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Date : 20221208


Dossier : IMM-2742-22

Référence : 2022 CF 1698

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

MOHAMMAD ALMASI GILAVAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, un citoyen iranien âgé de 20 ans, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 2 février 2022 par laquelle un agent des visas [l’agent] a rejeté sa demande de permis d’études au motif qu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour comme l’exige le paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], compte tenu de ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence ainsi que du but de son séjour.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Le contexte

[3] En septembre 2021, le demandeur a été admis à un programme d’enseignement coopératif de deux ans menant à un diplôme en technologie de l’information avec une concentration en développement de logiciels, graphisme et développement Web de l’Institute of Technology Development of Canada [le programme]. Le demandeur est titulaire d’un diplôme d’études secondaires avec une spécialisation en sciences expérimentales, obtenu de l’école secondaire Shohadaye Hasteie en 2020.

[4] En décembre 2021, le demandeur a présenté une demande de permis d’études afin d’intégrer le volet d’enseignement coopératif du programme. À l’époque, il avait déjà entrepris ses études à distance en raison de la pandémie de COVID-19.

[5] Sa demande de permis d’études était accompagnée d’une lettre de motivation, de renseignements sur sa famille et d’une preuve de fonds suffisants. Le demandeur s’était acquitté à l’avance de ses droits de scolarité, évalués à 12 000 $ par année. Il avait également obtenu une bourse d’études de 8 150 $.

[6] Le 2 février 2022, le demandeur a reçu une lettre de décision l’informant du rejet de sa demande. L’agent a consigné les motifs de sa décision dans le Système mondial de gestion des cas en ces termes :

[traduction]

J’ai examiné la demande. J’ai tenu compte des facteurs favorables présentés par le demandeur, y compris les relevés et autres éléments de preuve. Le demandeur, âgé de 20 ans, a présenté une demande de permis afin de pouvoir poursuivre ses études dans un programme d’enseignement coopératif menant à l’obtention d’un diplôme en technologie de l’information à l’Institute of Technology Development of Canada. Il n’a pas fourni de plan d’études et son objectif n’est pas clair. Le demandeur ne soulève pas de raisons suffisamment impérieuses pour me convaincre que ce programme d’études serait utile pour lui. Je ne suis pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour à titre de résident temporaire. Je constate que le demandeur est célibataire et mobile, qu’il n’est pas bien établi et qu’il n’a aucune personne à sa charge. Il n’a pas démontré de liens assez solides le rattachant à son pays de résidence. Le relevé bancaire fourni ne comporte pas de résumé des transactions, de sorte qu’il est impossible de confirmer la provenance des fonds. Le demandeur n’a pas fourni ses résultats à l’examen de l’IELTS ni aucune preuve de ses compétences en anglais. Selon les documents qui accompagnaient la demande, il semble que le client ait commencé ses études à distance à l’automne 2021. Je note que le demandeur a commencé ses études à distance dans un établissement canadien d’enseignement désigné sans avoir préalablement obtenu de permis d’études. Le but du séjour ne semble pas raisonnable compte tenu de la situation socio-économique du demandeur. Je ne suis donc pas convaincu qu’il quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisé. Après avoir soupesé les facteurs propres à la présente demande, je ne suis pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande.

III. Analyse

[7] L’agent des visas délivre un permis d’études à l’étranger si les critères énoncés au paragraphe 216(1) du RIPR sont respectés. Toutefois, il incombe au demandeur de convaincre l’agent des visas qu’il respecte les critères, y compris qu’il ne restera pas au Canada après l’expiration de son permis d’études : LIPR, art 216(1)b); Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 10 [Solopova]).

[8] Le demandeur soutient que la décision de l’agent n’est pas conforme aux exigences de l’équité procédurale et qu’elle est déraisonnable. Je vais traiter de chacune de ces questions à tour de rôle.

A. L’agent a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale?

[9] La question de l’équité procédurale est assujettie au contrôle selon la norme de la décision correcte ou à un exercice de révision « “particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte”, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée » : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54. La cour de révision doit surtout se demander si la procédure suivie par le décideur était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances.

[10] Le demandeur soutient de manière vague et peu élaborée que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en l’espèce. Selon lui, si l’agent doutait de sa crédibilité en raison de son âge et du fait qu’il n’avait pas de personnes à charge, il avait l’obligation de lui donner l’occasion de répondre à ses doutes. En ne lui donnant pas l’occasion de le faire, l’agent aurait manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur. Je ne suis pas d’accord.

[11] Comme la Cour l’a énoncé au paragraphe 38 de la décision Solopova :

Il est bien établi que l’agent des visas n’a pas l’obligation légale de tenter d’éclaircir une demande déficiente, ni l’obligation d’aider un demandeur à établir le bien-fondé de sa demande, ni l’obligation de faire connaître au demandeur ses doutes se rapportant aux conditions énoncées dans la loi, ni encore l’obligation de dire au demandeur ce qu’est le résultat de sa demande à chaque étape du processus […]

[12] Le demandeur n’a pas établi la moindre iniquité de la part de l’agent. Les agents des visas disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour évaluer la preuve soumise en vue de rendre une décision. Pour arriver à ses conclusions, l’agent était en droit de tenir compte de l’ensemble des facteurs, dont les liens en Iran, susceptibles d’inciter le demandeur à quitter ou non le Canada à la fin de la période visée par son permis d’études.

[13] L’agent n’a exprimé aucun doute quant à la crédibilité du demandeur dans ses notes versées au Système mondial de gestion des cas. Il n’a pas non plus fondé sa décision sur des stéréotypes ou des généralisations, comme l’affirme le demandeur. Ce dernier ne souscrit peut-être pas aux conclusions de l’agent, mais ses arguments portent sur le caractère raisonnable de la décision et n’ont rien à voir avec l’équité procédurale.

B. La décision de l’agent était‑elle raisonnable?

[14] Le fond d’une décision relative à une demande de permis d’études est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 85). Il incombe au demandeur de convaincre la Cour « que la lacune ou la déficience [invoquée] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, au para 100). Une décision raisonnable se justifie au regard des faits, et « le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, au para 126).

[15] Le demandeur fait valoir que la décision de l’agent n’est ni intelligible ni raisonnable lorsqu’elle est lue conjointement avec la preuve fournie. Bien que je rejette plusieurs des arguments du demandeur concernant les diverses lacunes de la décision, je conclus que l’appréciation faite par l’agent des liens familiaux du demandeur était déraisonnable essentiellement pour les mêmes raisons que celles énoncées par la juge Vanessa Rochester dans la décision Hasanalideh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1417.

[16] Comme je l’ai déjà précisé, l’agent cite deux motifs de rejet dans sa lettre de décision : 1) les liens familiaux du demandeur au Canada et dans son pays de résidence et 2) le but de son séjour.

[17] Dans sa lettre de décision, l’agent utilise une formule type pour indiquer qu’il n’est pas convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisé [traduction] « compte tenu de ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence ». Les notes de l’agent qui ont été consignées dans le Système mondial de gestion des cas font partie de la décision et ont pour but d’expliquer les conclusions qu’il a tirées. Cependant, le dossier qui m’a été présenté ne comporte aucune explication.

[18] L’agent indique avoir tenu compte des [traduction] « facteurs favorables » présentés par le demandeur, mais ces facteurs ne figurent à aucun endroit dans ses notes et rien n’indique de quelle façon il les a soupesés. Il n’y a d’ailleurs aucune mention de la famille du demandeur malgré le fait que le demandeur indique dans son formulaire de renseignements sur la famille qu’il habite avec ses parents et deux membres de sa fratrie. De plus, rien n’indique que le demandeur a de la famille ou d’autres liens étroits au Canada. Vraisemblablement, de tels facteurs joueraient en la faveur du demandeur.

[19] Le défendeur affirme qu’une simple liste des membres de la famille du demandeur ne précise pas les liens que celui-ci entretient avec ces personnes, et qu’il aurait été facile pour le demandeur d’expliquer brièvement ces liens. Quoi qu’il en soit, l’agent n’exprime aucune opinion au sujet de la suffisance de la preuve du demandeur à l’égard de sa famille. En effet, il n’y a pratiquement aucune analyse des liens familiaux du demandeur dans les notes de l’agent.

[20] Si l’agent avait des doutes au sujet des liens familiaux du demandeur en Iran, il aurait dû les mentionner clairement, même si ses motifs étaient brefs, afin que la décision puisse faire l’objet d’un examen valable. Comme l’a récemment affirmé le juge Nicholas McHaffie au paragraphe 17 de la décision Afuah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 596, « [m]ême lorsque l’obligation de fournir des motifs est minime, la Cour ne peut se retrouver à conjecturer quant aux motifs d’une décision, ou à tenter de les compléter pour le décideur parce qu’ils ne ressortent pas clairement de la décision lue à la lumière du dossier ».

[21] J’estime que l’agent n’a pas fourni de motifs justifiés, intelligibles et transparents pour étayer sa conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas démontré l’existence de liens suffisamment forts avec l’Iran. Cette omission à l’égard d’un des deux motifs donnés par l’agent est suffisamment capitale pour rendre la décision déraisonnable et justifier le renvoi de l’affaire pour réexamen.

[22] À la lumière de cette conclusion, je n’ai pas besoin d’examiner les observations du demandeur à l’égard des autres erreurs que l’agent aurait commises dans l’évaluation de sa demande de permis d’études. Je tiens toutefois à préciser que ma décision ne doit pas être interprétée comme signifiant que la Cour souscrit à la prétention du demandeur selon laquelle l’agent se serait fondé à tort sur des stéréotypes ou des généralisations lorsqu’il a mentionné que le demandeur était [traduction] « célibataire et mobile, […] et qu’il n’[avait] aucune personne à charge ». Ces déclarations concernant le demandeur sont manifestement correctes en plus d’être pertinentes dans le cadre de la délivrance d’un permis d’études. Le fait que le demandeur soit célibataire et en mesure de voyager librement et facilement fait partie de la constellation de facteurs que l’agent devait prendre en compte pour évaluer sa demande de visa d’étudiant. Au paragraphe 14 de la décision Chherti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872, le juge Donald Rennie a affirmé : « Les agents des visas doivent évaluer la solidité des liens qui unissent le demandeur à son pays d’origine ou qui l’attirent vers ce dernier par rapport aux mesures incitatives, économiques ou d’autre nature, qui pourraient inciter l’étranger à dépasser la durée permise. »

[23] Ceci étant dit, la Cour a régulièrement déclaré que l’absence d’enfants ou de conjoint à charge ne devrait pas nécessairement, sans autre analyse, être jugée défavorablement dans le contexte de l’évaluation d’une demande de permis d’études (Barril c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CF 400 au para 20 [Barril]; voir aussi Seyedsalehi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1250 au para 11; Onyeka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 336 au para 48). Autrement, de nombreux étudiants, voire la majorité d’entre eux, ne seraient pas admissibles à un permis d’études (Barril, au para 20).

IV. Conclusion

[24] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

[25] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-2742-22

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. 1La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  3. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

Blank

« Roger R. Lafreniѐre »

Blank

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2742-22

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD ALMASI GILAVAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Faculté de droit Peter A. Allard

Université de la Colombie-Britannique

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 OCTOBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Philippe Alma

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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