Date : 20221220
Dossier : T-592-22
Référence : 2022 CF 1773
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2022
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE : |
PAUL DUGGAN |
demandeur |
et |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, M. Paul Duggan, présente cette demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent de l’Agence du revenu du Canada (ARC). L’agent a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE).
II. Contexte
[2] Le demandeur possède et exploite Summit Packaging, une entreprise à propriétaire unique qui fournit des bouteilles de verre à l’industrie du vin, de l’alcool et de la bière. Il travaille comme courtier vendeur pour le compte d’Encore Glass, une entreprise située aux États-Unis. Dans le cadre de ses fonctions, il touche une commission mensuelle en fonction des ventes effectuées. Le revenu de la commission est transféré d’Encore Glass par virement bancaire au compte bancaire canadien de Summit Packaging.
[3] En raison des perturbations causées à son entreprise par la pandémie de COVID-19, le demandeur a demandé et reçu la PCRE pour sept périodes de deux semaines entre le 27 septembre 2020 et le 2 janvier 2021.
[4] La PCRE a été créée par la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE] afin de fournir une aide financière aux personnes exerçant un emploi ou exécutant un travail pour leur compte qui ont été touchées par la COVID-19. La prestation était offerte pour toute période de deux semaines commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021 (LPCRE, articles 2, 3 et 4). La PCRE est administrée par l’ARC.
[5] En décembre 2020, l’ARC a entrepris un examen de validation de l’admissibilité du demandeur à la PCRE. Sous couvert d’une lettre datée du 3 février 2021, le demandeur a fourni à l’ARC des documents qui comprenaient une lettre d’Encore Glass, des relevés bancaires pour Summit Packaging et des relevés d’IMPÔTNET TPS/TVH produits en 2019. Les paiements d’Encore Glass figurent sur ces relevés bancaires, et le demandeur a indiqué qu’il avait reçu un revenu total de commissions de 11 705,32 $ en 2019. Dans une lettre datée du 23 avril 2021, le demandeur a fourni à l’ARC des relevés d’IMPÔTNET TPS/TVH produits en 2020 et au début de 2021.
[6] Le 10 mai 2021, le demandeur a été informé qu’il n’était pas admissible à la PCRE parce qu’il [traduction] « n’avait pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôt) dans le cadre d’un emploi ou d’un travail exécuté pour son compte en 2019 ou en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle il a présenté [sa] première demande »
[la première décision].
[7] Le 17 mai 2021, le demandeur a demandé une révision de la première décision. Il a affirmé que les documents qu’il avait présentés établissaient un revenu de plus de 12 000 $ en 2019 et qu’un employé de l’ARC l’avait informé par téléphone le 23 avril 2021 qu’il satisfaisait à l’exigence relative au revenu. Dans une lettre datée du 2 février 2022, le demandeur a de nouveau été informé qu’il n’était pas admissible à la PCRE [la deuxième décision].
III. Décision faisant l’objet d’un contrôle : la deuxième révision
[8] Les parties pertinentes de la deuxième décision se lisent comme suit :
[traduction] L’objectif de la présente lettre est de vous faire part de notre décision concernant votre demande du 18 mai 2021 visant à obtenir une deuxième révision de votre demande de Prestation canadienne de la relance économique (PCRE).
Nous avons donné suite à votre demande et avons examiné attentivement tous les renseignements que vous avez fournis pour démontrer que vous êtes admissible à la PCRE.
Selon l’évaluation que nous avons effectuée, vous n’êtes pas admissible à la PCRE.
Vous ne répondez pas au critère suivant :
- Vous n’avez pas gagné au moins 5 000 $ (avant impôts) de revenus provenant d’un emploi ou de revenus nets provenant d’un travail exécuté pour votre compte pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de votre première demande.
Comme vous ne répondez pas aux critères d’admissibilité à la PCRE, toute demande de PCRE ultérieure sera rejetée, sauf si vous êtes en mesure de prouver que vous répondez aux critères d’admissibilité.
Si vous avez reçu un paiement de PCRE auquel vous n’aviez pas droit, vous devrez le rembourser.
[9] Les mesures prises dans le cadre du processus de révision du défendeur, ainsi que les observations et les conclusions des employés de l’ARC qui ont examiné l’admissibilité du demandeur, sont résumées dans les entrées faites dans un bloc-notes électronique et dans un document intitulé [traduction] « Rapport sur la deuxième révision »
. Ces documents font partie des motifs de la décision de l’agent de l’ARC (Kleiman c Canada (Procureur général) 2022 CF 762 au para 9).
[10] Les entrées du bloc-notes indiquent que la deuxième révision du demandeur a été effectuée huit mois après la première décision, en janvier 2022. Selon les notes de l’agent, il a communiqué avec le demandeur par téléphone le 12 janvier 2022 pour discuter de sa situation. L’agent a promis de rappeler le demandeur, et les notes indiquent que l’agent l’a fait plus tard le même jour pour [traduction] « poser d’autres questions et [demander] d’autres documents ».
Les notes indiquent que le demandeur n’a pas répondu. Selon les notes du 31 janvier, l’agent a été [traduction] « incapable de joindre »
le demandeur après la conversation téléphonique initiale du 12 janvier. Une lettre de refus devait donc être envoyée et le dossier devait être fermé.
[11] Le rapport sur la deuxième révision (dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 65) comprend un espace où l’agent explique la décision prise à l’égard de chaque critère auquel le contribuable n’a pas satisfait. L’agent a écrit qu’il avait été [traduction] « incapable de joindre [le demandeur] pour lui poser plus de questions et obtenir plus de documents pour prouver un revenu de 5 000 $ »
.
IV. Législation pertinente
[12] Pour faciliter la consultation, voici des extraits de la PCRE :
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V. Questions à trancher et norme de contrôle
[13] La seule question en litige est celle de savoir si la deuxième décision était raisonnable.
[14] La norme de contrôle qui s’applique au fond de la deuxième décision est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]. Lorsqu’elle applique cette norme, la cour de révision « doit [...] se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »
(Vavilov, au para 99).
VI. LA POSITION DES PARTIES
A. La position du demandeur
[15] Le demandeur se représente lui-même dans cette demande. Il soutient que les critères d’admissibilité à la PCRE n’étaient pas clairs et qu’il n’a rien fait de mal ou d’illégal en demandant la prestation parce qu’il a été induit en erreur en croyant qu’il était admissible. Il soutient que sa demande de PCRE n’a pas été révisée de façon juste et raisonnable, que la décision est déraisonnable et devrait être annulée et qu’il ne devrait pas être obligé de rembourser les fonds reçus.
B. La position du défendeur
[16] Le défendeur soutient que la décision est raisonnable et que le revenu provenant d’un travail exécuté pour son compte pour les périodes pertinentes est inférieur au montant de 5 000 $ requis pour satisfaire à l’exigence relative au revenu de la PCRE. Le défendeur soutient que les dépenses du demandeur en 2019 et en 2020 dépassent le revenu brut de commission que le demandeur a gagné et que la décision de l’agent était justifiée et intelligible.
VII. Analyse
[17] À l’audience, le demandeur n’a pas contesté la position du défendeur selon laquelle il n’avait pas atteint le seuil de revenu net exigé par la LPCRE. Le demandeur a plutôt précisé dans ses observations de vive voix que ses préoccupations avaient trait au processus du défendeur et qu’il estimait que son dossier avait été [traduction] « mal »
traité. Il a soutenu 1) que le défendeur avait omis de dire que le seuil de revenu de 5 000 $ était un revenu « net »
provenant d’un travail exécuté pour son compte, ou un revenu gagné après les dépenses; 2) que même après avoir reçu sa demande et demandé une deuxième révision, le défendeur n’a pas clairement communiqué les exigences; 3) que, contrairement aux entrées dans le bloc-notes, le défendeur n’a pas tenté de communiquer avec lui pour obtenir des renseignements supplémentaires après le 12 janvier 2022 avant de rendre la deuxième décision après révision, et il ne l’a pas rappelé.
[18] Bien que les motifs invoqués à l’appui de la décision sur la non-admissibilité contenue dans les notes de l’agent et la lettre de décision ne permettent pas de comprendre comment l’agent en est arrivé à la conclusion que le demandeur n’atteignait pas le seuil de revenu net, ces motifs doivent être considérés dans le contexte du dossier complet. Après avoir examiné le DCT, en particulier les sommaires des revenus et des retenues du demandeur (pages 9 à 11 du DCT) et les confirmations d’IMPÔTNET TPS/TVH du demandeur (pages 30 à 40 du DCT), il est évident que le demandeur n’a pas atteint le seuil de revenu net nécessaire pour recevoir la PCRE.
[19] Les préoccupations de M. Duggan au sujet de la transparence du processus de révision et de la communication des critères d’admissibilité s’appliquant à sa situation sont comprises, mais elles ne minent pas le caractère raisonnable de la décision. Même si j’étais convaincu du contraire, le renvoi de l’affaire pour une nouvelle décision n’en changerait pas l’issue. Le défendeur est tenu par la loi de s’assurer que les exigences de la LPCRE sont respectées (Coscarelli c Canada (Procureur général), 2022 CF 1659, aux para 22-23) et il est incontestable que le demandeur est inadmissible à la PCRE.
[20] Enfin, je veux aborder brièvement l’argument du demandeur selon lequel, en présentant une demande de PCRE et en demandant une révision, il n’a rien fait de mal ou d’illégal. Je suis d’accord avec lui. Rien dans le dossier ne laisse croire que le demandeur a agi de toute autre façon que de bonne foi, et je souligne que le défendeur n’a en aucune façon laissé entendre le contraire.
VIII. Conclusion
[21] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[22] L’avocat du défendeur a confirmé au cours des observations de vive voix que les dépens n’étaient pas demandés, et aucun ne sera adjugé.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-592-22
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande est rejetée.
Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.
Vide
|
« Patrick Gleeson » |
Vide
|
Juge |
Traduction certifiée conforme
Claudia De Angelis
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-592-22 |
INTITULÉ DE LA CAUSE :
|
PAUL DUGGAN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 14 DÉCEMBRE 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE GLEESON
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 20 DÉCEMBRE 2022
|
COMPARUTIONS :
Paul Duggan |
POUR LE DEMANDEUR (POUR SON PROPRE COMPTE) |
Daniel G. Segal |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada Edmonton (Alberta) |
POUR LE DÉFENDEUR |