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Date : 20221214


Dossier : IMM-731-22

Référence : 2022 CF 1731

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

HARWINDER SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Harwinder Singh, sollicite, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, le contrôle judiciaire de la décision du 6 janvier 2022 par laquelle un agent des visas a rejeté sa demande de permis de travail comme conducteur de grand routier dans la catégorie des travailleurs étrangers temporaires.

[2] M. Singh soutient que, dans sa décision de rejeter la demande, l’agent a commis une erreur :

  1. en se fondant injustement sur un élément de preuve extrinsèque pour conclure que ses compétences étaient déficientes, car son visa des Émirats arabes unis indiquait qu’il exerçait la profession de [traduction] « conducteur de camion et non de conducteur de grand routier, comme c’est habituellement indiqué »;

  2. en concluant de façon déraisonnable que sa demande ne démontrait pas qu’il avait de l’expérience comme conducteur de [traduction] « grand routier »;

  3. en concluant de façon déraisonnable qu’il n’était pas suffisamment établi en Inde.

[3] Le défendeur fait valoir qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale et que la décision de rejeter la demande était raisonnable. Il soutient que, dans ses observations, le demandeur n’a fait qu’exprimer son désaccord quant à la manière dont l’agent a apprécié la preuve.

[4] Je ne suis pas convaincu qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Cependant, après avoir examiné les observations des parties et les éléments de preuve, dont la documentation présentant les antécédents professionnels du demandeur, son expérience et ses liens avec le pays dont il a la nationalité, je suis d’avis que la décision ne possède pas les caractéristiques nécessaires en matière de justification, de transparence et d’intelligibilité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 81 [Vavilov]). Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

II. Analyse

A. La norme de contrôle

[5] Dans son examen des questions d’équité procédurale, la cour de révision doit se demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [CFCP]). Même si aucune norme de contrôle n’est véritablement appliquée, cet examen est « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte » (CFCP, au para 54). L’obligation d’équité procédurale est « intrinsèquement souple et tributaire du contexte ». Les exigences applicables sont déterminées eu égard à l’ensemble des circonstances d’une affaire donnée (Vavilov, aux para 77 et 127).

[6] Les parties conviennent que la décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 672, aux para 8 et 9 [Patel]). Une décision raisonnable est « transparente, intelligible et justifiée » et est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » (Vavilov, aux para 15 et 85).

[7] Compte tenu du volume de demandes, les agents des visas n’ont habituellement pas à donner des motifs exhaustifs. La jurisprudence reconnaît qu’il faut généralement faire preuve d’une retenue considérable à l’égard de leurs conclusions (Patel, au para 10).

B. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale

[8] Le demandeur soutient que, en rejetant sa déclaration selon laquelle il est un [traduction] « conducteur de grand routier » au motif que [traduction] « son visa des Émirats arabes unis indique qu’il exerce la profession de conducteur de camion et non de [conducteur de] grand routier, comme c’est habituellement indiqué », l’agent a essentiellement conclu qu’il n’était pas crédible. Le demandeur fait valoir que cette conclusion défavorable quant à sa crédibilité est fondée sur un élément de preuve extrinsèque qu’il n’a pas eu l’occasion de réfuter. Il s’agit selon lui d’un manquement à l’équité procédurale.

[9] La Cour a reconnu que, compte tenu du volume de demandes de visa et de leur nature, elle doit se garder d’imposer un niveau de formalité procédurale dans le contexte des visas qui risque de nuire indûment à une bonne administration et au bon déroulement du processus décisionnel (Ponican c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 232 au para 23). Toutefois, lorsque la preuve établit par ailleurs que les exigences relatives à l’obtention d’un visa sont remplies et qu’un agent rejette une demande de visa au motif qu’il doute de la crédibilité, de l’exactitude ou de l’authenticité des renseignements fournis, l’équité nécessite un avis préalable et la possibilité de répondre (Ponican, aux para 25-27).

[10] En l’espèce, l’agent a incontestablement douté de la profession du demandeur indiqué dans son visa des Émirats arabes unis. Toutefois, je ne suis pas d’avis que l’agent a tiré une conclusion en matière de crédibilité. Il lui était loisible de relever et d’examiner l’incohérence en se fondant sur son expérience en matière d’examen de demandes de permis de travail. Bien qu’il n’y ait eu aucun manquement à l’équité procédurale, l’agent était tenu d’examiner l’ensemble de la preuve, y compris les documents présentant les fonctions professionnelles et l’expérience du demandeur. J’estime que les conclusions de l’agent concernant les compétences et l’expérience démontrées du demandeur étaient déraisonnables. J’examine cette question ci-dessous.

C. La décision est déraisonnable

[11] Dans sa décision de rejeter la demande, l’agent a tiré les conclusions distinctes suivantes :

  1. Le demandeur n’a pas démontré qu’il était un conducteur de grand routier;

  2. Le demandeur n’a pas adéquatement démontré qu’il satisfait à tout ou partie des exigences relatives au permis et à la reconnaissance/certification pour exercer correctement les fonctions d’un conducteur de grand routier au Canada;

  3. Le demandeur n’a pas démontré qu’il est suffisamment bien établi dans le pays dont il a la nationalité, de sorte qu’il quittera le Canada à la fin de son séjour.

[12] L’agent a également écrit que le demandeur n’avait pas répondu à une demande de documents précis.

[13] Selon la preuve non contestée du demandeur, ce dernier a répondu à chacune des demandes de documents supplémentaires du défendeur. Plus particulièrement, il ressort du dossier du demandeur que, le 20 décembre 2021, une réponse a été donnée à la lettre du 24 novembre 2021 par laquelle le défendeur demandait des documents supplémentaires (pièce F de l’affidavit d’Aastha, souscrit le 19 avril 2022).

[14] Compte tenu de l’affidavit d’Aastha, j’estime qu’une réponse a été donnée aux demandes de renseignements supplémentaires. L’agent ne renvoie pas aux documents ainsi obtenus. Il semble qu’il n’en a pas tenu compte ou qu’il ne les a jamais reçus. Ce fait à lui seul porte atteinte au caractère raisonnable de la décision.

[15] Je suis également d’avis que chacune des conclusions de l’agent énoncées plus haut (au paragraphe 11) est déraisonnable.

[16] Pour conclure que le demandeur n’a pas démontré qu’il possède de l’expérience en tant que [traduction] « conducteur de grand routier », l’agent s’est fondé exclusivement sur le visa des Émirats arabes unis, qui indique « conducteur de camion » comme profession, ainsi que sur son expérience. Il n’a pas examiné la preuve directement contradictoire contenue dans le curriculum vitae du demandeur (dossier certifié du tribunal, à la p 39) et les renseignements fournis par l’employeur du demandeur aux Émirats arabes unis (dossier certifié du tribunal, aux p 59 et 60). Le fait que l’agent n’a pas examiné ces renseignements directement contradictoires permet à la cour de révision de conclure que les conclusions ont été tirées sans tenir compte des éléments de preuve, ce qui porte atteinte au caractère raisonnable de la décision (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425 (CF) au para 17).

[17] Pour conclure que le demandeur n’a pas adéquatement démontré qu’il satisfait à tout ou partie des exigences relatives au permis et à la reconnaissance/certification nécessaires pour exercer les fonctions de conducteur de grand routier au Canada, l’agent n’a pas tenu compte du fait que ces exigences ne peuvent être remplies qu’après avoir suivi et réussi la formation requise au Canada. Le demandeur a bel et bien fourni des éléments de preuve faisant état du programme de formation qu’il aurait à suivre au Canada (dossier du demandeur, aux p 542-545).

[18] Enfin, en ce qui a trait à l’établissement, l’agent a rejeté la demande de permis de travail en raison des actifs personnels et de la situation financière du demandeur, encore là sans examiner les éléments de preuve démontrant qu’il a des économies, des biens et de la famille en Inde, dont une femme et un enfant.

III. Conclusion

[19] Je reconnais qu’il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits ou qu’ils traitent de l’ensemble des questions et arguments soulevés. J’estime néanmoins que le demandeur a démontré que la décision de l’agent comportait des lacunes graves, compte tenu de ce qui précède. Ces lacunes m’amènent à perdre confiance dans le caractère raisonnable de la décision. La demande sera donc accueillie.

[20] Les parties n’ont soulevé aucune question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-731-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

1. La demande est accueillie.

2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

3. Aucune question n’est certifiée.

Blanc

« Patrick Gleeson »

Blanc

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-731-22

 

INTITULÉ :

HARWINDER SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 DÉCEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Sarah Shibley

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Meenu Ahluwalia

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Steward Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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