialisation. Dans ce courriel, M. Finder demande à M. Grégoire de communiquer au directeur principal des relations publiques de Blossman tout texte futur qui traite de relations publiques pour que Blossman puisse [traduction] « réviser et aider avec l’élaboration des messages, comme nous en avons discuté »
. M. Finder écrit ensuite : [traduction] « Il est maintenant temps que nous travaillions ensemble et nous présentons nos excuses, car nous n’avions aucune idée de ce que vous faisiez au Canada, étant donné que, par le passé, nous avons permis à Hugh et à Caledon de faire comme bon lui semblait. »
AAP soutient que l’affirmation de M. Finder selon laquelle Blossman avait permis à M. Sutherland de faire [traduction] « comme bon lui semblait »
(dans l’original, «
rock on his own »
) indique que Blossman ne contrôlait pas les caractéristiques ni la qualité des services fournis par Caledon.
[66] Je ne suis pas d’accord. Je ne suis pas convaincu qu’une observation générale selon laquelle le propriétaire a permis à un licencié de [traduction] « faire comme bon lui semblait »
suffit à défaire les dispositions de contrôle figurant expressément dans l’entente Blossman-Caledon. Comme la juge Walker l’a fait observer, l’absence de contrôle sur les activités commerciales courantes n’exclut pas nécessairement l’existence d’une licence visée à l’article 50 : Corey Bessner Consulting Inc c Core Consultants Realty Inc, 2020 CF 224 au para 78. Quoi qu’il en soit, il y a des éléments de preuve montrant que Blossman s’occupait en réalité de contrôler la qualité des services de Caledon. M. Hoffman a raconté un incident s’étant produit en avril 2013, lorsque Keystone s’est inquiétée de la qualité du carburant en lien avec de la rouille dans les réservoirs de véhicules convertis. Le représentant de Caledon n’ayant pas répondu à cette inquiétude, M. Hoffman a alors porté le problème à l’attention de Blossman, laquelle est alors entrée en communication avec Caledon pour qu’elle règle le problème de la qualité du carburant.
[67] Je note que l’observation de M. Finder selon laquelle il ne savait pas ce qu’AAP faisait au Canada avant janvier 2015 n’a aucune incidence sur la question à trancher en l’espèce, pour trois motifs. Premièrement, elle ne concerne pas la question pertinente de savoir s’il y avait contrôle de l’emploi sous licence par Caledon de la marque de commerce. Deuxièmement, dans la mesure où elle porte sur l’emploi par AAP soit des Marques AAP ou des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS, elle porte nécessairement sur la période postérieure à la date pertinente, qui est celle à laquelle AAP a commencé l’emploi. Troisièmement, le paragraphe 50(1) prévoit que le propriétaire peut contrôler indirectement les caractéristiques et la qualité des services. Rien n’indique que Caledon n’ait pas eu la moindre forme de contrôle sur l’emploi par AAP et, en fait, AAP a accepté, comme modalité de l’entente Caledon-AAP, de respecter l’entente Blossman-Caledon, y compris ses dispositions de contrôle.
[68] En ce qui concerne Canwest, notre Cour a conclu qu’il n’est pas nécessaire que soit produite une entente de licence formelle pour que soit prouvée l’existence d’une telle entente pour l’application du paragraphe 50(1) : 3082833 Nova Scotia Company c Lang Michener LLP, 2009 CF 928 au para 32; Empresa Cubana au para 84. M. Hoffman a affirmé dans son affidavit que Canwest employait les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS au titre d’une licence octroyée par Blossman et que Blossman contrôlait les caractéristiques et la qualité des services au titre de l’entente de licence. Bien que M. Hoffman ait reconnu en contre-interrogatoire qu’il n’avait pas pris part à la négociation de l’entente, il a témoigné qu’il avait personnellement vu les sites de Canwest à Calgary tel que décrit plus haut, et son contre-interrogatoire sur sa déclaration n’a pas été poussé plus loin. Par conséquent, pour paraphraser le juge Kelen dans la décision 3082833 Nova Scotia, la Cour est saisie du témoignage non contredit de M. Hoffman, qui a déclaré sous serment qu’une entente de licence existe et que Blossman contrôle l’emploi de la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS par Caledon : 3082833 Nova Scotia au para 33.
[69] Certainement, Blossman aurait pu présenter une preuve plus robuste de son contrôle sur ses licenciés canadiens, par exemple en produisant l’entente de licence conclue avec Canwest. Cependant, les éléments de preuve présentés satisfont aux normes qu’applique notre Cour pour juger s’il y a contrôle au titre de licences pour l’application du paragraphe 50(1), tandis que les éléments de preuve d’AAP en sens contraire sont peu nombreux et ne convainquent pas.
[70] Je conclus donc que Blossman a démontré que l’emploi des marques ALLIANCE AUTOGAS par Caledon et Canwest s’est fait au titre d’une licence et qu’elle contrôlait les caractéristiques et la qualité des services de manière à faire jouer le paragraphe 50(1).
(iv)
Autres attaques d’AAP contre les éléments de preuve de Blossman
[71] AAP reproche à Blossman de n’avoir présenté que le témoignage de M. Hoffman. Elle soutient que d’autres personnes auraient pu présenter un meilleur témoignage sur des questions comme le développement du programme Alliance AutoGas à partir de 2009 et la participation d’AAP à partir de 2013. AAP fait observer que, bien que M. Finder soit décédé en avril 2017, M. Weidie est le président d’Alliance AutoGas depuis sa création et aurait pu témoigner. Elle fait aussi observer que Blossman n’a pas déposé d’affidavit de témoins de chez Caledon ou Canwest. Elle demande à la Cour de tirer une conclusion défavorable de l’absence de témoignage de la part de M. Weidie, de Caledon ou de Canwest et elle attaque le témoignage de M. Hoffman et la crédibilité de celui-ci sur ce fondement.
[72] Je ne peux souscrire à cette observation. Sans doute, M. Weidie aurait pu présenter un témoignage plus direct à propos du développement du programme Alliance AutoGas aux États-Unis à partir de 2009. Cependant, les questions que doit trancher la Cour portent sur les droits et l’emploi des marques de commerce au Canada. M. Hoffman a une connaissance et des renseignements directs quant à l’emploi par Blossman au Canada, tirés de son travail tant chez Keystone que chez Blossman. Même si d’autres personnes auraient pu présenter des éléments de preuve, par exemple des représentants de Caledon (bien que cette société ait subséquemment été achetée par Superior Propane) ou de Canwest, rien n’oblige les demandeurs à déposer des affidavits de chaque personne pouvant avoir un témoignage pertinent s’ils sont en mesure de prouver les faits nécessaires avec moins de témoignages. En l’espèce, je ne suis pas convaincu que le fait que d’autres témoignages auraient pu être présentés doit mener à une conclusion défavorable à l’égard de la preuve de Blossman, encore moins une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité de M. Hoffman.
[73] Les observations écrites et orales d’AAP contiennent plusieurs autres attaques contre la crédibilité de M. Hoffman ou sa fiabilité en tant que témoin. Je ne me prononcerai pas sur chacune d’elles, sauf pour noter que, selon moi, le contre-interrogatoire au sujet des photographies, dont il est question plus haut, était l’attaque la plus substantielle et n’a pas dévalorisé, à mes yeux, le témoignage de M. Hoffman dans son ensemble. Je note en particulier que la tentative d’AAP de miner la crédibilité de M. Hoffman parce qu’il ne savait pas personnellement si le site Web d’Alliance AutoGas était consultable au Canada n’est pas convaincante sans éléments de preuve à l’appui, particulièrement étant donné le propre témoignage de M. Grégoire selon lequel il a consulté le site Web et y a trouvé le nom de M. Finder.
[74] Après avoir examiné l’affidavit de M. Hoffman, la transcription de son contre-interrogatoire et les observations d’AAP, je suis convaincu que le témoignage de M. Hoffman établit qu’il y avait emploi des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS au Canada avant les dates pertinentes, en particulier de la manière suivante : (i) emploi par Caledon en liaison avec au moins une station de ravitaillement de gaz propane à Toronto en 2012; (ii) emploi par Caledon en liaison avec la conversion au gaz propane de véhicules en 2013; et (iii) emploi par Canwest en liaison avec des stations de ravitaillement de gaz propane à Calgary en 2013.
[75] Puisque j’ai conclu que les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS étaient employées au Canada antérieurement et qu’on ne peut opposer à Blossman sa conduite pour l’empêcher de faire valoir ses droits, la question des droits au titre de l’alinéa 16(1)a) repose sur la question de savoir si les marques de commerce enregistrées par AAP créent de la confusion avec une ou plusieurs de ces marques. Pour les motifs qui suivent, je conclus que c’est le cas.
(c)
Les marques de commerce déposées créent de la confusion avec les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS
(i)
Analyse relative à la confusion
[76] La confusion est définie à l’article 6 de la Loi sur les marques de commerce. Une marque de commerce crée de la confusion avec une autre « lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits liés à ces marques de commerce sont fabriqués, vendus, donnés à bail ou loués, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces produits ou services soient ou non de la même catégorie générale ou figurent ou non dans la même classe de la classification de Nice »
: Loi sur les marques de commerce, art 6(2). Le critère appliqué est « celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques »
: Masterpiece au para 40, citant Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 au para 20.
[77] Lorsqu’elle se penche sur la confusion, la Cour doit tenir compte de « toutes les circonstances »
, y compris celles expressément énumérées au paragraphe 6(5), soit a) le caractère distinctif inhérent et acquis; b) la période pendant laquelle il y a eu emploi; c) le genre de produits, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce. Chacun de ces facteurs doit être pris en compte, bien que leur importance puisse varier en fonction de chaque affaire : Group III International Ltd c Travelway Group International Ltd, 2017 CAF 215 aux para 34, 45–49 [Group III (2017)]. Cela dit, il arrive souvent que le degré de ressemblance soit le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion : Masterpiece au para 49; Group III (2017) au para 48.
[78] Comme AAP le fait observer, l’analyse relative à la confusion doit être menée à l’égard de chacune des marques figurant au registre, plutôt qu’à l’égard des marques dans leur ensemble : Masterpiece aux para 42–48. Cependant, certains des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) pour guider l’analyse relative à la confusion peuvent être les mêmes pour chacune des marques de commerce en cause : Masterpiece au para 45. C’est le cas en l’espèce en ce qui concerne le caractère distinctif des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS de Blossman (puisque les mêmes marques sont opposées à chacune des marques de commerce déposées), le genre des services ou entreprises et la nature du commerce, ainsi que les allégations selon lesquelles il y a de la confusion réelle. Je vais examiner ces facteurs avant de passer à l’analyse relative à la confusion pour chacune des marques de commerce enregistrées en cause.
(ii)
Caractère distinctif inhérent et acquis des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS
[79] Je conclus que la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS possède un caractère distinctif inhérent, mais de façon modérée seulement. Le mot AUTOGAS décrit simplement les services qui sont offerts, de sorte qu’ALLIANCE est le principal élément distinctif de la marque de commerce. Comme AAP le note, le mot ALLIANCE est courant (tant en anglais qu’en français), et connote une union ou une association. Les marques basées sur de tels mots sont considérées comme ayant un caractère moins distinctif, et la portée de leur protection est plus restreinte que, par exemple, les mots inventés, particulièrement lorsque les mots courants sont évocateurs de biens ou de services : General Motors Corp c Bellows, [1949] RCS 678 à la p 691; Toys R Us (Canada) Ltd c Manjel Inc, 2003 CFPI 282 au para 36. Néanmoins, je ne souscris pas à l’observation d’AAP selon laquelle la marque de commerce n’a pas le moindre caractère distinctif. Le mot ALLIANCE peut évoquer un « réseau »
de concessionnaires de gaz propane, mais il n’est pas descriptif de ce réseau. Il n’est pas descriptif, ni même suggestif, des services de conversion de véhicules au gaz propane ni des services de ravitaillement de gaz propane.
[81] En ce qui concerne le caractère distinctif acquis, il y avait eu au moins un certain emploi des marques de commerce de Blossman au Canada entre mai et septembre 2014, comme il est écrit plus haut. Cependant, malgré le renvoi général de M. Hoffman à [traduction] « l’emploi continu, la promotion et la publicité partout au Canada »
, Blossman a fourni très peu d’éléments de preuve quant à la nature ou à la portée de cette publicité qui permettraient à la Cour de tirer des conclusions quant à la mesure dans laquelle les marques de commerce étaient connues au Canada. En même temps, la preuve montre qu’AAP elle-même non seulement connaissait l’existence d’Alliance AutoGas au point qu’elle a communiqué avec la société, mais encore considérait son association avec Alliance AutoGas comme étant une force pour faire connaître son entreprise auprès des consommateurs au Canada. Je conclus que la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et le dessin ALLIANCE AUTOGAS étaient connus au Canada au moins dans une certaine mesure, mais pas au point d’avoir un effet sur le caractère distinctif des marques de commerce pour les fins de l’analyse relative à la confusion.
(iii)
Le genre des services et de l’entreprise et la nature du commerce
[82] Comme il a été noté plus haut, les quatre marques de commerce déposées en cause ont été enregistrées pour emploi en liaison avec la même liste de services, qui appartiennent généralement à deux catégories : (i) des services liés à la vente, à l’installation et à l’entretien de systèmes de conversion au gaz propane; et (ii) des services liés à des stations de ravitaillement de gaz propane. Ces services énumérés dans les demandes d’enregistrement appartiennent directement à la même catégorie que ceux pour lesquels Blossman, par l’intermédiaire de ses licenciés, employait les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS au Canada avant qu’AAP ne les adopte. En particulier, avant les dates pertinentes, Blossman employait les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS par l’intermédiaire de ses licenciés canadiens en liaison avec des services de conversion de véhicules pour qu’ils fonctionnent au gaz propane et avec l’exploitation de stations de ravitaillement de gaz propane pour les véhicules fonctionnant au gaz propane.
[83] Pour ce qui est de la nature du commerce, la nature de l’entreprise de conversion de véhicule semble être plutôt différente de la nature de l’entreprise de ravitaillement. Convertir un véhicule à l’essence en véhicule fonctionnant au gaz propane ou hybride semble être une opération unique qui nécessite l’installation d’équipement, tandis que, selon la preuve, le ravitaillement d’un véhicule en gaz propane implique un processus et une expérience de consommateur semblable au ravitaillement en essence. Par conséquent, cette dernière activité consiste vraisemblablement en une opération beaucoup plus transitoire et courte. Cela dit, la Cour suprême a énoncé une mise en garde, c’est-à-dire que, bien que ces questions soient pertinentes, la confusion doit être basée sur la première impression qu’ont les consommateurs lorsqu’ils voient les marques en question : Masterpiece aux para 70–74. Dans les deux cas, les parties exercent leurs activités dans le même domaine en ce qui concerne les services de conversion de véhicules et les services de ravitaillement et elles offrent ces services aux mêmes consommateurs ou à des catégories de consommateurs qui se chevauchent, soit les exploitants de parcs de véhicules et les conducteurs de ces véhicules respectivement : Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 au para 86.
[84] Bien qu’elle offre les mêmes services, AAP tente d’établir une distinction entre son entreprise et celle de Blossman sur le fondement de son modèle d’affaires. En particulier, M. Grégoire affirme que les clients d’AAP peuvent utiliser une seule carte de membre pour obtenir du carburant ou des services des installations d’AAP partout au Québec, tandis que les différents membres du réseau Alliance AutoGas de Blossman vendent leur gaz propane de manière indépendante.
[85] À mon avis, ce modèle d’affaires n’est pas un facteur important lorsqu’il s’agit d’établir une distinction pour les besoins de l’examen de la validité de marques de commerce déposées, pour deux motifs. D’abord, l’analyse relative à la confusion porte sur les services inscrits dans l’enregistrement plutôt que sur les activités exercées en réalité par le propriétaire : Loi sur les marques de commerce, art 16(1); Mattel au para 53. Les enregistrements en cause ne limitent pas le modèle d’affaires par lequel les services sont offerts. Ensuite, même si la carte de membre unique peut être un avantage pour les clients d’AAP et présente le réseau d’AAP comme un réseau unifié, il n’y a aucun élément de preuve en ce sens sauf les affirmations générales de M. Grégoire que cette carte avait un effet fondamental sur le genre des services offerts aux consommateurs ou sur la façon dont le consommateur, particulièrement le consommateur « plutôt pressé »
, percevrait l’entreprise ou les marques de commerce.
(iv)
Autres circonstances
[87] Parmi les autres circonstances, Blossman fait valoir des éléments de preuve qui, selon elle, montrent des occurrences où il y a eu de la confusion réelle, soit (i) un échange de messages sur Facebook et deux questions affichées sur le site Web d’Alliance AutoGas par des consommateurs d’AAP faisant appel à Blossman/Alliance AutoGas parce qu’ils semblaient croire que les deux sociétés étaient liées et (ii) un courriel faisant état d’un appel téléphonique d’un consommateur de Halifax qui semblait croire que le logo sur un camion d’AAP appartenait à Alliance AutoGas. Blossman se fonde sur ces éléments de preuve pour l’analyse relative à la confusion de toutes les marques de commerce, faisant observer que des éléments de preuve montrant qu’il y a eu de la confusion réelle peuvent constituer des circonstances pertinentes étayant une conclusion de confusion : Christian Dior, SA c Dion Neckwear Ltd, 2002 CAF 29 au para 19; Mattel au para 55.
[88] Malgré les attaques d’AAP sur la force de ces éléments de preuve et l’incapacité de M. Hoffman de confirmer qu’il s’agissait bel et bien de consommateurs d’AAP, je reconnais que ces documents, en particulier les deux communications faites sur le site Web, montrent des occurrences où des consommateurs, entre 2018 et 2020, semblent avoir cru qu’Alliance AutoGas et AAP étaient liées. Cela dit, ces occurrences se sont produites bien après la date pertinente servant dans l’analyse relative à la confusion pour l’examen de la validité des marques et ne portent pas expressément sur les dessins-marques déposés en cause. Je ne leur accorde donc aucun poids en tant que circonstance dans l’analyse relative à la confusion à cette étape.
(v)
La marque ’034
[90] Je ne vois pas d’autres circonstances qui feraient contrepoids à ces facteurs. Au contraire, pour ce qui est de la partie de l’analyse portant sur les circonstances, le fait qu’AAP ait été titulaire d’une sous-licence de Blossman étayerait davantage la conclusion que le consommateur conclurait que les services offerts en liaison avec la marque ’034 provenaient de la même source que ceux offerts en liaison avec le dessin identique ALLIANCE AUTOGAS.
[91] AAP soutient qu’elle a été la première à employer le dessin ALLIANCE AUTOGAS au Canada et qu’elle a donc le droit d’en demander l’enregistrement. Cette affirmation, en plus de ne pas être la vérité, pour les motifs énoncés plus haut, est également inexacte sur le plan juridique. Comme AAP l’a elle-même affirmé, elle a employé le dessin ALLIANCE AUTOGAS au titre de la licence octroyée indirectement par Blossman, par l’intermédiaire de l’entente Blossman-Caledon et de l’entente Caledon-AAP. Un tel emploi profite à Blossman : Loi sur les marques de commerce, art 50(1).
[92] Il est bien établi en droit canadien des marques de commerce que le distributeur, le mandataire ou le licencié n’a pas le droit d’enregistrer les marques de commerce du concédant de licence sous son propre nom en se basant sur son emploi de la marque au titre de la licence : Citrus Growers aux pp 646–649; Ling Chi Medicine Co (HK) Ltd c Persaud, [1997] FCJ no 144 (CF) au para 17, conf sur ce point mais inf pour d’autres motifs Ling Chi (CAF) au para 3; Havana House (CF) aux para 48–60, conf sur ce point par Havana House (CAF) au para 3; Biker Rights Organization (Ontario) Inc c Sarnia-Lambton Bikers Rights Organization Incorporated, 2012 COMC 189 au para 12; AFD China Intellectual Property Law Office c AFD China Intellectual Property Law (USA) Office, Inc, 2017 COMC 30 aux para 33–34. C’est à tort qu’AAP se fonde sur le fait que Blossman a consenti à l’emploi au titre des ententes de licence et que ces ententes ne lui interdisent pas expressément d’enregistrer le dessin ALLIANCE AUTOGAS.
(vi)
La marque ’456
[94] La marque ’456 est représentée par des éléments graphiques, à savoir le motif de lettre A stylisée et le lettrage, ainsi que des éléments nominaux, à savoir les mots ALLIANCE AUTOPROPANE. Blossman ne s’oppose pas au motif de lettre A stylisée ni n’affirme qu’il crée de la confusion avec les éléments graphiques du dessin ALLIANCE AUTOGAS. En effet, le motif de lettre A stylisée, en soi, est visé par un autre enregistrement de marque de commerce détenu par AAP, soit LMC916,408 [la marque ’408], qui n’est pas contesté par Blossman. Cette dernière argumente plutôt que la marque ’456 crée de la confusion avec ses propres marques de commerce en raison des mots ALLIANCE AUTOPROPANE, à la lumière des autres éléments énumérés au paragraphe 6(5).
[95] Pour apprécier le degré de ressemblance entre deux marques, il faut certes examiner ces dernières de manière globale, mais il convient également de décider si l’un des aspects de la marque de commerce est « particulièrement frappant ou unique »
: Masterpiece au para 64. Ainsi, l’appréciation de la ressemblance fait intervenir la question du caractère distinctif et met l’accent sur les éléments particulièrement distinctifs de la marque de commerce : Masterpiece aux para 61–64.
[96] À mon avis, la marque ’456 possède deux aspects « frappants ou uniques »
, à savoir le motif de lettre A stylisée et le mot ALLIANCE. Je n’ajoute pas foi à la prétention que soulève AAP à l’égard de toutes ses marques, selon laquelle l’aspect « frappant ou unique »
des marques est le mot AUTOPROPANE. Selon moi, le consommateur ordinaire estimerait que ce mot décrit les services offerts en liaison avec la marque de commerce, et non qu’il s’agit d’un caractère distinctif de la marque. Je signale que ma constatation est confirmée par la preuve même d’AAP, à savoir son site Web qui décrit l’autopropane comme un type de propane servant de carburant pour véhicules (par exemple dans la partie du site Web intitulée « Avantages de l’autopropane »
) et le contre-interrogatoire de M. Grégoire, dans lequel il reconnaît que le terme « autogas »
est « probablement »
un synonyme d’autopropane. Autrement dit, pour le consommateur ordinaire, l’élément distinctif ou la « marque »
serait ALLIANCE, et les services offerts en liaison avec cette marque concernerait l’autopropane, et ce en anglais ou en français : Masterpiece au para 61.
[97] Je reconnais qu’en français, les mots ALLIANCE AUTOPROPANE pourraient être interprété comme voulant dire « [l’]alliance [d’]autopropane »
, le mot AUTOPROPANE agissant ainsi comme un adjectif décrivant l’alliance. Or, vu le contexte dans lequel il est présenté au sein de la marque ’456, et comme le mot AUTOPROPANE décrit les services offerts, je conclus que le consommateur ordinaire comprendrait que le mot ALLIANCE représente l’aspect distinctif de ces mots.
[98] Bien que la marque de commerce doive être évaluée telle qu’elle a été enregistrée, je signale que ma constatation me semble cohérent avec les documents et le site Web d’AAP, où « Alliance AutoPropane »
est présenté comme le nom de la société, tant en anglais qu’en français, et où le mot ALLIANCE n’agit pas comme un objet simplement descriptif. Au contraire, le terme « réseau »
(« network »
en anglais) décrit le groupe de détaillants de propane offrant des services sous la bannière de la marque de commerce, comme dans l’expression « Le réseau Alliance AutoPropane »
et, en anglais, «
the Alliance AutoPropane network »
.
[99] Pour les motifs décrits plus haut, j’estime que le mot ALLIANCE est également l’aspect frappant ou unique de la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS. Par conséquent, le mot ALLIANCE constitue l’aspect unique de la marque de commerce qui distingue un fournisseur de services d’autogaz des autres. Dans le dessin ALLIANCE AUTOGAS, le motif d’une flamme et d’une feuille constitue également un aspect frappant ou unique, mais le mot ALLIANCE conserve son aspect frappant et unique.
[100] Selon AAP, la clause 1(a) de l’entente Blossman-Caledon, reproduite au paragraphe
[18]
des présents motifs, signale que c’est le mot AUTOGAS qui constitue l’élément frappant des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS. Selon elle, le libellé de la clause de résiliation met l’accent sur le mot AUTOGAS et permet implicitement l’emploi du mot ALLIANCE après l’expiration de l’entente, à condition qu’il ne soit pas employé en liaison avec le mot AUTOGAS.
[101] Je ne suis pas d’accord. Mon interprétation de cette clause mène à la conclusion contraire. La clause 1(a) permet l’emploi du mot AUTOGAS après la résiliation de l’entente, qui est cohérent avec le fait que le mot « autogas »
est simplement un synonyme de propane employé comme carburant pour véhicule qui décrit les services. Toutefois, cette clause interdit au détenteur d’une licence d’employer ALLIANCE avec AUTOGAS et évoque le risque de confusion avec la marque de commerce (« ou tout autre mot semblable créant de la confusion avec celui-ci »
) seulement à l’égard du mot ALLIANCE. Il ressort de ce fait que les parties savaient que ALLIANCE constituait l’élément important et distinctif, et non pas AUTOGAS. En effet, à son contre-interrogatoire, M. Grégoire a reconnu et a compris qu’à l’expiration de l’entente, Blossman serait opposée à l’emploi par Caledon de toute marque semblable susceptible de créer de la confusion comportant le mot ALLIANCE. Si l’entente n’empêche pas le détenteur d’une licence d’employer le mot ALLIANCE en liaison avec un produit entièrement étranger à l’autopropane, l’on ne saurait croire qu’elle permet, expressément ou implicitement, l’emploi d’ALLIANCE en liaison avec des produits du propane destinés aux véhicules, en substituant le mot AUTOPROPANE pour le mot AUTOGAS.
[102] À la lumière des marques dans leur ensemble, notamment de leurs éléments frappants ou uniques, je conclus au’il y a un degré élevé de ressemblance entre la marque ’456 et la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS. Elles comportent toutes deux le mot ALLIANCE comme aspect distinctif ou frappant. La ressemblance entre les marques dans le son et les idées qu’elles suggèrent ne peut découler que des mots, car le motif de lettre A stylisée n’est pas prononcé. Même si les éléments graphiques, notamment le motif de lettre A stylisée qui est frappant, ne figurent pas dans la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS, à mon avis, la ressemblance générale découle des éléments nominaux, tout particulièrement vu leur importance dans la marque ’456. Dans l’ensemble, j’estime qu’il y a une forte ressemblance entre la marque ’456 et la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS.
[103] La ressemblance est atténuée si l’on compare la marque ’456 au dessin ALLIANCE AUTOGAS, en raison des divers éléments graphiques et des mots supplémentaires POWERED BY PROPANE. Or, vu l’importance des mots dans les marques de commerce, et de l’aspect frappant ALLIANCE en particulier, la ressemblance est néanmoins assez forte.
[104] AAP, dans ses observations, et M. Grégoire, au cours de son témoignage, avancent comme argument important qu’en dépit du fait qu’elles incluent toutes deux le mot ALLIANCE, ALLIANCE AUTOPROPANE et ALLIANCE AUTOGAS sont deux choses complètement différentes. Cette prétention est fondée en partie sur l’observation qu’AUTOGAS renvoie à d’autres gaz, comme le butane, et ce malgré l’absence de preuve à cet effet et malgré le fait que M. Grégoire avait reconnu que le mot AUTOGAS dans le dessin ALLIANCE AUTOGAS renvoyait à du propane. Je rejette cet argument. Étant donné l’importance du mot ALLIANCE, en tant qu’élément frappant ou unique, la ressemblance entre les mots ALLIANCE AUTOGAS et ALLIANCE AUTOPROPANE dans la présentation, le son et les idées qu’ils suggèrent est très grande. Même si en principe « autogas »
pourrait être plus général qu’« autopropane »
, il ne fait aucun doute que les deux mots sont très semblables, voire identiques, dans les idées qu’ils suggèrent. Je n’hésite pas à conclure qu’un consommateur ordinaire, à la vue des mots ALLIANCE AUTOPROPANE dans la marque ’456, s’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS, et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, conclurait qu’ils représentent la même source.
[105] Quant aux autres facteurs énumérés au paragraphe 6(5), j’estime que la marque ’456 a plus de caractère distinctif inhérent que la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS, vu les éléments graphiques, particulièrement le motif de lettre A stylisée, et autant de caractère distinctif inhérent que le dessin ALLIANCE AUTOGAS. La période d’usage – quoique légèrement plus courte que dans le cas de la marque ’034, compte tenu de l’adoption en mai 2013 – milite également en faveur de Blossman. La nature des services, de l’entreprise et du commerce est la même dans les deux cas, comme il est décrit plus haut.
[106] Dans l’analyse générale, la ressemblance entre les marques et les services appartenant à une même catégorie importe et mérite un certain poids dans les circonstances. Bien qu’il existe des éléments distinctive entre la marque ’456 et le dessinALLIANCE AUTOGAS et la marque ALLIANCE AUTOGAS, je suis d’avis que le consommateur ordinaire plutôt pressé qui n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce de Blossman croirait à la vue de la marque ’456 que les services offerts en liaison avec celle-ci sont offerts par le propriétaire des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS.
(vii)
La marque ’457
[107] En ce qui a trait à la marque ’457, le mot AUTOPROPANE prend beaucoup plus de place dans la configuration générale du dessin que le motif de lettre A stylisée et le mot ALLIANCE. Un autre élément y figure également, à savoir le slogan LE PLUS GRAND RÉSEAU D’AUTOPROPANIERS EN AMÉRIQUE, en petits caractères. La taille du mot AUTOPROPANE dans le dessin ou l’ajout d’un slogan changent-ils quelque chose à l’analyse énoncée plus haut quant aux éléments « particulièrement frappants ou uniques »
de la marque? Je ne le crois pas. Même s’il figure en grosses lettres dans la marque ’457, le mot AUTOPROPANE a simplement pour objet de décrire les services offerts. Le mot ALLIANCE constitue un élément unique ou distinctif de la marque en ce sens qu’il identifie le fournisseur en question des services liés à l’autopropane, et ce même s’il figure en lettres plus petites : Masterpiece aux para 61–64. Certes, les circonstances peuvent varier selon la marque examinée, mais, à mon avis, la taille des caractères ne constitue pas le seul aspect pertinent lorsqu’il s’agit de décider ce qui constitue un élément frappant ou unique d’une marque.
[108] Le slogan LE PLUS GRAND RÉSEAU D’AUTOPROPANIERS EN AMÉRIQUE est un élément qui permet d’établir une distinction d’avec la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et le dessin ALLIANCE AUTOGAS, et ce même s’il figure plus ou moins là où figure le slogan POWERED BY PROPANE dans le dessin ALLIANCE AUTOGAS. Cet élément linguistique réduit la ressemblance générale des marques de commerce. Toutefois, dans le cas en espèce, la nature du slogan même atténue cette distinction dans ce cas. Il s’agit là d’une circonstance pertinente, comme je l’explique ci-après.
[109] Les parties ont présenté des observations contraires sur la signification du slogan LE PLUS GRAND RÉSEAU D’AUTOPROPANIERS EN AMÉRIQUE. Selon Blossman, il s’agit sans contredit d’un renvoi à elle-même et au réseau Alliance AutoGas. Selon AAP, il s’agit seulement de son propre réseau.
[110] À mon avis, la preuve révèle que le slogan avait pour objet d’évoquer le réseau Alliance AutoGas et de souligner les liens avec cette dernière. C’est aussi la conclusion que tireraient les consommateurs. Comme je le signale plus haut, le slogan paraît pour la première fois au dossier dans la campagne de marketing « IMAGINONS... »
proposée par Soleil en décembre 2013. Ce document énumère parmi les « principales forces »
d’AAP son appartenance au vaste réseau nord-américain d’Alliance AutoGas, de même que l’ampleur du réseau de distribution. Ces aspects de l’« ADN »
d’AAP sont décrits comme les principaux éléments qui lui permettent de se démarquer et ont inspiré la création du slogan.
[111] AAP semble également avoir voulu présenter ainsi son slogan à des partenaires potentiels, comme le révèle un « Livre de la marque et des programmes »
qui date de 2015. Ce livret ciblait manifestement les détaillants de propane et les invitait à faire affaire avec AAP. Entre autres, ce livret pose la question « Qui est Alliance Autopropane? »
à laquelle il répond LE PLUS GRAND RÉSEAU D’AUTOPROPANIERS EN AMÉRIQUE, avec une explication qui mentionne le réseau Alliance AutoGas, présente une carte du Canada et des États-Unis qui illustre la présence d’Alliance AutoGas et révèle des statistiques sur le réseau montrant les partenaires d’Alliance AutoGas, les stations de ravitaillement et les clients. Ce lien est réitéré dans une section ultérieure du Livre de la marque et des programmes qui souligne les « messages clés »
.
[112] Pendant son contre-interrogatoire, M. Grégoire a affirmé que le slogan n’avait rien à voir avec Blossman, car AAP disposait en fait du réseau le plus important, si par « réseau »
on entend que quelqu’un puisse acheter du propane n’importe où au moyen d’une seule carte offrant une seule et même structure de facturation. À mon avis, la prétention de M. Grégoire n’est tout simplement pas crédible. Elle ne tient pas compte du libellé du slogan, du contexte du réseau d’Alliance AutoGas qui avait décerné une licence à AAP et des mentions dans les documents d’AAP. En outre, elle est fondée sur une définition tendue et idiosyncratique du terme « réseau »
.
[113] Au bout du compte, l’intention qui préside à l’adoption de la marque de commerce n’est guère pertinente : Mattel au para 90. C’est plutôt la perception du consommateur hypothétique qui importe, et les idées que la marque de commerce lui suggèrent. Au vu de la preuve au dossier, je suis d’avis qu’il est probable qu’en mai 2014, un consommateur moyen de services liés à l’autopropane énumérés dans l’enregistrement aurait associé les mots LE PLUS GRAND RÉSEAU D’AUTOPROPANIERS EN AMÉRIQUE à Alliance AutoGas, particulièrement s’ils accompagnent le nom ALLIANCE. Ainsi, si elle est examinée parmi les circonstances dont il faut tenir compte et dans l’analyse du degré de ressemblance, la distinction entre la marque ’457, d’une part, et la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et le dessin ALLIANCE AUTOGAS, d’autre part, susceptible de découler de l’ajout de ce slogan est atténuée.
[114] Étant donné ce qui précède, et en considération des marques de commerce dans leur ensemble en portant une attention particulière à leurs éléments frappants ou uniques, j’estime que le caractère unique du mot ALLIANCE dans la marque ’457, employé en liaison avec AUTOPROPANE ou son synonyme AUTOGAS, mène à la conclusion qu’il y a une ressemblance assez forte entre la marque ’457 et la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS ainsi qu’une ressemblance assez forte entre la marque ’457 et le dessin ALLIANCE AUTOGAS.
[115] Si l’on examine cette ressemblance à la lumière des autres facteurs énumérés au paragraphe 6(5) décrits plus haut, dont les services, commerce et entreprises appartenant à une même catégorie ainsi que du caractère distinctif inhérent aux marques et à l’usage antérieur de sa marque de commerce par Blossman, j’estime que la marque ’457 crée de la confusion avec la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et avec le dessin ALLIANCE AUTOGAS. Un consommateur ordinaire plutôt pressé qui n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce de Blossman, croirait à la vue de la marque ’457 que les services offerts en liaison avec celle-ci sont offerts par le propriétaire de la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et du dessin ALLIANCE AUTOGAS.
(viii)
La marque ’409
[116] S’il existe des différences graphiques entre la marque ’409 et la marque ’456, à mon avis l’analyse servant à décider si une marque crée de la confusion est sensiblement la même. La marque ’409 comporte les mots ALLIANCE et AUTOPROPRANE comme éléments importants, situés au centre de l’espace négatif octogonal créé par le motif d’une étoile à huit pointes. Pour les motifs énoncés dans l’analyse portant sur la marque ’456, je suis d’avis que le mot ALLIANCE et l’élément graphique de l’étoile sont des aspects frappants ou uniques de la marque. Il n’est donc pas nécessaire de répéter l’analyse qui précède. Pour essentiellement les mêmes motifs que ceux énoncés à l’égard de la marque ’456, je suis d’avis qu’au moment pertinent, soit en mai 2014, la marque ’409 créait de la confusion avec la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et le dessin ALLIANCE AUTOGAS, utilisés antérieurement par Blossman par l’entremise des détenteurs de licences.
(7)
Mauvaise foi
[117] L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide si la demande est produite de mauvaise foi : Loi sur les marques de commerce, art 18(1)e). Selon Blossman, AAP a produit la demande d’enregistrer la marque ’034 de mauvaise foi. Je signale que, si l’avis de demande de Blossman et l’affidavit de M. Hoffman mentionnent la mauvaise foi à l’égard de l’enregistrement de toutes les Marques AAP, dans son mémoire des faits et du droit et dans ses observations orales, Blossman n’a fait valoir l’invalidité sous le régime de l’alinéa 18(1)e) qu’à l’égard de la marque ’034.
[118] L’alinéa 18(1)e) est assez récent. Il est entré en vigueur le 13 décembre 2018 : Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, LC 2018, c 27, art 218. L’alinéa 38(2)a.1), qui dispose que la mauvaise foi peut aussi fonder l’opposition, a été adopté en même temps, mais est entré en vigueur six mois plus tard, soit en juin 2019 : Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, art 220.
[119] Bien que ces dispositions soient récentes, le concept de la mauvaise foi avait déjà servi à refuser l’enregistrement sous le régime de la Loi sur les marques de commerce, en application de l’alinéa 30i) de la Loi qui obligeait le demandeur à produire une déclaration suivant laquelle il avait le droit d’utilisation : voir, p. ex, Cerverceria Modelo, SA de CV c Marcon, [2008] COMC no 131, aux para 31–38; Julia Wine Inc c Les marques metro, SENC, 2016 CF 738, aux para 53–61; Levis c Golubev, 2019 COMC 100, aux para 31–35. Cette obligation a été supprimée de la Loi sur les marques de commerce en même temps que l’entrée en vigueur de l’alinéa 38(2)a.1) en juin 2019 : Loi no 1 sur le plan d’action économique de 2014, LC 2014, c 20, art 339. Néanmoins, notre Cour a reconnu la pertinence de la jurisprudence antérieure concernant la mauvaise foi dans le domaine des marques de commerce dans l’application de l’alinéa 18(1)e) : Norsteel, aux para 64–68.
[120] Comme le signale la Cour suprême du Canada, la notion de « mauvaise foi »
est flexible, et son contenu varie selon les domaines du droit : Entreprises Sibeca Inc c Frelighsburg (Municipalité), 2004 CSC 61, aux para 25–26; MT c J-YT, 2008 CSC 50, au para 26. Cette notion doit être interprétée dans le contexte en question. Elle n’appelle pas forcément une appréciation de la valeur morale ou la preuve d’une faute intentionnelle et peut être de nature économique : MT au para 26; Entreprises Sibeca au para 25, citant Finney c Barreau du Québec, 2004 CSC 36 au para 39.
[121] Dans le domaine des marques de commerce, la connaissance de droits existants et l’intention de porter préjudice à l’entreprise de celui qui les détient comptent notamment dans l’analyse de mauvaise foi, mais l’aveuglement volontaire ou le défaut de se renseigner sur les droits d’un concurrent, à eux seuls, n’emportent pas une conclusion de mauvaise foi : Advanced Purification Engineering Corporation (APEC Water Systems) c iSpring Water Systems, LLC, 2022 CF 388 aux para 54–56; Norsteel au para 75; Yiwu aux para 53–54.
[122] Les tribunaux ont trouvé de la mauvaise foi lorsqu’un demandeur souhaite enregistrer une marque connue pour profiter de sa réputation : Cerverceria Modelo aux para 31–36; Julia Wine aux para 54–57. On a également conclu à la mauvaise foi dans les cas où un distributeur ou un détenteur de licence, ou une entité affiliée, a tenté d’enregistrer les marques de commerce du propriétaire de la licence : Turbo-K Limited c Roselli Chemicals Inc, 2021 COMC 77 aux para 22–24; Akbar Brothers (pvt) Ltd c 1648074 Ontario Inc, 2021 COMC 62 aux para 23–30; Dixie Lee (Maritimes) Ltd c Dixie’s Pizza-Fried Chicken-Fish Inc, 2019 COMC 48 aux para 26–30; AFD China aux para 31–39; Suzhou Parsun Power Machine Co Limited c Western Import Manufacturing Distribution Group Limited, 2016 COMC 26 aux para 24–31; Itlas, SpA c Eurolegno Distribution inc, 2014 COMC 272 aux para 10–18. Dans Ling Chi (CAF), la Cour d’appel fédérale a indiqué que des mandataires qui avaient enregistré la marque de commerce du mandant en son propre nom sans l’avoir divulgué au mandant avaient « manifestement agi de mauvaise foi »
en continuant de « revendiquer une marque de commerce à laquelle ils n’avaient pas droit »
: Ling Chi (CAF) au para 3.
[123] En l’espèce, au moment de la demande d’enregistrement visant la marque ’034, AAP était titulaire d’une sous-licence de Blossman, ayant accepté les modalités de l’entente Blossman-Caledon. Aux termes de cette entente, (i) Blossman détenait le nom Alliance AutoGas en liaison avec la conversion au propane de véhicules à moteur et la vente et commercialisation de trousses de conversion au propane et d’accessoires; (ii) Blossman a indiqué et garanti qu’il était le seul propriétaire des noms commerciaux et marques décrits dans l’entente; et (iii) Caledon – et par extension AAP – avait le droit exclusif d’employer le nom et les marques Alliance AutoGas pendant la durée de l’entente, mais ce droit prenait fin dès la résiliation ou l’expiration de l’entente.
[124] En septembre 2014, soit au moment de la demande visant la marque ’034, AAP avait connaissance réelle du dessin ALLIANCE AUTOGAS de Blossman. Elle savait que Caledon détenait une licence l’autorisant à employer le dessin ALLIANCE AUTOGAS de Blossman. Elle savait qu’elle ne détenait qu’une sous-licence visant cette marque et n’en était pas la propriétaire. Elle savait qu’elle n’avait encore jamais employé cette marque en application de la licence. Elle savait aussi qu’elle avait accepté que ses droits d’utilisation de la marque prendraient fin en même temps que l’entente Blossman-Caledon et l’entente Caledon-AAP. Elle a néanmoins présenté une demande d’enregistrement du dessin ALLIANCE AUTOGAS à son nom, et ce sans avertir Blossman de ce fait. Dans de telles circonstances, je suis d’avis qu’AAP n’aurait pas pu présenter de manière raisonnable ni de bonne foi sa demande pour obtenir le droit exclusif d’utiliser la marque de commerce au Canada.
[125] AAP réplique que la preuve ne démontre pas qu’elle a fait fi des droits de Blossman ou fait preuve de mauvaise foi ou de l’intention de porter préjudice. En outre, elle affirme essentiellement que M. Grégoire croyait qu’AAP avait le droit d’enregistrer la marque en dépit de ce qui précède. La preuve à ce sujet est minime. L’affidavit de M. Grégoire n’aborde ni la connaissance ni la compréhension de ce dernier lorsqu’il a présenté la demande d’enregistrement à l’égard de la marque ’034. Il indique simplement qu’AAP a produit cette demande le même jour que les demandes visant les Marques AAP. Le fait que M. Grégoire a présenté la demande sans avertir Blossman contredit sa prétention qu’AAP a « toujours agi en toute transparence »
.
[126] Par conséquent, je suis d’avis qu’AAP a produit de mauvaise foi la demande d’enregistrement visant la marque ’034 et que cet enregistrement est donc aussi invalide en vertu de l’alinéa 18(1)e) de la Loi sur les marques de commerce. En outre, compte tenu de la demande produite de mauvaise foi, l’enregistrement de la marque ’034 n’était jamais valide, c’est-à-dire que l’enregistrement était invalide ab initio : Group III International Ltd c Travelway Group Internationl Ltd, 2020 CAF 210 aux para 36–37 [Group III (2020)], autorisation de pourvoi à la CSC rejetée, 2021 CanLII 91645. Je conviens avec Blossman que même si cette jurisprudence ne porte pas sur l’alinéa 18(1)e) de la Loi sur les marques de commerce, puisque cette disposition n’était pas alors en vigueur, les remarques de la Cour d’appel sur la mauvaise foi s’appliquent tout autant à une conclusion d’invalidité sous le régime de cette disposition.
[127] De surcroît, je fais remarquer que les conclusions qui précèdent sont cohérentes avec l’approche de l’Union européenne et du Royaume-Uni envers la mauvaise foi, où elle est un motif pour l’invalidité depuis des décennies. Bien que le concept de la mauvaise foi n’est pas forcément identique sous le régime de la Loi sur les marques de commerce au Canada et sous celui applicable aux marques de commerce d’autres juridictions, l’expérience de ces dernières en la matière a de la valeur : David Vaver, «
Good Faith in Canadian Trademark Applications »
(2020), 33 IPJ 1 aux p 2–3, 7–12.
[128] Le juge Arnold, alors à la Division de la chancellerie de la Haute Cour de justice, a récemment résumé les six principes qui régissent le concept de la mauvaise foi au sein de l’UE et du R.-U : (1) la bonne foi se présume, à moins de preuve du contraire selon la prépondérance des probabilités; (2) la mauvaise foi découle non seulement de la malhonnêteté, mais aussi de [traduction] « certains rapports qui ne respectent pas les normes de comportement acceptables en affaires selon des personnes raisonnables ayant de l’expérience du secteur en question »
; (3) le motif d’invalidité fondé sur la mauvaise foi a pour objet de prévenir les abus dans le système des marques de commerce, à l’égard du bureau d’enregistrement des marques ou de tiers; (4) l’analyse servant à déterminer s’il y a mauvaise foi tient compte de tous les facteurs pertinents dans l’affaire en question; (5) le tribunal judiciaire ou administratif est appelé à déterminer ce que le demandeur savait et à ensuite décider si, à la lumière de cette connaissance, la conduite de ce dernier était malhonnête ou ne respectaient pas les normes de comportement acceptables en affaires, selon la norme ordinaire de la personne honnête et non aux yeux du demandeur; et (6) il faut tenir compte de l’intention du demandeur : Walton International Ltd v Verweij Fashion BV, [2018] EWHC 1608 (Ch) au para 186, citant Red Bull GmbH v Sun Mark Ltd, [2012] EWHC 1929 (Ch) aux para 130–138.
[129] Si la mauvaise foi s’entend notamment d’une « conduite qui ne respecte pas les normes acceptables de comportement en affaires »
, à mon avis, la tentative d’un détenteur de licence d’enregistrer la marque de commerce du concédant tombe sous le coup de ce concept, tout particulièrement à la lumière de la jurisprudence canadienne en la matière. En procédant à l’analyse suivant une norme objective plutôt que suivant la croyance subjective du demandeur quant à ses propres droits, on empêche ce dernier de s’appuyer sur, entre autres, son ignorance de la loi, qui ne justifie pas généralement une inconduite : Driving Alternative Inc c Keyz Thankz Inc, 2014 CF 559 au para 70; voir aussi AFD China aux para 36 à 39.
(8)
Caractère distinctif
[130] Selon Blossman, l’enregistrement est également invalide, car les quatres marques de commerce n’étaient pas distinctives. Lorsqu’il s’agit de déterminer si un enregistrement est invalide, l’évaluation du caractère distinctif est effectué à la date du début de l’instance, en l’occurrence le 5 octobre 2020 : Loi sur les marques de commerce, art 18(1)b).
[131] Le caractère distinctif ressort des faits. Pour être distinctive, une marque de commerce doit répondre aux trois critères suivants : (1) il existe une association entre la marque de commerce et les biens (ou les services); (2) le propriétaire de la marque emploie cette association dans la fabrication et la vente de ses biens (ou l’offre et l’exécution de ses services); et (3) cette association permet au propriétaire de la marque de distinguer ses biens (ou services) de ceux d’autrui : Bodum USA, Inc c Meyer Housewares Canada Inc, 2012 CF 1450 au para 117, conf. par 2013 CAF 240 aux para 3, 5. Outre les questions traitant de la description et de l’emploi de termes généraux qui ont été soulevées dans l’affaire Bodum, le troisième critère évoque la confusion, car une marque qui crée de la confusion quant à la source de biens ou services ne saurait permettre à son propriétaire de distinguer ses biens ou services de ceux d’autrui : Yiwu au para 32; 8073902 Canada Inc c Vardy, 2019 CF 743 au para 79.
[132] Les arguments de Blossman relatifs à la confusion dans l’analyse du caractère distinctif, et les arguments soulevés en réponse par AAP, reprennent ceux qu’elles ont invoqués pour les fins de l’analyse du droit à l’enregistrement. Je suis d’accord que l’analyse dans l’ensemble et l’issue sont les mêmes, bien qu’il y ait certaines distinctions attribuables aux différentes dates pertinentes.
[133] Particulièrement, je signale qu’il n’y a pas de différence quant au caractère distinctif inhérent des marques ou au degré de ressemblance, que l’on procède à l’analyse en mai 2014, septembre 2014 ou octobre 2020. En outre, rien ne laisse croire que la nature des services, de l’entreprise ou du commerce ait changé sensiblement entre ces dates.
[134] En ce qui a trait au caractère distinctif acquis, il est possible que chacune des marques soit devenue connue au Canada dans une certaine mesure par octobre 2020. Pendant la durée de l’entente Blossman-Caledon et de l’entente Caledon-AAP, ce caractère distinctif aurait profité à Blossman. Après la fin de ces ententes, on peut dire que le caractère distinctif profite à AAP, particulièrement à l’égard de ses marques AAP. Le dossier ne donne guère de renseignements sur l’ampleur de l’association entre les Marques AAP et AAP entre 2016 et 2020, outre quelques données sur les revenus d’AAP. Blossman a produit encore moins d’éléments de preuve sur l’emploi par les détenteurs de licences, dont Superior Propane et Canwest, au cours de cette période.
[135] La durée de l’emploi, quant à elle, était supérieure en 2020 par rapport à 2014 pour chaque partie. Toutefois, Blossman demeurait l’ancien utilisateur dans chaque cas. Il convient de souligner à nouveau que l’emploi pendant la période visée par la licence lui aurait profité.
[136] Quant aux autres circonstances, je fais remarquer plus haut que les exemples de confusion entre 2018 et 2020 présentés par Blossman n’avaient aucun poids dans l’analyse visant 2014. Ils ont plus de poids en 2020 et tendent à confirmer la probabilité de confusion.
[137] À la lumière de ces changements dans les facteurs dont il faut tenir compte dans l’analyse visant à déterminer s’il y a eu confusion ainsi que des facteurs qui demeurent inchangés, je suis d’avis que la différence dans les dates pertinentes n’a pas pour effet de modifier l’analyse de façon significative. Mes conclusions ultimes quant à la confusion entre d’une part les quatre marques de commerce déposées et d’autre part la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et le dessin ALLIANCE AUTOGAS ne changent pas non plus. J’estime que les quatre marques de commerce enregistrées n’étaient pas distinctives d’AAP à l’époque où la présente instance a été intentée et que leur enregistrement est invalide sous le régime de l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur les marques de commerce.
(9)
Conclusion sur la validité
[138] Sur le fondement de ce qui précède, je conclus que la marques ’034, la marque ’456, la marque ’457 et la marque ’409, à la première de deux dates, soit la date de la demande, soit la date où de premier emploi, créaient de la confusion avec au moins une marque de commerce que Blossman employait au Canada antérieurement par l’entremise des détenteurs de ses licences. Par conséquent, AAP n’avait pas le droit d’enregistrer ces marques; l’enregistrement des marques de commerce est donc invalide : Loi sur les marques de commerce, arts 16(1)a), 18(1)d). Je conclus également que l’enregistrement de ces marques est invalide suivant l’alinéa 18(1)b), car elles ne sont pas distinctives. En outre, je conclus que l’enregistrement de la marque ’034 est invalide suivant l’alinéa 18(1)e), la demande d’enregistrement ayant été produite de mauvaise foi.
[139] Par conséquent, les enregistrements sont invalides. Je rendrai l’ordonnance prévue à l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce pour faire radier les inscriptions du registre des marques de commerce, au motif qu’elles n’expriment pas ou ne définissent pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit des marques de commerce.
B.
Commercialisation trompeuse
[140] Selon Blossman, AAP a procédé à la commercialisation trompeuse, c’est-à-dire qu’elle a appelé l’attention du public sur ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses services ou son entretprise et ceux de Blossman : Loi sur les marques de commerce, art 7b). Les prétentions de Blossman concernent l’usage par AAP de la marque ’034, du nom commercial ALLIANCE AUTOPROPANE, des Marques AAP et du nom de domaine allianceautopropane.com.
[141] Les parties conviennent que, pour établir la commercialisation trompeuse au titre de l’alinéa 7b), il faut démontrer (1) l’existence d’un achalandage rattaché aux marques de commerce du demandeur; (2) la déception du public attribuable à la représentation trompeuse et (3) des dommages actuels ou possibles pour le demandeur : Kirkbi AG c Gestions Ritvik Inc, 2005 CSC 65 au para 66; Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2019 CAF 295 [Hamdard Trust (2019)] au para 38. En outre, vu les limites constitutionnelles de l’alinéa 7b), le demandeur est tenu de démontrer qu’il détenait une marque valide et opposable, déposée ou non, au moment où le défendeur a commencé à appeler l’attention du public sur ses propres biens ou services : Hamdard Trust (2019) au para 39.
[142] Avant d’aborder ces éléments, examinons deux moyens de défense potentiels à l’argument de commercialisation trompeuse invoqué par Blossman, à savoir (1) le délai de prescription applicable et (2) les marques de commerce déposées dont j’ai jugé l’enregistrement invalide.
(1)
Délai de prescription
[143] Devant cette Cour, les délais de prescription en vigueur dans la province s’appliquent « à toute instance [. . .] dont le fait générateur est survenu dans cette province »
, tandis qu’un délai de prescription de six ans s’applique à l’instance « à compter du fait générateur lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province »
: Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, arts 39(1)–(2). AAP affirme qu’elle offre des services au Québec seulement et que tous ses actes se sont survenus au Québec. Renvoyant à l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Markevich, elle soutient que le fait générateur ₋ à savoir la commercialisation trompeuse invoquée par Blossman ₋ « est survenu »
au Québec et que le délai de prescription de trois ans en vigueur dans cette province s’applique : Markevich c Canada, 2003 CSC 9 au para 27; Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art 2925. Blossman rétorque qu’il s’agit de l’achalandage qui lui est rattaché non seulement au Québec, mais également dans d’autres provinces, notamment l’Ontario. Elle ajoute qu’elle a produit une preuve de confusion créée hors-Québec et que des dommages ont été causés à sa marque de commerce dans l’ensemble du pays. Ainsi, selon elle, le délai de prescription de six ans prévu au paragraphe 39(2) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique dans la présente instance, car le fait générateur « n’est pas survenu dans une province »
.
[144] Je suis d’accord avec Blossman. Cependant, comme il est indiqué ci-après, je suis d’avis que le délai de prescription n’affecte pas les réparations de manière significative.
[145] Dans l’arrêt Markevich, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada arrivent à la conclusion que le délai de prescription de six ans applicable aux instances en recouvrement intentées par l’administration fédérale en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) s’applique, puisque les dettes fiscales découlent d’une loi fédérale, la dette peut découler d’un revenu gagné dans plus d’une province ou dans un autre pays et il s’agit d’une dette envers la Couronne fédérale, qui n’est située dans aucune province : Markevich au para 39. Dans la même ligne d’idées, notre Cour reconnaît que la nature fédérale des droits prévus à la Loi sur les marques de commerce, l’endroit où le demandeur a subi des dommages et le lieu des faits servent à déterminer le délai de prescription applicable : Driving Alternative aux para 28–32, citant Canada c Maritime Group (Canada) Inc, [1995] 3 CF 124 (CA) et Kirkbi AG c Ritvik Holding Inc, 2002 CFPI 585 au para 161, conf par 2003 CAF 297, conf par 2005 CSC 65.
[146] En l’espèce, Blossman affirme que l’achalandage rattaché à la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et le dessin ALLIANCE AUTOGAS déborde le Québec et que les actes d’AAP qui constituent de la commercialisation trompeuse y ont causé des dommages. Vu ma conclusion ci-après, selon laquelle Blossman a démontré l’existence de l’achalandage et de dommages qui débordent le Québec, je suis d’avis que le délai de prescription de six ans prévu au paragraphe 39(2) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique. Puisque la conduite reprochée a commencé en juin 2016 au moment de l’expiration des ententes de licences et que la présente demande a été intentée en octobre 2020, le délai de prescription n’agit pas comme limite à une action pour commercialisation trompeuse.
[147] Quoi qu’il en soit, et contrairement aux prétentions d’AAP, même si le délai de prescription de trois ans était applicable, Blossman pourrait néanmoins être indemnisée pour la conduite d’AAP, quoique seulement depuis octobre 2017, et non pas entre juin 2016 et octobre 2017. L’application d’un tel délai ne ferait pas obstacle à la demande pour la période complète et n’empêcherait pas Blossman d’obtenir une injonction pour interdire toute commercialisation trompeuse future : Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2021 CF 602 [Hamdard Trust (2021)] aux para 3, 30, 32, 106; Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2016 CAF 69 [Hamdard Trust (2016)] au para 10; Royal Conservatory of Music c Macintosh (Novus Via Music Group Inc), 2016 CF 929 aux para 90, 123; Wall v Horn Abbot Ltd, 2007 NSSC 197 aux para 452–456, 474.
(2)
Marques de commerce déposées comme moyen de défense opposable à la commercialisation trompeuse
[148] La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que (a) la conclusion quant à l’invalidité au titre des alinéas 18(1)b) et d) de la Loi sur les marques de commerce n’invalide pas l’enregistrement ab initio en l’absence d’une conclusion de fraude, de fausse déclaration intentionnelle ou de mauvaise foi; et (b) une marque de commerce déposée constitue un moyen de défense complet à l’encontre d’une action pour commercialisation trompeuse, faisant obstacle à l’octroi de dommages-intérêts ou à la restitution des profits pour la période antérieure à la déclaration d’invalidité : Group III (2020) aux para 35–39, 45–47; Molson Canada v Oland Breweries Ltd/Les Brasseries Oland Ltée, 2002 CanLII 44947 (ONCA) aux para 2, 12–16; Remo Imports Ltd v Jaguar Cars Ltd, 2007 CAF 258 aux para 106–114, 123 [Remo (CAF)]; Concierge Connection Inc c Venngo Inc, 2015 CAF 215 au para 2.
[149] Je conclus plus haut que l’enregistrement des Marques AAP était invalide au titre des alinéas 18(1)b) et d). Toutefois, je ne conclus pas, et Blossman n’a pas demandé à la Cour de conclure, qu’il était invalide pour cause de mauvaise foi, qui aurait voulu dire qu’il serait invalide ab initio. Blossman n’a pas demandé à la Cour de tirer une telle conclusion. Par conséquent, les Marques AAP constituent une défense complète à l’encontre des allégations de commercialisation trompeuse pour emploi des marques avant la date du jugement.
[150] Pour être visée par le moyen de défense, la marque de commerce doit être employée essentiellement de la manière dont elle a été enregistrée, c’est-à-dire sans différence substantielle entre la marque déposée et la marque employée : Remo (CAF) au para 111, citant Jonathan Boutique Pour Hommes Inc c Jay Gur International Inc, 2003 CFPI 106 aux para 4, 6; Malboro Canada Limited c Philip Morris Products SA, 2012 CAF 201 au para 103. Le gros de la conduite reprochée, dont les affiches installées aux stations de ravitaillement et l’emploi dans le site Web d’AAP, concerne les Marques AAP employées exactement de la manière dont elles ont été enregistrées. En outre, je suis d’avis que l’emploi par AAP du nom ALLIANCE AUTOPROPANE, comme marque de commerce, nom commercial ou encore dans le nom de domaine allianceautopropane.com, correspond essentiellement à un emploi de la marque ’456 et de la marque ’409 comme elles sont déposées. Bien que les marques déposées comportent des éléments graphiques, les mots ALLIANCE AUTOPROPANE sont prédominants. Je suis donc d’avis que l’emploi des mots ALLIANCE AUTOPROPANE constitue un emploi des éléments essentiels de la marque ’456 et de la marque ’409 : Caterpillar au para 101; Ridout & Maybee au para 10; Jonathan aux para 4– 5. Je note que j’arrive à la même conclusion en ce qui a trait aux marques de commerce de Blossman, concluant que l’emploi du dessin ALLIANCE AUTOGAS constituait également un emploi de la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et les arguments de Blossman en lien avec l’invalidité de l’enregistrement de la marque étaient fondés sur la thèse selon laquelle les mots ALLIANCE AUTOPROPANE est l’aspect déterminant des marques.
[151] Par conséquent, je suis d’avis que Blossman n’a pas droit aux dommages-intérêts ou à la restitution des profits pour commercialisation trompeuse découlant de l’emploi par AAP des divers marques de commerce et noms ALLIANCE AUTOPROPANE jusqu’à la date du présent jugement.
[152] Il reste deux questions, à savoir (i) les allégations, soulevés par Blossman, quant à la commercialisation trompeuse découlant de l’emploi par AAP du dessin ALLIANCE AUTOGAS à l’encontre desquelles l’enregistrement de mauvaise foi de la marque ’034 n’est pas opposable en défense et (ii) la demande présentée par Blossman en vue d’obtenir une injonction visant à interdire l’emploi futur du nom et des marques de commerce ALLIANCE AUTOPROPANE, y compris les Marques AAP.
(3)
Blossman a établi la commercialisation trompeuse par AAP à cause de l’emploi du dessin ALLIANCE AUTOGAS
[153] Je suis d’avis que Blossman a démontré que l’emploi par AAP du dessin ALLIANCE AUTOGAS équivalait à de la commercialisation trompeuse.
[154] L’analyse doit porter sur la date à laquelle AAP a commencé à appeler l’attention du public sur ses services au moyen du dessin ALLIANCE AUTOGAS : Loi sur les marques de commerce, art 7b); Badawy c Igras 2019 CAF 153 au para 9; Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2018 CF 1039 au para 30, inf. en partie pour d’autres motifs, Hamdard Trust (2019). En l’espèce, comme il est indiqué plus haut, AAP a employé pour la première fois le dessin ALLIANCE AUTOGAS en avril 2015 sur son site Web. Cependant, cet usage ainsi que tout autre était protégé jusqu’en juin 2016 par l’entente de sous-licence conclue avec Caledon. Comme il est indiqué plus haut, un tel emploi profitait à Blossman et avait le même effet que l’emploi par cette dernière : Loi sur les marques de commerce, art 50(1). À mon avis, la date pertinente pour l’analyse est celle à laquelle AAP a commencé à attirer l’attention du public à ses propres services au moyen du dessin ALLIANCE AUTOGAS, plutôt qu’à titre de détentrice d’une licence, c’est-à-dire la date de la résiliation des ententes de licence, le 14 juin 2016.
[155] Je suis satisfait que Blossman a démontré qu’elle avait une marque de commerce valide non déposée et un achalandage à protéger à l’égard de la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et du dessin ALLIANCE AUTOGAS à cette date. Pour déterminer l’existence d’une réputation ou d’un achalandage en matière de commercialisation trompeuse, les facteurs comme le caractère distinctif inhérent, le caractère distinctif acquis, la durée de l’emploi, les ventes, l’étendue de la commercialisation et la copie intentionnelle sont pertinents : Hamdard Trust (2019) au para 48.
[156] Je traite plus haut du caractère distinctif inhérent de la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et du dessin ALLIANCE AUTOGAS. Je traite également de la preuve produite par Blossman sur son emploi par l’intermédiaire de ses détentrices de sous-licences Caledon et Canwest avant septembre 2014 et jusqu’en 2016. En outre, d’avril 2015 à juin 2016, l’emploi par AAP du dessin ALLIANCE AUTOGAS au Québec, ainsi que l’achalandage découlant de cet emploi profitaient à Blossman. Bien qu’il y ait peu de preuve au sujet de l’ampleur et de la nature de cet emploi par AAP, il semble à tout le moins qu’AAP ait fait usage du dessin ALLIANCE AUTOGAS (i) dans son site Web; (ii) dans la signature de courriels en liaison avec la marque ’456; et (iii) dans les affiches à au moins certaines stations de ravitaillement. Les données financières produites par AAP portent sur les ventes, mais il n’y a aucune preuve, y compris le contre-interrogatoire de M. Grégoire, qui indique que les revenus découlaient de ventes en liaison avec le dessin ALLIANCE AUTOGAS en particulier. Comme je l’indique plus haut, Blossman a déposé peu de renseignements sur les ventes effectuées par les autres détenteurs de licences ou l’ampleur de sa commercialisation.
[157] Je conclus que le fait qu’AAP a copié exactement et adopté de façon intentionelle le dessin ALLIANCE AUTOGAS démontre l’existence d’achalandage : Hamdard Trust (2019) aux para 48, 52. Il ne fait aucun doute qu’AAP avait conclu à la valeur du dessin ALLIANCE AUTOGAS au Québec quand elle a obtenu une licence et quand elle a continué de faire usage de la marque de commerce après l’expiration de la licence; cela laisse entendre l’existence de l’achalandage. Il convient de rappeler que son association avec Blossman et avec Alliance AutoGas était vue comme une force au moment où AAP lançait son entreprise auprès de clients canadiens au Québec. La seule conclusion possible est qu’AAP a jugé bon de souligner ces rapports, notamment par l’emploi du dessin ALLIANCE AUTOGAS, en raison de l’existence en 2013 de l’achalandage, qui, en 2016, ne pouvait que s’être accru. Cette conclusion est étayée davantage par le fait qu’AAP a jugé bon de continuer à faire usage du dessin ALLIANCE AUTOGAS jusqu’en 2019 au moins, voire en 2021 dans certains cas, et ce même après les demandes de cessation expresses de Blossman en 2016 et 2018.
[158] Outre l’achalandage découlant de l’usage au Canada, l’achalandage est susceptible de découler de la réputation au Canada en liaison avec une marque employée à l’étranger : Hamdard Trust (2016) aux para 25–26; Target Brands, Inc c Fairweather Ltd, 2011 CF 758 aux para 30, 39; toutes deux citant Orkin Exterminating Co Inc v Pestco Co of Canada Ltd et al, 1985 CanLII 157 (ON CA). Comme il ressort de la preuve de M. Hoffman, Blossman avait employé la marque ALLIANCE AUTOGAS et le dessin ALLIANCE AUTOGAS aux États-Unis depuis 2009 et Alliance AutoGas était devenue, en 2016, un consortium de 98 membres, offrant des services de carburant et de conversion de véhicules. Je suis convaincu, à la lumière de l’ampleur et de la nature de cet emploi ainsi que de la nature de ce secteur, y compris les déplacements transfrontaliers de véhicules mentionnés par M. Hoffman, qu’un achalandage supplémentaire devant être protégé découlait de la réputation au Canada des marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS employées aux États-Unis par Blossman.
[159] Le second critère permettant d’établir la commercialisation trompeuse, à savoir tromper le public en raison d’une présentation erronnée, peut être démontré par l’emploi d’une marque de commerce qui crée de la confusion : Hamdard Trust (2016) au para 21. Pour les motifs indiqués plus haut aux paragraphes
[80]
à
[93]
, je suis d’avis que l’emploi par AAP du dessin ALLIANCE AUTOGAS créait de la confusion avec la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et le dessin ALLIANCE AUTOGAS de Blossman. Le temps écoulé entre septembre 2014 et juin 2016 ne ferait qu’accroître la probabilité de confusion, tout comme l’emploi actuel par AAP d’une marque de commerce arborant les mêmes couleurs que celle de Blossman.
[160] En ce qui a trait à l’obligation de démontrer des dommages réels ou éventuels, rappelons qu’en matière de commercialisation trompeuse, les dommages ne sauraient être présumés; ils doivent être démontrés : Cheung c Target Event Production Ltd, 2010 CAF 255 au para 24; Nissan Canada Inc c BMW Canada Inc, 2007 CAF 255 au para 35. Toutefois, pour démontrer les dommages, il n’est pas nécessaire d’établir une perte financière précise découlant par exemple d’une certaine vente perdue. La preuve de la perte de contrôle sur sa marque suffit pour que le troisième volet du critère relatif à la commercialisation trompeuse soit satisfait : Cheung aux para 26–28; Hamdard Trust (2016) au para 31. La Cour d’appel fédérale fait également observer que la probabilité de pertes de ventes et d’affaires peut être inférée de l’emploi de marques qui créent de la confusion par des concurrents directs présents dans le même marché : Group III (2017) au para 84. Bien que la Cour d’appel indique par la suite que sa conclusion, en 2017, quant à la commercialisation trompeuse ne saurait faire jurisprudence, il semble que cette détermination visait l’existence d’une marque de commerce déposée opposable en défense, non pas son analyse des éléments constitutifs de la commercialisation trompeuse : Group III (2020) au para 47.
[161] En l’espèce, la preuve montre qu’AAP a continué à employer le dessin ALLIANCE AUTOGAS après l’expiration de son droit à cet emploi en 2016. Comme il est expliqué ci-après, je suis convaincu qu’une partie de ses ventes, même si leur valeur est difficile à apprécier avec précision, est attribuable à l’emploi de cette marque de commerce. Un tel emploi sans licence a également nui à la capacité de Blossman de contrôler sa marque de commerce. Par conséquent, je suis d’avis que Blossman a satisfait au troisième volet du critère relatif à la commercialisation trompeuse.
(4)
Commercialisation trompeuse découlant de l’emploi futur des Marques AAP et ALLIANCE AUTOPROPANE
[162] Bien que les enregistrements des Marques AAP fournissent une défense complète à l’encontre des allégations de commercialisation trompeuse avancées par Blossman jusqu’à la date du présent jugement, je conclus qu’ils ne sont pas valides et doivent être radiés du registre. Cette conclusion m’empêche-t-elle de procéder à une analyse relative à la commercialisation trompeuse des Marques AAP pour décider de l’opportunité d’une injonction?
[163] Dans l’arrêt Group III (2020), la Cour d’appel fédérale confirme que l’existence d’un enregistrement fait ordinairement obstacle à l’octroi de dommages-intérêts pour violation ou commercialisation trompeuse à l’égard de la période qui précède la radiation de l’enregistrement, même si elle accorde néanmoins l’indemnisation pour commercialisation trompeuse étant donné les circonstances inhabituelles de l’affaire et l’application du principe de la chose jugée : Group III (2020) aux para 6–7, 32–34, 38–39, 46–48. Toutefois, la Cour d’appel n’exprime pas de tels soucis quant à l’injonction permanente, qui avait été prononcée en 2017 afin d’assurer que la violation ne se reproduise pas : Group III (2017) aux para 90 à 91; Group III (2020) aux para 4 et 30. De même, dans l’arrêt Remo (CAF), même si la Cour d’appel fédérale est d’avis que les dommages-intérêts n’auraient pas dus être accordés à l’égard de la période antérieure à la radiation des enregistrements, elle confirme l’injonction interdisant l’emploi futur des marques : Remo (CAF) aux para 3 à 5, 77, 111 à 114 et 122. Ces exemples, tirés de la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale et qui portent sur les réparations à accorder par suite d’un enregistrement invalide, laissent entendre qu’il est possible dans ces cas de prononcer une injonction.
[164] Cette conclusion a également une valeur pratique. S’il en était autrement, la Cour ne pourrait pas déterminer si l’emploi après la date du jugement équivaut à une commercialisation trompeuse devant faire l’objet d’une injonction. Les parties seraient alors contraintes de saisir à nouveau la Cour des mêmes questions ₋ ou de questions semblables ₋ et de lui présenter la même preuve ou presque. Une telle démarche nuirait à l’instruction efficace des litiges.
[165] Il faut ensuite déterminer la date devant servir à la Cour dans l’analyse de l’opportunité d’une injonction interdisant tout emploi futur pour empêcher la commercialisation trompeuse. Comme il est signalé plus haut, l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce renvoie à un moment où le défendeur a commencé à appeler l’attention du public sur ses produits, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion. Pour les motifs énoncés plus haut, cette date correspond en l’espèce au 14 juin 2016, vu l’entente de licence en vigueur à l’époque. Cependant, dans l’arrêt Alticor, la Cour d’appel fédérale indique que c’est la date de l’audience qui compte dans l’analyse de la confusion en vue de déterminer l’opportunité d’une injonction, du moins dans le cas d’une violation d’une marque de commerce. Or, elle reconnaît qu’il n’y a « pas de règle absolue pour ce qui concerne la date pertinente »
: Alticor Inc c Nutravite Pharmaceuticals Inc, 2005 CAF 269 aux para 14 à 16.
[166] Bien que la date de l’audience semble convenir pour les motifs exprimés dans l’arrêt Alticor, et étant donné que l’injonction est une réparation prospective issue de l’equity, la date particulière n’est pas matérielle en l’espèce, car j’arrive à la même conclusion quant à l’existence d’un achalandage et de la confusion, que la date pertinente soit le 14 juin 2016 ou la date de l’audience (ou, même, mai 2013).
[167] J’explique plus haut ma conclusion selon laquelle Blossman avait un achalandage à protéger à l’égard de la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et du dessin ALLIANCE AUTOGAS le 14 juin 2016. Comme les mêmes marques de commerce sont opposables à l’emploi par AAP des Marques AAP, cette explication est autant vraie dans ce contexte. Rien ne permet de croire que l’achalandage à l’égard de ces marques se serait évaporé entre juin 2016 et la date de l’audience. Au contraire, selon la preuve de M. Hoffman, quoique limitée sur ce point, les détenteurs de licences de Blossman continuent d’employer la marque de commerce au Canada.
[168] Mes conclusions quant à la possibilité de confusion entre les Marques AAP et la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et le dessin ALLIANCE AUTOGAS en ce qui concerne la date de premier usage (pour les fins du droit à l’enregistrement) et la date où l’instance a été intentée (pour les fins du caractère distinctif) s’appliquent de même en ce qui concerne la date de l’audience. Pour les mêmes motifs, je conclus que l’emploi continu des Marques AAP créerait de la confusion au Canada avec la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et le dessin ALLIANCE AUTOGAS. Je conclus également que cette confusion continue causerait des dommages de la nature de ceux décrits plus haut quant à l’emploi par AAP du dessin ALLIANCE AUTOGAS, dont la perte de contrôle sur les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS. Ces conclusions s’appliquent également à l’usage de la marque de commerce et du nom commercial ALLIANCE AUTOPROPANE sans les éléments graphiques qui figurent dans les Marques AAP.
[169] Par conséquent, j’estime que l’emploi continu des Marques AAP et/ou du nom commercial ou de la marque de commerce ALLIANCE AUTOPROPANE équivaudrait à de la commercialisation trompeuse. Une réparation peut être accordée en date du présent jugement invalidant l’enregistrement des Marques AAP, notamment sous la forme d’une injonction permanente.
C.
Réparationss
(1)
Dommages-intérêts
[170] Pour les motifs énoncés plus haut, les dommages-intérêts rétroactifs réclamés par Blossman sur la base de commercialisation trompeuse ne visent que le préjudice découlant de l’emploi par AAP du dessin ALLIANCE AUTOGAS. Je conclus que l’emploi par AAP du dessin ALLIANCE AUTOGAS a causé un préjudice à Blossman sous la forme d’une perte de contrôle sur ses marques au Canada, qui a nui à l’achalandage.
[171] La portée de ce préjudice et de celui qui découle de l’emploi du dessin ALLIANCE AUTOGAS dépendent de la nature et de l’importance de l’emploi par AAP de la marque de commerce. Comme il est indiqué plus haut, la preuve au dossier à ce sujet est lacunaire. L’affidavit de M. Hoffman ne présente aucune preuve de l’emploi réel par AAP de la marque; il ne fait que (i) préciser qu’AAP n’a pas obtempéré aux exigences énoncées dans les lettres des avocats et (ii) mentionner l’exemple de confusion dans lequel un camion montrait les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS.
[172] L’affidavit de M. Grégoire indique ou montre qu’ AAP (i) a employé le nom Alliance AutoGas entre le 26 septembre 2013 et le printemps 2019, tout en laissant entendre qu’elle l’emploie toujours; (ii) a le dessin ALLIANCE AUTOGAS sur son site Web depuis l’été 2014 (avril 2015 y a été substitué en réponse à un engagement); et (iii) a employé le dessin ALLIANCE AUTOGAS dans les signatures de courriel de ses employés. Au cours de son contre-interrogatoire, M. Grégoire a affirmé qu’AAP a cessé petit à petit d’employer le dessin ALLIANCE AUTOGAS et l’a abandonné complètement au printemps 2019. Or, il a aussi reconnu qu’une image datant d’avril 2021 d’une station de ravitaillement d’AAP en Beauce montrait l’usage du dessin ALLIANCE AUTOGAS. AAP, dans sa réponse en exécution de son engagement, a avisé le 23 décembre 2021 qu’aucune station de ravitaillement n’employait ni n’arborait la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS et qu’aucun centre de conversion ne faisait usage activement de la marque de commerce ALLIANCE AUTOGAS à cette date.
[173] La seule autre preuve d’emploi est la déclaration d’emploi déposée par AAP auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada en 2016. Elle y indique, dans les formes usuelles, qu’elle a, elle-même ou par l’intermédiaire d’un détenteur de licence, commencé à faire usage du dessin ALLIANCE AUTOGAS au Canada en liaison avec tous les services décrits dans la demande d’enregistrement. En l’absence d’autres détails ou preuve de la part de M. Grégoire, j’hésite à accorder beaucoup de poids à cette déclaration quant à l’ampleur de l’emploi par AAP de la marque de commerce.
[174] Je conclus du dossier, et particulièrement des déclarations de M. Grégoire, que le dessin ALLIANCE AUTOGAS était employé couramment dans les stations de ravitaillement d’AAP en juin 2016 et que son emploi a diminué par la suite jusqu’à une date située entre avril et décembre 2021. En décembre 2021, AAP a veillé à mettre fin complètement à son emploi. Je conclus également qu’AAP a employé le dessin ALLIANCE AUTOGAS dans ses communications électroniques, y compris dans son site Web et ses courriels. Toutefois, cet emploi a cessé à un moment donné, probablement en 2019.
[175] Selon Blossman, elle a droit à l’intégralité des profits d’AAP à partir de la résiliation de l’entente Caledon-AAP en 2016, pour commercialisation trompeuse à l’égard de l’ensemble des marques de commerce. Pour les motifs énoncés plus haut, j’estime que Blossman n’a pas droit à la restitution des profits réalisés antérieurement par AAP découlant de son emploi des Marques AAP, parce que AAP avait des enregistrements pour ces marques. Quant au dessin ALLIANCE AUTOGAS, rien ne permettrait une évaluation exacte des profits réalisés par AAP attribuables à cette marque en particulier : voir Philip Morris Products SA c Marlboro Canada Ltd, 2015 CF 364 au para 27, conf par 2016 CAF 55. À cet égard, je signale que le seul exemple d’emploi du dessin ALLIANCE AUTOGAS à une station de ravitaillement d’AAP montre que la marque est beaucoup moins visible et prépondérante que les Marques AAP dans les affiches. En effet, elle figure au bas d’une bannière d’assez petite dimension qui arbore également la marque ’456, tandis qu’un grand réservoir à propane affiche la marque ’457 et le motif d’étoile propre à la marque ’409 et que la pompe arbore la marque ’456. Comme le fait remarquer AAP, rien n’indique qu’en abandonnant le dessin ALLIANCE AUTOGAS, elle a vu ses ventes diminuer. Ainsi, il n’est pas justifier d’attribuer tous les profits d’AAP, ni même une bonne partie de ceux-ci, à l’usage du dessin ALLIANCE AUTOGAS.
[176] Subsidiairement, Blossman sollicite des dommages-intérêts calculés selon un taux de redevances appliqué aux ventes de propane par AAP et ses partenaires commerciaux du secteur du ravitaillement. Le taux de redevances qu’elle veut faire appliquer découle des négociations intervenues entre les parties en vue de la conclusion d’une nouvelle entente de licence avant l’expiration de l’entente Blossman-Caledon. Je ne peux accepter la réclamation pour dommages-intérêts de Blossman selon ces modalités, et ce pour deux raisons. Premièrement, comme il est énoncé plus haut, le calcul est fondé sur les ventes de propane ou les revenus tirés de l’exploitation des licences découlant de l’emploi des Marques AAP tout autant que du dessin ALLIANCE AUTOGAS. Deuxièmement, je ne suis pas d’avis que le taux de redevances proposé, qui provient d’un projet d’entente décliné par les parties, représente fidèlement la valeur des droits découlant de la licence à l’époque. Blossman n’a pas fourni les conditions relatives aux redevances prévues dans aucune autre entente de licence de l’époque, comme celle intervenue avec Superior Propane. L’entente Blossman-Caledon prévoyait un taux de redevances maximal de 30 000 $US pour la durée de l’entente, à savoir trois ans avec possibilité de prolongation.
[177] Par conséquent, il est difficle d’évaluer les profits d’AAP ou les dommages causés à Blossman attribuables à l’emploi par AAP du dessin ALLIANCE AUTOGAS après juin 2016. Cela étant dit, les « difficultés que le calcul des dommages-intérêts présente ne dispensent pas le tribunal de l’obligation d’y procéder du mieux qu’il peut »
: Ragdoll Productions (UK) Ltd c Doe, 2002 CFPI 918 au para 40, , citant Aluminum Co c Tisco Home Building Products (Ontario) Ltd, 1977 CarswellNat 667, 33 CPR (2e) 145 (CF 1re inst) au para 33, adoptant Harold G. Fox, Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e éd, Toronto, Carswell, 1972 aux p 648–649.
[178] Selon les meilleures estimations possibles, la Cour évalue à 20 000 $ les dommages causés à Blossman par les activités de commercialisation trompeuse d’AAP liées à l’emploi du dessin ALLIANCE AUTOGAS. Cette évaluation est fondée sur les facteurs suivants : (i) l’importance de la marque pour Blossman; (ii) l’emploi d’une marque de commerce identique par AAP; (iii) la durée de l’emploi par AAP, c’est-à-dire de juin 2016 à 2021; (iv) la valeur apparente, selon AAP, de l’emploi continu malgré le fait que Blossman l’enjoignait à y mettre fin; (v) la diminution de l’emploi au cours de cette période, y compris après 2019; (vi) la nature de l’emploi décrit plus haut, y compris l’importance relative à l’emploi du dessin ALLIANCE AUTOGAS en comparaison avec les Marques AAP; (vii) la preuve présentée sur les ventes, les revenus et les profits d’AAP pendant cette période et (viii) la jurisprudence de la Cour en lien avec l’appréciation des dommages pour commercialisation trompeuse ou usurpation de marque de commerce en l’absence de preuve particulière sur les ventes perdues : voir p. ex. Biofert Manufacturing Inc c Agrisol Manufacturing Inc, 2020 CF 379 à l’Annexe B. Bien que le quantum soit bien inférieur à celui que sollicite Blossman, cela est dû en partie au fait que l’emploi des Marques AAP avant leur invalidation n’emporte pas la condamnation aux dommages-intérêts. Ceci peut à son tour être attribué au fait que Blossman a mis du temps à intenter la présente instance en invalidation de ces marques.
[179] Je fais observer que, même si le délai de prescription de trois ans invoqué par AAP s’appliquait, la période de commercialisation trompeuse ne serait que rétrécie. Au lieu de juin 2016, elle commencerait en octobre 2017. Ceci aurait tendance à réduire le quantum des dommages-intérêts, même selon la meilleure estimation possible. Or, vu les renseignements lacunaires sur la période d’abandon progressif par AAP de l’emploi du dessin ALLIANCE AUTOGAS, l’emploi continu après la lettre de l’avocat canadien datée du 31 août 2018 et les divers délais concernés, je ne crois pas que l’application d’un délai de prescription donné aurait un effet important sur le quantum. Je fais aussi observer, sans décider, que, bien que les parties ne l’aient pas soulevé, quelconque différence entre les périodes pertinentes pourrait être réduite davantage en vertu de la Loi sur les délais et autres périodes (COVID-19), LC 2020, ch 11, art 11 et/ou ses équivalentes au Québec, soit les ordonnances n° 2020-4251 et 2020-4303.
(2)
Dommages-intérêts punitifs
[180] Blossman réclame des dommages-intérêts punitifs de 100 000 $ pour cause de conduite dite répréhensible et outrageante de la part d’AAP et d’indifférence complète à l’égard des droits que lui garantissent ses marques de commerce. Elle invoque au soutien de sa prétention l’enregistrement de mauvaise foi de la marque ’034 et l’emploi continu ainsi que l’enregistrement de cette marque malgré les mises en demeure de Blossman.
[181] Les dommages-intérêts punitifs sont accordés lorsqu’une conduite est « malveillante, opprimante et abusive »
et représente « un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable »
: Whiten c Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18 au para 36. Ils permettent de réaliser les objectifs de châtiment, dissuasion et dénonciation dans les cas où d’autres mesures n’y parviennent pas : Whiten au para 94. Dans le contexte des marques de commerce, ils sont accordés lorsque le montant des dommages-intérêts compensatoires ne représenterait rien d’autre que le coût d’un « permis »
permettant de faire des profits tout en bafouant de façon inacceptable les droits d’autruit : Whiten aux para 72, 124; Louis Vuitton Malletier SA c Singga Enterprises (Canada) Inc, 2011 CF 776 aux para 165, 170.
[182] La mauvaise foi est un facteur important dans l’analyse permettant de décider si les dommages-intérêts punitifs sont justifiés : Fidler c Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie, 2006 CSC 30 aux para 60–75. Néanmoins, à mon avis, une conclusion de mauvaise foi sous le régime de l’alinéa 18(1)e) n’emporte pas forcément le droit aux dommages-intérêts punitifs. Il faut voir si d’autres réparations, dont la déclaration d’invalidité prévue à la Loi sur les marques de commerce, permettent de réaliser les objectifs de châtiment, dénonciation et dissuasion. En l’espèce, j’arrive à la conclusion qu’AAP a produit sa demande d’enregistrement de la marque ’034 de mauvaise foi, alors qu’elle savait ne détenir qu’une licence à l’égard du dessin ALLIANCE AUTOGAS, dont la marque appartenait à Blossman. Elle n’a pas informé Blossman de sa demande ni de l’enregistrement et, notamment, a maintenu cet enregistrement pendant plusieurs années, refusant d’abandonner ou de transférer ce dernier bien après qu’il aurait dû être évident qu’elle n’était pas justifié en droit.
[183] Je suis d’accord pour dire que, dans les circonstances, la mauvaise foi justifie une condamnation aux dommages-intérêts punitifs en vue de la réalisation des objectifs de châtiment, dénonciation et dissuasion. Cependant, un quantum nettement inférieur à celui proposé par Blossman est justifié. À mon avis, l’octroi de dommages-intérêts punitifs de 5 000 $ est proportionnel à la nature de la conduite d’AAP et démontre que cette conduite vaut la peine d’être sanctionnée. De surcroît, cette décision sert de mesure de dissuasion pour rappeler aux détenteurs de licences qu’une tentative d’enregistrement de la marque de commerce du concédant de la licence est susceptible d’avoir des conséquences pécuniaires.
(a)
Injonction et remise
[184] Je conclus plus haut que l’emploi des Marques AAP, du nom commercial ou de la marque de commerce ALLIANCE AUTOPROPANE après l’invalidation des enregistrements équivaut à de la commercialisation trompeuse. Comme AAP a continué d’employer les Marques AAP et qu’elle a exprimé son intention de poursuivre cet emploi, une injonction permanente interdisant cet emploi est à mon avis justifiée. Comme il est expliqué dans l’analyse relative à la confusion, mes conclusions sont fondées sur la présence dans les Marques AAP des mots ALLIANCE AUTOPROPANE. Ainsi, il est entendu que l’injonction interdisant à AAP d’employer les Marques AAP ne l’empêche pas de continuer à employer le motif de lettre A stylisée qui figure dans la marque ’456, pour lequel elle a une marque de commerce déposée, à savoir la marque ’408, ni le motif d’étoile à huit pointes qui figure dans la marque ’409.
[185] Quant au dessin ALLIANCE AUTOGAS, AAP a dit avoir abandonné l’emploi de cette marque. Dans certains cas, une injonction pourrait alors être inutile : Hamdard Trust (2021) au para 99. Or, deux facteurs me convainquent que le prononcé d’une telle réparation à l’égard de la marque ’034 est justifié. En premier lieu, même si AAP a dit avoir abandonné l’emploi de la marque ’034, elle n’a pas pris d’engagement à cet effet et s’est opposée à ce que la Cour l’y oblige. En second lieu, même si M. Grégoire a affirmé qu’AAP avait abandonné l’emploi du dessin ALLIANCE AUTOGAS en 2019, son contre-interrogatoire en 2021 a révélé qu’elle l’employait toujours. Une injonction empêchera toute commercialisation trompeuse future à l’égard de cette marque de commerce aussi.
[186] Blossman sollicite une ordonnance prévoyant la remise des articles qui contreviennent à l’injonction. AAP ne soulève aucune prétention précise en réponse. À mon avis, une telle ordonnance est justifiée dans les circonstances, hormis quelques modifications.
D.
Dépens
[187] Les parties ont présenté leur mémoire de frais après l’audience. Blossman demande le versement d’une somme forfaitaire de 30 000 $, soit 22 % de ses frais réels, ainsi que des débours de 6 662 $. Elle fait comparaison entre ce montant et les dépens suivantle tarif de 8 550 $ selon la colonne III ou de 22 000 $ selon la fourchette supérieure de la colonne V. AAP a présenté un mémoire de frais avec des montants semblable suivant le tarif, à savoir 11 760 $ suivant la colonne III ou 21 504 $ suivant la colonne V, en plus des débours de 1 409 $.
[188] À mon avis, Blossman a droit aux dépens. Elle a eu gain de cause en bonne partie, ayant obtenu l’invalidation de l’enregistrement des Marques AAP, ayant démontré en partie la commercialisation trompeuse et ayant obtenu l’injonction qu’elle sollicitait. Je réduirais un peu les dépens réclamés pour tenir compte du fait que les parties ont dû engager des frais pour préparer leur dossiers et leurs plaidoiries à l’égard de la réclamation de Blossman pour des dommages antérieurs causés par la commercialisation trompeuse relative aux Marques AAP à l’égard desquels les enregistrements d’AAP constituaient une défense complète. À la lumière des mémoires des frais des parties et des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, particulièrement aux alinéas a), b), c) et g), je suis d’avis que Blossman a droit à des dépens de 25 000 $, ainsi que des débours de 6 662 $, pour un total de 31 662 $.
IV.
Conclusion
[189] Par conséquent, la demande de Blossman est accueillie en partie. Les Marques AAP et la marque ’034 seront radiées du registre des marques de commerce. Blossman a droit à 20 000 $ en dommages-intérêts pour commercialisation trompeuse par AAP pour l’emploi du dessin ALLIANCE AUTOGAS après l’expiration de l’entente Blossman-Caledon et de l’entente Caledon-AAP. Blossman a également droit à des dommages-intérêts punitifs de 5 000 $ en raison de la mauvaise foi dont AAP a fait preuve dans l’enregistrement de la marque ’034. Une injonction permanente sera prononcée interdisant à AAP d’employer le dessin ALLIANCE AUTOGAS, les Marques AAP et le nom commercial ou les marques de commerce ALLIANCE AUTOGAS ou ALLIANCE AUTOPROPANE.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1184-20
LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :
La demande est accueillie en partie.
La marque de commerce déposée au Canada no LMC916,456 est déclarée invalide et sera radiée du registre des marques de commerce par le registraire, à compter de la date du présent jugement.
La marque de commerce déposée au Canada no LMC916,457 est déclarée invalide et sera radiée du registre des marques de commerce par le registraire, à compter de la date du présent jugement.
La marque de commerce déposée au Canada no LMC916,409 est déclarée invalide et sera radiée du registre des marques de commerce par le registraire, à compter de la date du présent jugement.
La marque de commerce déposée au Canada no LMC954,034 est déclarée avoir toujours été invalide, et sera radiée du registre des marques de commerce par le registraire, à compter de la date de son enregistrement.
Alliance Autopropane Inc est condamnée à verser à Blossman Gas, Inc 20 000 $ en dommages-intérêts pour commercialisation trompeuse.
Alliance Autopropane Inc est condamnée à verser à Blossman Gas, Inc 5 000 $ en dommages-intérêts punitifs.
Il est interdit par les présentes à Alliance Autopropane Inc, ses dirigeants, administrateurs, préposés, employés, actionnaires, agents, représentants, ayant-droits et partenaires d’accomplir les actes suivants, directement ou indirectement :
faire usage du dessin ALLIANCE AUTOGAS représenté à l’heure actuelle dans la marque de commerce déposée no LMC954,034, ou toute marque de commerce qui crée de la confusion avec cette dernière en liaison avec des services de vente, d’installation et d’entretien de systèmes de conversion au propane de véhicules ou des services relatifs au ravitaillement de véhicules en propane [services pour véhicules au propane];
faire usage de la marque de commerce ou du nom commercial ALLIANCE AUTOGAS ou toute marque de commerce qui crée de la confusion avec ce dernier en liaison avec des services pour véhicules au propane;
faire usage des marques de commerce représentées à l’heure actuelle dans les marques de commerce déposées au Canada nos LMC916,456; LMC916,457 ou LMC916,409 en liaison avec des services pour véhicules au propane;
faire usage de la marque de commerce ou du nom commercial ALLIANCE AUTOPROPANE ou d’une marque de commerce ou nom commercial qui crée de la confusion avec ce dernier, y compris le nom de domaine allianceautopropane.com en liaison avec des services pour véhicules au propane;
appeler l’attention du public sur ses services ou affaires de manière à créer ou à créer vraisemblement de la confusion avec les services ou affaires de Blossman Gas, Inc par l’emploi du dessin ALLIANCE AUTOGAS, de la marque de commerce ou du nom commercial ALLIANCE AUTOGAS, des marques de commerce représentées à l’heure actuelle dans les marques de commerces déposées au Canada nos LMC916,456, LMC916,457 ou LMC916,409 ou de la marque de commerce ou du nom commercial ALLIANCE AUTOPROPANE ou marque de commerce ou nom commercial susceptible de créer de la confusion avec ce dernier;
Alliance Autopropane Inc est tenue de remettre, à ses propres frais, à Blossman Gas Inc tout article susceptible de contrevenir aux présentes injonctions et qui ne peut être modifié de sorte à ne pas contrevenir aux présentes injonctions, y compris, sans toutefois s’y limiter, l’emballage, la papetterie ainsi que les articles promotionnels, publicitaires et de commercialisation. Subsidiairement, Alliance Autopropane Inc peut opter pour la destruction de tels articles et fournir à Blossman Gas, Inc une déclaration solennelle confirmant la destruction. Dans un cas comme dans l’autre, Alliance Autopropane Inc peut conserver en sa possession un seul exemplaire de ces articles aux fins d’archivage ou de référence, à condition qu’il ne serve pas à des fins commerciales. Elle doit obtempérer dans les 30 jours de la date de la présente jugement.
Alliance Autopropane Inc est tenue de payer à Blossman Gas, Inc des dépens de 31 662 $.
“Nicholas McHaffie”
Juge
ANNEXE A
Services énumérés dans les enregistrements des marques déposées au Canada nos LMC916,456; LMC916,457; LMC916,409 et LMC954,034
Version originale:
Assemblage de systèmes de conversion au gaz propane pour véhicules; Vente de systèmes de conversion et de pièces de systèmes de conversion au gaz propane pour véhicules; Exploitation de centres de conversion au gaz propane consistant en la vente, l’installation, l’entretien et la réparation de systèmes de conversion et de pièces de systèmes de conversion au gaz propane pour véhicules; Exploitation d'un réseau de centres de conversion au gaz propane de véhicules; Exploitation de stations de ravitaillement au gaz propane de réservoirs de véhicules; Distribution et vente de gaz propane par le biais d’un réseau de stations de ravitaillement de réservoirs de véhicules
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Translation:
Assembly of propane gas conversion systems for vehicles; Sale of propane gas conversion systems and conversion system parts for vehicles; Operation of propane gas conversion centres consisting of the sale, installation, maintenance, and repair of propane gas conversion systems and conversion system parts for vehicles; Operation of a network of propane gas conversion centres for vehicles; Operation of propane gas filling stations for vehicle gas tanks; Operation and sale of propane gas through a network of filling stations for vehicle propane gas tanks.
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1184-20
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INTITULÉ :
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BLOSSMAN GAS INC c ALLIANCE AUTOPROPANE INC
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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tenue par VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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les 2 et 16 mai 2022
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Jugement et motifs :
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le juge MCHAFFIE J.
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DATE :
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Le 23 DÉCEMBRE 2022
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COMPARUTIONS
Timothy C. Bourne
Abbas Kassam
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pour la demanderesse
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Gilles-Étienne Lemieux
Alexandre St-Pierre Marcoux
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pour la défenderesse
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Ridout & Maybee LLP
Ottawa (Ontario)
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pour la demanderesse
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Stein Monast, S.E.N.C.R.L. Québec (Québec)
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pour la défenderesse
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