Date : 20221212
Dossier : T-1117-22
Référence : 2022 CF 1709
[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]
Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2022
En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond
ENTRE :
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HECTOR LEO BEEDS, IRENE LENHART ET LORNE SAKEBOW
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demandeurs
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et
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CHEF PETER BILL, CONSEILLER LEE BILL, CONSEILLER WILLIE THOMAS, CONSEILLER DONNY RABBITSKIN ET, EN SA QUALITÉ DE DIRECTRICE GÉNÉRALE DES ÉLECTIONS, LORETTA J. PETE LAMBERT
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défendeurs
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Les demandeurs affirment avoir été privés de la possibilité de présenter leur candidature aux élections pour les postes de chef et de conseillers de la Première Nation de Pelican Lake [PNPL] parce qu’ils ne résidaient pas dans la réserve de la PNPL. Ils soutiennent également que les défendeurs, qui ont été élus, se sont livrés à des manœuvres frauduleuses et à l’achat de votes au cours de la campagne électorale.
[2] L’appel interjeté par les demandeurs devant le comité d’appel de la PNPL [le comité] a été rejeté. S’agissant de la question de la résidence, le comité a conclu que l’un des demandeurs, M. Beeds, était éligible, mais que les autres ne l’étaient pas. Toutefois, il a conclu que cette situation n’avait pas eu d’incidence sur le résultat des élections. Il a donc maintenu ce résultat. En ce qui concerne l’achat de votes, après avoir examiné la preuve des deux parties, il a conclu que la preuve présentée par les demandeurs ne permettait pas d’étayer leurs allégations.
[3] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision du comité. Je n’accueillerai leur demande qu’en partie. Les conclusions du comité concernant l’éligibilité des demandeurs et l’achat de votes sont raisonnables. Elles sont compatibles avec la preuve et les principes juridiques applicables. Toutefois, la conclusion du comité selon laquelle le résultat de l’élection du chef n’aurait pas été différent si le nom de M. Beeds avait figuré sur le bulletin de vote est déraisonnable. Le comité n’a fourni aucun motif pour expliquer sa conclusion et rien dans le dossier de preuve ne la justifie. Par conséquent, l’affaire est renvoyée au comité pour nouvelle décision sur cette question seulement.
I. Contexte
[4] La PNPL tient des élections pour les postes de chef et de conseillers tous les trois ans. Ces élections sont tenues conformément à la loi intitulée Act Respecting the Election of Chief and Councillors of the Pelican Lake First Nation (loi concernant l’élection du chef et des conseillers de la Première Nation de Pelican Lake) [la Loi électorale]. Entre autres, suivant l’alinéa 5(3)(b) de la Loi électorale, les candidats devaient avoir résidé habituellement dans la réserve de la PNPL au cours des douze mois précédant les élections.
[5] Des élections ont eu lieu le 24 mars 2022. Les trois demandeurs ont été présentés comme candidats lors de l’assemblée de mise en candidature tenue le 8 mars 2022. M. Beeds et Mme Lenhart ont été présentés comme candidats au poste de chef, et M. Sakebow a été présenté comme candidat au poste de conseiller. Ils ont tous signé une déclaration sous serment selon laquelle ils satisfaisaient aux critères d’éligibilité, y compris l’exigence en matière de résidence. Toutefois, après avoir exigé des documents supplémentaires, la directrice générale des élections [la DGE] a déterminé que les candidats ne résidaient pas habituellement dans la réserve de la PNPL. Elle a donc retiré leurs noms de la liste des candidats qui a été distribuée le 11 mars. Leurs noms ne figuraient pas sur le bulletin de vote.
[6] Les défendeurs font partie des vainqueurs des élections. Le chef Bill en est à son sixième mandat en tant que chef et a été réélu avec 366 voix, tandis que les autres candidats ont obtenu, respectivement, 212 et 204 voix. Les conseillers Bill, Thomas et Rabbitskin, qui faisaient campagne avec le chef Bill, ont également été élus. Trois autres candidats, qui ne sont pas parties à la présente instance, ont également été élus en tant que conseillers.
[7] Les demandeurs ont interjeté appel du résultat des élections. Ils alléguaient avoir été injustement écartés en raison de leur lieu de résidence et soutenaient que les défendeurs avaient acheté des votes. Ils contestaient également la validité de l’exigence relative à la résidence et la validité des modifications apportées à la Loi électorale en 2021, mais ont retiré ces allégations à l’audience devant le comité.
[8] Le comité a instruit l’affaire les 23 et 24 avril 2022. Par la suite, les parties ont présenté des observations écrites. Dans une décision rendue le 4 mai, le comité a rejeté l’appel et a confirmé le résultat des élections.
[9] Dans ses motifs, le comité a d’abord traité de l’application de l’exigence en matière de résidence. Après avoir examiné la preuve, il a conclu que M. Beeds était éligible parce qu’il résidait hors réserve pour poursuivre un cours dans un établissement d’enseignement, une exception explicitement reconnue à l’alinéa 2(m) de la Loi électorale. Toutefois, il a conclu que Mme Lenhart et M. Sakebow ne satisfaisaient pas l’exigence relative à la résidence. Le comité a également conclu que la Loi électorale exigeait que la DGE dresse une liste finale des candidats à la clôture de l’assemblée de mise en candidature. La DGE n’a donc pas pu examiner de manière plus approfondie la résidence des candidats et publier une liste révisée de candidats trois jours plus tard. Toutefois, en fin de compte, bien qu’il ait conclu qu’il y avait eu infraction à la Loi électorale, le comité a déclaré [traduction] « [qu’]on ne pou[v]ait raisonnablement dire que [cette infraction] a[vait] eu une incidence sur le résultat des élections »
et a confirmé le résultat, conformément à l’alinéa 12(6)(b) de la Loi électorale.
[10] Le comité s’est ensuite penché sur la question des manœuvres frauduleuses et de l’achat de votes. Elle a examiné la preuve, y compris le témoignage de trois membres de la PNPL qui ont déclaré que les défendeurs leur avaient donné de l’argent en échange de leurs votes, une vidéo qui montrerait l’un de ces incidents et le témoignage des défendeurs eux-mêmes. Ces éléments de preuve seront examinés de manière plus détaillée plus loin dans les présents motifs. Le comité a conclu que la preuve était limitée et qu’elle ne [traduction] « permettait [pas] de conclure à l’existence de corruption dans le processus électoral »
.
[11] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision du comité. À l’audience, l’avocat des demandeurs m’a informé que Mme Lenhart ne voulait plus participer à la présente instance, bien qu’elle n’avait déposé aucun avis de désistement.
II. Analyse
[12] À mon avis, un seul aspect de la décision du comité est déraisonnable et justifie l’intervention de la Cour, à savoir la conclusion du comité selon laquelle l’absence du nom de M. Beeds sur le bulletin de vote n’a pas eu d’incidence sur le résultat de l’élection du chef. À tous les autres égards, la décision du comité est raisonnable.
[13] Avant d’exposer les motifs qui m’ont amené à tirer cette conclusion, je dois souligner certains aspects du cadre relatif au contrôle judiciaire, qui a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov]. Lorsqu’ils procèdent à un contrôle judiciaire, les tribunaux ne tranchent pas eux-mêmes l’affaire, puisque cette tâche revient au décideur administratif, soit le comité en l’espèce. Leur rôle consiste plutôt à s’assurer que la décision est raisonnable ou, en d’autres termes, qu’elle est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
: Vavilov, au paragraphe 85.
[14] Il convient de faire preuve de retenue à l’égard du décideur administratif, particulièrement en ce qui concerne les conclusions de fait, surtout lorsque la crédibilité est en jeu. Le décideur administratif, comme le comité, « peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et […] à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait »
: Vavilov, au paragraphe 125. Comme nous le verrons ci-après et comme les demandeurs eux-mêmes l’ont reconnu dans leurs observations écrites devant le comité, la présente affaire concerne principalement la crédibilité des témoins.
[15] La Cour procède au contrôle judiciaire en analysant d’abord les motifs fournis par le décideur : Vavilov, au paragraphe 84. Toutefois, la Cour peut également examiner la preuve présentée au décideur et les observations des parties afin de mieux comprendre le raisonnement du décideur : Vavilov, au paragraphe 94. De plus, les motifs ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection : Vavilov, au paragraphe 91. Ces lignes directrices sont particulièrement pertinentes en l’espèce, puisque le paragraphe 12(6) de la Loi électorale n’accorde au comité que sept jours pour rendre une décision. On ne peut pas s’attendre à ce qu’un décideur, dans ses motifs, traite minutieusement de chaque élément de preuve, d’autant plus que l’audience en l’espèce s’est déroulée sur deux jours complets.
A. Les manœuvres frauduleuses
[16] En ce qui a trait aux manœuvres frauduleuses, les demandeurs allèguent essentiellement que le comité a eu tort d’écarter leur preuve. Ils affirment que certains éléments de preuve présentés par les défendeurs corroborent les leurs et que, dans la mesure où ceux-ci nient que de l’argent a été offert aux demandeurs, ils ne devraient pas être crus.
[17] Comme je l’ai mentionné précédemment, le comité est arrivé à la conclusion contraire. Dans l’ensemble, il a conclu que la preuve des demandeurs ne permettait pas de conclure qu’il y avait eu achat de votes ou manœuvres frauduleuses. Il s’agit d’une conclusion de fait qui ne peut être infirmée dans le cadre d’un contrôle judiciaire que si le comité « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte »
: Vavilov, au paragraphe 126. En effet, comme les demandeurs l’ont écrit dans leurs observations finales au comité : [traduction] « La question se résume donc à la crédibilité – de quelle partie devrait-on privilégier la preuve? »
Il est donc nécessaire de commencer par donner un aperçu de la preuve, surtout compte tenu de la brièveté des motifs du comité.
a) Incident impliquant Christine Smallboy
[18] Le premier incident allégué d’achat de votes impliquait le chef Bill et Mme Smallboy, une membre de la PNPL. Cet incident aurait eu lieu dans le stationnement du bureau de vote par anticipation à Prince Albert. Les candidats se trouvaient dans leurs véhicules stationnés pour que les électeurs puissent leur parler. Mme Smallboy a approché le chef Bill, tandis qu’une autre personne a filmé l’interaction. Le chef Bill a d’abord donné à Mme Smallboy une petite feuille blanche qu’elle a gardée dans sa main. Il a été reconnu que ce document était une liste des candidats formant l’équipe du chef Bill, laquelle a été déposée en preuve devant le comité. Quelques secondes plus tard, le chef Bill a donné à Mme Smallboy quelque chose d’autre, que nous ne pouvons pas voir, et Mme Smallboy l’a mise dans sa poche. Étant donné que la vidéo a été prise à une certaine distance, on ne peut entendre la conversation.
[19] Dans son témoignage, Mme Smallboy a affirmé que ce que le chef Bill lui a donné était de l’argent, bien qu’elle n’ait pas pu préciser le montant, et que le chef Bill lui avait dit de voter pour les candidats sur sa liste. Le chef Bill, pour sa part, a nié avoir donné de l’argent à Mme Smallboy. Il a plutôt témoigné que Mme Smallboy a mentionné que ses filles étaient également présentes pour voter et qu’elle avait besoin de copies supplémentaires de la liste des candidats. Ainsi, le deuxième article qu’il lui a remis était des copies supplémentaires de la liste.
[20] De plus, il y a un autre élément qui mine la crédibilité de Mme Smallboy. Le chef Bill a témoigné que Mme Smallboy lui avait demandé de l’aide financière à plusieurs reprises et a déposé des copies de messages textes à l’appui de ces demandes. Mme Smallboy a nié avoir demandé une telle aide, malgré les messages textes.
[21] Le comité n’a fourni aucun motif détaillé pour expliquer pourquoi il a retenu le témoignage du chef Bill plutôt que celui de Mme Smallboy, au-delà de résumer ce que chacun avait dit et de souligner le fait que Mme Smallboy n’était pas en mesure de dire combien d’argent le chef Bill lui avait donné. Or, le comité ne s’est pas fondamentalement mépris sur la preuve et sa conclusion selon laquelle la preuve était insuffisante est raisonnable. La vidéo ne prouve pas que le chef Bill a donné de l’argent à Mme Smallboy. Le témoignage de Mme Smallboy manquait de crédibilité, puisqu’elle ne pouvait pas préciser la somme d’argent qu’elle avait reçu et qu’elle niait avoir demandé de l’aide financière dans le passé. Elle a également témoigné qu’elle avait reçu l’argent d’abord, puis la liste des candidats, alors que la vidéo montre qu’elle a reçu la liste en premier. Compte tenu de la preuve, il était loisible au comité de conclure que l’allégation d’achat de votes n’avait pas été établie.
b) Incident impliquant Thomas James Sakebow
[22] Un autre membre de la PNPL, M. Thomas James Sakebow, a témoigné que, le jour des élections, à la station d’essence de la PNPL, le chef Bill et les conseillers Bill, Thomas et Rabbitskin lui ont donné chacun 40 $ ainsi qu’une liste de candidats pour lesquels voter.
[23] Le chef Bill a nié avoir donné de l’argent à M. Sakebow le jour des élections. Le conseiller Bill a témoigné que M. Sakebow l’avait appelé le jour des élections et avait demandé de l’argent pour acheter de l’essence pour rentrer chez lui. Il a dit qu’il l’avait rencontré à la station-service et lui avait donné 20 $, qu’il n’avait pas demandé à M. Sakebow de voter pour lui et que M. Sakebow lui avait dit qu’il avait déjà voté. De même, le conseiller Rabbitskin a témoigné qu’il avait rencontré M. Sakebow et lui avait donné 40 $ pour l’essence, et que celui-ci avait déjà voté. Le conseiller Thomas a témoigné qu’il était avec le chef Bill le jour des élections lorsqu’ils ont rencontré M. Sakebow. Selon le conseiller Thomas, M. Sakebow s’est disputé avec le chef Bill parce que ce dernier ne l’aurait pas suffisamment soutenu dans le passé. Après la dispute, le chef Bill et le conseiller Thomas sont partis sans donner d’argent à M. Sakebow.
[24] De façon plus générale, les défendeurs ont témoigné qu’il est courant pour les membres de la PNPL de demander personnellement de l’aide financière aux conseillers et pour ceux-ci, de fournir une telle aide. Ils ont également affirmé que certains des demandeurs et leurs témoins l’ont souvent fait.
[25] Le comité a conclu que la preuve ne permettait pas d’étayer une conclusion de manœuvres frauduleuses, mais n’a pas fourni de motifs détaillés à l’appui de cette conclusion. Il s’en est tenu à résumer la preuve et à souligner les observations des défendeurs concernant la pratique consistant à offrir une aide financière. Or, ce faisant, il ne s’est pas fondamentalement mépris sur la preuve. Pour arriver à sa conclusion, le comité a conclu implicitement, mais sans équivoque, que les événements s’étaient déroulés comme l’ont décrit les défendeurs et que le récit de M. Sakebow n’était pas crédible. L’évaluation de la crédibilité des témoins est au cœur de la mission du comité, et les demandeurs ne m’ont pas convaincu que la conclusion du comité est déraisonnable.
[26] Les demandeurs ont également laissé entendre que le comité n’avait possiblement pas tenu compte du droit en ce qui concerne la notion de manœuvres frauduleuses ou d’achat de votes. Toutefois, je fais remarquer que, dans les observations qu’elles ont présentées au comité après l’audience, les parties ont cité plusieurs décisions de la Cour : Gadwa c Première Nation Kehewin, 2016 CF 597 [Gadwa], conf sub nomine Joly c Gadwa, 2017 CAF 203; Henry c Première Nation Anishinabe de Roseau River, 2017 CF 1038 [Henry]; Potts c Alexis Nakota Sioux Nation, 2019 CF 1121 [Potts]; Whitford c Première Nation de Red Pheasant, 2022 CF 436 [Whitford].
[27] Dans la décision Henry, aux paragraphes 57 à 59 de ses motifs, mon collègue le juge Leonard S. Mandamin a résumé ainsi les principes juridiques relatifs à l’achat de votes :
[…] la corruption est présente lorsque le vote d’un électeur est obtenu moyennant une contrepartie. Le candidat attaqué et l’électeur corrompu doivent convenir à l’échange d’une contrepartie en retour d’une promesse de vote; en common law, il ne peut y avoir corruption si aucune condition n’est attachée à la contrepartie offerte […].
[…]
En d’autres termes, il n’y a pas corruption, ni achat de votes, quand de l’argent est offert sans qu’une condition de voter d’une certaine façon y soit rattachée.
[28] Dans cette affaire, le juge Mandamin a conclu que, compte tenu de l’ensemble des circonstances, la remise d’une petite somme d’argent à un membre de la Première Nation le jour des élections n’équivalait pas à un achat de votes. De même, un chef ne se livre pas à une manœuvre frauduleuse lorsqu’il achète de l’essence pour un membre et que la question du vote de ce membre n’est pas abordée au moment de cet achat : Potts, aux paragraphes 32 à 34. Le fait de donner des sommes modestes à titre d’aide financière ne constitue pas un achat de votes si le bénéficiaire de l’aide n’est pas invité à voter d’une façon particulière : Good c Canada (Procureur général), 2018 CF 1199 aux paragraphes 227 à 241 et 270 à 272 [Good].
[29] En revanche, les tribunaux ont tiré des conclusions de manœuvres frauduleuses lorsque des fonds avaient clairement été donnés en contrepartie d’un vote particulier ou en échange d’un engagement à voter d’une manière particulière : Gadwa, au paragraphe 81; Papequash c Brass, 2018 CF 325 aux paragraphes 18, 20, 21, 24 et 39.
[30] Compte tenu de ces principes, il était raisonnable de la part du comité de conclure que la preuve ne permettait pas de conclure que les défendeurs avaient tenté d’acheter le vote de M. Sakebow.
c) Incident impliquant Isaiah Sakebow
[31] Le conseil sortant a tenu sa dernière assemblée dans un hôtel de Saskatoon, le 22 mars 2022. Après l’assemblée, un certain nombre de membres de la PNPL sont restés et de la pizza a été commandée. Isaiah Sakebow a témoigné qu’il était présent et que le chef Bill et les conseillers Bill et Thomas lui ont donné chacun 20 $. Aucun d’entre eux ne lui a dit pour qui voter, mais il a compris que cette somme lui avait été donnée en échange de son appui. Le chef Bill et les conseillers Bill et Thomas ont nié avoir donné de l’argent à Isaiah Sakebow.
[32] Le comité a résumé le témoignage d’Isaiah Sakebow et a conclu qu’il ne prouvait pas l’existence d’une manœuvre frauduleuse. Cette conclusion est raisonnable malgré l’absence de motifs explicites. Encore une fois, la question se résumait à déterminer quels témoins étaient les plus crédibles. Les demandeurs n’ont pas expliqué pourquoi il était déraisonnable de la part du comité de retenir le témoignage des défendeurs plutôt que celui d’Isaiah Sakebow.
d) Réunion du conseil du 8 mars 2022
[33] Les demandeurs font également valoir que le comité n’a pas mentionné l’affidavit de Romeo Thomas, qui contenait des allégations concernant une réunion du conseil tenue le 8 mars 2022. Romeo Thomas, qui était un membre sortant du conseil, a affirmé que cette réunion avait eu lieu après l’assemblée de mise en candidature et que les défendeurs qui, à ce moment-là, étaient candidats aux nouvelles élections, avaient émis des chèques préparés à la main à certains électeurs, qui s’élevaient, dans certains cas, à 5 000 $, et avaient demandé au gestionnaire du logement de la PNPL de collaborer avec la DGE.
[34] Il n’est pas clair si les demandeurs ont soulevé cette question devant le comité, puisqu’il n’y a rien à ce sujet dans leurs observations écrites. En l’absence de pareils arguments, ils ne peuvent pas alléguer, dans le cadre du contrôle judiciaire, qu’il était déraisonnable de la part du comité de ne pas avoir analysé cette preuve.
[35] Quoi qu’il en soit, l’affidavit de Romeo Thomas est très vague quant à la nature des irrégularités alléguées. Il n’a pas témoigné devant le comité. Toutefois, le chef Bill a témoigné que les sommes ont été versées dans le cadre d’un programme d’aide au logement au titre duquel les membres peuvent obtenir des subventions allant jusqu’à 5 000 $. Dans ces circonstances, je ne suis pas convaincu que le fait que le comité n’ait pas mentionné cet affidavit rend sa décision déraisonnable.
[36] Dans l’ensemble, les demandeurs n’ont pas démontré que le comité s’était fondamentalement mépris sur la preuve ou que sa décision concernant les manœuvres frauduleuses était déraisonnable. Il était loisible au comité de conclure que les témoins des défendeurs étaient plus crédibles que ceux des demandeurs.
B. L’exigence relative à la résidence
[37] Les demandeurs contestent également la façon dont le comité a tranché la question relative à la résidence. Ils font valoir qu’il était déraisonnable de la part du comité de conclure qu’une violation de l’exigence relative à la résidence prévue dans la Loi n’aurait pas eu d’incidence sur le résultat des élections. Selon eux, une telle violation découlait de la modification apportée par la DGE à la liste des candidats après la clôture de l’assemblée de mise en candidature. À titre subsidiaire, ils s’appuient sur la conclusion du comité selon laquelle M. Beeds satisfaisait à l’exigence relative à l’éligibilité et ils affirment que la conclusion du comité selon laquelle M. Sakebow ne résidait pas dans la réserve était déraisonnable.
[38] Pour chacune de ces questions, les défendeurs adoptent la position contraire. Ils soutiennent que, puisqu’ils ont remporté les élections avec une majorité écrasante, aucune des questions liées à l’absence du nom de M. Beeds et de M. Sakebow sur le bulletin de vote n’aurait eu d’incidence sur le résultat. À titre subsidiaire, ils s’appuient sur la conclusion du comité selon laquelle M. Sakebow ne satisfaisait pas aux exigences relatives à l’éligibilité, et ils affirment que les conclusions du comité concernant la conduite de la DGE et le lieu de résidence de M. Beeds étaient déraisonnables.
[39] Je suis en partie d’accord avec les demandeurs. Les conclusions du comité concernant le lieu de résidence de M. Beeds et de M. Sakebow étaient raisonnables; par conséquent, seul M. Beeds était éligible. À mon avis, les commentaires du comité concernant la conduite de la DGE n’étaient pas déterminants quant à la question de la résidence. Enfin, la conclusion du comité selon laquelle l’absence du nom de M. Beeds sur le bulletin de vote n’a pas eu d’incidence sur le résultat du scrutin est déraisonnable parce qu’elle n’est ni motivée ni justifiée.
[40] J’explique chacune de ces propositions en détail ci-après.
1) La résidence de M. Beeds
[41] Le comité a conclu que M. Beeds satisfaisait à l’exigence relative à la résidence parce qu’il fréquentait un établissement d’enseignement hors réserve. Bien entendu, dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Beeds ne conteste pas cette conclusion. Or, dans leur réponse à la présente demande, les défendeurs affirment que la décision du comité est déraisonnable en ce qui concerne cette question particulière. Je ne suis pas d’accord avec cet argument.
[42] Devant le comité, M. Beeds a affirmé qu’il vivait chez son fils dans la réserve. Toutefois, il a témoigné que, entre février 2020 et février 2022, il résidait à Prince Albert pour suivre un programme de formation offert par Timanaska Development Corp. [Timanaska], qui portait sur des sujets comme la gestion forestière, la préservation et la conservation des terres traditionnelles, le marché des crédits carbone et l’industrie des produits du bois. Il a produit une lettre attestant sa réussite du programme. De plus, il a reconnu que le programme comprenait un stage rémunéré. À ce sujet, les défendeurs ont appelé Mme Verna Haines, qui travaille pour les services aux étudiants au Conseil tribal Agency Chiefs, dont la PNPL est membre. Elle a témoigné que le Conseil ne reconnaît pas Timanaska comme un établissement d’enseignement et n’offre pas de financement pour suivre les programmes offerts par Timanaska.
[43] Bien que, comme il l’a admis, M. Beeds n’ait pas résidé habituellement dans la réserve au cours de la période de douze mois précédant les élections, il était raisonnable de la part du comité de conclure que sa situation correspondait à l’exception énoncée au sous-alinéa 2(m)(iv) de la Loi électorale, c’est-à-dire qu’il avait quitté la réserve [traduction] « pour suivre un programme d’études dans un établissement d’enseignement »
. La Loi électorale ne définit pas le terme « établissement d’enseignement »
, pas plus qu’elle n’exige que cet établissement soit reconnu par le Conseil tribal Agency Chiefs à des fins de financement. Il incombait au comité de déterminer si Timanaska était un établissement d’enseignement. Bien que les parties fussent en désaccord relativement à cette question, le comité n’a pas fait abstraction des contraintes découlant de la Loi électorale ou de la preuve dont il était saisi pour en arriver à sa conclusion.
2) La résidence de M. Sakebow
[44] Selon l’alinéa 2(m) de la Loi électorale, la résidence d’une personne est le lieu où celle-ci réside habituellement et est déterminée selon les faits propres à chaque cas, y compris le lieu où elle dort habituellement et reçoit du courrier et le lieu de résidence des membres de sa famille. Devant le comité, l’avocat des demandeurs a résumé ainsi la preuve favorable à M. Sakebow :
[traduction]
[…] au cours des douze mois précédant les élections, M. Sakebow avait déployé de nombreux efforts pour résider dans la réserve. Comme un certain nombre de membres de la Première Nation de Pelican Lake l’ont fait pendant des décennies, M. Sakebow travaillait hors réserve de manière saisonnière et retournait ensuite à son lieu de résidence habituel : la réserve de la Première Nation de Pelican Lake. Comme il l’a indiqué dans son témoignage, M. Sakebow a fait face à de nombreux obstacles et défis qui l’ont obligé à se déplacer entre Prince Albert et la réserve de la Première Nation de Pelican Lake, y compris la condamnation de sa résidence. Toutefois, il a persisté et est retourné dans la réserve chaque fois qu’il en avait l’occasion. M. Sakebow séjourne chez des membres de sa famille immédiate qui vivent dans la réserve, dans une maison surpeuplée, et M. Sakebow parle la langue et a grandi dans la réserve.
[45] Or, il a aussi été établi qu’au cours des douze mois précédant les élections, M. Sakebow a vécu environ six mois à Prince Albert ou dans le sud de l’Alberta dans le cadre d’emplois saisonniers. Le comité a également été informé que M. Sakebow n’était pas en mesure de fournir des factures de services publics sur lesquelles était indiquée l’adresse d’une résidence dans la réserve et que le gestionnaire du logement de la PNPL a affirmé que M. Sakebow n’avait pas de résidence à son nom dans la réserve.
[46] Après avoir reproduit les dispositions pertinentes de la Loi électorale et examiné certains éléments de preuve, le comité a conclu que M. Sakebow n’était pas éligible parce qu’il ne satisfaisait pas à l’exigence relative à la résidence, mais n’a pas expliqué davantage sa conclusion. Le comité n’a pas précisément mentionné les observations de M. Sakebow citées précédemment.
[47] M. Sakebow soutient que la décision du comité est déraisonnable, principalement parce que le comité n’a pas tenu compte de la preuve et des observations qu’il a présentés. Toutefois, le fait que le décideur n’a pas fourni de motifs détaillés concernant chaque menue question n’est pas en soi un motif donnant ouverture à un contrôle judiciaire, en particulier lorsque la loi n’accorde que très peu de temps au décideur pour rédiger des motifs : Vavilov, aux paragraphes 91 à 94.
[48] Il s’agit donc de savoir si la décision du comité est compatible avec la preuve dont il était saisi. M. Sakebow n’a pas expliqué pourquoi ce ne serait pas le cas. En effet, je conclus que la conclusion du comité était raisonnable. La preuve révélait que M. Sakebow avait principalement résidé hors réserve au cours des douze mois précédant les élections. Ses arguments s’apparentaient davantage à un plaidoyer en faveur d’une exemption à l’exigence relative à la résidence en raison de la crise du logement. Bien que je sois sensible à la situation de M. Sakebow, je fais remarquer qu’il a choisi de ne pas contester la validité de l’exigence relative à la résidence devant le comité. Compte tenu de la preuve, il était loisible au comité de conclure que M. Sakebow ne satisfaisait pas à l’exigence relative à la résidence, et mon rôle n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve ou les facteurs pertinents.
3) La modification de la liste des candidats
[49] Indépendamment des conclusions du comité concernant leur lieu de résidence, les demandeurs soutiennent que la DGE ne pouvait pas retirer leur nom de la liste des candidats qui avait été dressée à la fin de l’assemblée de mise en candidature le 8 mars 2022. En d’autres termes, les demandeurs affirment que le fait que leurs noms figuraient sur la liste initiale des candidats les autorisait à se présenter aux élections, quel que soit leur lieu de résidence. À ce sujet, le comité a conclu ce qui suit :
[traduction]
De plus, la façon dont l’assemblée de mise en candidature du 8 mars devait se dérouler conformément à la Loi et la façon dont elle s’est réellement déroulée présentent des divergences. Nous concluons que les deux listes de candidats – la première liste dressée le 8 mars et la deuxième liste dressée le 11 mars – constituaient une dérogation au processus énoncé aux paragraphes 6(3) et 6(5) de la Loi et que cette dérogation constitue soit une erreur, soit une violation de la Loi électorale en ce qui concerne l’interprétation ou l’application de la Loi.
Selon la Loi électorale, la liste des candidats datée du 8 mars devait être une liste définitive. L’assemblée de mise en candidature devait durer quatre heures. Tous les candidats éligibles doivent être confirmés à la clôture de l’assemblée. Il ressort de la première liste de candidats datée du 8 mars que ce processus a été suivi et que les trois candidats figuraient sur cette liste. Toutefois, cette liste a été remplacée par la liste des candidats du 11 mars, et cette façon de procéder constituait une dérogation et donc une erreur dans l’interprétation ou l’application de la Loi.
[50] Les demandeurs souscrivent à cette conclusion et soutiennent qu’elle a pour effet d’invalider les élections, indépendamment des conclusions du comité concernant leur lieu de résidence. Les défendeurs soutiennent que l’interprétation de la Loi électorale par le comité est déraisonnable et très peu réaliste, et qu’elle ne peut pas rendre éligible un candidat qui ne satisfait pas à l’exigence relative à la résidence.
[51] Je n’ai pas besoin de décider si l’interprétation du comité était raisonnable parce que cette question ne permet pas, en toute logique, de déterminer l’issue de l’affaire. Je conviens que l’avis du comité n’est pas très clair, mais cet extrait semble s’apparenter davantage à un commentaire (ou à des remarques incidentes). Si le comité avait cru que les candidats avaient le droit de se présenter simplement parce que leur nom figurait sur la liste initiale des candidats, il l’aurait indiqué et il n’aurait pas eu besoin de se prononcer sur le lieu de résidence de M. Beeds et de M. Sakebow. De plus, si j’acceptais le point de vue des demandeurs, cela reviendrait à dire qu’un candidat non éligible serait autorisé à se présenter, ce qui est illogique.
4) L’incidence sur le résultat des élections
[52] Ainsi, M. Beeds était éligible, mais son nom ne figurait pas sur le bulletin de vote. Le comité a néanmoins conclu [traduction] « [qu’]on ne pou[v]ait raisonnablement dire que [cette omission] a[vait] eu une incidence sur le résultat des élections »
. Il n’a fourni aucun motif pour expliquer cette conclusion. Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que cette absence de justification est déraisonnable.
[53] Lorsqu’un décideur ne fournit aucun motif, sa conclusion peut tout de même être raisonnable si la justification ressort clairement du dossier. Pour utiliser une célèbre métaphore, une décision est raisonnable si le juge de révision doit seulement « relier les points »
pour obtenir une image claire des motifs de la décision : Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431 au paragraphe 11, décision citée dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 97. C’est pourquoi j’ai confirmé les conclusions du comité concernant les manœuvres frauduleuses et le lieu de résidence de M. Beeds et de M. Sakebow. Toutefois, en ce qui concerne l’incidence sur le résultat des élections, aucune justification semblable ne ressort de la preuve dont était saisi le comité. Ce que j’ai devant moi, c’est une page vierge, sans point à relier.
[54] Les défendeurs soutiennent qu’il était loisible au comité de conclure que le résultat n’aurait pas été différent parce que le chef Bill a remporté les élections avec une majorité importante, que quatre des six conseillers faisant campagne avec lui ont été élus et que ses réalisations dans le cadre de son mandat précédent étaient importantes. Je ne suis pas d’accord pour dire que ces facteurs, sans plus, auraient permis au comité de conclure que le résultat aurait été le même. Le résultat des élections des conseillers n’a pas été déposé en preuve et il appartient aux électeurs, et non à la Cour, de se prononcer sur les réalisations d’un candidat. Bien que le chef Bill ait remporté les élections avec une avance confortable par rapport au candidat en deuxième place, il n’a pas obtenu une majorité absolue. De plus, je ne peux que formuler des hypothèses sur la façon dont les électeurs auraient voté si le nom de M. Beeds avait été inscrit sur le bulletin de vote. Les défendeurs n’ont porté à mon attention aucun élément de preuve qui pourrait permettre de déduire quoi que ce soit à cet égard.
[55] La présente affaire se distingue de l’affaire Pastion c Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648, [2018] 4 RCF 467, dans laquelle le nom d’un candidat non éligible figurait sur le bulletin de vote et le nombre de voix que ce candidat avait reçues était connu. En l’espèce, on ne sait tout simplement pas combien d’électeurs auraient voté pour M. Beeds si son nom avait été inscrit sur le bulletin de vote. La situation en l’espèce se compare davantage à celle de l’affaire Thomas c Première Nation One Arrow, 2019 CF 1663.
[56] À l’audience devant cette Cour, l’avocat des défendeurs a porté à mon attention le fait que l’enregistrement audio de l’audience devant le comité inclut, accidentellement, des discussions qu’ont eues les membres du comité pendant une pause. L’avocat a laissé entendre que ces discussions pourraient permettre de mieux comprendre les motifs pour lesquels le comité a conclu que le résultat des élections n’aurait pas été différent.
[57] À mon avis, il est inapproprié d’écouter cet enregistrement. À moins que des questions d’équité procédurale ne soient soulevées, les tribunaux administratifs exerçant des fonctions juridictionnelles jouissent du secret du délibéré : Tremblay c Québec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 RCS 952; Commission scolaire de Laval c Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8 au paragraphe 58, [2016] 1 RCS 29. Les délibérations du comité étaient confidentielles. Je n’ai pas écouté l’enregistrement, et ma décision n’est fondée que sur les motifs donnés par le comité et le dossier de preuve.
[58] Étant donné que ni les motifs du comité ni la preuve ne justifient la conclusion du comité selon laquelle l’absence du nom de M. Beeds sur le bulletin de vote n’a pas eu d’incidence sur le résultat, cette conclusion est déraisonnable.
5) L’équité procédurale
[59] Les demandeurs ont soulevé des préoccupations quant à l’équité du processus suivi par la DGE pour vérifier s’ils respectaient l’exigence relative à la résidence. Ils soutiennent que la DGE aurait dû leur donner une occasion additionnelle de présenter des preuves et des observations sur leur lieu de résidence. Ils laissent également entendre que la DGE a suivi les directives du chef et du conseil pour trancher la question de la résidence.
[60] À mon avis, ces questions sont maintenant théoriques, puisque le comité a rendu une décision indépendante concernant l’exigence relative à la résidence, après avoir entendu le témoignage des demandeurs.
[61] Quoi qu’il en soit, il est loin d’être clair qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Bien qu’elle ait discuté de ses honoraires avec le chef et le conseil de l’époque après l’assemblée de mise en candidature, la DGE a également fait part des difficultés qu’elle avait rencontrées au moment de vérifier l’éligibilité des candidats, en particulier leur lieu de résidence. À cet égard, le chef et le conseil ont proposé l’aide du gestionnaire du logement de la PNPL. Il n’y a rien de répréhensible dans ce processus. Un DGE qui ne connaît pas une communauté a le droit de se fier aux renseignements fournis par le personnel administratif de la Première Nation pour déterminer l’éligibilité d’un candidat : Waquan c Première Nation Crie Mikisew, 2021 CF 1063 aux paragraphes 24 à 26. Il n’y a tout simplement aucun élément de preuve indiquant que la DGE [traduction] « a suivi les directives »
du chef et du conseil.
[62] De plus, M. Beeds a échangé des messages textes avec la DGE les 10 et 11 mars, dans lesquels il a fourni des renseignements supplémentaires sur son lieu de résidence. Cela montre que les demandeurs savaient que la DGE s’interrogeait quant à leur lieu de résidence et qu’elle était prête à recevoir toute autre preuve de leur part.
III. Remarques finales
[63] La preuve produite en l’espèce et dans d’autres affaires dont la Cour a été saisie montre qu’il est courant au sein des communautés des Premières Nations que les membres reçoivent une aide financière. Cette aide peut prendre plusieurs formes. Les membres peuvent demander de l’argent aux conseillers, à titre personnel, pour répondre à un besoin urgent. Des demandes d’aide financière peuvent être adressées au conseil, qui peut les accepter ou les rejeter au cas par cas. Les communautés peuvent également créer des programmes d’aide aux membres plus officiels qui fonctionnent selon un processus et des critères d’admissibilité préétablis : Whitford, aux paragraphes 19 à 21.
[64] Il n’appartient pas à la Cour de critiquer l’octroi d’une aide financière. Néanmoins, lorsque des candidats à des élections prennent des décisions concernant une telle aide, cela peut bien donner l’impression d’une irrégularité, même en l’absence d’intention d’acheter des votes. Voir, par exemple, la décision Yellowbird c Nation crie de Samson, 2021 CF 209.
[65] L’officialisation des processus d’octroi d’une aide financière peut contribuer grandement à dissiper les soupçons, mais il est peu probable qu’elle remplace entièrement l’utilisation de fonds personnels des élus ou des candidats. Néanmoins, je joins ma voix à celles de mes collègues qui ont formulé la suggestion que les candidats aux élections des Premières Nations devraient convenir de ne pas fournir une telle aide pendant une campagne électorale : Good, au paragraphe 295; Whitford, au paragraphe 22.
IV. Dispositif
[66] Pour les motifs mentionnés précédemment, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, mais seulement en ce qui concerne la conclusion du comité selon laquelle l’absence de M. Beeds sur le bulletin de vote n’a pas eu d’incidence sur le résultat des élections au poste de chef. Cette question sera renvoyée au comité pour nouvelle décision. La demande sera rejetée à tous les autres égards. En particulier, l’élection des postes de conseiller est valide.
[67] Lorsqu’il se prononcera à nouveau sur la question, le comité pourrait, ou non, arriver à la même conclusion que celle tirée dans sa décision précédente. Il devra motiver sa décision. Il lui reviendra de décider s’il a besoin de nouveaux éléments de preuve ou de nouvelles observations, et de l’opportunité de tenir une nouvelle audience. Toutefois, il n’est pas appelé à réexaminer les questions qu’il a déjà tranchées d’une manière que j’ai jugée raisonnable.
[68] Étant donné que les deux parties obtiennent en partie gain de cause, aucuns dépens ne seront adjugés.
JUGEMENT dans le dossier T-1117-22
LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.
2. La décision du comité d’appel de la Première Nation de Pelican Lake est annulée dans la mesure où elle conclut que l’absence de M. Beeds sur le bulletin de vote n’a pas eu d’incidence sur le résultat des élections du 24 mars 2022 pour le poste de chef, et l’affaire est renvoyée au comité pour qu’il rende une nouvelle décision sur cette question seulement.
3. Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Sébastien Grammond »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier :
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T-1117-22
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INTITULÉ :
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HECTOR LEO BEEDS, IRENE LENHART ET LORNE SAKEBOW c CHEF PETER BILL, CONSEILLER LEE BILL, CONSEILLER WILLIE THOMAS, CONSEILLER DONNY RABBITSKIN ET, EN SA QUALITÉ DE DIRECTRICE GÉNÉRALE DES ÉLECTIONS, LORETTA J. PETE LAMBERT
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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PAR VISIOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 30 novembre 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE GRAMMOND
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DATE DES MOTIFS :
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Le 12 décembre 2022
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COMPARUTIONS :
Jeff Howe
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Pour les demandeurs
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Anil K. Pandila, c.r.
Kimberly A. Stonechild
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Pour les défendeurs
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Howe Legal Professional Corporation
Regina (Saskatchewan)
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Pour les demandeurs
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Pandila & Co.
Avocats
Prince Albert (Saskatchewan)
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Pour les défendeurs
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