Date : 20221212
Dossier : T-1667-21
Référence : 2022 CF 1712
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2022
En présence de madame la juge Pallotta
ENTRE :
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SHARAME SHERZADY
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demandeur
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et
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NORTON ROSE FULLBRIGHT CANADA LLP/S.E.N.C.R.L., S.R.L.
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défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] La Cour est saisie d’un appel interjeté aux termes du paragraphe 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [la LMC]. Le demandeur, Sharame Sherzady, demande l’annulation d’une décision du registraire des marques de commerce (le registraire) par laquelle le numéro d’enregistrement LMC866,485, relativement à la marque WATCHFINDER, a été radié du registre des marques de commerce.
[2] L’article 45 de la LMC prévoit une procédure sommaire pour permettre au registraire de radier un enregistrement de marque de commerce tombé en désuétude : Miller Thomson S.E.N.C.R.L., s.r.l. c Hilton Worldwide Holding LLP, 2020 CAF 134 au para 9 [Hilton Worldwide]. À la demande de la défenderesse, le registraire a envoyé un avis en vertu de l’article 45 relativement au numéro d’enregistrement LMC866,485. Cet avis enjoignait à M. Sherzady, le propriétaire inscrit de l’enregistrement, de démontrer que la marque WATCHFINDER avait été employée au Canada entre le 27 février 2017 et le 27 février 2020 (la période pertinente). M. Sherzady a répondu à l’avis en fournissant une preuve par affidavit (l’affidavit de 2020). Un membre de la Commission des oppositions des marques de commerce a examiné la question au nom du registraire et a conclu que l’affidavit de 2020 n’établissait pas l’emploi de la marque de commerce au Canada au cours en liaison avec l’un des produits ou services visés par l’enregistrement de la période pertinente, ou l’existence de circonstances spéciales qui justifieraient le défaut d’emploi.
[3] Dans le cadre du présent appel, M. Sherzady a déposé un autre affidavit (l’affidavit de 2022) accompagné d’éléments de preuve dont le registraire ne disposait pas, comme le permet le paragraphe 56(5) de la LMC. Il soutient que l’affidavit de 2022 aurait eu une incidence importante sur la décision du registraire et qu’il établit que la marque WATCHFINDER a été employée au Canada pendant la période pertinente.
[4] La défenderesse n’a pas participé à l’appel.
II. La norme de contrôle et les questions en litige
[5] La norme de contrôle dépend de la preuve de l’affidavit de 2022. En résumé, la Cour effectue un contrôle selon la norme de la décision correcte, de la nature d’un appel de novo, à l’égard de questions pour lesquelles il existe de nouveaux éléments de preuve qui auraient influencé sensiblement la décision du registraire : Hilton Worldwide au para 47; Clorox Company of Canada, Ltd c Chloretec s.e.c., 2020 CAF 76 au para 21 [Clorox]; voir également Sea Tow Services International, Inc c Trademark Factory International Inc, 2021 CF 550 aux para 15 et 17 [Sea Tow Services]. Par ailleurs, la Cour examine la décision du registraire selon la norme de contrôle en appel énoncée dans l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 : Clorox, aux para 22 et 23; Sea Tow Services, au para 18.
[6] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la preuve contenue dans l’affidavit de 2022 aurait influencé sensiblement la décision du registraire de radier le numéro d’enregistrement LMC866,485, et je considérerai qu’il s’agit d’un appel de novo.
[7] Cela m’amène à la question suivante, à savoir si la preuve établit que la marque WATCHFINDER a été employée au Canada en liaison avec chacun des produits et services visés par l’enregistrement au cours de la période pertinente, et, par conséquent, si l’enregistrement doit être maintenu pour tous les produits et services, modifié pour en supprimer certains, ou radié.
III. Analyse
A. La preuve supplémentaire aurait-elle influencé sensiblement la décision du registraire?
[8] L’enregistrement de marque de commerce numéro LMC866,485 pour WATCHFINDER vise :
Produits
(1) Bijoux, montres, métaux précieux et pierres précieuses.
Services
(1) Conception personnalisée de bijoux et de montres.
(2) Achat de métaux précieux et de pierres précieuses.
(3) Réparation de montres.
(4) Évaluation de bijoux, de montres, de métaux précieux et de pierres précieuses.
[9] Comme je l’ai mentionné, le registraire a conclu que l’affidavit de 2020 n’établissait pas l’emploi de la marque de commerce en liaison avec l’un quelconque des produits ou services visés par l’enregistrement au cours de la période pertinente. Le registraire avait des doutes quant à savoir si l’un ou l’autre des éléments de preuve se rapportait à la période pertinente, et il a relevé d’autres lacunes dans la preuve de l’emploi, comme je le résume ci‑dessous.
[10] En ce qui concerne les produits visés par l’enregistrement, le registraire a conclu ce qui suit :
il n’y avait aucune preuve de transfert des produits visés par l’enregistrement dans la pratique normale du commerce à quelque moment que ce soit;
l’affidavit de 2020 ne renfermait aucune déclaration ou preuve à l’appui concernant l’emploi de la marque de commerce avec des bijoux, des métaux précieux et des pierres précieuses;
selon la preuve, les montres présentées sur le site Web watchfinder.ca étaient des montres de tiers marqués d’autres marques de commerce.
[11] En ce qui concerne les services visés par l’enregistrement, le registraire a conclu ce qui suit :
l’affidavit de 2020 ne contenait aucune déclaration claire selon laquelle les services avaient été offerts au Canada en liaison avec la marque de commerce WATCHFINDER au cours de la période pertinente, ni n’expliquait comment les pièces démontraient l’emploi de la marque de commerce en liaison avec des services;
M. Sherzady a cherché à profiter de l’emploi de la marque de commerce par une société ontarienne, Watchfinder Yorkville, mais l’affidavit de 2020 n’a pas démontré son contrôle sur les caractéristiques ou la qualité des services offerts par la société ni fourni suffisamment de renseignements pour supposer un tel contrôle; outre une déclaration selon laquelle il a fondé Watchfinder Yorkville en 1999, il n’y avait aucune preuve de la relation de M. Sherzady avec la société pendant la période pertinente.
[12] M. Sherzady a déposé l’affidavit de 2022 afin de remédier aux lacunes relevées par le registraire. À cet égard, je suis d’avis que l’affidavit de 2022 ajoute des éléments de preuve importants et qu’ils ne font pas simplement que reprendre ou compléter ceux que le registraire avait à sa disposition : Yeung c Taste of BC Fine Foods Ltd, 2017 CF 299 au para 23, citant Producteurs Laitiers du Canada c République de Chypre (Ministère du Commerce, de l’Industrie et du Tourisme), 2010 CF 719 au para 28, conf par 2011 CAF 201. L’affidavit de 2022 corrige également des erreurs au sujet de la personne morale qui exploite l’entreprise Watchfinder et fournit des renseignements sur la nature de la pratique normale du commerce de cette entreprise, sur sa relation avec M. Sherzady et sur la façon dont ce dernier exerce un contrôle sur les produits et services offerts et vendus par l’entreprise Watchfinder. L’affidavit est explicite quant à la période pertinente, c’est‑à-dire qu’il traite de l’emploi de la marque de commerce au cours de la période pertinente.
[13] Le critère applicable pour juger de la pertinence des nouveaux éléments de preuve n’est pas celui de savoir s’ils auraient fait changer d’avis le registraire, mais plutôt s’ils auraient pu sur la décision : Sea Tow Services au para 16, citant Papiers Scott Limitée c Georgia-Pacific Consumer Products LP, 2010 CF 478. Si le registraire en avait été saisi, j’estime que l’affidavit de 2022 aurait sensiblement influencé sa décision. Compte tenu de la nature, de l’importance, de la valeur probante et de la fiabilité des nouveaux éléments de preuve, ils auraient amélioré ou clarifié le dossier d’une manière qui aurait pu influencer les conclusions de fait du registraire et l’exercice de son pouvoir discrétionnaire : Sea Tow Services, au para 120; Clorox, au para 21. Par conséquent, je suis d’avis que la Cour peut « exercer toute discrétion dont le registraire est investi »
selon le paragraphe 56(5) de la LMC, à titre d’appel de novo.
B. La preuve établit-elle que la marque WATCHFINDER a été employée au Canada en liaison avec chacun des produits et services visés par l’enregistrement au cours de la période pertinente?
[14] L’article 45 de la LMC prévoit une procédure sommaire de radiation des enregistrements pour les marques de commerce qui sont tombées en désuétude, et a été décrit comme un processus pour éliminer le « bois mort »
du registre : Hilton Worldwide, au para 9. Cette procédure sommaire ne vise pas à résoudre des questions litigieuses entre des intérêts commerciaux opposés qu’il serait plus approprié de résoudre au moyen de procédures de radiation fondées sur l’article 57 de la LMC : ibid.
[15] Le fardeau de preuve pour établir l’emploi dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 45 n’est pas lourd. La preuve du propriétaire d’une marque de commerce doit seulement établir des faits à partir desquels une conclusion d’emploi peut logiquement être inférée : Cosmetic Warriors Limited c Riches, McKenzie & Herbert LLP, 2019 CAF 48 au para 10. Un affidavit ou une déclaration solennelle qui fournit une description factuelle de l’emploi de la marque de commerce, laquelle démontre que les exigences sont respectées, suffira : Spirits International BV c BCF SENCRL, 2012 CAF 131 au para 8 [Spirits International]. Lorsqu’une marque de commerce est employée par une entité autre que le propriétaire inscrit, l’emploi par l’entité en question aura le même effet que l’emploi par le propriétaire si l’entité emploie la marque de commerce sous licence ou avec l’autorisation du propriétaire et que le propriétaire contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des produits et services : paragraphe 50(1) de la LMC; voir également Spirits International au para 7, et Clorox, au para 56.
[16] Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée : paragraphe 4(1) de la LMC. Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services : paragraphe 4(2) de la LMC. Cela dit, le simple fait d’annoncer des services au Canada ne constituera pas un emploi : Hilton Worldwide, au para 7.
[17] Le propriétaire d’une marque de commerce doit fournir une preuve d’emploi pour chacun des produits et services spécifiés dans un enregistrement : voir les paragraphes 45(1) et (3) de la LMC.
[18] M. Sherzady ne soutient pas que l’enregistrement WATCHFINDER devrait être maintenu pour tous les produits et services visés, car il n’affirme pas que la preuve établit l’emploi en liaison avec des « métaux précieux et des pierres précieuses »
ou avec un « achat de métaux précieux et de pierres précieuses »
. Je conclus que la preuve n’établit pas l’emploi en liaison avec ces produits et services, et que l’enregistrement devrait être modifié pour les supprimer. De plus, je suis d’avis que la preuve n’établit pas l’emploi en liaison avec des « bijoux »
et que l’enregistrement devrait être modifié en conséquence. Cependant, je suis convaincue que l’enregistrement WATCHFINDER devrait être maintenu pour les autres produits et services.
[19] Avant de passer à la preuve de l’emploi des autres produits et services, je vais aborder deux des points soulevés par M. Sherzady concernant le « fardeau de preuve »
ou le « fardeau »
qui lui incombe dans la présente instance.
[20] M. Sherzady soutient qu’un propriétaire de marque de commerce qui répond à un avis prévu à l’article 45 n’a pas à prouver l’emploi selon la prépondérance des probabilités, mais simplement fournir une preuve prima facie que la marque de commerce est employée ou une preuve prima facie que l’enregistrement n’est pas du bois mort. De plus, il affirme que toute ambiguïté dans la preuve devrait être résolue en faveur du propriétaire de la marque de commerce, pourvu que cela n’abaisse pas la norme de preuve prima facie. À l’appui, M. Sherzady invoque les décisions Fraser Sea Food Corp c Faskin Martineau Dumoulin LLP, 2011 CF 893 aux para 14-15 et 19, Fairweather Ltd c Registraire des marques de commerce, 2006 CF 1248 au para 41 (conf par 2007 CAF 376), Diamant Elinor Inc c 88766 Canada Inc, 2010 CF 1184 aux para 2, 11, 12, The Black and Decker Corporation c Method Law, 2016 CF 1109 au para 15, et McDowell c Laverana GmbH et Co KG, 2016 CF 1276 au para 23 [McDowell].
[21] À mon avis, les renvois à la « preuve
prima facie »
dans certaines des décisions citées ci-dessus n’établissent pas une norme aussi peu exigeante que celle que semble préconiser M. Sherzady. Le propriétaire d’une marque de commerce est tenu d’établir les faits à partir desquels une conclusion d’emploi peut être tirée, ou à tout le moins être raisonnablement inférée. Par exemple, lorsqu’un enregistrement vise une liste exhaustive de produits ou de services, il est possible de tirer une inférence de l’emploi pour certains produits ou services, si elle est raisonnablement étayée par les faits attestés en preuve. Le registraire ne reçoit que la preuve produite par le propriétaire ou pour le compte de ce dernier dans le cadre de l’instance fondée sur l’article 45, et cette preuve a pour but « de l’informer quant à l’emploi de la marque de commerce afin que lui et la Cour, s’il y a appel, puissent être en mesure d’apprécier la situation et d’appliquer, le cas échéant, la règle de fond énoncée au paragraphe [45(3)] »
: Plough (Canada) Ltd c Aerosol Fillers Inc, 1980 CanLII 2739 (FCA), [1981] 1 CF 679, 53 CPR (2d) 62. Si la preuve d’un propriétaire n’est pas claire en ce qui concerne un aspect de l’emploi d’une marque de commerce, la question est de savoir si elle est suffisante pour permettre de tirer une inférence raisonnable.
[22] Cela dit, il est bien établi que la procédure prévue à l’article 45 est une procédure simple, sommaire, qui ne vise pas à résoudre des questions litigieuses entre des intérêts commerciaux opposés. Ce principe est particulièrement utile pour trancher la question de savoir si M. Sherzady a produit une preuve suffisante pour établir l’emploi de la marque de commerce WATCHFINDER en liaison avec des montres qui arborent des marques de commerce de tiers, lesquelles sont placées dans des boîtes et des sacs de marque WATCHFINDER au moment de l’achat. Une question semblable a été soulevée dans la décision McDowell, sur laquelle je reviens plus loin.
[23] Le registraire a conclu qu’il n’était pas possible de supposer raisonnablement l’emploi de la marque WATCHFINDER en liaison avec les produits [traduction] « bijoux »
et [traduction] « montres »
, en se fondant sur la preuve figurant dans l’affidavit de 2020. Le registraire a relevé un certain nombre de lacunes, y compris l’absence de preuve concernant la pratique normale du commerce par le propriétaire. Le registraire estimait que la seule conclusion raisonnable tirée de la preuve était que des montres de tiers, portant d’autres marques de commerce, avaient été offertes en vente par l’entreprise Watchfinder.
[24] M. Sherzady soutient que l’affidavit de 2022 corrige les lacunes relevées dans la preuve. Il affirme qu’il a maintenant fourni une description complète de la pratique normale du commerce pour l’entreprise Watchfinder, qui comprend la vente de montres et de bijoux haut de gamme, ainsi qu’une preuve que des ventes réelles ont eu lieu.
[25] L’affidavit de 2022 indique que les ventes de produits et de services au cours de la période pertinente ont dépassé 9 000 000 $, y compris les ventes de montres et de bijoux. Des factures représentatives sont jointes pour des montres qui ont été vendues au cours de la période pertinente. Aucune facture de vente de bijoux n’y est jointe.
[26] M. Sherzady soutient, en s’appuyant sur les décisions Baker c Endress + Hauser Group Services AG, 2021 COMC 284 et Fraser Milner Casgrain LLP c LG Electronics Inc, 2014 COMC 232, que l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des produits est établi lorsqu’un client peut commander les produits à partir d’un site Web présentant la marque de commerce. Il soutient que l’affidavit de 2022 montre que, pendant la période pertinente, l’entreprise Watchfinder offrait des bijoux et des montres en vente par l’intermédiaire d’un site Web qui présentait de manière bien visible la marque de commerce WATCHFINDER. Cependant, la preuve que des bijoux et des montres ont été offerts en vente n’est pas suffisante pour établir l’emploi de la marque de commerce WATCHFINDER en liaison avec ces produits, en l’absence de toute preuve d’achats réels provenant des sites Web au cours de la période pertinente : JC Penney Co c Gaberdine Clothing Co, 2001 CFPI 1333 aux para 75 et 76. L’affidavit de 2022 n’établit pas que les clients ont acheté des montres ou des bijoux en ligne pendant la période pertinente. Les reçus de montres joints à l’affidavit indiquent qu’ils ont été produits à partir d’un registre, ce qui laisse entendre qu’il s’agissait d’achats en magasin.
[27] En ce qui concerne les achats en magasin, l’affidavit de 2022 indique qu’au moment de l’achat, les montres et les bijoux achetés au magasin de détail sont fournis aux clients dans des sacs ou des boîtes qui affichent de manière bien visible la marque de commerce WATCHFINDER. L’affidavit est accompagné de photographies de sacs et de boîtes représentatifs de la période pertinente et indique que les sacs et les boîtes illustrés ont été utilisés pour les achats des clients tout au long de la période pertinente. M. Sherzady soutient qu’il ressort clairement du paragraphe 4(1) de la LMC que le fait de fournir des produits dans des emballages comme un sac qui arbore la marque de commerce constitue un emploi de la marque de commerce en liaison avec les produits. Il s’appuie sur la décision de la Cour dans l’affaire McDowell où, selon M. Sherzady, la Cour a [traduction] « rejeté l’opinion du registraire selon laquelle le fait de placer des produits dans des sacs arborant la marque de commerce ne constituait pas un emploi conformément au paragraphe 4(1) »
. Même si les montres vendues dans le magasin de détail arborent des marques de tiers, il soutient que cette façon de lier une marque à des produits relève du sens ordinaire du paragraphe 4(1) de la LMC et a été acceptée comme un emploi prima facie dans l’affaire McDowell.
[28] Je ne suis pas convaincue que la décision McDowell établit un principe général selon lequel la preuve de produits placés dans des emballages arborant une marque de commerce au moment de la vente constituera nécessairement une preuve suffisante de l’emploi de cette marque de commerce avec les produits aux fins d’une procédure en vertu de l’article 45. À mon avis, la réponse à cette question est un exercice fondé sur les faits qui doit être décidé au cas par cas.
[29] Dans l’affaire McDowell, la Cour a souligné le fait que le registraire avait tiré plusieurs conclusions sur des questions litigieuses qui ne pouvaient pas être résolues dans le cadre du processus sommaire prévu à l’article 45, d’autant plus qu’il existait un litige inter partes distinct sur une marque de commerce concurrente de la partie requérante. Ces conclusions portaient notamment sur les questions de savoir si la marque de commerce en cause, HONEY, était bel et bien apposée sur les produits eux-mêmes, si les étiquettes volantes de marque HONEY étaient essentiellement des étiquettes de prix qui ne distinguaient pas les produits, mais seulement les services du détaillant, et si la présentation de HONEY sur les sacs et les boîtes à provisions, les enseignes extérieures et en magasin, les reçus et les autres documents donnait l’avis de liaison requis en vertu du paragraphe 4(1) de la LMC, ou constituait l’emploi en liaison avec les services de magasin de détail seulement. La Cour a également souligné le fait que le registraire avait conclu que la preuve était « ambiguë à savoir si l’un ou l’autre des produits vendus dans les magasins HONEY était des produits HONEY plutôt que des produits de tiers »
et a contesté l’affirmation du registraire selon laquelle cette ambiguïté doit être résolue à l’encontre des intérêts du propriétaire.
[30] En l’espèce, les éléments de preuve indiquent que les montres vendues au magasin de détail Watchfinder sont des montres de tiers portant des marques de commerce de tiers. Les images des montres dans le magasin de détail et sur le site Web indiquent clairement qu’elles portent des marques de commerce de tiers, et les montres figurant sur les factures sont désignées par la marque de tiers. Cela présente une distinction par rapport aux faits dans l’affaire McDowell.
[31] Je précise toutefois que l’entreprise Watchfinder vend des montres d’occasion et des montres neuves. En fait, les factures représentatives de 2018 et de 2019 semblent concerner principalement, sinon entièrement, des montres d’occasion. Je souligne également le fait que la preuve contenue dans l’affidavit de 2020, bien qu’elle soit déficiente à plusieurs égards et d’une valeur limitée, est conforme à l’affidavit de 2022, en ce sens qu’elle renferme des imprimés de pages de médias sociaux et de sites Web décrivant l’entreprise Watchfinder comme des [traduction] « spécialistes de montres d’occasion »
et indiquant que [traduction] « nous nous sommes toujours concentrés sur l’achat et la restauration de montres fines »
.
[32] Bien que les montres d’occasion arborent les marques originales, on peut dire qu’une nouvelle connexion est créée lorsque les montres sont revendues : Blake, Cassels et Graydon v Mappin & Webb Ltd, 1999 CarswellNat 3390, [1999] TMOB No 111 aux para 16-19. L’entreprise Watchfinder a vendu des montres d’occasion pendant la période pertinente dans la pratique normale du commerce, emballées au moment de la vente dans les boîtes et les sacs figurant dans l’affidavit de 2022 qui présentent de manière bien visible la marque de commerce WATCHFINDER. La preuve dont je dispose est suffisante pour me permettre de conclure raisonnablement que l’avis de liaison requis entre les montres et la marque de commerce WATCHFINDER a été fourni à l’acheteur au moment de la vente : voir paragraphe 4(1) de la LMC. En termes clairs, je ne prétends pas que ce serait l’issue si la question devait revenir devant la Cour, particulièrement dans le cadre d’un litige inter partes. À la lumière de l’objet de la procédure prévue à l’article 45, qui ne vise pas à résoudre des questions litigieuses entre des intérêts commerciaux opposés, je suis plutôt convaincue que la preuve fournit les faits nécessaires pour étayer une conclusion logique d’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des montres.
[33] La preuve n’indique pas clairement si l’entreprise Watchfinder vend des bijoux neufs ou d’occasion. Elle n’indique pas non plus quel type de bijoux a été vendu au cours de la période pertinente, et aucune facture de vente de bijoux n’a été fournie. Il n’est pas clair non plus de savoir si les bijoux arborent la marque d’un tiers ou s’ils sont marqués ou distribués dans un emballage arborant la marque d’un tiers – il n’y a pas d’affirmation claire à cet égard dans l’affidavit de 2022, et il n’est pas possible de dire dans un sens ou dans l’autre à partir des images de bijoux versées en preuve. Je ne suis pas convaincue que la preuve permet de conclure raisonnablement que la marque WATCHFINDER a été employée par l’entreprise Watchfinder en liaison avec des bijoux au cours de la période pertinente.
[34] M. Sherzady soutient qu’il exerçait un contrôle direct sur tous les aspects de l’entreprise Watchfinder et que, par conséquent, l’utilisation de la marque de commerce WATCHFINDER par l’entreprise lui est profitable.
[35] Dans l’affidavit de 2022, M. Sherzady affirme qu’il est la personne ayant constitué en société Watchfinder Cumberland Inc. en 2013 et que, depuis ce temps, l’entreprise Watchfinder est exploitée par cette société. Son affidavit de 2022 est accompagné de copies du certificat de constitution et des statuts constitutifs. M. Sherzady indique également dans cet affidavit que la société emploie la marque de commerce WATCHFINDER avec sa permission, qu’il est autorisé à contrôler les activités quotidiennes de l’entreprise et qu’il contrôle directement tous les aspects des produits et services offerts par la société en liaison avec la marque de commerce.
[36] Je suis convaincue que l’emploi de la marque de commerce WATCHFINDER en liaison avec des montres vendues par Watchfinder Cumberland Inc. au cours de la période pertinente a été profitable au propriétaire de la marque de commerce, M. Sherzady : article 50 de la LMC.
[37] En ce qui concerne les services, M. Sherzady soutient que son affidavit de 2022 démontre que l’entreprise Watchfinder a exécuté les services de « conception personnalisée de bijoux et de montres »
, de « réparations de montres »
et d’« évaluation de bijoux, de montres, de métaux précieux et de pierres précieuses »
pendant la période pertinente. Il affirme que l’entreprise a employé la marque de commerce WATCHFINDER en liaison avec ces services.
[38] L’affidavit de 2022 indique que, depuis 2010, l’entreprise Watchfinder exerce ses activités à partir d’un magasin de détail situé dans le quartier Yorkville de Toronto (l’entreprise a exercé ses activités dans trois magasins de détail situés sur la rue Cumberland, à Toronto). Il indique que le commerce offre ses services au magasin de détail depuis ce temps. L’affidavit de 2022 contient en annexe des factures représentatives montrant des travaux de service qui ont été facturés à des clients, dont les renseignements ont été caviardés, au cours de la période pertinente. L’affidavit comprend également des pièces montrant la marque de commerce WATCHFINDER présentée sur des enseignes extérieures et sur des enseignes à l’intérieur du magasin (tous les emplacements) où les services sont fournis, sur des brochures et des pages Web qui annoncent les services, sur des factures, ainsi que sur des sacs et des boîtes qui sont utilisés pour retourner des produits réparés. L’affidavit de 2022 confirme que les pièces sont représentatives de la façon dont la marque de commerce a été employée et présentée tout au long de la période pertinente.
[39] Je suis convaincue que la preuve démontre que l’entreprise Watchfinder a exécuté chacun des services de « réparations de montres »
, d’« évaluation de bijoux, de montres, de métaux précieux et de pierres précieuses »
et de « conception personnalisée de bijoux et de montres »
au cours de la période pertinente. L’affidavit de 2022 comprend une déclaration claire selon laquelle l’entreprise a vendu des services de réparation de montres et d’évaluation de bijoux, de montres, de métaux précieux et de pierres précieuses au cours de la période pertinente, et joint des échantillons de factures représentatives pour des services de réparation de montres exécutés en 2018 et en 2019. L’affidavit de 2022 explique comment la marque de commerce WATCHFINDER a été présentée dans la prestation ou l’annonce de ces services pendant la période pertinente, y compris sur les enseignes intérieures et extérieures des magasins, sur les factures et sur les documents d’annonce pour les services, y compris les brochures et le site Web de l’entreprise. La preuve d’emploi pour des services de « conception personnalisée de bijoux et de montres »
est moins concluante, car les documents d’annonce ne font pas expressément référence à ces services, mais plutôt à des services de réparation de bijoux et à des services de réparation de montres. M. Sherzady explique dans l’affidavit de 2022 que les services de conception personnalisée sont un aspect des services de réparation de montres, et la société a effectivement vendu des services de conception personnalisée pour des montres en réparation au cours de la période pertinente. L’affidavit explique que les services de réparation de montres comprennent la conception personnalisée d’aspects de la montre, comme la lunette. L’entreprise Watchfinder offre des services de réparation de montres haut de gamme, souvent fabriquées avec des métaux précieux ou des pierres précieuses, et je suis convaincue que la preuve de M. Sherzady soutient une conclusion raisonnable selon laquelle la marque de commerce WATCHFINDER a été employée en liaison avec la « conception personnalisée de bijoux et de montres »
.
[40] Pour les mêmes raisons que celles expliquées ci-dessus, je suis convaincue que l’emploi de la marque de commerce WATCHFINDER en liaison avec des services exécutés par Watchfinder Cumberland Inc pendant la période pertinente a profité à M. Sherzady.
IV. Conclusion
[41] En résumé, l’appel est accueilli et la décision du registraire sera annulée. Je suis d’avis que la preuve présentée dans le cadre de l’appel établit que le numéro d’enregistrement LMC866,485 devrait être maintenu pour :
Biens
(1) Montres.
Services
(1) Conception personnalisée de bijoux et de montres.
(3) Réparation de montres.
(4) Évaluation de bijoux, de montres, de métaux précieux et de pierres précieuses.
[42] L’enregistrement LMC866,485 sera modifié afin de supprimer les produits de bijoux, de métaux précieux et de pierres précieuses et de supprimer les services d’achat de métaux précieux et de pierres précieuses, car la preuve n’établit pas l’emploi de la marque de commerce en liaison avec ces produits et services au cours de la période pertinente.
[43] Étant donné que la défenderesse n’a pas participé à l’appel, M. Sherzady ne demande pas l’adjudication des dépens.
JUGEMENT dans le dossier T-1667-21
LA COUR ORDONNE :
L’appel est accueilli sans frais.
La décision du registraire de radier le numéro d’enregistrement LMC866,485 est annulée.
Le numéro d’enregistrement LMC866,485 sera modifié afin de supprimer
« bijoux »
et« métaux précieux et pierres précieuses »
de l’état déclaratif des produits, et« achat de métaux précieux et pierres précieuses »
de l’état déclaratif des services. Le numéro d’enregistrement LMC866,485 est par ailleurs maintenu.
« Christine M. Pallotta »
Juge
Traduction certifiée conforme
M. Deslippes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-1667-21
|
INTITULÉ :
|
SHARAME SHERZADY c NORTON ROSE FULLBRIGHT CANADA LLP/S.E.N.C.R.L., S.R.L.
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE D’AUDIENCE :
|
LE 16 juin 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE PALLOTTA
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 12 décembre 2022
|
COMPARUTION :
Jaimie M. Bordman
|
Pour le demandeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Macera et Jarzyna S.E.N.C.R.L
Avocats
Ottawa (Ontario)
|
Pour le demandeur
|