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Date : 20221201


Dossier : IMM-10-21

Référence : 2022 CF 1658

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

SANJAYA DUMINDA JAYAWARDANE WEERASINGHE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] Sanjaya Duminda Jayawardane Weerasinghe [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 3 décembre 2020 par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la conclusion de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger [la décision contestée].

[2] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Le contexte

[3] Le demandeur, âgé de 45 ans, est un citoyen du Sri Lanka qui n’est pas d’origine tamoule. Il soutient que, s’il est renvoyé au Sri Lanka, il sera persécuté pour les motifs suivants : il a un différend personnel avec le major Lakmal Perera [M. Perera], de l’armée sri-lankaise; il est perçu comme un partisan des Tigres de libération de l’Eelam tamoul [les TLET], et son frère Jeewaka est un militant politique.

[4] Le demandeur a commencé à travailler comme marin de commerce en 1999. En 2012, il a commencé à louer un taxi. L’année suivante, il a sous-loué son taxi à un ami tamoul, Indran Balasingham. Celui-ci venait porter les paiements de location au domicile du demandeur toutes les deux semaines. Pendant toute la période pertinente, Jeewaka travaillait avec le parti de la liberté du Sri Lanka et critiquait ouvertement le député sri-lankais John Amaratunga [M. Amaratunga].

[5] En décembre 2013, l’armée sri-lankaise a arrêté Indran et l’a accusé d’être un membre des TLET. Le demandeur était à l’étranger au moment de l’arrestation. Son épouse l’a informé qu’il était recherché par l’armée, qui avait ordonné qu’il se rapporte à un camp militaire. En février 2014, le demandeur s’est conformé à l’ordre. Il a été accusé d’être un partisan des TLET en raison de son association avec Indran et a été détenu au camp pendant huit jours. Durant sa détention, son passeport a été saisi et il a été agressé. Il a été relâché en échange d’un pot-de-vin et à la condition qu’il se rapporte au camp toutes les semaines. Chaque fois que le demandeur se présentait au camp, il subissait des pressions dans le but de lui faire avouer qu’il était un partisan des TLET. Il est arrivé à la conclusion qu’il n’était pas en sécurité au Sri Lanka. Le 23 avril 2014, après avoir soudoyé un soldat pour récupérer son passeport, le demandeur s’est enfui aux États-Unis.

[6] Le demandeur a atterri à Los Angeles le 24 avril 2014, puis est monté à bord d’un vol de correspondance à destination de New York. Il n’a pas tout de suite demandé l’asile, ni à Los Angeles ni à New York. Une fois à New York, il s’est trouvé un emploi dans une station-service, où il a rencontré un homme qui lui a dit pouvoir lui obtenir une carte verte pour 8 000 $, ce qui serait plus facile que de demander l’asile. Le demandeur a remis 5 000 $ à l’homme, qui est disparu avec l’argent. Le demandeur a ensuite entamé la procédure de demande d’asile aux États-Unis en février 2015.

[7] En août 2015, Jeewaka a été victime d’une agression à caractère politique aux mains d’hommes associés à M. Amaratunga. Le demandeur a été informé par son épouse que des membres de l’armée étaient passés à leur domicile, à sa recherche. Elle lui a recommandé de ne pas revenir au Sri Lanka. En avril 2016, le demandeur a reçu un appel de l’épouse de M. Perera, qui l’a informé que leurs époux respectifs entretenaient une liaison amoureuse depuis 2012. L’épouse du demandeur a nié cette allégation.

[8] En août 2016, l’épouse de M. Perera a rappelé le demandeur pour confirmer encore une fois l’existence de la liaison, qui a aussi été confirmée par un ami du demandeur, Hiran Christopher Hobbs [Hiran], et l’épouse de celui-ci. Ils ont raconté au demandeur qu’Indran avait surpris son épouse et M. Perera en flagrant délit lorsqu’il était allé remettre l’argent pour la location du taxi. Ils ont aussi dit au demandeur que son épouse et M. Perera avaient comploté pour les associer, lui et Indran, aux TLET.

[9] Le demandeur a informé Jeewaka de la liaison amoureuse de son épouse. Jeewaka a confronté l’épouse du demandeur et a signalé les allégations à la police militaire sri-lankaise. En décembre 2016, des hommes associés à M. Perera et à M. Amaratunga ont enlevé et agressé Jeewaka, qui s’est enfui au Myanmar, où il demeure caché. Lorsqu’il a appris ce qui s’était passé, le demandeur a communiqué avec M. Perera, qui a menacé de le faire enlever et assassiner s’il revenait au Sri Lanka. En août 2017, Hiran a informé le demandeur que son épouse et M. Perera complotaient pour l’assassiner.

[10] En septembre 2018, le demandeur a appris que sa demande d’asile aux États-Unis serait entendue en février 2022. Inquiet au sujet de sa situation et du discours anti-immigration aux États-Unis, le demandeur est arrivé au Canada le 3 octobre 2018 où il a présenté une demande d’asile.

A. La décision de la SPR

[11] La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il n’était généralement pas crédible pour diverses raisons :

1) Le demandeur avait été évasif lorsqu’il avait expliqué la raison pour laquelle il n’était pas en mesure de fournir le contrat de location de son taxi.

2) La preuve concernant les conditions dans le pays contenue dans le cartable national de documentation pour le Sri Lanka [le CND] indiquait que le demandeur, perçu comme étant un partisan des TLET qui n’est pas d’origine tamoule, ne risquait pas d’être persécuté ou de subir un préjudice grave parce que la guerre avec les TLET avait pris fin en 2009.

3) L’allégation selon laquelle M. Perera et l’épouse du demandeur n’ont pas essayé de cacher leur liaison alors qu’ils savaient qu’Indran entrait chez le demandeur à l’improviste toutes les deux semaines était déraisonnable et soulevait des doutes quant à la crédibilité du demandeur.

4) L’allégation selon laquelle Jeewaka aurait fait un signalement à la police militaire était peu convaincante.

5) Les raisons fournies par le demandeur pour expliquer pourquoi il n’avait pas engagé de procédure de divorce étaient changeantes et non pertinentes.

6) Les affidavits d’Hiran et de son épouse ne concordaient pas et contenaient du ouï-dire. Dans son affidavit, Hiran n’a pas expliqué comment il avait été informé de l’intention de M. Perera et de l’épouse du demandeur de tuer le demandeur à son retour au Sri Lanka.

7) Le témoignage du demandeur à l’égard de l’agression qu’a subie Jeewaka, de son hospitalisation et de sa fuite au Myanmar était invraisemblable et contenait des contradictions. De plus, la déclaration de soutien de Jeewaka manquait de détails circonstanciels.

8) Le demandeur a fourni des articles de journaux frauduleux concernant Jeewaka.

9) Le demandeur a omis de demander l’asile en atterrissant à Los Angeles, a tenté d’obtenir malhonnêtement une carte verte, a tardé à demander l’asile à New York et a décidé de demander l’asile au Canada. Tous ces éléments étayaient des inférences défavorables quant à sa crédibilité.

10) Le témoignage du demandeur était incohérent : d’un côté, il a témoigné au sujet d’un appel téléphonique avec ses enfants en septembre 2019 et, de l’autre, il a affirmé que M. Perera l’empêchait de parler à ses enfants.

11) La SPR a également conclu qu’il n’était pas vraisemblable que le demandeur retienne les services d’un avocat au Sri Lanka pour obtenir réparation auprès de M. Perera pour la manière dont il avait été traité par l’armée.

III. La décision contestée

[12] La SAR a confirmé la décision de la SPR et a souscrit aux conclusions en matière de crédibilité qu’elle a tirées des éléments suivants :

1) la réponse évasive fournie par le demandeur quant aux raisons pour lesquelles il ne pouvait pas obtenir une copie du contrat de location de son taxi;

2) le défaut du demandeur de divorcer de son épouse et l’invraisemblance de son récit concernant la découverte de la liaison par Indran (la SAR a accordé peu de poids aux affidavits de Hiran et de son épouse puisqu’ils contenaient du ouï-dire et que les déposants ne pouvaient pas être interrogés);

3) le fait que le demandeur ait été détenu par l’armée;

4) la déclaration du demandeur selon laquelle il aurait été menacé par M. Perera lors de l’appel téléphonique de septembre 2019 avec ses enfants;

5) la crainte de persécution du demandeur en lien avec la persécution politique subie par son frère et sa fuite du pays;

6) le défaut du demandeur de demander l’asile à son arrivée à Los Angeles.

[13] La SAR a aussi convenu que la preuve contenue dans le CND n’appuyait pas la conclusion selon laquelle le demandeur, un citoyen sri-lankais perçu comme étant un partisan des TLET qui n’est pas d’origine tamoule, était à risque d’être surveillé ou persécuté s’il retournait au Sri Lanka.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[14] Compte tenu des observations des parties, la seule question en litige en l’espèce consiste à savoir si la décision contestée est raisonnable. Les sous-questions sont les suivantes :

[15] La norme applicable au contrôle de la décision contestée sur le fond est celle de la décision raisonnable. Aucune des exceptions énoncées aux paragraphes 16 et 17 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], ne s’applique en l’espèce. Le contrôle d’une décision selon la norme du caractère raisonnable exige que la Cour examine l’intelligibilité, la transparence et la justification de la décision. Lorsqu’elle contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte à la fois du résultat de la décision et du raisonnement à l’origine de ce résultat (Vavilov, au para 87). Une décision raisonnable doit être « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99). Toutefois, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125, citant Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55). Si les motifs du décideur permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi la décision a été rendue et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la décision sera jugée raisonnable (Vavilov, aux para 85-86).

V. Analyse

A. La SAR a-t-elle raisonnablement apprécié la crédibilité du demandeur?

(1) La position du demandeur

[16] La SAR a commis une erreur en concluant que le demandeur s’était montré évasif lorsqu’il avait expliqué pourquoi il n’était pas en mesure de fournir le contrat de location provenant de l’entreprise qui lui louait son taxi. Le demandeur a déclaré qu’il avait demandé une copie de son contrat de location, mais qu’on lui avait répondu que le véhicule avait disparu et était recherché. Le demandeur a fourni d’autres éléments de preuve corroborants sous la forme de reçus de paiement pour les mois de décembre 2012 à mai 2013. Il ne faut pas reprocher au demandeur de ne pas avoir transmis le contrat de location puisqu’il a fourni une explication raisonnable quant au motif pour lequel il ne pouvait pas le faire (Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12 au para 10; Giraldo Cortes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 329 au para 3).

[17] Les conclusions d’invraisemblance tirées par la SAR en ce qui concerne le divorce, la découverte de la liaison et la poursuite contre M. Perera n’étaient pas raisonnables. Ce n’est que dans les cas les plus évidents qu’il est possible de conclure à l’invraisemblance, et il faut tenir compte des différences culturelles et sociales (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 au para 7). De plus, la SAR n’a pas justifié ses conclusions d’invraisemblance en faisant référence à des éléments de preuve précis du demandeur (Mahmood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1526 au para 16).

[18] La SAR a commis une erreur dans son analyse des affidavits de Hiran et de son épouse. Elle s’est limitée à ce que les affidavits gardaient sous silence et n’a pas tenu compte des parties qui corroboraient le récit du demandeur (Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 729 au para 11, 167 CFPI 309; Belek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 205 au para 22).

[19] Enfin, la SAR a fait preuve d’un excès de zèle et d’une minutie excessive dans l’analyse de divergences minimes ou secondaires, notamment en ce qui concerne l’appel téléphonique de septembre 2019 du demandeur à ses enfants et la consultation d’un naturopathe par Jeewaka, pour conclure à la présence de contradictions inexistantes dans le témoignage du demandeur (Rajaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 1271 (CA); Attakora c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1989 ACF no 444 au para 9; Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429 au para 20).

(2) La position du défendeur

[20] La SAR a raisonnablement conclu que le demandeur n’était pas crédible en se fondant sur diverses incohérences et invraisemblances, y compris son explication évasive concernant le contrat de location de son taxi, son défaut de divorcer de son épouse et la découverte par Indran de la liaison amoureuse. La SAR a tenu compte des différences culturelles et sociales pour tirer ces conclusions d’invraisemblance. De même, la SAR a raisonnablement conclu que les affidavits de Hiran et de son épouse contenaient du ouï-dire et que les déposants ne pouvaient pas être interrogés.

[21] Le demandeur n’a pas contesté devant la SAR plusieurs des conclusions de la SPR en matière de crédibilité. Il ne peut donc pas les contester maintenant (Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 au para 35; Bolanle Lasisi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 205 au para 14). C’est le cas entre autres des conclusions suivantes :

  • 1)Il est invraisemblable que le demandeur ait retenu les services d’un avocat pour obtenir réparation auprès de M. Perera.

  • 2)Le témoignage du demandeur concernant l’appel qu’il a fait à ses enfants en septembre 2019 comporte des incohérences.

  • 3)Le demandeur a fourni des articles de journaux frauduleux.

[22] En l’absence d’observations quant à ces conclusions, la SAR a examiné et accepté les conclusions de la SPR. Cette approche reflète adéquatement le fait « qu’il appartient au demandeur, et non à la SAR, de relever les erreurs commises par la SPR » (Broni c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 365 au para 15 [Broni]).

(3) Conclusion

[23] Je conclus que la SAR a commis une erreur dans son examen de la preuve en lien avec deux de ses conclusions, soit la preuve relative à l’explication du demandeur concernant son défaut de produire une copie du contrat de location de son taxi, et la preuve relative à la consultation d’un naturopathe par Jeewaka. Cependant, ces lacunes ou insuffisances sont accessoires par rapport au fond de la décision contestée (Vavilov, au para 100). Ces deux conclusions n’étaient pas le seul fondement ni un élément central de la décision de confirmer la conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur.

[24] Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles il appartient au demandeur de signaler à la SAR les erreurs commises par la SPR (Broni, au para 15). La SAR a noté que le demandeur n’a pas contesté les conclusions de la SPR au sujet de son recours aux services d’un avocat pour obtenir réparation auprès de M. Perera ou des incohérences dans son témoignage au sujet de l’appel téléphonique à ses enfants en septembre 2019. La SAR a procédé à une évaluation indépendante des éléments de preuve et a fait siennes les conclusions tirées par la SPR sans tirer en plus ses propres conclusions, comme elle était en droit de faire.

[25] Je note aussi que le demandeur n’a pas contesté les conclusions de la SPR ou de la SAR au sujet des articles de journaux frauduleux. Il n’a pas non plus contesté devant la SAR les conclusions de la SPR concernant l’invraisemblance de son défaut de divorcer de son épouse. La SAR a examiné et accepté les conclusions de la SPR selon lesquelles les explications du demandeur étaient déraisonnables et changeantes. Par conséquent, le demandeur ne peut pas contester ces conclusions dans le contexte d’un contrôle judiciaire.

[26] En ce qui concerne maintenant les conclusions en matière de crédibilité qui ont été contestées par le demandeur, je note que la présomption de véracité peut être réfutée lorsque des contradictions, des incohérences, des omissions et des invraisemblances font naître des doutes quant à la crédibilité (Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 aux para 20-26).

[27] La conclusion de la SAR quant à l’invraisemblance de la découverte de la liaison par Indran était raisonnable. Contrairement à ce que le demandeur a fait valoir dans ses observations, la SAR a tiré cette conclusion en se référant précisément à la preuve du demandeur selon laquelle Indran se rendait à son domicile toutes les deux semaines et y entrait à l’improviste. La SAR a estimé qu’il était invraisemblable que l’épouse du demandeur et M. Perera, sachant cela, n’aient pris aucune précaution.

B. La SAR a-t-elle tenu raisonnablement compte du défaut du demandeur de demander l’asile à son arrivée à Los Angeles?

(1) La position du demandeur

[28] La SAR a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas de crainte subjective en raison de son omission de demander l’asile à Los Angeles. La SAR a rejeté déraisonnablement les trois explications du demandeur : il craignait une déportation immédiate s’il demandait l’asile à l’aéroport, il se sentait « déprimé » et voulait simplement quitter l’aéroport, et il a par la suite rencontré un homme à New York qui lui a proposé une autre façon d’obtenir une carte verte. Il s’agit de motifs plausibles qui sont étayés par la demande d’asile que le demandeur a présentée aux États-Unis après avoir échoué dans sa tentative d’obtenir une carte verte. La SAR aurait dû tenir compte de l’état psychologique du demandeur et de sa crainte des autorités compte tenu de son vécu avec les autorités sri-lankaises (Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116 aux para 12-13).

[29] Qui plus est, le demandeur est arrivé aux États-Unis muni d’un visa de visiteur. De ce fait, comme il ne risquait pas d’être renvoyé au Sri Lanka, il n’avait aucune crainte immédiate d’être persécuté, qui l’aurait obligé de demander l’asile à la première occasion. Le fait que le demandeur ait tardé à présenter une demande d’asile ne signifie pas nécessairement qu’il n’avait pas de crainte subjective, sinon ce même raisonnement pourrait s’appliquer à tout demandeur présentant sa demande de l’intérieur du pays. La SAR avait l’obligation de tenir compte de l’explication raisonnable du demandeur quant à son retard (Malaba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 84 au para 15; Nezhalskyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 299 au para 12).

(2) La position du défendeur

[30] Il était loisible à la SAR de tenir compte du fait que le demandeur a tardé à présenter sa demande d’asile (Chinwuba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 312 au para 18; Guecha Rincon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 173 au para 19, citant Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 334 au para 24). La SAR a conclu que le demandeur avait tout intérêt à demander l’asile à son arrivée à Los Angeles et qu’il avait fui le Sri Lanka avec l’intention de demander l’asile aux États-Unis. La SAR a également examiné la crainte alléguée du demandeur à l’égard des autorités et l’a comparée à l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile. Elle a conclu que le demandeur savait qu’il pouvait demander l’asile aux États-Unis lorsqu’il a quitté le Sri Lanka. Il est évident que le demandeur connaissait le processus de demande d’asile, mais il a tout de même tardé à présenter sa demande. Enfin, la SAR a noté que le retard du demandeur à présenter sa demande d’asile n’était pas déterminant pour l’issue de celle-ci.

(3) Conclusion

[31] Je suis d’accord avec le défendeur. La SAR a mentionné que la SPR pouvait tirer une inférence défavorable quant à la crainte subjective du demandeur compte tenu de son omission de présenter une demande d’asile à la première occasion. La SAR a tenu compte des explications du demandeur quant à son état dépressif, à sa crainte des autorités et à sa tentative d’obtenir une carte verte. La SAR a estimé que les explications fournies ne permettaient pas de faire la lumière sur son omission de présenter une demande d’asile, étant donné que son statut temporaire ne lui offrait aucun moyen clair de demeurer aux États-Unis de façon permanente et qu’il avait quitté le Sri Lanka avec l’intention de demander l’asile aux États-Unis. La SAR a aussi mentionné que cette conclusion n’était pas déterminante pour l’issue de la demande d’asile. De plus, elle n’a pas tiré de conclusions défavorables en matière de crédibilité du fait qu’il avait cherché une autre façon de rester aux États-Unis de façon permanente. Par conséquent, je trouve que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son appréciation du temps qu’il a fallu pour que le demandeur présente une demande d’asile aux États-Unis.

C. La SAR a-t-elle raisonnablement évalué les éléments de preuve sur les conditions dans le pays?

(1) La position du demandeur

[32] En examinant de manière sélective la preuve contenue dans le CND et en se basant sur ses conclusions défavorables en matière de crédibilité antérieures, la SAR a déraisonnablement conclu que le demandeur n’était pas exposé à un risque en tant personne soupçonnée d’être un partisan des TLET. La SAR a omis de tenir compte de l’ensemble des motifs de persécution découlant des autres éléments de preuve du CND (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 aux p 745-746, [1993] ACS no 74). La SAR a aussi omis de tenir compte de la crainte de persécution que le demandeur pourrait nourrir à l’avenir en tant que demandeur d’asile débouté retournant au Sri Lanka en provenance d’un pays occidental.

(2) La position du défendeur

[33] En tenant compte de la preuve figurant au point 14.1 du CND, la SAR a mené une évaluation raisonnable du risque auquel le demandeur s’exposerait en tant que demandeur d’asile débouté retournant au Sri Lanka. De plus, le point 14.6 du CND n’étaye pas le point de vue du demandeur; il confirme plutôt que la surveillance s’applique à certains groupes de personnes qui ont critiqué publiquement l’État.

(3) Conclusion

[34] Je suis d’accord avec le défendeur. Les passages du CND cités par le demandeur mentionnent que les personnes rentrant de pays occidentaux sont « placées sous surveillance » et que les autorités chercheraient à déterminer si elles ont entretenu des liens avec les TLET; si les liens sont confirmés, la personne serait alors placée sous « surveillance accrue ». Il est également indiqué ce qui suit :

[D]epuis l’élection du nouveau [président] en novembre 2019, il y a assurément un examen et une surveillance accrus et, effectivement, un harcèlement (frôlant parfois l’arrestation) de groupes spécifiques de personnes qui ont critiqué publiquement les abus commis dans le passé par la police, par les forces armées (y compris dans le sillage des attentats de Pâques) et par les proches de la famille Rajapaksa, y compris les membres de la famille Rajapaksa eux-mêmes.

[Non souligné dans l’original.]

[35] À mon avis, la preuve figurant au CND soulève seulement des motifs de persécution qui sont liés au soutien perçu du demandeur à l’égard des TLET ou à l’allégation selon laquelle le demandeur (ou Jeewaka) aurait critiqué l’État sri-lankais, deux allégations que la SAR a jugées non crédibles. La SAR a pris en compte les éléments de preuve figurant dans le CND au sujet de la surveillance des demandeurs d’asile déboutés qui retournent au Sri Lanka et a conclu que cette surveillance se limitait aux personnes liées aux TLET qui ont « commis un crime grave ». Bien que la SAR ait reconnu que les conditions dans le pays se sont détériorées pour les Sri-Lankais d’origine ethnique tamoule, elle a noté que le demandeur n’est pas d’origine tamoule, et elle a conclu qu’il n’avait pas établi qu’il était soupçonné d’entretenir des liens avec les TLET ou que l’armée sri-lankaise lui en voulait d’avoir récupéré son passeport.

VI. Conclusion

[36] La décision contestée est raisonnable. Même si je conviens avec le demandeur que certaines des conclusions en matière de crédibilité tirées par la SAR sont déraisonnables, elles sont accessoires à la demande d’asile du demandeur. Il n’incombe pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve (Vavilov, au para 125). Lorsqu’elle est examinée dans son ensemble, la décision contestée est intelligible.

[37] Les parties n’ont pas proposé de question aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-10-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Paul Favel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10-21

INTITULÉ :

SANJAYA DUMINDA JAYAWARDANE WEERASINGHE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCORFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER DÉCEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Seyfi Sun

POUR LE DEMANDEUR

 

Nick Continelli

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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