Date : 20221219
Dossier : IMM‑6981‑21
Référence : 2022 CF 1762
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2022
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE :
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Attila Gabor KOOS, Eva KOOSNE RIMAN, Petra Jusztina KOOS, Anna KOOS et Tamas JURKOVICS
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Contexte
[1] Les demandeurs forment une famille. Ce sont des citoyens hongrois d’origine rom. Ils ont demandé l’asile à leur arrivée au Canada en 2011 en raison de la persécution dont les Roms sont victimes en Hongrie. Sept ans plus tard, leurs demandes ont été refusées.
[2] Les demandeurs ont demandé le contrôle judiciaire de ce refus, mais la Cour fédérale a rejeté leur demande d’autorisation. Les demandeurs sont retournés en Hongrie en février 2019 après avoir été déboutés de leur requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi du Canada.
[3] Alors que leur demande d’autorisation était en instance et qu’ils étaient encore au Canada, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire a été rejetée [la décision] après leur départ du Canada. Les demandeurs sollicitent donc le contrôle judiciaire de la décision. Les dispositions législatives applicables sont reproduites à l’annexe « A ».
[4] La seule question à trancher est celle du caractère raisonnable de la décision, en ce qui concerne le traitement par l’agent principal [l’agent] de l’établissement, de l’intérêt supérieur de l’enfant et des difficultés. Je conclus que, dans la présente affaire, aucune des situations pouvant réfuter la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’est présente : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 17, 25.
[5] Une décision peut être déraisonnable, c’est‑à‑dire qu’elle ne satisfait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence, si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’a pas tenu valablement compte des questions et arguments centraux ou principaux soulevés par les parties, ou ne s’y est pas attaqué de façon significative : Vavilov, aux para 86, 99, 126‑127. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.
[6] Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que les demandeurs se sont acquittés de leur fardeau. Je conclus que la question déterminante est celle du caractère déraisonnable de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant qui est la seule question que j’aborderai. J’accueille donc la demande de contrôle judiciaire.
II. Analyse
[7] Contrairement aux observations du défendeur, un examen approfondi du facteur de l’intérêt supérieur de l’enfant ne signifie pas, en soi, que l’analyse était raisonnable. Je conclus que la décision Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 296 [Yang], sur laquelle s’appuie le défendeur, se distingue. Contrairement à la situation dans Yang, dans la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire visée par le présent contrôle, l’agent a reconnu à maintes reprises la discrimination généralisée à laquelle font face les Roms en Hongrie.
[8] De plus, le demandeur mineur dans l’affaire Yang avait vécu en Chine les sept premières années de sa vie. Dans la présente affaire, la demanderesse mineure, Petra Koos, est arrivée au Canada alors qu’elle avait deux ans. À mon avis, il n’est ni justifié ni intelligible d’assimiler les capacités d’adaptation d’un enfant âgé de deux ans au Canada à celui d’un enfant âgé de dix ans au moment de retourner en Hongrie, un pays dans lequel l’agent a reconnu à maintes reprises qu’il existe de la discrimination généralisée à l’encontre des personnes d’origine rom, dont les enfants.
[9] L’agent fait mention de l’exposition quotidienne de Petra à la langue, aux coutumes et à la culture hongroises avant son départ de la Hongrie lorsqu’elle avait deux ans ainsi que l’aide qu’elle serait susceptible de recevoir de membres de sa famille lorsqu’elle retournerait en Hongrie et réintégrerait la société. Selon moi, cela revient à déraisonnablement écarter la vie qu’elle a menée au Canada pendant huit ans, essentiellement la seule vie qu’elle a connue, sans discrimination aucune à l’encontre des Roms.
[10] Qui plus est, les motifs de l’agent semblent indûment se limiter à examiner si les besoins fondamentaux de Petra sont comblés en ce qui a trait au logement et aux soins de santé. Il ne s’agit pas d’une analyse appropriée de l’intérêt supérieur de l’enfant : Sebbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 813 au para 16; Manriquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 298 au para 22.
[11] Au lieu d’expliquer comment, dans la situation de Petra, le renvoi en Hongrie serait dans son intérêt supérieur, l’agent avance l’hypothèse, en s’appuyant sur l’éducation des autres membres de sa famille qui remonte à dix ans, que Petra serait en mesure de surmonter les obstacles qui se dressent devant les Roms en Hongrie. En d’autres termes, je conclus que l’agent a examiné la situation en matière d’éducation de Petra en Hongrie dans l’optique des besoins fondamentaux.
III. Conclusion
[12] Pour les motifs qui précèdent, j’accueille donc la demande de contrôle judiciaire des demandeurs. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.
[13] Ni les demandeurs ni le défendeur n’ont proposé de question grave de portée générale aux fins de certification et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑6981‑21
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie.
Le rejet de la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire des demandeurs, daté du 20 octobre 2020, est annulé, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Annexe « A » : dispositions pertinentes
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27)
Immigration and Refugee Protection Act (SC 2001, c 27)
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑6981‑21
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INTITULÉ :
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ATTILA GABOR KOOS, EVA KOOSNE RIMAN, PETRA JUSZTINA KOOS, ANNA KOOS ET TAMAS JURKOVICS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 14 DÉcembRe 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE FUHRER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 19 DÉcembRe 2022
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COMPARUTIONS :
Wennie Lee
Clare Yacyshyn
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POUR LES DEMANDEURS
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Rishma Bhimji
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Wennie Lee
Lee & Company
Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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