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Date : 20221222


Dossiers : Groupe 1 : IMM-3099-20

IMM-3100-20

IMM-3092-20

Groupe 2 : IMM-3097-20

IMM-3098-20

IMM-3093-20

Référence : 2022 CF 1787

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Diner

Dossier : IMM-3099-20

ENTRE :

GURPREET SINGH JANDU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-3100-20

ET ENTRE :

JAGMEET SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-3092-20

ET ENTRE :

JASWINDER SINGH SANDHU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-3097-20

ET ENTRE :

RAJBIR SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-3098-20

ET ENTRE :

MANJINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-3093-20

ET ENTRE :

SUKHWINDER SINGH SIDHU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Six demandeurs contestent le rejet de leurs demandes de permis de travail. De plus, les demandeurs du groupe 1 contestent les conclusions d’interdiction de territoire pour fausses déclarations tirées à leur encontre. Je conviens que les six décisions étaient déraisonnables. Par conséquent, les dossiers seront renvoyés au bureau des visas pour que de nouvelles décisions soient rendues.

II. Contexte

[2] Les demandeurs sont des citoyens de l’Inde. Ils ont présenté des demandes de permis de travail au Canada à titre de travailleurs étrangers temporaires. Tous les demandeurs avaient reçu une offre d’emploi de la même entreprise, soit Daytona Freight Systems [Daytona], pour travailler comme conducteurs de grand routier. Daytona avait obtenu d’Emploi et Développement social Canada/Service Canada [EDSC] des études d’impact sur le marché du travail [EIMT] favorables à l’embauche d’étrangers pour occuper ces postes.

[3] Daytona avait indiqué aux demandeurs de s’adresser à CANUS Immigration Consultancy Inc. [CANUS] afin d’obtenir de l’aide pour présenter leurs demandes de permis de travail. CANUS a présenté les demandes de permis de travail des demandeurs par l’intermédiaire du portail des représentants rémunérés autorisés d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] entre novembre 2019 et janvier 2020.

[4] En décembre 2019 et en janvier 2020, IRCC a envoyé à deux demandeurs du groupe 1 (IMM-3099-20 et IMM-3100-20) des lettres d’équité procédurale pour leur demander de fournir des documents financiers et des renseignements organisationnels concernant Daytona. CANUS a présenté des réponses aux lettres d’équité procédurale en janvier 2020. Le troisième demandeur du groupe 1 (IMM-3092-20) n’a pas reçu de lettre. Une copie des deux lettres d’équité procédurale reçues est jointe à l’annexe A des présents motifs.

[5] Tous les demandeurs des groupes 1 et 2 ont été convoqués à une entrevue avec IRCC au bureau des visas de New Delhi en mars 2020. Les lettres de convocation à une entrevue contenaient également une demande de documents. Une copie de la lettre de convocation à une entrevue est jointe à l’annexe B des présents motifs. Lors des entrevues, IRCC a demandé aux demandeurs s’ils étaient déjà venus au Canada, s’ils avaient des amis ou de la famille au Canada, s’ils avaient de l’expérience dans la conduite de camions, de quelle façon ils avaient trouvé l’emploi au Canada, à qui ils avaient parlé chez Daytona, de quelle façon ils avaient entendu parler de CANUS et combien ils avaient versé à CANUS.

[6] En prévision des entrevues, Daytona avait fourni à IRCC, le 10 mars 2020, une trousse de documents [la trousse de documents]. Cette trousse contenait une lettre de Peter Thorning, avocat chez Brauti Thorning LLP [la lettre de M. Thorning]. La lettre de M. Thorning expliquait en détail le fondement des demandes de permis de travail et fournissait un résumé des documents organisationnels qui avaient été fournis à EDSC pour les demandes d’EIMT. La lettre de M. Thorning contenait également une explication concernant les 80 travailleurs étrangers qui étaient visés par les cinq EIMT distinctes. Certains des conducteurs devaient se rendre en Ontario et les autres en Nouvelle-Écosse, étant donné que Daytona exerce ses activités dans les deux provinces. CANUS, qui avait présenté la trousse de documents à IRCC au nom de Daytona, a inclus une partie, mais pas la totalité, des documents que l’entreprise de camionnage avait fournis à EDSC.

[7] En ce qui concerne les documents apportés par les demandeurs lors de leurs entrevues, outre les documents personnels originaux demandés à l’appui de leurs demandes de permis de travail, Daytona leur avait fourni une copie de la lettre de M. Thorning, mais pas les documents organisationnels. Les six demandeurs avaient plutôt reçu pour directive d’informer IRCC, lors de leurs entrevues, que les documents pertinents de Daytona avaient été envoyés en leur nom à IRCC, au Haut-commissariat du Canada à New Delhi. Comme je l’expliquerai plus loin, les six demandeurs de permis de travail s’étaient vu demander de fournir des renseignements organisationnels à IRCC, mais Daytona ne voulait pas communiquer de renseignements confidentiels concernant ses finances et d’autres sujets connexes à des employés éventuels.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] Les demandes de permis de travail des six demandeurs ont été rejetées parce qu’il a été jugé, sur le fondement de l’évaluation faite par IRCC des documents financiers et organisationnels de Daytona, que les offres d’emploi n’étaient pas authentiques. Les demandes de permis de travail des demandeurs du groupe 1 ont toutes donné lieu à des conclusions de fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, parce qu’IRCC a conclu que les demandeurs du groupe 1 savaient que les offres d’emploi qui sous-tendaient leurs demandes de permis de travail n’étaient pas authentiques.

IV. Question préliminaire

[9] Les parties soulèvent une question préliminaire d’ordre procédural. Les demandeurs prient la Cour d’admettre en preuve l’affidavit d’Inderpal (Andy) Singh Kahlon [l’affidavit de M. Kahlon], qui contient des documents dont disposait IRCC au moment de l’évaluation des demandes de permis de travail, mais qui ne figurent pas au dossier certifié du tribunal [le DCT].

[10] Le défendeur convient que, pour une raison inconnue, le DCT est incomplet, en ce sens qu’il ne contient pas la trousse de documents présentée par Daytona à IRCC avant les entrevues des demandeurs. Par conséquent, il ne s’oppose pas à ce que la pièce « A » de l’affidavit de M. Kahlon fasse partie du dossier, puisqu’il ressort clairement des notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] qu’IRCC disposait des documents formant la pièce « A » au moment où les décisions ont été rendues.

[11] Toutefois, les demandeurs présentent également, aux fins du présent contrôle judiciaire, des documents dont IRCC ne disposait pas au moment où les décisions ont été rendues, soit les pièces « B » à « F » de l’affidavit de M. Kahlon. Les demandeurs soulignent que la Cour devrait examiner ces documents à l’appui de leurs arguments concernant l’équité procédurale. Le défendeur s’oppose à l’admission de ces documents au motif qu’ils ne sont pas visés par les quelques exceptions à la règle voulant que seuls les documents dont disposait le décideur sont admissibles en contrôle judiciaire. Il soutient que le contrôle judiciaire ne constitue pas une occasion de déposer une contre-preuve.

[12] Je conviens avec les parties qu’IRCC disposait du contenu de la pièce « A » de l’affidavit de M. Kahlon, soit la lettre de M. Thorning et les documents organisationnels pertinents de Daytona datés du 10 mars 2020, au moment de l’évaluation des demandes de permis de travail des demandeurs puisque les notes y renvoient expressément. La Cour dispose donc à bon droit de la pièce « A ». Cela dit, en règle générale, seuls les documents dont disposait le décideur sont admissibles en contrôle judiciaire (Première nation de Namgis c Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 149 au para 7; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 17-18).

[13] Si l’on s’attarde, par exemple, à la première des pièces « B » à « F », la convention d’achat de camions qui constitue la pièce « B » était mentionnée dans la lettre de M. Thorning, mais IRCC a expressément mentionné dans les notes consignées dans le SMGC que la convention elle-même n’était pas jointe à la lettre et ne faisait pas partie de la trousse de documents. Je conviens avec le défendeur que les pièces « B » à « F », qui n’étaient pas jointes aux demandes présentées à IRCC, ne sont pas admissibles en l’espèce. Elles ne sont pas visées par les exceptions mentionnées dans la jurisprudence précitée de la Cour d’appel fédérale.

V. Questions de fond et norme de contrôle applicable

[14] Les demandeurs soutiennent qu’IRCC a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne les informant pas adéquatement de ses doutes et qu’il a rejeté déraisonnablement leurs demandes de permis de travail. J’examinerai les questions soulevées dans l’ordre suivant :

  • (i)Les demandeurs ont-ils eu une possibilité suffisante de dissiper les doutes?

  • (ii)IRCC a-t-il commis une erreur en concluant de manière déraisonnable que les offres d’emploi n’étaient pas authentiques?

  • (iii)IRCC a-t-il commis une erreur en tirant de manière déraisonnable des conclusions de fausses déclarations?

[15] En ce qui concerne la première question, la Cour doit examiner les questions d’équité procédurale en se demandant si le processus ayant mené à la décision était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54-55; Do c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 927 au para 4). Les deux autres questions doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable, ce qui signifie que la décision doit être transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 99).

VI. Analyse

1. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale

[16] Les demandeurs font valoir qu’IRCC a manqué à l’équité procédurale en ne les informant pas adéquatement de ses doutes quant à l’authenticité des offres d’emploi qu’ils avaient reçues. Les demandeurs qui ont reçu une lettre d’équité procédurale soutiennent qu’ils ne connaissaient pas la preuve à réfuter et qu’ils n’ont pas eu une possibilité complète et équitable d’y répondre. Ceux qui ont reçu une lettre d’équité procédurale soutiennent que la lettre n’exprimait pas les doutes d’IRCC d’une manière qui leur donnait une véritable possibilité de les dissiper. Les demandeurs affirment que les deux lettres d’équité procédurale envoyées contenaient une longue liste de documents et s’apparentaient à une recherche à l’aveuglette.

[17] Je conclus qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale, qu’une lettre d’équité procédurale ait été envoyée ou non, parce que les demandeurs ont reçu une lettre de convocation à une entrevue le 2 mars 2020, dans laquelle étaient exposés les doutes d’IRCC au sujet des demandes de permis de travail. Il était indiqué ce qui suit dans la lettre de convocation à une entrevue : [traduction] « Cette entrevue comprendra une évaluation de vos compétences linguistiques, de votre expérience de travail antérieure, de votre capacité à exercer l’emploi pour lequel le permis est demandé et de l’authenticité de l’offre d’emploi. » L’authenticité de l’offre d’emploi était le facteur déterminant dans le rejet des demandes de permis de travail des demandeurs. Par conséquent, ceux-ci étaient raisonnablement au courant de la preuve à réfuter et ils ont eu une possibilité complète et équitable d’y répondre lors des entrevues.

[18] De plus, la lettre de convocation à une entrevue offrait aux demandeurs l’occasion de présenter des documents supplémentaires pour dissiper les doutes d’IRCC. Je souligne que la liste des documents à fournir lors des entrevues comprenait des documents démontrant [traduction] « la capacité financière de [l’]employeur à [...] embaucher [des employés] et à payer [leur] salaire » (le modèle complet de lettre de convocation à une entrevue envoyée aux six demandeurs figure à l’annexe B des présents motifs). La capacité de Daytona à payer les demandeurs était précisément le doute exprimé par IRCC dans les notes consignées dans le SMGC à l’appui de sa conclusion selon laquelle les offres d’emploi n’étaient pas authentiques.

[19] L’argument selon lequel les demandeurs n’étaient pas au courant des doutes particuliers d’IRCC est, en outre, contredit par toutes les observations présentées par les demandeurs à l’appui de leurs demandes de permis de travail, y compris la trousse de documents envoyée à IRCC le 10 mars 2020. La trousse de documents contient des renseignements qui sont précisément liés aux doutes d’IRCC, y compris les observations très détaillées contenues dans la lettre de M. Thorning.

[20] Cela dit, je ne suis pas d’avis que les décisions rendues à l’égard des demandeurs de l’un ou l’autre des groupes, y compris en ce qui concerne le caractère non authentique des offres d’emploi et les fausses déclarations, sont raisonnables lorsqu’elles sont interprétées de façon globale et contextuelle (Vavilov, au para 97).

2. Le rejet des demandes de permis de travail des demandeurs était déraisonnable

[21] Les demandeurs prétendent qu’IRCC a agi de façon déraisonnable en mettant en doute l’authenticité des offres d’emploi, malgré les EIMT favorables obtenues par Daytona. Ils soutiennent que, selon le cadre législatif établi par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] pour les demandes de permis de travail exigeant une EIMT, les agents d’IRCC ne sont pas chargés de déterminer si une offre d’emploi satisfait aux exigences en matière d’authenticité énoncées au paragraphe 200(5), puisque cette évaluation est déjà effectuée par EDSC dans le cadre de l’EIMT. La Cour a toujours jugé qu’une EIMT favorable n’est pas déterminante et que les agents des visas ont le pouvoir d’apprécier l’authenticité des offres d’emploi au titre du paragraphe 200(5) du Règlement. Récemment, la juge Pallotta a déclaré ce qui suit au paragraphe 7 de la décision Dhaliwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1344 [Dhaliwal] :

L’agent était tenu de faire une évaluation indépendante de l’authenticité de l’offre de M. Dhaliwal et de prendre en considération les facteurs énoncés au paragraphe 200(5), notamment de déterminer si l’offre correspondait aux besoins légitimes en main-d’œuvre de l’employeur et si ce dernier pouvait respecter les conditions de l’offre.

[22] Voir aussi Musiker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1092 au para 33); Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 573 au para 18 et 2021 CF 483 au para 32; Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 381 au para 19; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 527 aux para 10, 52-54.

[23] Par conséquent, on ne peut reprocher à IRCC d’avoir examiné l’authenticité des offres d’emploi faites par Daytona aux demandeurs. Cependant, cet examen n’est pas sans limites et sans nuances, surtout lorsqu’une EIMT a déjà été obtenue. À la section b) ci-dessous, pour répondre à la question de savoir s’il était raisonnable pour IRCC de ne pas consulter EDSC ou Daytona, j’examinerai plus en détail la distinction entre l’examen d’une demande de permis de travail dispensée d’une EIMT et l’examen d’une demande pour laquelle une EIMT a déjà été obtenue.

[24] À ce stade-ci, il suffit de dire qu’en l’espèce, je conviens avec les demandeurs que la nature des questions et le fondement sur lequel IRCC s’est appuyé pour parvenir à sa conclusion étaient déraisonnables. Plus précisément, les demandeurs m’ont convaincu que IRCC avait commis une erreur a) en tirant des conclusions hypothétiques quant à la situation financière de Daytona, b) en ne consultant pas EDSC ou Daytona, et c) en s’appuyant sur des renseignements extrinsèques pour conclure que les offres d’emploi n’étaient pas authentiques. En outre, je conclus que les conclusions de fausses déclarations tirées à l’encontre des trois demandeurs du groupe 1 étaient déraisonnables.

a) IRCC a tiré des conclusions hypothétiques au sujet de Daytona

[25] Selon les activités et les renseignements financiers à jour de Daytona, IRCC craignait que l’entreprise ne soit pas en mesure de payer ses éventuels nouveaux conducteurs de camion. Cependant, les demandeurs soutiennent que l’évaluation faite par IRCC des documents financiers de Daytona est viciée, car elle est fondée sur des estimations, elle suppose que les employés actuels travaillent à temps plein, alors que bon nombre d’entre eux travaillent à temps partiel ou sont des entrepreneurs indépendants, et les calculs sont faits parfois à partir de montants nets et parfois à partir de montants bruts. Les demandeurs soutiennent également qu’IRCC a mélangé divers documents financiers qui fournissent un aperçu incomplet et inexact pour tirer des conclusions injustifiées quant à l’échelle et à la portée actuelles des activités de Daytona.

[26] Le défendeur rétorque que les demandeurs soulèvent des problèmes de calcul qui sont mineurs; il s’agit, selon lui, de lacunes accessoires qui ne sont pas suffisamment capitales ou importantes pour rendre l’ensemble des décisions déraisonnables (Vavilov, au para 100). Le défendeur fait valoir que, même si les estimations faites par IRCC lors de l’évaluation des documents financiers de Daytona n’étaient pas parfaites, elles étaient suffisamment raisonnables pour montrer que Daytona n’aurait pas la capacité financière de payer les demandeurs et de respecter les conditions de leurs contrats de travail.

[27] Je ne suis pas de cet avis. Les demandeurs ont soulevé des questions concernant l’évaluation faite par IRCC des documents financiers de Daytona, évaluation qui était non seulement viciée et hypothétique, mais également essentielle aux décisions. IRCC a cité plusieurs chiffres provenant de diverses sources dans la documentation pour justifier sa conclusion selon laquelle les offres d’emploi faites par Daytona aux demandeurs n’étaient pas authentiques. Son analyse s’appuyait sur plusieurs sources, y compris sur les prévisions salariales annuelles pour les travailleurs étrangers, établies en fonction de la déclaration de revenus de 2018 de Daytona ainsi que de ses avis de cotisation de 2016 à 2018. IRCC a ensuite comparé ces documents fiscaux des années précédentes à un organigramme de l’entreprise envoyé au bureau des visas dans la réponse à la lettre d’équité procédurale. Figuraient sur cet organigramme une cinquantaine d’employés (dont 26 conducteurs de camion) et 10 travailleurs contractuels. IRCC a divisé les chiffres associés aux salaires et traitements des travailleurs fournis dans la déclaration de revenus des sociétés (T2) pour 2018 entre les 60 personnes figurant sur l’organigramme de 2020, obtenant ainsi une moyenne de 7 488 $ par employé.

[28] Ces chiffres ne concordent pas, car IRCC a comparé des documents disparates de diverses années d’imposition. De plus, IRCC n’a pas tenu compte des états financiers de l’entreprise ni des notes connexes, qui offrent une explication comptable de la façon dont elle mène ses activités. IRCC aurait dû s’appuyer sur les chiffres d’une seule et même année de référence pour réaliser un calcul raisonné et fiable du traitement moyen des travailleurs, si un tel calcul peut réellement donner des résultats fiables. De plus, en divisant simplement le chiffre figurant sur une ligne de la déclaration de revenus par le nombre total de travailleurs, soit 60, IRCC n’a tenu compte d’aucune nuance, comme la distinction entre les travailleurs contractuels et les employés, pour arriver à un traitement moyen de 7 488 $ par travailleur. Comme je l’ai déjà mentionné, IRCC a utilisé des chiffres provenant de différentes périodes pour faire ses évaluations.

[29] De plus, IRCC a conclu ce qui suit : [traduction] « Il est noté que seulement deux employés semblent avoir gagné plus de 40 000 $ CA en 2019; ce potentiel de gain semble donc être l’exception plutôt que la règle. Pour la majorité, les employés semblent avoir gagné entre 6 000 $ CA et 20 000 $ CA en 2019. » Une fois de plus, ce calcul ne semble pas constituer une analyse exacte des renseignements financiers fournis. Premièrement, sept employés sur vingt-huit ont touché une rémunération supérieure à ce montant si l’on se fie aux talons de paye fournis, ventilés sur l’année. Encore là, le calcul ne donne pas une idée exacte : pour une grande majorité, les talons de paye indiquaient que les travailleurs concernés avaient travaillé plus de 40 heures par semaine.

[30] En bref, rien n’indique que IRCC a tenu compte des nuances dans les renseignements financiers de l’entreprise qui lui ont été fournis (comme la façon dont Daytona avait payé et déclaré les salaires et traitements).

b) Il était déraisonnable pour IRCC de ne pas consulter EDSC ou Daytona

[31] La preuve présentée à IRCC indiquait que des représentants de Daytona avaient rencontré EDSC et avaient fourni des documents détaillés à l’appui des demandes d’EIMT faites par l’entreprise. Pourtant, IRCC n’a pas consulté cette dernière ni EDSC pour savoir quels documents avaient été fournis dans le cadre de l’étude plus ciblée du marché du travail faite parallèlement à l’examen des demandes d’EIMT. Il était déraisonnable de ne pas le faire. Bien qu’il soit certainement loisible à IRCC de parvenir à une conclusion opposée à celle d’EDSC, un ministère à vocation analogue, une telle décision manquera de transparence et de justification si aucun renvoi n’est fait aux renseignements financiers qui sous-tendent l’avis d’EDSC. De plus, le défaut de renvoyer à ces renseignements mènera inévitablement au raisonnement vicié et hypothétique décrit plus en détail ci-dessous.

[32] IRCC a tiré une inférence négative du fait que Daytona n’avait pas inclus certains documents dans la trousse envoyée au bureau des visas de New Delhi. Parmi les lacunes relevées dans l’évaluation faite par IRCC, ce dernier a notamment mentionné ce qui suit dans ses motifs : [traduction] « selon la lettre [de M. Thorning], des copies de la convention d’achat de 40 camions ainsi que de la convention concernant les 13 autres camions achetés le mois dernier étaient jointes à la lettre; toutefois, les conventions d’achat en question n’étaient pas jointes ». Je soulève deux réserves quant à cette conclusion.

[33] Daytona a fourni à IRCC les documents demandés dans les lettres d’équité procédurale (ou dans les lettres de convocation à une entrevue) même si IRCC n’avait pas communiqué avec l’entreprise, mais plutôt avec les six demandeurs par l’intermédiaire des lettres d’équité procédurale ou des lettres de convocation à une entrevue. Cependant, les conventions d’achat n’étaient demandées ni dans les lettres d’équité procédurale ni dans les lettres de convocation à une entrevue. En fin de compte, IRCC n’a interrogé les demandeurs que sur l’authenticité des offres d’emploi. IRCC, s’attendant à obtenir des réponses, n’a posé de questions sur les activités et les plans d’affaires de l’entreprise qu’à des employés éventuels qui vivaient loin du Canada, n’avaient jamais visité le pays et en savaient peu sur l’entreprise, si ce n’est qu’elle exerçait ses activités dans le secteur du camionnage et qu’elle avait offert un emploi à chacun d’eux.

[34] Par conséquent, les employés éventuels – les six demandeurs de permis de travail à titre de travailleurs étrangers temporaires – n’auraient pas raisonnablement pu donner des détails plus nuancés au sujet de l’authenticité des offres d’emploi, puisqu’ils n’étaient jamais venus au Canada, qu’ils n’avaient jamais obtenu de renseignements particuliers sur les activités internes de Daytona ou qu’ils n’avaient jamais été informés des plans d’affaires ou des demandes d’EIMT de l’entreprise.

[35] En effet, en contrôle judiciaire, les demandeurs ont soutenu, avec raison, que les renseignements demandés dans les lettres d’équité procédurale ou les lettres de convocation à une entrevue étaient précisément le genre de renseignements que des demandeurs d’emploi ne pourraient jamais connaître et qu’il serait tout à fait inapproprié de leur communiquer. C’est pourquoi CANUS et Daytona ont répondu directement au bureau des visas sans fournir les renseignements organisationnels de nature délicate aux demandeurs, à qui ces renseignements avaient été demandés dans les lettres de convocation à une entrevue ou les lettres d’équité procédurale. Ces renseignements comprenaient des renseignements sur les efforts de recrutement déployés par l’entreprise pour trouver les travailleurs, une description de l’entreprise, des renseignements sur sa taille, ses activités et sa structure de propriété, le nombre de travailleurs étrangers employés, des états financiers et des listes de clients et de fournisseurs.

[36] Indépendamment de l’analyse déraisonnable faite par IRCC des renseignements organisationnels et des chiffres fournis, le fait de demander ces renseignements non pas à l’employeur, mais plutôt aux employés éventuels, et de leur reprocher de ne pas connaître les détails était déraisonnable en soi. Comme M. Thorning l’a expliqué dans sa lettre :

[traduction]

L’agent d’IRCC a exigé d’obtenir, de la part d’éventuels travailleurs étrangers temporaires, des documents financiers de Daytona Freight Systems Inc., documents qui ne seraient jamais transmis par des employeurs éventuels pour des raisons de confidentialité. L’entreprise avait déjà fourni au gouvernement des documents librement accessibles, soit le profil de l’entreprise, les états financiers, les détails de la base de données des employés et les documents de l’ARC [Agence du revenu du Canada], et le gouvernement avait reconnu la bonne réputation de l’entreprise, peu importe le nombre d’employés éventuels requis pour combler les postes de conducteur de camion.

[37] En effet, les lignes directrices opérationnelles d’IRCC sur l’évaluation de l’authenticité d’une offre d’emploi [les lignes directrices sur l’évaluation de l’authenticité] renvoient explicitement à la capacité d’un agent, en cas de doute, de communiquer directement avec un employeur (tel qu’il est indiqué dans les lignes directrices à l’adresse https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/publications-guides/bulletins-guides-operationnels/residents-temporaires/travailleurs-etrangers/authenticite.html, datées du 19 novembre 2019) :

Si l’agent a des doutes au sujet de l’employeur ou de l’authenticité de l’offre d’emploi, il peut demander des renseignements supplémentaires en communiquant directement avec l’employeur aux coordonnées fournies dans l’offre d’emploi. En effet, aux termes du sous-alinéa 200(1)c)(ii.1) [du Règlement], l’agent peut demander des renseignements à l’employeur sans avoir à passer par le demandeur étranger.

[38] Je souligne que ce passage est tiré d’une section des lignes directrices sur l’évaluation de l’authenticité qui porte sur les permis de travail dispensés d’une EIMT, ce qui ne correspondait pas au type de permis de travail demandé par les demandeurs en l’espèce. En fait, les offres d’emploi dispensées d’une EIMT ne bénéficient pas de la demande préalable de l’employeur et de la preuve documentaire présentée à l’appui, ni de l’exercice de la diligence raisonnable et de l’approbation par EDSC. Les lignes directrices montrent qu’IRCC prévoit expressément des scénarios dans lesquels un employeur serait mieux placé qu’un demandeur pour fournir certains types de renseignements, plutôt que de « passer par » le demandeur pour les obtenir. Dans le cas d’une demande de permis de travail dispensée d’une EIMT évaluée au titre de l’article 200 du Règlement, la vérification de l’authenticité de l’offre d’emploi et la vérification de l’employeur sont effectuées par l’agent des visas.

[39] Une fois la distinction soulignée, le sens des lignes directrices sur l’évaluation de l’authenticité demeure important, peut-être même plus encore. Il traduit logiquement le fait que, dans certains cas, les employeurs sont mieux placés et certainement mieux informés que les demandeurs pour fournir des renseignements plus nuancés à l’appui de l’authenticité de l’offre d’emploi. La nécessité d’établir ce contact ne semble que renforcée dans le contexte d’une EIMT, lorsqu’une évaluation complète du marché du travail a déjà été réalisée par EDSC, le ministère responsable du marché du travail.

[40] Les lignes directrices sur l’évaluation de l’authenticité rappellent aux agents qu’ils ont le pouvoir de demander des renseignements à l’employeur sans avoir à « passer par » les employés éventuels. C’est tout à fait logique étant donné le déséquilibre entre les connaissances de l’employeur et celles de l’employé éventuel, que ce dernier soit ou non recruté localement et qu’il s’agisse d’un Canadien ou d’un étranger. Comment un employé – encore moins un employé éventuel qui ne travaille pas encore pour l’entreprise – pourrait-il connaître des renseignements exclusifs sur cette entreprise, sur les salaires qu’elle verse, sur la composition de ses effectifs ou sur sa capacité à payer ses futurs employés? Cela est encore plus vrai lorsque l’employeur est une société fermée dont les renseignements financiers ne sont pas du domaine public, comme c’est le cas en l’espèce.

[41] Je souligne que d’autres directives opérationnelles fournies par IRCC, notamment le « Programme des travailleurs étrangers temporaires : Aperçu de l’étude d’impact sur le marché du travail » (voir https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/publications-guides/bulletins-guides-operationnels/residents-temporaires/travailleurs-etrangers/codes-dispense/apercu.html, daté du 14 novembre 2019), encouragent aussi le IRCC à communiquer avec EDSC lorsque des questions de posent. Dans la section intitulée « Coopération entre EDSC/SC, CIC et l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) », cette ligne directrice encourage clairement IRCC à communiquer avec les ministères à vocation analogue, y compris EDSC, lorsqu’il est justifié de le faire :

Le Programme des travailleurs étrangers temporaires est unique en ce sens qu’il repose sur l’étroite coopération de trois organisations gouvernementales différentes. On encourage les agents à communiquer avec EDSC dans les cas où plus d’information sur une offre d’emploi peut faciliter la prise de décision. On les encourage aussi à répondre rapidement aux demandes de renseignements d’EDSC.

Bien des situations peuvent justifier la communication (à part ou en plus de l’EIMT) entre EDSC, CIC et l’ASFC dans le but de faciliter la prise de décision et d’améliorer le service au client.

[42] De plus, la loi indique clairement qu’EDSC est responsable du volet lié au marché du travail dans le cadre du processus de demande de permis de travail (voir, par exemple, les paragraphes 203(1), 203(1.01), 203(1.1), 203(2.02) de même que 203(3), 203(4) et 203(5) du Règlement). Si une EIMT favorable faite par EDSC – après que l’employeur eut déployé tous les efforts nécessaires pour présenter la demande, y compris fournir les documents demandés, présenter les observations et payer les frais – est écartée et ne se voit accorder aucun poids par l’autre ministère, les employeurs pourraient naturellement s’interroger sur l’utilité de consacrer du temps, des efforts et des dépenses pour obtenir une EIMT en premier lieu. C’est particulièrement vrai si IRCC s’attend à ce que les employeurs passent par les travailleurs étrangers pour transmettre des renseignements organisationnels de nature délicate.

[43] Compte tenu des doutes qu’avait IRCC quant à l’authenticité des offres d’emploi faites par Daytona en l’espèce, il était déraisonnable de sa part de ne pas communiquer avec Daytona ou EDSC pour obtenir des précisions sur la situation financière de Daytona. Daytona avait suivi un processus complet avec l’autre ministère, EDSC, lorsqu’elle avait présenté ses demandes d’EIMT avant de recruter les demandeurs. Elle avait eu une rencontre en personne avec EDSC et lui avait fait une présentation convaincante sur les fondements de l’entreprise, sur ses projections de croissance, sur ses plans d’affaires futurs et sur la pénurie de main-d’œuvre. De plus, Daytona avait fourni à EDSC, selon les documents déposés dans la présente demande, une trousse beaucoup plus complète de documents organisationnels, croyant raisonnablement que le processus de demande d’EIMT permettrait d’évaluer et de confirmer sa capacité à payer les travailleurs étrangers qui présenteraient une demande de permis de travail au titre des EIMT qui avaient été réalisées.

[44] En l’espèce, je conclus qu’un ministère n’a pas pris la mesure de ce que l’autre avait fait en raison d’un manque de consultation. Compte tenu du processus de demande, un employeur devrait pouvoir se fier, dans une certaine mesure, à une évaluation favorable du marché du travail faite par EDSC lorsque ses employés éventuels présentent à IRCC une demande de permis de travail fondée sur cette évaluation favorable.

[45] S’il ne fait aucun doute que les deux ministères ont l’obligation de s’assurer de l’authenticité d’une offre d’emploi, il est déraisonnable de le faire sans aucune coordination. L’absence de communication entre deux navires qui se croisent la nuit est préoccupante, d’autant plus lorsque les deux navires appartiennent à la même flotte. En outre, dans une situation comme en l’espèce où le deuxième navire prévoit emprunter un chemin différent, on s’attendrait à un minimum de communication avec le premier. Ce minimum de communication aurait pu contribuer à éviter les angles morts occasionnés par l’absence de dialogue avec l’une ou l’autre des deux parties qui aurait pu répondre correctement aux questions ou dissiper les doutes (c.-à-d. l’employeur ou EDSC).

[46] Les questions concernant la capacité de l’employeur à payer les employés éventuels, la façon dont ses renseignements financiers sont compilés, la façon dont il prévoyait acquérir des camions pour les travailleurs, les installations à partir desquelles il exerçait ses activités ou la façon dont il comptait faire croître l’entreprise auraient pu et auraient dû être posées à l’employeur, soit Daytona. IRCC a plutôt posé ces questions aux demandeurs, des conducteurs de camion originaires de l’Inde qui n’avaient jamais visité le Canada et qui n’avaient jamais consulté ni reçu les documents financiers de Daytona qui figuraient dans la trousse de documents transmise directement à IRCC.

[47] Les questions portant sur les raisons pour lesquelles les demandes d’EIMT avaient été approuvées par EDSC pour les conducteurs de camion dans le marché du travail actuel auraient dû être posées à EDSC. C’est ce ministère qui avait pris la décision d’approuver les demandes d’EIMT. Les demandes de permis de travail comprenaient des éléments de preuve démontrant l’existence d’une pénurie de main-d’œuvre dans l’industrie du camionnage longue distance. Si IRCC doutait que Daytona exerçât véritablement ses activités dans cette industrie ou qu’elle n’était pas honnête en ce qui concernait les renseignements fournis à l’appui de ses demandes d’EIMT, il était déraisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs, dans ces circonstances, soient en mesure de dissiper adéquatement ses doutes.

c) IRCC s’est déraisonnablement appuyé sur des renseignements extrinsèques

[48] Les explications d’IRCC contenues dans les notes consignées dans le SMGC indiquaient à plusieurs reprises qu’IRCC s’était appuyé sur des renseignements extrinsèques pour parvenir à sa conclusion selon laquelle les offres d’emploi n’étaient pas authentiques. Cette conclusion injustifiée traduit un manque d’intelligibilité et de transparence dans le processus décisionnel concernant les six refus de permis de travail faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

[49] En commençant par le refus lui-même, IRCC a conclu ce qui suit : [TRADUCTION] « Je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une offre d’emploi authentique au titre de la division 200(1)c)(ii.1)(A) du Règlement, car l’employeur éventuel ne semble pas raisonnablement en mesure de respecter les conditions de l’offre d’emploi. » Comme je l’ai déjà souligné ci-dessus dans la section traitant des lignes directrices sur l’évaluation de l’authenticité, la division 200(1)c)(ii.1)(A) du Règlement porte sur les permis de travail dispensés d’une EIMT. C’était plutôt l’article 203 du Règlement qui s’appliquait en l’espèce, puisqu’une EIMT avait été présentée à IRCC pour chacun des six demandeurs. En effet, le renvoi à l’article 200 du Règlement plutôt qu’à l’article 203 peut expliquer pourquoi IRCC s’est senti obligé de refaire l’évaluation de la situation financière et l’analyse du plan d’affaires qui avaient déjà été faites par EDSC.

[50] Même s’il ne fait aucun doute qu’IRCC était au courant des EIMT et qu’il y a renvoyé, les motifs témoignent, au mieux, d’une certaine confusion dans l’application de la loi qui est déraisonnable dans les circonstances. On ne peut avoir la certitude qu’IRCC, ayant cité la mauvaise disposition législative, a appliqué les bons facteurs pour rejeter les demandes.

[51] Pour illustrer davantage la distinction entre les deux articles du Règlement, les lignes directrices opérationnelles d’IRCC qui s’appliquaient au moment des évaluations, soit les « Étapes à suivre pour déterminer le travail et évaluer les demandes de permis de travail » [les lignes directrices sur les demandes de permis de travail], énoncent une voie différente que les agents doivent suivre lorsqu’ils examinent des demandes de permis de travail dispensées d’une EIMT par opposition à celles qui ne bénéficient pas d’une dispense au titre des articles 204 et 205 du Règlement (voir les lignes directrices sur les demandes de permis de travail, datées du 22 juillet 2020, qui étaient en vigueur au moment de l’évaluation grâce à l’outil « WayBack Machine » à l’adresse https://web.archive.org/web/20230614214653/https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/organisation/publications-guides/bulletins-guides-operationnels/residents-temporaires/travailleurs-etrangers/admissibilite/etapes-determination-travail-evaluation-demandes-permis-travail.html).

[52] L’étape 3, intitulée « L’employeur est-il authentique et peut-il recruter des étrangers? », propose différentes voies qu’un agent devrait suivre lorsque : a) l’employeur est tenu d’obtenir une EIMT auprès d’EDSC ou b) l’offre d’emploi est visée par une dispense d’EIMT. Pour les demandes de permis de travail qui ne nécessitent pas l’obtention d’une EIMT, les lignes directrices indiquent à l’agent de passer à l’étape 4 sur l’admissibilité des étrangers, si l’employeur est dispensé du régime de conformité. En l’espèce, rien ne donnait à penser que Daytona était assujettie au régime de conformité ni qu’elle avait été jugée non conforme à celui-ci par le passé (selon la liste disponible à l’époque, accessible à l’adresse https://web.archive.org/web/20230603021344/https://www.canada.ca/fr/immigration-refugies-citoyennete/services/travailler-canada/employeurs-non-conformes.html).

[53] Toutefois, si une EIMT n’était pas requise (permis de travail dispensés d’une EIMT), les lignes directrices pertinentes d’IRCC demandaient aux agents de procéder à un examen complet de l’authenticité de l’offre. L’examen de l’authenticité de l’offre comprenait trois étapes permettant de déterminer si l’employeur serait en mesure de respecter les conditions d’emploi : i. « Examine[r] l’offre dans le système afin de s’assurer qu’elle répond aux exigences d’authenticité du [paragraphe] 200(5) [du Règlement] (p. ex., l’entreprise est active, peut payer des salaires et respecte toutes les lois provinciales et fédérales en matière d’emploi). » ii. Vérifier la liste des employeurs qui ont été non conformes (voir le paragraphe ci-dessus). iii. Vérifier si « [l]’employeur rempli[t] les exigences prévues [à la division] 200(1)c)(ii.1)(B) [du Règlement] en ce sens qu’au cours des six dernières années, il a fourni à chaque étranger qu’il a embauché un emploi dans la même profession et un salaire et des conditions de travail essentiellement identiques à ceux indiqués dans l’offre d’emploi utilisée comme base pour les permis de travail antérieurement délivrés ».

[54] En l’espèce, IRCC semble adopter l’analyse suggérée à la division 200(1)c)(ii.1)(A) du Règlement qui, comme je l’ai expliqué ci-dessus, devrait comprendre une vérification plus rigoureuse de l’employeur pour les permis de travail dispensés d’une EIMT, étant donné l’absence d’évaluation ou d’approbation de la part d’EDSC. Bien entendu, en l’espèce, l’exercice de diligence raisonnable avait déjà été effectué par EDSC à l’étape de l’EIMT. IRCC a conclu qu’il n’était pas convaincu que Daytona avait fait des offres d’emploi authentiques aux six demandeurs parce qu’elle ne semblait pas raisonnablement en mesure de respecter les conditions des offres. Une fois de plus, IRCC a cité la division 200(1)c)(ii.1)(A) du Règlement dans sa conclusion, qui concerne les demandes dispensées d’une EIMT, plutôt que l’article 203 du Règlement compte tenu des EIMT que comprenaient les six dossiers de demande de permis de travail dont il disposait.

[55] Je souligne qu’il ne s’agit pas de la seule erreur relevée dans les commentaires d’IRCC qui donne à penser que les six évaluations ont été faites de façon déraisonnable. Une autre erreur est relevée dans le commentaire fait au début de chacune des six entrevues (selon les notes consignées dans le SMGC), soit : [traduction] « Je suis l’agent qui rendra une décision concernant votre demande de visa de résident permanent au Canada. » Encore une fois, même s’il pouvait s’agir d’une erreur de bonne foi, ce commentaire pouvait aussi – compte tenu de tous les autres commentaires ci-dessus – indiquer que l’agent était confus quant au type de demande à évaluer et à l’importance de la diligence raisonnable à exercer à l’égard de l’employeur. Le résultat final est que le caractère raisonnable des décisions est compromis.

[56] Certaines autres conclusions n’étaient pas non plus justifiables, comme les commentaires formulés dans les notes consignées dans le SMGC au sujet du fait que les demandeurs avaient payé le cabinet de consultation en immigration CANUS pour le traitement de leurs demandes de permis de travail. CANUS a représenté Daytona pour l’obtention des EIMT. Le cabinet a, par la suite, représenté les six demandeurs auprès d’IRCC pour leurs demandes de permis de travail. Bien qu’IRCC ait fait remarquer, à juste titre, que tous les demandeurs étaient représentés par le même représentant, soit CANUS, IRCC a souligné [traduction] « [qu’]à la question concernant les honoraires facturés par CANUS, outre des réponses de 3 500 $ CA et 5 000 $ CA, la réponse généralement obtenue à l’entrevue était 3 000 $ CA ». Le commentaire selon lequel [traduction] « la réponse généralement obtenue [...] était 3 000 $ CA » ne concorde pas avec les différents montants indiqués par les demandeurs. Par exemple, en ce qui concerne le groupe 1, le demandeur dans le dossier 3092 a payé 3 400 $, le demandeur dans le dossier 3099 a payé 3 000 $ et le demandeur dans le dossier 3100 a payé 5 000 $.

[57] De plus, rien n’explique en quoi les montants des honoraires payés, même s’ils se situaient dans la même fourchette de façon générale, étaient importants ou pertinents à l’égard des décisions. CANUS a pris part à toutes les demandes de permis de travail, agissant à titre de représentant de tierce partie. Les six demandeurs ont fourni le formulaire requis (IMM-5476, Recours aux services d’un représentant), ainsi qu’une lettre d’accompagnement détaillée de CANUS. De plus, CANUS a fourni une réponse aux lettres d’équité procédurale au nom de l’employeur.

[58] Si CANUS a fait preuve de transparence quant à sa participation au processus, y compris en ce qui concerne les divers formulaires et lettres qu’il a présentés à l’appui des demandes, on ne peut pas en dire autant d’IRCC dans les commentaires faits au sujet du cabinet dans les décisions. Indépendamment de l’observation inintelligible selon laquelle les demandeurs avaient fourni des réponses semblables au sujet des honoraires de 3 000 $, les décisions n’expliquent pas de façon transparente en quoi la participation de CANUS justifie le rejet des demandes.

[59] Le fait de représenter à la fois l’employeur et les employés éventuels pourrait certainement entraîner des problèmes (voir, par exemple, les dispositions relatives aux conflits d’intérêts du Code de déontologie des titulaires de permis du Collège des consultants en immigration et en citoyenneté, DORS/2022-128). Cependant, le Code n’a pas été mentionné. IRCC n’a pas non plus fait d’allégations d’inconduite ou de manquement à l’éthique professionnelle de la part de CANUS. À cet égard, les décisions n’étaient pas justifiées.

3. Les trois conclusions de fausses déclarations étaient déraisonnables

[60] Les demandeurs du groupe 1 soutiennent que les conclusions de fausses déclarations tirées à leur encontre sont déraisonnables, car IRCC n’a pas expliqué de manière suffisante la façon dont les conclusions ont été tirées. Le défendeur s’appuie sur les commentaires formulés par la Cour au paragraphe 32 de la décision Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690, pour soutenir que la Cour devrait faire preuve de retenue à l’égard de l’appréciation de la preuve faite par IRCC et des conclusions tirées par ce dernier quant à la crédibilité, même si les motifs sont brefs ou mal rédigés. IRCC a expliqué que chaque demandeur du groupe 1 était interdit de territoire parce que, [traduction] « compte tenu des documents versés au dossier et des réponses aux questions posées lors de l’entrevue, [il était] d’avis que le demandeur principal [avait] présenté une offre d’emploi non authentique et qu’une présentation erronée relativement à ce fait important aurait pu entraîner des erreurs dans l’application de la Loi ».

[61] Les conclusions de fausses déclarations doivent être étayées par une preuve « claire et convaincante », compte tenu des conséquences d’une telle conclusion sur l’admissibilité future au Canada (Ibe-Ani c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 1112 au para 18, citant Seraj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 38 au para 1; Lamsen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 815 au para 31; Chughtai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 416 aux para 29-30). Les décisions relatives aux trois demandeurs du groupe 1 ne révèlent pas l’existence d’une preuve claire et convaincante pour étayer les conclusions de fausses déclarations.

[62] Selon les notes consignées dans le SMGC, IRCC a conclu que les demandeurs du groupe 1 avaient fait de fausses déclarations en présentant des offres d’emploi non authentiques, mais IRCC s’est appuyé principalement sur les renseignements fournis par Daytona et ses représentants légaux pour conclure que les offres d’emploi n’étaient pas authentiques, et non pas sur les renseignements obtenus lors des entrevues. Je ne puis souscrire à l’affirmation du défendeur selon laquelle la preuve tirée des entrevues avec les demandeurs du groupe 1 justifiait les conclusions de fausses déclarations à leur encontre, puisque les notes consignées dans le SMGC ne mentionnent aucune preuve claire ou convaincante de fausses déclarations de la part des demandeurs du groupe 1. De plus, rien ne distingue ces trois demandeurs des trois demandeurs du groupe 2 qu’IRCC mentionne. Au contraire, les notes consignées dans le SMGC soulignent à quel point les réponses des six demandeurs étaient similaires.

[63] Par conséquent, je conviens avec les demandeurs du groupe 1 que les conclusions de fausses déclarations tirées à leur encontre sont incohérentes et déraisonnables, étant donné qu’aucune conclusion de fausse déclaration n’a été tirée à l’encontre des demandeurs du groupe 2 et que les demandes de permis de travail de tous les demandeurs ont été rejetées au motif que les offres d’emploi n’étaient pas authentiques. Conclure qu’une offre d’emploi n’est pas authentique, surtout lorsqu’un autre ministère a conclu l’inverse, n’est pas sans importance. Cela revient à conclure que l’offre d’emploi faite par l’employeur – et présentée par le demandeur – était frauduleuse. Compte tenu de la gravité de la conclusion, l’explication doit être claire et fondée sur la preuve, et en l’espèce, les trois conclusions de fausses déclarations ne satisfont pas à ce critère (Balyokwabwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 623 au para 45; Oranye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 390 aux para 23-24).

[64] Les lettres d’équité procédurale, qui n’ont été envoyées qu’à deux des demandeurs (IMM-3099-20 et IMM-3100-20), et pas à l’employeur, contenaient une liste de documents requis plus précise que celle fournie avec les lettres de convocation à une entrevue (comme le montre l’annexe A par rapport à l’annexe B des présents motifs). Plus précisément, la liste contenue dans les lettres d’équité procédurale comprenait une demande de renseignements sur les recruteurs employés, sur les raisons ayant motivé l’embauche des demandeurs, sur la capacité de ces derniers à exercer l’emploi et sur les mesures prises pour favoriser le respect du visa. Les lettres d’équité procédurale demandaient aussi des renseignements sur l’entreprise, y compris des renseignements sur l’enregistrement de l’entreprise, des états financiers, des avis de cotisation, un organigramme, des relevés de cotisation à l’assurance-emploi, ainsi que des renseignements sur les clients et les fournisseurs.

[65] Bien entendu, le simple fait qu’EDSC ait délivré des EIMT favorables à Daytona ne garantissait en rien qu’une approbation suivrait pour une partie ou la totalité des six demandeurs de permis de travail. En effet, comme je l’ai déjà mentionné, une EIMT n’est pas déterminante, et une demande de permis de travail peut être rejetée pour de nombreuses raisons. Souvent, dans le cas d’une demande de permis de travail, ces raisons sont liées à des lacunes propres au demandeur qui font en sorte qu’il ne serait pas en mesure de répondre aux exigences de l’emploi. Les motifs d’un refus peuvent aller du manque de formation, d’expérience de travail ou de compétences linguistiques requises jusqu’à des doutes quant à l’identité, en passant par l’insuffisance de la documentation. En fait, ce sont principalement ces motifs qui sont visés par la liste à puces figurant dans les lettres de convocation à une entrevue envoyées aux demandeurs.

[66] Plus rarement, des refus de permis de travail peuvent découler, en tout ou en partie, de conclusions d’interdiction de territoire. De telles conclusions peuvent être attribuables à de fausses déclarations, comme dans le cas des demandeurs du groupe 1. Dans le cas d’une conclusion d’interdiction de territoire, les répercussions ne se limitent pas au seul rejet d’une demande; la Cour doit être très claire quant au fondement de sa conclusion qui entraîne une période d’interdiction de territoire de cinq ans (Toki c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 606 aux para 31, 38). En l’espèce, interprétées dans leur ensemble, les décisions étaient tout sauf claires. Les lettres de refus envoyées aux trois demandeurs indiquent ce qui suit comme seul motif de refus : [traduction] « Je ne suis pas convaincu que vous avez répondu honnêtement à toutes les questions qui vous ont été posées. »

[67] Pour expliquer ce qui sous-tend cette conclusion, les notes consignées dans le SMGC indiquent que l’agent a commencé à avoir des doutes concernant l’offre d’emploi présentée avec la demande. À la date du refus, l’agent a écrit ce qui suit : « Des vérifications ont été faites par ce bureau et il a été confirmé que le demandeur avait présenté une offre d’emploi non authentique. » Selon les notes d’entrevue, peu de questions ont été posées au sujet de l’entreprise. Les questions les plus approfondies concernant l’entreprise et son authenticité ont été posées au demandeur du dossier IMM-3092-20 (groupe 1). Au cours de cette entrevue, l’échange s’est déroulé comme suit :

[traduction]

Laissez-moi vous montrer une photo du lieu situé à l’adresse indiquée pour votre emploi au Canada (une photo tirée de Google Maps est montrée). Le lieu semble correspondre à une petite suite de bureaux dans un petit centre commercial. Je ne vois aucun camion. D : L’entreprise a peut-être une autre cour. AM : Où est la cour? D : Je ne sais pas. AM : J’ai des doutes puisqu’il ne semble y avoir aucun camion à l’adresse de votre emploi. D : L’entreprise doit avoir une autre cour où elle garde les camions. ÉQUITÉ PROCÉDURALE – ÉQUITÉ PROCÉDURALE AM : Merci pour tous les renseignements fournis. J’arrive à la fin de cette entrevue et j’ai des doutes concernant certains des renseignements qui m’ont été fournis, au cours de cette entrevue et dans votre demande. Votre lieu de travail est un petit espace à bureaux où aucun camion n’est visible; je crains que l’offre d’emploi ne soit pas authentique. D : Je ne sais pas, c’est l’offre que l’entreprise m’a faite. L’entreprise a peut-être des camions à Brampton. AM : Connaissez-vous la distance entre Brampton et Dartmouth? D : Peut-être environ 400 km. AM : Regardons la carte [...] la distance est d’environ 1 900 km. D : C’est ce que l’entreprise m’a dit.

[68] Comme dans l’analyse ci-dessus concernant les conclusions hypothétiques, j’ai déjà expliqué pourquoi il était déraisonnable de faire part de ces doutes aux demandeurs plutôt qu’à l’entreprise. Il n’est pas surprenant que les décideurs aient tiré des conclusions hypothétiques s’ils s’attendaient à obtenir des renseignements sur le fonctionnement interne de l’entreprise. Par exemple, IRCC n’a pas tenu compte des actifs d’une valeur de 11 millions de dollars et des revenus de 15 millions de dollars déclarés dans les déclarations de revenus fournies par Daytona. Il aurait sûrement pu être déduit de ces chiffres que l’entreprise menait des activités de camionnage si la question avait été dirigée vers la source appropriée.

[69] Cependant, cette section de l’analyse ne se limite pas aux conclusions hypothétiques qui ont été tirées après que les doutes eurent été soulevés auprès d’employés éventuels qui n’avaient jamais travaillé pour l’entreprise, ni même mis les pieds au Canada, et qui n’avaient jamais vu les déclarations de revenus ou les renseignements financiers fournis par Daytona pour des raisons de confidentialité. Elle porte plutôt sur le caractère raisonnable des conclusions de fausses déclarations, et un autre extrait de l’entrevue est éclairant à ce sujet. Les notes consignées dans le SMGC contiennent les commentaires suivants concernant l’entrevue menée avec le demandeur du dossier IMM-3092-20 :

[traduction]

Lorsqu’on lui a montré une photo tirée de Google Maps du lieu d’emploi situé à l’adresse indiquée dans l’EIMT, qui correspond à un ensemble de bureaux dans un petit complexe où il ne semble y avoir aucun grand routier, le demandeur principal a déclaré que l’entreprise gardait des camions dans une autre cour située à un endroit différent, mais il n’était pas certain de l’endroit exact. Le principe d’équité procédurale a été respecté durant l’entrevue; le demandeur s’est vu expliquer que l’authenticité de l’offre d’emploi était mise en doute en raison de la taille de l’entreprise et du manque d’éléments de preuve montrant que suffisamment d’activités de camionnage étaient menées en Nouvelle-Écosse. À ce stade, le demandeur principal a déclaré que l’employeur potentiel l’avait informé que les camions se trouvaient à Brampton, en Ontario. Lorsqu’on lui a montré une carte et la distance de 1 900 km séparant Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, et Brampton, en Ontario, le demandeur principal a mentionné que l’employeur lui avait dit que les camions se trouvaient à Brampton.

[70] Parmi les trois demandeurs du groupe 1, il s’agissait de l’interrogatoire le plus approfondi concernant la prétendue fausse déclaration découlant de la présentation d’une offre d’emploi non authentique. J’estime qu’il est déraisonnable que ce demandeur – comme les deux autres demandeurs du groupe 1 – soit blâmé pour avoir présenté une offre d’emploi non authentique, du moins d’après l’explication donnée par IRCC. IRCC n’explique pas de manière transparente ou intelligible les raisons qui auraient pu amener les demandeurs à croire que l’offre d’emploi n’était pas authentique. Autrement, les échanges ne révèlent aucune fausse déclaration, que ce soit directe ou indirecte.

[71] En conclusion, il ne fait aucun doute qu’il doit exister des postes que les employés éventuels viennent pourvoir au Canada (Dhaliwal, au para 6). Toutefois, si IRCC conclut qu’un employeur a présenté une offre d’emploi non authentique, cela ne signifie pas nécessairement que le demandeur de permis de travail savait que l’offre qu’il avait reçue n’était pas authentique et qu’il a fait une fausse déclaration dans sa demande. Dans certaines circonstances, la conclusion de faute ou de délit pourrait s’étendre au demandeur. Cependant, étant donné l’exigence concernant une preuve « claire et convaincante » expliquée plus haut, il aurait fallu davantage qu’en l’espèce pour satisfaire au critère associé à une fausse déclaration. Dans le cas qui nous occupe, la preuve était loin de satisfaire à cette exigence.

VII. Conclusion

[72] La faiblesse de l’analyse d’IRCC est qu’absolument rien n’indique qu’il a pris en compte les renseignements financiers qui lui avaient été présentés par le ministère qui avait délivré les EIMT favorables ou par l’employeur, qui étaient tous deux mieux placés que les demandeurs pour dresser un portrait financier plus complet de l’entreprise. En outre, l’analyse qui a été faite de l’authenticité des six offres d’emploi était irrémédiablement viciée pour les diverses raisons expliquées plus haut. Enfin, IRCC n’a invoqué aucun élément de preuve clair et convaincant pour établir que trois des six demandeurs avaient fait de fausses déclarations.

[73] Compte tenu du nombre et de la gravité des erreurs commises dans ces dossiers, la décision d’IRCC de rejeter chacune des demandes de permis de travail des six demandeurs était manifestement déraisonnable. Aucune des décisions ne fournit de motif rationnel pour justifier les refus, ni d’explication répondant aux critères de justification, d’intelligibilité ou de transparence quant aux raisons pour lesquelles les offres d’emploi ont été jugées non authentiques sur le fondement de ce qu’ont dit les demandeurs lors des entrevues.

[74] Compte tenu de l’issue, aucune des parties ne soulève de question de portée générale à certifier et, dans les circonstances, je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans les dossiers IMM-3099-20, IMM-3100-20, IMM-3092-20 (groupe 1)
et IMM-3097-20, IMM-3098-20, IMM-3093-20 (groupe 2)

 

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. Les demandes sont accueillies.

  2. Par souci de clarté, les conclusions de fausses déclarations tirées dans les dossiers IMM‑3099-20, IMM-3100-20 et IMM-3092-20 sont annulées.

  3. Les six demandes des demandeurs des groupes 1 et 2 seront renvoyées au bureau des visas pour qu’un autre agent statue à nouveau.

  4. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

  5. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Annexe A

Exemple de lettre d’équité procédurale envoyée à deux des demandeurs

[traduction]

Date : Le 27 décembre 2019

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Monsieur,

La présente concerne votre demande de permis de travail canadien.

J’ai examiné votre demande et les documents que vous avez présentés à l’appui de celle-ci. Aux termes du paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

Je ne suis pas convaincu que vous avez respecté l’exigence énoncée au paragraphe 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui est ainsi rédigé :

16(1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

Plus précisément, je crains que votre offre d’emploi ne soit pas authentique puisque votre employeur éventuel tente d’embaucher un grand nombre de travailleurs étrangers temporaires comme conducteurs de camions.

Pour permettre l’évaluation de la présente demande, vous devez fournir les éléments suivants concernant votre employeur éventuel dans un délai de 15 jours. Veuillez fournir les renseignements suivants obtenus auprès de votre employeur éventuel :

  1. L’identité des recruteurs embauchés par l’employeur en Inde pour recruter les demandeurs et une description détaillée des étapes de recrutement suivies par l’employeur pour déterminer si le ou les demandeurs convenaient pour l’emploi offert; les raisons pour lesquelles l’employeur est raisonnablement convaincu que les demandeurs sont en mesure d’exercer les fonctions liées à l’emploi et sincèrement motivés à se présenter au travail et à respecter les conditions de leur contrat de travail; la diligence raisonnable dont l’employeur a fait preuve pour s’assurer qu’il pouvait faire confiance aux demandeurs pour qu’ils respectent les conditions de leur visa de travailleur étranger temporaire, et les précautions prises par l’employeur pour favoriser et encourager le respect des conditions du visa.

  2. Une description de l’entreprise, y compris la taille de l’entreprise actuelle et un bref historique des activités, la ou les adresses d’où sont menées les activités,

Immigration Section - Service de l’immigration

7m Shantipath, Chanakyapuri PO Box 5209 New Delhi 110021 India www.india.gc.ca

les produits ou les services offerts par l’entreprise, le type de propriété de l’entreprise et les noms des propriétaires, ainsi que le nombre de travailleurs étrangers temporaires embauchés chaque année au cours des trois dernières années par rapport aux travailleurs non étrangers pour la même période.

  1. Des renseignements sur l’enregistrement de l’entreprise.

  2. Les états financiers non vérifiés les plus récents de l’entreprise.

Les avis de cotisation de l’entreprise produits par Revenu Canada pour les trois dernières années.

  1. Un organigramme de l’entreprise, y compris les titres des postes et le nom des personnes qui occupent chaque poste.Le nom complet, la date de naissance et le numéro d’assurance sociale de tout employé de l’entreprise qui détiendrait le statut de résident temporaire au Canada.

  2. Une preuve montrant que l’employeur a cotisé au régime d’assurance-emploi pour chaque employé.

  3. Une liste des clients principaux de l’entreprise, y compris des documents à l’appui tels que des contrats de vente et un relevé des comptes débiteurs.

  4. Une liste des fournisseurs principaux de l’entreprise, y compris des documents à l’appui tels que des contrats d’achat et un relevé des comptes créditeurs.

Veuillez noter que, s’il est conclu que vous avez fait de fausses déclarations dans votre demande de permis de travail, vous pourriez être déclaré interdit de territoire par application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. De plus, si une telle conclusion était tirée, vous seriez interdit de territoire au Canada pendant cinq ans, conformément à l’alinéa 40(2)a).

40(1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi.

40(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

a) l’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi.

J’aimerais vous donner l’occasion de répondre à cette information. Je vous accorde 15 jours à partir de la date de réception de la présente lettre pour présenter vos observations à cet égard. Veuillez téléverser votre réponse sur le portail Mon dossier d’IRCC (MonCIC) avant la date limite. Si aucune réponse n’est reçue de votre part dans le délai susmentionné, votre demande sera rejetée.

Cordialement,

Service de l’immigration

 

Immigration Section - Service de l’immigration

7m Shantipath, Chanakyapuri PO Box 5209 New Delhi 110021 India www.india.gc.ca

 

Annexe B

Exemple de lettre de convocation à une entrevue envoyée à tous les demandeurs

[traduction]

Date : Le 19 février 2020

 

 

 

 

 

 

 

Monsieur,

La présente concerne votre demande de visa canadien. Afin que nous puissions poursuivre le traitement de votre demande, vous devez vous présenter à une entrevue au Haut-commissariat du Canada, situé au 718 Shantipath, Chanakyapuri, New Delhi, Inde 110021 le :

 

Entrevue à New Delhi, le 18/03/2020 à 14 h

Format de la date : jj/mm/aaaa

 

Vous êtes convoqué à une entrevue afin d’évaluer votre admissibilité au titre du Programme des travailleurs étrangers temporaires ou du Programme de mobilité internationale. Cette entrevue comprendra une évaluation de vos compétences linguistiques, de votre expérience de travail antérieure, de votre capacité à exercer l’emploi pour lequel le permis est demandé et de l’authenticité de l’offre d’emploi.

Veuillez noter que les entrevues ne sont normalement pas reportées. Si vous ne vous présentez pas à l’entrevue, votre dossier sera évalué en fonction de la demande telle que vous l’avez présentée et il pourrait être rejeté. Vous devez vous présenter à l’heure prévue pour votre entrevue et avoir en main, en format papier, les documents suivants :

  • ·votre passeport actuel;

  • ·votre passeport précédent;

  • ·une preuve de votre emploi actuel et de votre emploi antérieur (lettres de recommandation, talons de paye, déclarations de revenus);

  • ·une preuve démontrant que vous respectez les exigences de l’EIMT; une pièce d’identité avec photo émise par le gouvernement (p. ex., un passeport);

  • ·  

  • ·des documents liés aux études;

  • ·des documents liés à l’expérience de travail;

  • ·une preuve du niveau de compétence en anglais;

  • ·une preuve de la capacité financière de votre employeur à vous embaucher et à payer votre salaire;

  • ·tout autre renseignement qui, selon vous, est lié à ce qui précède.

Tout document qui n’est ni en anglais ni en français doit être accompagné d’une traduction certifiée en plus d’une photocopie du document original. Ne fournissez pas de documents originaux, sauf si on vous le demande expressément.

Cordialement,

Section de la migration

 

Immigration Section - Service de l’immigration

7m Shantipath, Chanakyapuri PO Box 5209 New Delhi 110021 India www.india.gc.ca

 

 

Interprétation

Le Service de l’immigration du Haut-commissariat du Canada à New Delhi NE fournit PAS de services d’interprétation. Les demandeurs qui ne parlent pas l’anglais ni le français couramment doivent retenir les services d’un interprète professionnel qualifié figurant sur la liste des cabinets d’interprétation approuvés ci-dessous. Si le demandeur se présente à l’entrevue sans être accompagné d’un interprète approuvé, l’entrevue n’aura pas lieu comme prévu, ce qui entraînera des retards de traitement. Les interprètes de cabinets qui ne figurent pas sur la liste approuvée ne seront pas admis.

Fournisseurs de services d’interprétation approuvés

GMS Interpreters

14A/98 1er étage, WEA,

Karol Bagh, près du pilier de métro

no 117, New Delhi – 110005, Inde

Tél. : 91 11 25721255

91 11 47551990

Cell. :91 9873421990

 

Courriel :

Jayshree.k.gms@gmail.com

 

Personne-ressource : Jayshree Khadkiwala

 

Heures d’ouverture : de 9 h à 19 h

Lingua Mart

RZ G-3, devant ICICI Bank Mahavir Enclave, route Palam Dabri, New Dehi – 110045 Inde

 

 

Tél. : 91 11 41345472

Cell. : 91 9818232356

91 9999210917

 

Courriel :

linguamartdelhi@gmail.com

 

Site Web :

www.linguamart.com

Integrated Language Solutions Pvt Ltd (ILS)

C-70 Raj Nagar Pitampura, New Delhi – 110034, Inde

 

 

Tél. : 91 11 47021207

91 9811093093

 

 

Courriel :

info@integratedlanguages.com

 

Site Web :

www.integratedlanguages.com

 

Veuillez prendre note de ce qui suit :

  • -Les honoraires liés aux services d’interprétation ne sont pas négociables.

  • -Les cabinets énumérés ci-dessus n’ont aucun lien avec le Haut-commissariat et ne peuvent d’aucune façon vous aider à améliorer vos chances d’obtenir un visa.

 

  • -Nous avons donné pour directive à ces cabinets de ne pas vous prendre comme client si vous essayez de négocier sur l’un de ces points.

 

  • -Vous ne devez communiquer avec les cabinets énumérés ci-dessus que pendant les heures d’ouverture. Si vous appelez à un autre moment, les cabinets refuseront de prendre vos appels.

 

 

 

 

 

 

 

Immigration Section - Service de l’immigration

7m Shantipath, Chanakyapuri PO Box 5209 New Delhi 110021 India www.india.gc.ca

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3099-20

 

INTITULÉ :

GURPREET SINGH JANDU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-3100-20

 

INTITULÉ :

JAGMEET SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-3092-20

 

INTITULÉ :

JASWINDER SINGH SANDHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-3097-20

 

INTITULÉ :

RAJBIR SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-3098-20

 

INTITULÉ :

MANJINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

ET DOSSIER :

IMM-3093-20

 

INTITULÉ :

SUKHWINDER SINGH SIDHU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 novembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 22 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Jelena Urosevic

Rafeena Rashid

 

Pour les demandeurs

 

Rachel Hepburn Craig

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jelena Urosevic

Rafeena Rashid

Rashid Urosevic LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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