Date : 20221222
Dossier : IMM-597-22
Référence : 2022 CF 1791
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 22 décembre 2022
En présence de madame la juge Go
ENTRE :
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AHMED HASSAN BIN JAMIL
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] M. Ahmed Hassan Bin Jamil [le demandeur] conteste la décision datée du 29 novembre 2021 [la décision] par laquelle un agent des visas [l’agent] de l’ambassade du Canada aux Émirats arabes unis a refusé sa demande de permis de travail dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires [le PTET].
[2] Le demandeur est un citoyen du Pakistan qui vit aux Émirats arabes unis avec son épouse et leurs deux enfants. Il est le cofondateur de l’entreprise Tagit RFID Solutions [l’entreprise Tagit], créée en 2009 aux Émirats arabes unis. L’acronyme « RFID »
signifie en français « identification par radiofréquence »
. Le demandeur a aussi été directeur général d’une autre entreprise pendant de nombreuses années, jusqu’en 2013.
[3] En mars 2019, le demandeur a constitué en société l’entreprise 44degNorth Technologies Incorporated [l’entreprise 44degNorth] en Colombie-Britannique. L’entreprise 44degNorth œuvre dans l’industrie des solutions basées sur la RFID et se concentre sur l’intelligence artificielle et l’apprentissage machine. À ce jour, l’entreprise a un bureau à Oakville et compte un employé au Canada, soit un chargé principal de compte.
[4] Le 4 juin 2019, le demandeur a obtenu une étude d’impact sur le marché du travail [l’EIMT] favorable, valide pour 5 mois, pour travailler en tant que directeur de l’entreprise 44degNorth. Il a d’abord présenté une demande de permis de travail au titre de la catégorie des propriétaires et des exploitants du PTET; la demande a été refusée le 14 mai 2020 [la décision initiale]. Le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de ce refus et, en septembre 2020, le dossier a été renvoyé à un autre agent pour nouvel examen.
[5] Le demandeur a présenté des documents supplémentaires à l’appui de sa demande le 25 octobre 2020 dans le cadre du nouvel examen. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour, comme l’exige le paragraphe 200(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR].
[6] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision est raisonnable et je rejetterai la demande.
II. Questions préliminaires
[7] À l’audience, le défendeur a soulevé une question préliminaire, à savoir qu’un certain nombre de documents versés au dossier de la demande [le DD] ne faisaient pas partie du dossier certifié du tribunal [le DCT]. Il s’agit des documents suivants :
les pages 48 à 50 du DD : un article sur des réalisations de l’entreprise Tagit;
les pages 162 à 163 du DD : des photos du demandeur qui reçoit un prix au nom de l’entreprise Tagit;
les pages 164 à 168 du DD : un document présenté sous la forme d’une liste de questions et de réponses qui aurait fait partie des observations supplémentaires du demandeur dans le cadre du nouvel examen de la demande de permis de travail [le questionnaire];
les pages 176 à 177 du DD : une lettre d’offre d’emploi au demandeur de l’entreprise 44degNorth au sujet de son poste comme directeur et de son salaire.
[8] Lors de l’audience, le demandeur a souligné que l’agent avait été saisi des documents mentionnés ci-dessus et que ceux-ci n’étaient pas contestés.
[9] Le défendeur conteste que l’agent disposait de ces documents. Le demandeur n’a présenté aucune preuve, à part affirmer que c’était le cas. Puisque ces documents ne font pas partie du DCT, je conclus que l’agent n’en avait pas été saisi. Même si j’ai tort à ce sujet, je conclus que les documents n’appuient pas les arguments du demandeur. Je fournirai des motifs supplémentaires ci-dessous.
III. Questions et norme de contrôle
[10] Le demandeur soulève les questions suivantes :
L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de répondre aux préoccupations soulevées?
L’agent a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de sa période de séjour?
[11] Les parties conviennent que la question portant sur l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte et que la question portant sur le fond de la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
[12] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 12-13. La cour de révision doit décider si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris son raisonnement et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, au para 15. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont était saisi le décideur, et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences : Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135.
[13] Afin qu’une décision soit déraisonnable, le demandeur doit établir qu’une décision souffre de lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Ce ne sont pas toutes les erreurs ou préoccupations liées à une décision qui justifient une intervention. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur, et elle ne devrait pas modifier les conclusions de fait, à moins de circonstances exceptionnelles : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ou constituer une « erreur mineure » :
Vavilov, au para 100.
IV. Analyse
[14] Le demandeur soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale en se fondant sur une preuve extrinsèque et en évaluant sa crédibilité de façon implicite sans lui donner la possibilité d’y répondre. Il soutient aussi que la décision est déraisonnable puisque l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants contenus dans le dossier et n’a pas justifié les conclusions qu’il a tirées de manière transparente et intelligible.
A. Est-ce que l’agent a manqué à l’équité procédurale?
[15] Le demandeur soutient que l’agent a contrevenu au principe d’équité procédurale puisqu’il n’a pas essayé d’obtenir des renseignements additionnels lorsqu’il a exprimé des réserves au sujet de la véracité des éléments de preuve. Par exemple, le demandeur souligne le fait que l’agent avait des doutes quant à l’exactitude des projections d’entreprise et qu’il s’est fondé sur une preuve extrinsèque, tel le site Web www.salaryexpert.com : Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 484 [Li] au para 36; Kojouri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1389 aux para 18-19; Olorunshola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1056 aux para 29 et 33.
[16] Le demandeur reconnaît que, normalement, l’équité procédurale n’exige pas que l’agent donne à un demandeur la possibilité de répondre, en particulier lorsque rien ne montre que les conséquences pour le demandeur seront sérieuses : Li, au para 49; Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 815 au para 5; Masych c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1253 [Masych] au para 30.
[17] Toutefois, le demandeur soutient qu’il y a des exceptions lorsqu’une décision pourrait entraîner des conséquences sérieuses et des difficultés excessives, auquel cas il est nécessaire, pour respecter l’équité procédurale, de donner la possibilité au demandeur de répondre aux préoccupations : Li, aux para 35-37 et 49.
[18] Précisément, le demandeur affirme que l’expiration de l’EIMT favorable entraînera des conséquences sérieuses. Il souligne le long processus par lequel il a dû passer afin de demander un permis de travail ainsi que le fait qu’il ne pourra pas venir au Canada afin de développer son entreprise puisque sa demande a été refusée et que l’EIMT est expirée : Li, au para 36; Campbell Hara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 263 au para 23.
[19] Les arguments du demandeur ne m’ont pas convaincue.
[20] Le demandeur n’a invoqué aucune jurisprudence qui confirme que le fait de devoir présenter de nouveau une demande d’EIMT est une conséquence sérieuse. De plus, comme l’indique correctement le défendeur, l’EIMT favorable du demandeur avait déjà expiré lorsque la décision initiale a été rendue en 2020.
[21] Par conséquent, je fais mien l’examen de la Cour dans Masych aux paragraphes 30 et 31, dont la conclusion est que les exigences en matière d’équité procédurale sont relativement faibles dans le cadre de demandes de permis de travail, parce que le demandeur peut présenter une nouvelle demande et que le refus en soi ne peut pas être qualifié à lui seul de conséquence sévère justifiant une exigence plus élevée en matière d’équité procédurale. Voir aussi Soni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 813 au para 37.
[22] En appliquant les exigences faibles en matière d’équité procédurale, j’examinerai à présent le reste de l’argument du demandeur relatif à l’équité procédurale.
Preuve extrinsèque
[23] Le demandeur affirme que la Cour a conclu que ne pas donner à un demandeur l’occasion de dissiper des doutes constitue un manquement à l’équité procédurale : Hafiz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1273 aux para 22-23. Il souligne que le fait de demander des documents supplémentaires et d’accueillir des observations additionnelles est considéré comme une exigence lorsqu’il y a des doutes entourant la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de la preuve : Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.F.), 2006 CF 1283 au para 24; Asl c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1006 au para 23; Madadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 716 au para 6.
[24] Le demandeur affirme que les doutes de l’agent au sujet de l’exactitude des projections d’entreprise et le fait que ce dernier s’est fondé sur une preuve extrinsèque constituaient des préoccupations à l’égard de la crédibilité, de l’exactitude ou de l’authenticité, et auraient dû donner lieu à une demande de renseignements supplémentaires.
[25] Je rejette les observations du demandeur.
[26] En ce qui a trait au fait que l’agent s’est appuyé sur le site www.salaryexpert.com, de l’information similaire a été citée dans la décision initiale afin de soulever des préoccupations semblables. Voici un extrait des notes datées du 14 mai 2020 figurant dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] :
[traduction]
Les observations comprennent un contrat pour un chargé principal de compte qui a été embauché en octobre 2019. Je note que le salaire est de 18 $, ce qui est bien inférieur au salaire moyen pour un poste semblable dans la région de Toronto (ce contrat représenterait environ 35 000 $ par année, alors que la moyenne est de 84 000 $ par année, selon https://www.glassdoor.ca/Salaries/toronto-key-account-manager-salary-SRCH_IL.0.7_IM976_K08,27.htm) [...].
[27] Bien que, dans la décision initiale, l’agent des visas ait pu s’appuyer sur un site Web différent comme source d’information relative au salaire moyen pour des postes semblables, le demandeur ne peut pas prétendre qu’il n’avait pas été avisé des préoccupations du bureau des visas.
[28] De plus, comme je l’expliquerai, le demandeur soutient que la décision était déraisonnable puisque l’agent n’a pas tenu compte de l’observation formulée dans une lettre datée du 16 octobre 2021, dans laquelle il répondait aux doutes de l’agent quant au salaire de l’employé. Cette observation vient contredire la position prise par le demandeur comme quoi il n’a pas été mis au courant des doutes de l’agent sur la question du salaire. Je conclus donc que l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale en soulevant un doute qui avait déjà été émis dans la décision initiale.
Évaluation voilée quant à la crédibilité
[29] Le demandeur soulève les quelques occurrences où, dans la décision, l’agent a indiqué que des éléments de preuve étaient [traduction] « imprécis »
, [traduction] « inexact[s] »
ou [traduction] « peu clair[s] »
. Il soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur ne venait pas au Canada pour y mener des affaires de façon légitime se fondait sur une évaluation voilée quant à la crédibilité.
[30] Le demandeur soutient que, puisqu’il avait des doutes quant à l’exactitude des éléments de preuve, telles les prévisions d’entreprise, l’agent a tiré une inférence voilée en matière de crédibilité : Khodchenko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 819 au para 10. Le demandeur s’est fondé sur Sallai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 446 [Sallai] pour souligner que, s’il n’y a pas de conclusions explicites en matière de crédibilité, la « Cour doit aller au‑delà des termes de la décision pour déterminer si la crédibilité est l’enjeu, expressément ou implicitement »
: au para 49.
[31] Par conséquent, le demandeur soutient qu’il y a une erreur susceptible de contrôle, puisque l’agent a manqué à l’équité procédurale et à l’obligation correspondante de lui donner l’occasion de répondre, lesquelles entraient en jeu lorsque l’agent a évalué la crédibilité.
[32] Je conclus que les affaires citées par le demandeur se distinguent de celle en l’espèce.
[33] Comme le soutient le défendeur, et j’en conviens, il faut distinguer les conclusions en matière de crédibilité de celles qui sont fondées sur le caractère suffisant de la preuve. Dans Sallai, la juge Kane a cité sa propre décision dans Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59 au paragraphe 32 pour expliquer la différence entre les deux notions :
Je constate que, dans certains cas, il est difficile d’établir une distinction entre une conclusion portant sur l’insuffisance de la preuve et une conclusion suivant laquelle un demandeur n’a pas été cru, c’est‑à‑dire n’était pas crédible. Le choix des mots employés, en l’occurrence le fait de parler de crédibilité ou de l’insuffisance de la preuve, ne permet pas à lui seul de déterminer si des conclusions ont été tirées sur une question ou sur l’autre ou sur les deux. On ne peut toutefois pas présumer que, lorsque l’agent conclut que la preuve ne démontre pas le bien-fondé de la demande du demandeur, l’agent n’a pas cru le demandeur.
[34] Je conclus que le commentaire de la juge Kane s’applique bien à la présente affaire. Il incombe au demandeur d’un permis de travail de présenter la meilleure preuve possible : Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132 [Sulce] au para 10. Dans la présente affaire, c’était au demandeur de fournir suffisamment de renseignements pour appuyer les projections figurant dans le plan d’affaires de l’entreprise 44degNorth.
[35] Je souligne l’affirmation du défendeur, et j’y souscris, selon laquelle l’agent a raisonnablement mis en doute les projections d’entreprise puisque le demandeur n’a pas présenté d’observations sur les mesures prises pour développer l’entreprise 44degNorth au Canada, et que le demandeur n’a pas contesté les conclusions de l’agent selon lesquelles les documents à l’appui n’ont pas été fournis.
[36] Le fait que l’agent a conclu que la preuve présentée par le demandeur était insuffisante pour satisfaire aux exigences prévues par la loi ne veut pas dire qu’il n’accordait pas foi aux renseignements présentés par le demandeur. Les préoccupations de l’agent au sujet de l’exactitude des projections d’entreprise n’équivalaient pas à une conclusion voilée quant à la crédibilité. L’agent pouvait conclure que le demandeur était crédible et tout de même mettre en doute l’exactitude de ses prévisions d’affaires. Il ne s’agit pas d’un cas où « l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis »
était à l’origine des réserves exprimées par l’agent : Sulce, au para 18. Comme je l’expliquerai, il était raisonnable pour l’agent de conclure que le plan d’affaires de l’entreprise 44degNorth manquait de détails. C’est en se fondant sur ces mêmes conclusions que l’agent a jugé que le plan était « imprécis »
.
[37] À ce titre, je conclus que l’agent n’a pas manqué à l’équité procédurale en tirant une quelconque conclusion voilée quant à la crédibilité.
B. La décision était-elle raisonnable?
[38] Le demandeur soutient que la décision de l’agent était déraisonnable puisque ce dernier n’a pas tenu compte de la preuve dont il était saisi et n’a pas fourni une analyse rationnelle. Ainsi, le demandeur soutient que la Cour en est réduite à [traduction] « lire entre les lignes afin de déchiffrer le rejet »
. Le demandeur affirme que l’analyse de l’agent ne traitait que des facteurs qui étaient défavorables à l’octroi du permis de travail, et ne tenait pas compte des facteurs favorables à l’octroi d’un tel permis.
[39] Le demandeur souligne les exigences relativement faibles pour un permis de travail temporaire, contrairement à celles pour un permis de travail au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés, et soutient qu’en application du paragraphe 200(1) du RIPR un agent délivrera un permis de travail s’il est convaincu que le demandeur a satisfait à toutes les exigences prévues par cette disposition : Li, au para 38.
[40] Le demandeur se fonde aussi sur la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 790 [Singh] pour préciser que, pour être transparent et intelligible, un agent « doit expliquer pourquoi le demandeur n’a pas répondu à un élément important en particulier »
: au para 19.
[41] Le demandeur conteste des aspects précis de la décision que j’analyserai ci-dessous.
Liens familiaux
[42] Le demandeur souligne que l’agent a complètement laissé de côté le fait que toute sa famille se trouve aux Émirats arabes unis et qu’il n’a aucun lien au Canada sauf son projet d’entreprise. Le demandeur soutient que la décision d’un agent doit être annulée lorsque des éléments de preuve n’ont pas été pris en compte, surtout s’ils sont importants dans le cadre de l’affaire : Shao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 610 au para 33.
[43] Je rejette l’argument du demandeur selon lequel l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants qui appuyaient la demande de permis de travail. La présente affaire se distingue de l’affaire Singh, dans laquelle le demandeur vivait en Inde de façon permanente.
[44] Qui plus est, selon les notes du SMGC, l’agent a tenu compte des liens familiaux du demandeur aux Émirats arabes unis. Toutefois, l’agent a aussi noté le caractère précaire du statut de la famille dans ce pays, la perte possible de ce statut si le demandeur le quittait pour plus de six mois, et l’absence d’un visa de résident à jour. En se fondant sur ces faits, l’agent a raisonnablement conclu que les liens qui unissent le demandeur à son pays de résidence sont faibles.
Le plan d’affaires de l’entreprise 44degNorth
[45] Le demandeur soutient que, sauf si la crédibilité des éléments de preuve présentés était en cause, l’agent n’avait aucune raison de remettre en question le fait que le demandeur comptait mener des affaires de façon légitime au Canada. Le demandeur affirme que l’agent n’a pas tenu compte de certaines parties du plan d’affaires dans lequel il était question des motivations et des plans de l’entreprise, et des avantages que retirerait le Canada du fait que cette entreprise y exercerait ses activités.
[46] Le demandeur soutient que les similarités entre les motifs de la décision initiale et ceux de la décision faisant l’objet d’un contrôle laissent entendre que l’agent n’a pas réalisé sa propre analyse, mais qu’il a plutôt régurgité les conclusions tirées par le premier agent. Le demandeur affirme que, dans son analyse, l’agent a donc seulement exposé les éléments de preuve au lieu de les analyser, ce que la Cour a conclu être déraisonnable dans la décision Samra c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 157 au paragraphe 22, citée dans Singh au paragraphe 15.
[47] Je conclus que les arguments du demandeur ne sont pas fondés et qu’ils ont été avancés sans être parvenus à cerner les conclusions réelles tirées par l’agent dans sa décision.
[48] Contrairement à ce que prétend le demandeur, l’agent a dressé une liste précise des doutes qu’il avait concernant le plan d’affaires de l’entreprise 44degNorth. Entre autres, l’agent a souligné que le demandeur n’a présenté aucun relevé bancaire de l’entreprise ou d’un compte personnel afin de confirmer des activités de l’entreprise ou des versements de salaires. L’agent a expressément écrit ce qui suit :
[traduction]
Même si [le plan d’affaires] présente quelques statistiques sur le marché en général, les sources ne sont pas mentionnées et les entreprises dont il est question à différents endroits du plan sont principalement des entreprises dont le siège social est situé aux É.‑U. […] plutôt que des entreprises dans le marché canadien; ce n’est pas clair pourquoi le demandeur a choisi d’installer l’entreprise en Ontario. Il y a aussi des lacunes dans les renseignements fournis au sujet des entreprises situées au Canada que le chargé principal de compte, situé à Oakville, serait plus susceptible d’aborder afin d’établir une clientèle.
[49] Ces doutes, en plus de souligner le fait que le demandeur n’a pas fourni de mises à jour sur le travail du chargé principal de compte depuis son embauche en novembre 2019, appuient tous la conclusion raisonnable de l’agent selon laquelle le plan d’affaires [traduction] « manque de détails ».
[50] Le demandeur, autre qu’affirmer de manière générale son désaccord avec les conclusions de l’agent, n’a pas cerné une quelconque erreur susceptible de contrôle en ce qui a trait à l’ensemble des conclusions de l’agent nommé ci-dessus, et je ne suis pas non plus en mesure de cerner une telle erreur.
[51] À l’audience, le demandeur a fait valoir que l’agent a commis une erreur en concluant qu’il n’avait pas expliqué comment il jouerait un rôle actif au sein de l’entreprise au Canada à l’avenir. Le demandeur a fait référence au questionnaire dans le DD et a noté que ce document expliquait comment il transférerait ces compétences et ses connaissances aux Canadiens qu’il engagerait comme employés.
[52] Comme le mentionne le défendeur, le questionnaire ne faisait pas partie du DCT. De plus, je note que ce questionnaire faisait référence à un bilan et état des résultats de [traduction] « 2017 ou de 2018 »
et était décrit comme une demande pour [traduction] « une nouvelle entreprise en démarrage au Canada »
, qui ne renfermait donc pas de plan d’affaires. Le questionnaire contenait aussi la phrase qui suit :
[traduction]
Bien qu’elle ait été présentée de manière anticipée, la demande de M. Bin Jamil devrait être examinée au titre de la catégorie des propriétaires exploitants aux fins de l’EIMT [...]
[53] Je conclus que ce document, lu dans son ensemble, a été présenté par le demandeur lorsqu’il a demandé l’EIMT et ne constitue pas un nouveau document présenté à l’appui du nouvel examen.
[54] Peu importe que le demandeur ait présenté le questionnaire dans le cadre de sa demande de permis de travail, je conclus que ce questionnaire ne contient aucun élément de preuve qui rendrait déraisonnable la conclusion de l’agent portant sur l’insuffisance de la preuve concernant le plan d’affaires. Comme il est mentionné ci-dessus, le questionnaire ne faisait référence à aucun plan d’affaires ni ne décrivait comment le demandeur jouerait un rôle continu au sein de l’entreprise à l’avenir, mais contenait des remarques générales au sujet du transfert de connaissances et de compétences.
[55] Par conséquent, la conclusion de l’agent portant sur l’insuffisance de la preuve présentée par le demandeur pour étayer son rôle au sein de l’entreprise au Canada était raisonnable.
Le salaire et le rôle du chargé principal de compte
[56] Le demandeur conteste l’évaluation de l’agent concernant le salaire du chargé principal de compte.
[57] Le demandeur souligne, selon la décision initiale, que le salaire de l’employé est moins élevé que le salaire médian du marché, et que des doutes sont soulevés sur la capacité du demandeur de payer les salaires pour la création ou le maintien de possibilités d’emplois au Canada. Le demandeur fait référence aux observations formulées dans sa lettre datée du 16 octobre 2021, en réponse aux doutes soulevés dans le cadre du nouvel examen, lesquelles présentaient de l’information financière démontrant que 172 500 $ étaient affectés aux salaires et qu’un autre montant de 34 000 $ provenant du bénéfice net était prévu pour payer les salaires. Le demandeur se fonde sur la décision Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 53 pour affirmer que l’agent avait une obligation juridique de prendre en compte tous les éléments de preuve, et non pas de choisir à sa guise seulement ceux qui militaient en faveur d’un refus (au para 12).
[58] Le demandeur soutient aussi que l’agent n’a pas raisonnablement évalué le plan d’affaires de 44degNorth en tant qu’entreprise en démarrage, où les salaires sont plus bas au départ, et que le fait d’avoir refusé de lui octroyer un permis de travail prive l’entreprise d’une occasion de croissance.
[59] De plus, le demandeur soutient que l’agent a erronément évalué la preuve lorsqu’il a effectué la comparaison du salaire du chargé principal de compte. Dans le plan d’affaires, il est indiqué que le demandeur recherchait un employé détenant un [traduction] « diplôme en affaires ou en ventes »
, non pas une personne avec un diplôme universitaire, et que l’agent a rendu une décision déraisonnable puisqu’il a laissé de côté des éléments de preuve clé.
[60] Je conclus que les observations du demandeur ne sont pas convaincantes pour trois motifs.
[61] Premièrement, je conviens avec le défendeur que les observations présentées par le demandeur à l’agent en ce qui a trait aux fonds disponibles pour payer les salaires ne contredisent pas la conclusion de l’agent selon laquelle le salaire du chargé principal de compte était inférieur à celui du marché.
[62] Deuxièmement, je suis d’accord pour dire que le demandeur avait précisé dans son plan d’affaires que les qualifications requises pour le chargé principal de compte devaient être un « diplôme en affaires ou en ventes »
, et non pas un diplôme universitaire. Cependant, cette distinction en soi ne répondait pas aux doutes de l’agent au sujet du salaire peu élevé.
[63] Troisièmement, je rejette l’argument du demandeur selon lequel l’agent aurait dû tenir compte du fait que l’entreprise est en démarrage lorsqu’il a examiné le salaire. Il incombait au demandeur de dissiper les doutes sur le salaire et de présenter cet argument à l’agent. Le demandeur ne peut pas reprocher à l’agent de ne pas avoir tenu compte d’une observation que le demandeur n’a pas lui-même présentée.
[64] Finalement, je conclus que le demandeur n’a pas soulevé d’erreurs susceptibles de contrôle dans le cadre de la décision et il n’a pas non plus démontré que la décision ne répond pas aux critères de transparence, d’intelligibilité et de justification.
V. Conclusion
[65] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[66] Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-597-22
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Avvy Yao-Yao Go »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-597-22
|
INTITULÉ :
|
AHMED HASSAN BIN JAMIL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
tenue par VIDéOCONFéRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
le 6 Décembre 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
La juge GO
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 22 Décembre 2022
|
COMPARUTIONS :
Saidaltaf I. Patel
|
POUR Le demandeur
|
Sharon Stewart Guthrie
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Saidaltaf I. Patel
SP Law Office A Professional Corporation
Toronto (Ontario)
|
POUR Le demandeur
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|