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Date : 20221207


Dossier : IMM-6789-21

Référence : 2022 CF 1687

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2022

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

FIAZ AHMAD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] En tant que résident permanent du Canada, Fiaz Ahmad devait passer 730 jours au Canada au cours de chaque période quinquennale : Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, art 28 [la LIPR]. Il a passé 309 jours de moins au Canada que le nombre requis au cours de la période quinquennale précédant le 18 septembre 2020, jour où il a présenté une demande pour revenir au Canada. Reconnaissant qu’il ne s’était pas conformé à cette obligation, il a interjeté appel devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI] et demandé que des mesures spéciales soient prises pour des considérations d’ordre humanitaire. La SAI a rejeté son appel, et il sollicite maintenant le contrôle judiciaire de ce rejet au motif qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale à son endroit et que la décision de la SAI est déraisonnable.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale et que la décision est raisonnable. Il n’était pas inéquitable que la SAI fasse remarquer que M. Ahmad avait l’intention d’appeler un nombre élevé de témoins et qu’elle demande s’il était possible de réduire ce nombre pour éviter des répétitions. M. Ahmad n’a pas non plus démontré que la SAI avait fait preuve de partialité ou d’une prédisposition inéquitable envers lui. Par ailleurs, la décision du commissaire de la SAI comporte quelques conclusions injustifiées, mais je ne peux conclure qu’il s’agit de conclusions suffisamment capitales pour rendre la décision déraisonnable.

[3] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[4] La demande de contrôle judiciaire de M. Ahmad soulève les questions suivantes :

  1. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

  2. La décision de la SAI était-elle déraisonnable sur le fond?

[5] Lorsqu’elle examine les questions d’équité procédurale, la Cour doit décider si la procédure a été équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [Canadien Pacifique]; Fayazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1019 au para 17 [Fayazi]. Cet examen est souvent considéré comme étant assujetti à la norme de la décision correcte, mais, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’y est appliquée : Canadien Pacifique, aux para 54-55.

[6] En ce qui concerne le fond de la décision, la SAI a droit à la déférence, et la Cour n’interviendra que si la décision est déraisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17, 23-25 [Vavilov]; Fayazi, au para 18. Le rôle de la Cour n’est pas d’instruire à nouveau l’affaire de M. Ahmad et de rendre sa propre décision à l’égard des considérations d’ordre humanitaire, ni d’apprécier à nouveau la preuve et de tirer ses propres conclusions : Vavilov, aux para 75, 83, 125. Son rôle est simplement de trancher la question de savoir si la décision de la SAI est raisonnable, c’est-à-dire s’il s’agit d’une décision intrinsèquement cohérente et rationnelle, justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti, et possédant les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la transparence, l’intelligibilité et la justification : Vavilov, aux para 15, 99-101.

III. Analyse

A. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale

(1) Le contexte de l’instance

[7] M. Ahmad a épousé une citoyenne canadienne en 1999. À l’époque, il travaillait comme membre de l’équipage de cabine pour Pakistan International Airlines. Entre 2000 et 2006, le couple a eu quatre enfants, tous nés au Canada. Son épouse l’a parrainé pour qu’il obtienne la résidence permanente une première fois en 2003 et de nouveau en 2006, et il est devenu résident permanent du Canada en février 2009, après que la SAI eut accueilli son appel. Il a continué à travailler pour Pakistan International Airlines, et, bien qu’il ait dit vouloir déménager au Canada en 2010, il ne l’a pas fait. Le couple a rompu vers 2011 et, dans ces circonstances, l’épouse de M. Ahmad a porté plainte à la police pour des motifs sérieux, ce qui a donné lieu à des ordonnances restrictives et à des accusations criminelles qui ont été abandonnées ou ont mené à un acquittement. En 2013, il a demandé à son employeur l’autorisation de s’absenter du travail pour s’établir au Canada. Malheureusement, les difficultés dans sa relation avec son épouse ont continué, et il y a eu d’autres allégations et de nouvelles accusations criminelles dont il a été acquitté. Une procédure de divorce canadienne a été engagée en 2013, mais elle n’était pas terminée au moment de l’instruction de l’appel devant la SAI. M. Ahmad a par ailleurs eu de la difficulté à trouver un emploi au Canada. Il est retourné au Pakistan et a réintégré son emploi au sein de Pakistan International Airlines en août 2016.

[8] M. Ahmad a présenté une demande de titre de voyage pour résident permanent à Lahore le 18 septembre 2020. Le formulaire de demande publié par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] exige que les demandeurs répondent à la question de l’obligation de résidence au Canada prévue à l’article 28 de la LIPR en indiquant toutes les périodes qu’ils ont passées au Canada au cours des cinq années précédentes. M. Ahmad les a indiquées, et elles totalisaient 421 jours. Il avait été présent pendant presque onze mois consécutifs entre septembre 2015 et août 2016, et avait ensuite fait 22 visites d’une durée de trois à dix jours entre janvier 2017 et mai 2020.

[9] Le formulaire de demande indique que, si le nombre total de jours passés au Canada est inférieur à 730, le demandeur doit exposer les considérations d’ordre humanitaire qui justifieraient le maintien du statut de résident permanent, par exemple l’intérêt supérieur d’un enfant qui pourrait être directement touché. M. Ahmad a rempli cette section du formulaire en indiquant qu’il souhaitait que ses quatre enfants canadiens et lui soient réunis. Il a affirmé que ses parents lui avaient conseillé de quitter le Canada pour qu’ils puissent l’aider à mettre fin à son mariage de façon respectable, car lui et son épouse avaient engagé une procédure de divorce. Il a également affirmé qu’il attendait seulement la possibilité de prendre sa retraite anticipée de son emploi d’agent de bord. Il a insisté sur l’importance de donner une vie normale à ses enfants et demandé un visa pour entrées multiples en raison de l’âge de ses parents et de la nécessité des déplacements pour régler ses affaires et percevoir son salaire auprès de son employeur.

[10] Le 16 février 2021, un agent d’IRCC a informé M. Ahmad par écrit que l’obligation de résidence n’avait pas été remplie et qu’il n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire présentées justifiaient le maintien de son statut de résident permanent.

[11] M. Ahmad a interjeté appel devant la SAI en vertu du paragraphe 63(4) de la LIPR. Dans son avis d’appel, il a indiqué qu’il souhaitait revenir au Canada pour comparaître à son audience, et il a obtenu un visa lui permettant de le faire. Il est arrivé au Canada en juillet 2021.

(2) M. Ahmad n’a pas été injustement privé de la possibilité d’appeler des témoins

[12] M. Ahmad n’était pas représenté à l’audience devant la SAI. Avant l’audience, il avait déposé une liste modifiée des six témoins qu’il avait l’intention d’appeler, soit cinq membres de sa famille et un ami. Deux personnes proposées comme témoins, son frère et son ami, ont également déposé des affidavits. Une troisième, la belle-sœur de son frère, a déposé une lettre de soutien. M. Ahmad a également déposé d’autres documents, dont des lettres de sa fille et de ses deux plus jeunes fils.

[13] À la fin du témoignage de M. Ahmad à l’audience, le commissaire de la SAI a questionné M. Ahmad au sujet de sa liste de témoins en faisant remarquer que six témoins, c’étaient [traduction] « beaucoup de témoins ». Le commissaire a indiqué qu’après une pause, il reviendrait sur la question des témoins parce que l’avocat du ministre pourrait accepter l’information sans entendre les témoignages et que certains des témoins répéteraient simplement ce qui aura déjà été dit. Il a invité M. Ahmad à réfléchir à la liste des témoins pendant la pause et s’est assuré que M. Ahmad comprenait bien.

[14] Après la pause, M. Ahmad a dit qu’il avait réfléchi et que, selon lui, les deux seules personnes qui pouvaient témoigner étaient son neveu et son ami, car les autres diraient ce qu’il avait lui-même déjà dit. Le commissaire a alors demandé à M. Ahmad par quel témoin il souhaitait commencer, et les témoignages se sont poursuivis avec celui de l’ami.

[15] M. Ahmad soutient que la SAI a inéquitablement et indûment [traduction] « exercé de l’influence » sur lui, qui n’était pas représenté, afin de l’inciter à réduire le nombre de témoins qu’il appellerait. Je ne peux souscrire à cet argument. Il n’était pas inéquitable que, dans l’intérêt de l’efficacité de l’audience, la SAI examine la liste des témoins de M. Ahmad avec lui pour savoir si tous les témoignages étaient nécessaires et permettraient de présenter des éléments nouveaux. Après avoir réfléchi à la question, M. Ahmad a convenu que quatre des témoins répéteraient simplement ce qu’il avait lui-même dit. Je conviens avec lui que le commissaire de la SAI a l’obligation de s’assurer que l’audience soit équitable, en particulier lorsque les demandeurs ne sont pas représentés : Law c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1006 aux para 16-19. Toutefois, l’équité n’exige pas que les demandeurs soient autorisés à appeler plusieurs témoins qui répètent les mêmes éléments. M. Ahmad a reconnu que ce serait le cas de certains des témoins dans sa liste et a raisonnablement conclu que seuls certains témoignages étaient nécessaires. Il n’a pas été privé de l’occasion de présenter l’intégralité de sa cause : Law, au para 19.

[16] M. Ahmad fait également valoir que la SAI n’a pas tenu sa [traduction] « promesse » d’examiner les éléments de preuve de chaque témoin pour que l’avocat du ministre puisse indiquer s’il acceptait le contenu de leurs témoignages. Il soutient qu’il était inéquitable que la SAI ne s’assure pas ensuite que les éléments de preuve de chaque témoin proposé soient examinés et que l’avis du ministre soit sollicité. Je ne peux souscrire à cet argument. La SAI a soulevé deux questions potentielles en ce qui concerne les témoins : premièrement, celle de savoir si leurs éléments de preuve pouvaient être acceptés par le ministre sans qu’ils aient à témoigner; et deuxièmement, celle de savoir si les éléments de preuve seraient répétés. M. Ahmad ayant convenu après la pause que certains des témoins répéteraient des éléments de son propre témoignage, je ne suis pas d’avis que l’équité exigeait toujours que la SAI sollicite un résumé de ces éléments de preuve répétés et demande au ministre s’il les accepte.

[17] Je ne reproche pas non plus au commissaire d’avoir affirmé de façon redondante qu’il y avait [traduction] « de nombreux témoins, beaucoup de témoins ». À l’inverse de M. Ahmad, après avoir écouté l’enregistrement de l’audience, j’ai l’impression non pas que le commissaire a indûment insisté sur le nombre de témoins, mais plutôt qu’il a simplement corrigé sa formulation. En tout état de cause, comme je le fais remarquer plus haut, le commissaire était en droit de soulever une question sur la nécessité de tous les témoignages, et le critère d’équité d’une audience n’est pas strict au point où il y a manquement lorsque l’accent est mis sur un nombre ou sur un mot comme [traduction] « beaucoup ».

[18] M. Ahmad soutient en outre que l’iniquité découlant de la réduction du nombre de témoins était particulièrement prononcée étant donné les conclusions de la SAI concernant la preuve provenant de son frère. La SAI a conclu que son frère avait dit des « faussetés » concernant son adresse dans son affidavit et qu’il « sembl[ait] ignorer que l’appelant [était] divorcé ». M. Ahmad fait valoir que ces conclusions sont déraisonnables et qu’elles ont pu être tirées parce que, de façon inéquitable, son frère n’a pas témoigné.

[19] Je suis d’accord avec M. Ahmad pour dire que, dans ces circonstances, les actes et les conclusions de la SAI suscitent des réserves. Au cours de la discussion au sujet des témoins que M. Ahmad appellerait, le commissaire de la SAI a désigné le frère de M. Ahmad comme [traduction] « celui qui vit ici à temps partiel ». Ce faisant, il a semblé indiquer à M. Ahmad qu’il comprenait et qu’il admettait que la preuve établissait que le frère de M. Ahmad vivait au Canada au moins à temps partiel. La SAI n’a soulevé aucune question à propos du fait que le frère de M. Ahmad avait fourni une adresse au Canada dans son affidavit ou qu’il s’était lui-même décrit comme un [traduction] « résident du Canada », ce qui indiquait qu’il possédait le statut de résident permanent étant donné que le même terme avait été utilisé pour décrire M. Ahmad. Néanmoins, sans interroger M. Ahmad ni son frère sur ce point, la SAI a effectivement conclu que le frère de M. Ahmad avait fourni de faux renseignements dans un affidavit, une conclusion que l’on ne peut tirer à la légère.

[20] L’affirmation de la SAI selon laquelle le frère de M. Ahmad semblait « ignorer » que M. Ahmad était divorcé est également difficile à expliquer. Je ne peux que supposer qu’elle est fondée sur la mention de l’[traduction] « épouse » de M. Ahmad dans l’affidavit. Cependant, cette mention est liée à une affirmation à propos de la citoyenneté de l’épouse et des enfants de M. Ahmad, et, à l’époque, le divorce de celui-ci au Canada n’avait pas été prononcé. Il n’était pas raisonnable de conclure que le frère de M. Ahmad n’était pas au courant du divorce simplement parce qu’il avait employé le terme [traduction] « épouse » plutôt que le terme [traduction] « ex-épouse » ou un synonyme, surtout sans son témoignage.

[21] Cela dit, je ne peux conclure que la façon dont la SAI a traité de la preuve du frère de M. Ahmad constitue un manquement important à l’équité procédurale, car, en fin de compte, elle ne pouvait avoir d’incidence sur les questions dont la SAI était saisie ou sur sa décision. Dans son affidavit, le frère de M. Ahmad n’a fait que répéter les faits essentiels déjà connus au sujet de M. Ahmad (son emploi, la citoyenneté de sa famille, sa résidence au Pakistan et son incapacité à se conformer à l’obligation de résidence), demander que toute mesure spéciale possible soit prise, et affirmer que, selon lui, M. Ahmad se conformerait dorénavant à ses obligations de résidence. Rien de cela n’avait d’incidence sur les considérations d’ordre humanitaire que M. Ahmad avait soulevées, qui se rapportaient principalement à sa famille et à l’intérêt supérieur de ses enfants. Le rôle de la SAI était d’examiner les considérations d’ordre humanitaire, et non pas l’établissement potentiel ou le respect de l’obligation de résidence dans l’avenir : Shaheen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1328 au para 31; Osagie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 978 au para 20. Par ailleurs, la SAI a formulé ses remarques dans le contexte de l’évaluation de l’intérêt supérieur des neveux de M. Ahmad et après avoir conclu que la présence des neveux et de la belle-sœur n’était pas déterminante. Bien que les remarques de la SAI au sujet de l’affidavit du frère suscitent des réserves, elles ne justifient pas une modification de la décision.

(3) M. Ahmad ne s’est pas vu inéquitablement refuser un ajournement qui lui aurait permis de présenter des éléments de preuve tirés de sa demande de citoyenneté

[22] En réponse à une question du commissaire de la SAI sur la preuve relative à sa présence au Canada entre 2013 et 2016, M. Ahmad a fait référence à sa demande de citoyenneté et à des documents qu’il avait joints à celle-ci en 2017. Il n’avait pas présenté ces documents à la SAI, apparemment parce qu’il croyait qu’elle disposait déjà de son dossier de citoyenneté. Le commissaire l’a informé qu’il n’en disposait pas, puis, dans la discussion qui s’est poursuivie, M. Ahmad a mentionné d’autres éléments de preuve relatifs à ses entrées et à ses sorties. Il soutient qu’il était inéquitable que la SAI n’offre pas d’ajourner l’audience pour lui permettre de présenter les documents liés à la demande de citoyenneté. Il ajoute que, n’étant pas représenté, il ne savait pas qu’il pouvait demander un ajournement.

[23] Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. Même si M. Ahmad n’était pas représenté, en règle générale, la SAI n’est pas tenue de proposer un ajournement, et il n’est pas inéquitable de ne pas accorder un ajournement qui n’a pas été demandé : voir Yanez Tecuapetla c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 225 aux para 20, 21 et 31. Je ne voudrais pas exclure la possibilité que des circonstances exigent un ajournement même lorsqu’une partie, en particulier une partie non représentée, n’en a pas fait la demande : voir, par exemple, Audmax Inc v Ontario Human Rights Tribunal, 2011 ONSC 315 aux para 37 à 44. Par contre, même si j’en admets la possibilité, je n’estime pas que ce soit le cas en l’espèce. La question à propos de laquelle M. Ahmad voulait s’appuyer sur des documents relatifs à sa demande de citoyenneté était celle de sa présence au Canada entre 2013 et 2016. Cependant, d’autres éléments de preuve se rapportaient à cette question et, j’y reviens plus loin, sa présence au Canada pendant cette période n’a en fin de compte pas été un point contesté.

[24] Dans son argumentation écrite, M. Ahmad affirme que les documents relatifs à la citoyenneté auraient pu démontrer qu’il avait [traduction] « précédemment tenté […] de s’établir, en 2013 et par la suite » et auraient contredit l’affirmation de la SAI selon laquelle il « n’a[vait] pour ainsi dire presque jamais profité de sa possibilité d’immigrer ». Je dois rejeter cet argument pour trois raisons. Premièrement, l’affirmation de la SAI semble porter sur la période de 2009 à 2013, car la SAI a poursuivi en faisant observer que M. Ahmad « ne s’[était] pas établi ici pour une période significative avant mai 2013 » [non souligné dans l’original]. Deuxièmement, la SAI n’avait aucun moyen de savoir que les documents relatifs à la citoyenneté faisaient état de tentatives d’établissement antérieures ni aucune raison de s’y attendre, et ne pouvait donc signaler l’importance de ces documents concernant cette question. Troisièmement, les tentatives d’établissement antérieures ne sont en fin de compte pas pertinentes, car la question est de savoir si des considérations d’ordre humanitaire justifient la prise de mesures spéciales en lien avec le manquement à l’obligation de résidence pendant la période quinquennale précédant le contrôle. Je ne peux donc pas conclure que l’obligation d’équité exigeait que la SAI propose un ajournement après que M. Ahmad eut mentionné les documents relatifs à sa demande de citoyenneté.

(4) M. Ahmad n’a établi que son allégation de partialité ou qu’une crainte raisonnable de partialité était fondée

[25] M. Ahmad soutient que plusieurs éléments de la décision témoignent [traduction] « de la fermeture d’esprit et de l’hostilité » de la SAI envers lui. Cependant, il n’allègue pas la [traduction] « partialité au sens habituel du terme ». Le ministre fait observer qu’un demandeur qui allègue un manquement à l’équité procédurale à son endroit parce que le décideur a manifesté de la fermeture d’esprit ou de l’hostilité envers lui allègue de fait la partialité de ce décideur, et il ajoute que la distinction que M. Ahmad tente d’établir entre [traduction] « la partialité au sens habituel du terme » et une autre forme de partialité n’a pas de sens utile sur le plan juridique. Je suis d’accord.

[26] Pour démontrer l’existence d’une iniquité fondée sur la partialité, un demandeur doit seulement établir qu’il existe une crainte raisonnable de partialité. À cette fin, il doit démontrer qu’une « une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique », conclurait que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, n’a pas rendu une décision juste : Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369, à la p 394; Samson c Canada (Procureur général), 2021 CAF 212 au para 4.

[27] Les arguments de M. Ahmad au sujet de la partialité s’appuient sur plusieurs affirmations figurant dans la décision de la SAI qui, selon lui, témoignent d’une hostilité générale envers lui et d’une volonté de le discréditer. M. Ahmad cite notamment les conclusions du commissaire au sujet de son frère, plusieurs observations négatives du commissaire au sujet de la relation de M. Ahmad avec ses enfants et de son rôle de père, l’absence de mention du nombre initial de témoins; les conclusions au sujet de sa présence au Canada entre 2013 et 2016, et l’absence d’observations favorables au sujet de sa moralité et de sa crédibilité, que l’avocat du ministre avait admises à la fin de l’audience.

[28] Comme je l’explique ci-dessus, et j’y reviens plus en détail ci-après en lien avec le fond de la décision, je suis d’accord pour dire que certaines remarques du commissaire sont inappropriées, notamment en ce qui concerne la présence de M. Ahmad au Canada. Toutefois, après avoir examiné la décision dans son ensemble à la lumière du dossier, je ne peux conclure qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait que, selon toute vraisemblance, le commissaire de la SAI, consciemment ou non, ne rendrait pas, ou n’a pas rendu, une décision juste. En fait, comme dans l’affaire Samson, bon nombre des « exemples présentés à l’appui [des] allégations de partialité [de M. Ahmad] ne sont que de simples objections aux déterminations factuelles ou aux conclusions rendues » par le commissaire : Samson, au para 4. Lorsqu’un décideur tire simplement des conclusions défavorables à une partie, voire des conclusions défavorables non justifiées au vu du dossier, il ne s’ensuit pas qu’il a été partial envers elle. Bien qu’une accumulation de conclusions non étayées puisse révéler de la partialité, je conclus, dans les circonstances actuelles, que les éléments du processus et de la décision sur lesquels M. Ahmad s’appuie n’établissent pas une crainte raisonnable de partialité ou une prédisposition inéquitable de la part du commissaire.

[29] Je conclus donc que M. Ahmad n’a pas démontré que son audience devant la SAI avait été inéquitable sur le plan procédural, que ce soit en raison d’une partialité ou d’une prédisposition du commissaire de la SAI ou en raison de mesures procédurales prises par ce dernier au cours de l’audience.

B. La décision de la SAI était raisonnable.

(1) La décision de la SAI

[30] La Cour et la SAI ont toutes deux souvent affirmé que la décision de la Cour dans l’affaire Ambat résume fidèlement les facteurs dont il est particulièrement utile de tenir compte dans une décision fondée sur des considérations d’ordre humanitaire rendue dans le contexte d’un appel lié à un manquement à l’obligation de résidence : Ambat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292 au para 27, citant Bufete Arce c Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CanLII 54304 (CA CISR) et Kok c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CanLII 87863 (CA CISR) [Kok]. Ces facteurs énumérés au paragraphe 27 de la décision Ambat sont, outre l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, les suivants :

(i) l’étendue du manquement à l’obligation de résidence;

(ii) les raisons du départ et du séjour à l’étranger;

(iii) le degré d’établissement au Canada, initialement et au moment de l’audience;

(iv) les liens familiaux avec le Canada;

(v) la question de savoir si l’appelant a tenté de revenir au Canada à la première occasion;

(vi) les bouleversements que vivraient les membres de la famille au Canada si l’appelant est renvoyé du Canada ou si on lui refuse l’entrée dans ce pays;

(vii) les difficultés que vivrait l’appelant s’il est renvoyé du Canada ou s’il se voit refuser l’admission au pays;

(viii) l’existence de circonstances particulières justifiant la prise de mesures spéciales.

[31] La SAI a tenu compte de ces facteurs, bien qu’elle les ait regroupés de façon quelque peu différente, et a structuré ses motifs selon (i) l’étendue du manquement à l’obligation; (ii) les visites et les séjours à l’étranger ainsi que les tentatives de retour; (iii) l’établissement au Canada; (iv) les bouleversements que pourrait entraîner le fait de demeurer au Pakistan; et (v) la famille, le soutien au Canada et l’intérêt supérieur des enfants.

[32] La SAI a fait remarquer que la présence au Canada de M. Ahmad pendant 309 jours de moins que les 730 requis représentait un manquement « important, voire majeur ». Elle a examiné la preuve relative aux raisons pour lesquelles M. Ahmad ne s’est pas conformé à l’obligation de résidence, soit son travail comme agent de bord, la nécessité de s’occuper de ses parents au Pakistan et sa volonté d’échapper aux difficultés entre lui et son épouse. La SAI a conclu que la preuve ne permettait pas de conclure que sa présence au Pakistan pour prendre soin de ses parents était requise, en particulier parce qu’il travaillait à temps plein lorsqu’il ne vivait pas au Canada; que le travail était la principale raison de ses séjours au Pakistan; et que les actes de M. Ahmad après 2016 n’indiquaient pas qu’il avait tenté de revenir s’établir au Canada à la première occasion raisonnable.

[33] La SAI a conclu que le degré d’établissement au Canada de M. Ahmad était pratiquement nul au moment de l’appel et qu’elle ne pouvait pas tenir compte de l’établissement potentiel de M. Ahmad dans l’avenir. Elle a également conclu que M. Ahmad vivrait peu de bouleversements s’il demeurait au Pakistan, puisqu’il y avait vécu la majeure partie de sa vie, qu’il y avait travaillé jusqu’à récemment et qu’il y avait maintenu des liens familiaux.

[34] La SAI a conclu que, parmi les facteurs, la famille, le soutien au Canada et l’intérêt supérieur des enfants militaient en faveur de l’appel. Néanmoins, elle a conclu que, dans l’ensemble, les facteurs ne justifiaient pas la prise de mesures spéciales pour des considérations d’ordre humanitaire.

(2) Les affirmations de la SAI au sujet du temps que M. Ahmad a passé au Canada

[35] À mon avis, l’argument le plus solide de M. Ahmad contre le caractère raisonnable de la décision de la SAI porte sur les remarques du commissaire au sujet de la présence de M. Ahmad au Canada entre avril 2013 et août 2016.

[36] Devant la SAI, la présence de M. Ahmad au Canada pendant cette période n’a pas été contestée. De cette période, onze mois, soit du 19 septembre 2015 au 18 août 2016, faisaient partie de la période quinquennale visée lors du contrôle relatif à l’obligation de résidence. Devant la SAI, le fait que M. Ahmad a été présent au Canada pendant 329 de ces 335 jours, constituant la grande majorité de ses 421 jours de résidence, n’a pas été contesté. La SAI s’est elle-même fondée sur ces 421 jours dans sa décision. Les antécédents de voyage de M. Ahmad au cours de la période quinquennale visée ont été examinés et admis par un agent d’IRCC. Les déclarations de M. Ahmad concernant sa présence au Canada entre 2013 et 2016 concordaient également avec l’information contenue dans les dossiers de voyage de l’Agence des services frontaliers du Canada et le passeport de M. Ahmad, et sa présence entre avril 2013 et mai 2015 avait déjà été admise par un agent d’immigration lors d’un contrôle relatif à l’obligation de résidence effectué en mai 2015, comme l’a reconnu la SAI. En effet, la SAI semble avoir admis que M. Ahmad a vécu au Canada de 2013 à 2016, car elle a mentionné ce fait à plusieurs reprises dans sa décision.

[37] Néanmoins, dans son analyse des visites et des séjours de M. Ahmad à l’étranger, la SAI a mentionné la période allant de mai 2013 à août 2016 et affirmé qu’elle n’était « pas convaincu[e] que l’appelant ait vécu ici le temps qu’il avance, car sa fille le contredit dans sa lettre ». Plus loin dans sa décision, elle a confirmé que cette conclusion s’appuyait sur un passage de la lettre de la fille de M. Ahmad indiquant que ses [traduction] « meilleurs souvenirs sont ceux des quelques mois en 2014 où il a vécu à Montréal ». La SAI a conclu que cette affirmation « expose plutôt qu’il a vécu ici que pour quelques mois en 2014 ».

[38] La fille de M. Ahmad a fait cette affirmation dans une lettre portant sur sa relation avec son père, sur les efforts de celui-ci pour maintenir le contact malgré ses obligations professionnelles et sur les espoirs qu’elle caressait pour l’avenir. La lettre n’avait pas pour but de donner des détails sur la présence de M. Ahmad au Canada ni d’indiquer combien de temps il avait passé au Canada entre 2013 et 2016. On constate plutôt qu’il y est fait mention d’une période particulière comme étant celle de laquelle la fille de M. Ahmad garde ses [traduction] « meilleurs souvenirs ». Quoi qu’il en soit, même si le passage en soi peut être équivoque, il devait être interprété dans le contexte de l’ensemble de la preuve, y compris les dossiers de voyage corroborants et les contrôles antérieurs dont je fais mention plus haut. Rien n’indique que le commissaire de la SAI l’a fait avant de conclure qu’il n’était pas convaincu que M. Ahmad avait vécu au Canada entre 2013 et 2016, tel que ce dernier l’avait déclaré.

[39] Je suis donc d’accord avec M. Ahmad pour dire que, dans les circonstances et au vu du dossier, rien ne permettait à la SAI de conclure que M. Ahmad n’était pas au Canada entre 2013 et 2016, et encore moins de conjecturer que M. Ahmad pourrait avoir « simulé sa résidence et obtenu de l’aide sociale à laquelle il n’avait pas droit ». Cette conclusion et cette conjecture sont déraisonnables.

[40] Cependant, toutes les conclusions de fait et toutes les observations déraisonnables ne rendent pas une décision déraisonnable dans son ensemble. Comme l’enseigne la Cour suprême du Canada, une décision administrative ne devrait pas être infirmée à moins qu’une lacune ou déficience dans la décision soit « suffisamment capitale ou importante » pour rendre cette dernière déraisonnable : Vavilov, au para 100. En l’espèce, les affirmations déraisonnables de la SAI à propos de la présence de M. Ahmad au Canada entre 2013 et 2016 ne sont pas de cet ordre. Comme je le mentionne plus haut, elles étaient plutôt secondaires par rapport à la question principale dont la SAI était saisie, soit celle de savoir si des considérations d’ordre humanitaire justifiaient, concernant M. Ahmad, la prise de mesures spéciales en lien avec son manquement à l’obligation de résidence. Les conclusions de la SAI au sujet de la période de résidence de M. Ahmad n’ont pas eu d’incidence sur son appréciation du manquement, car la SAI s’est fondée sur les 421 jours de résidence dans son analyse. Ces conclusions n’ont pas non plus eu d’incidence sur l’appréciation, par la SAI, de l’établissement de M. Ahmad au Canada ni sur l’appréciation des raisons de son absence du Canada. Elles n’étaient pas, en fin de compte, au cœur de l’analyse de la question centrale effectuée par la SAI.

[41] Je comprends que M. Ahmad signale que les affirmations de la SAI donnent à penser qu’elle avait une impression défavorable de lui et que cette impression pourrait avoir influé sur l’évaluation, par la SAI, des considérations d’ordre humanitaire en général. Cependant, comme je le mentionne plus haut, la SAI, dans son évaluation des considérations d’ordre humanitaire, a raisonnablement tenu compte des divers facteurs énumérés dans la décision Ambat et s’est en fin de compte fondée sur la preuve relative aux raisons du départ du Canada et du séjour au Pakistan de M. Ahmad, à ses efforts pour revenir au Canada, à ses liens familiaux, aux bouleversements et à l’intérêt supérieur de ses enfants.

[42] Je conclus donc que les affirmations déraisonnables de la SAI sur cette question ne rendent pas déraisonnable la décision dans son ensemble.

(3) L’analyse de la SAI concernant le but du retour de M. Ahmad au Pakistan

[43] Les arguments de M. Ahmad à l’encontre de l’analyse de la SAI concernant les raisons de son départ du Canada et de son séjour au Pakistan — essentiellement, les raisons pour lesquelles il ne s’est pas conformé à l’obligation de résidence — sont moins convaincants. M. Ahmad renvoie à l’observation de la SAI selon laquelle sa version des raisons de son retour au Pakistan « est changeante ». Il allègue que cette conclusion concernant sa crédibilité n’est pas étayée et que, de plus, elle n’aurait pas été tirée s’il n’avait pas été dissuadé d’appeler comme témoin la belle-sœur de son frère.

[44] Je ne suis pas d’accord. Compte tenu des circonstances, l’observation de la SAI était juste. Selon la déclaration écrite de M. Ahmad et ses documents à l’appui, dont la déclaration de la belle-sœur de son frère, son départ en 2016 était principalement lié à la fin de son mariage. Dans son témoignage, il a en outre mentionné son emploi au sein de Pakistan International Airlines et la nécessité d’aider ses parents à payer leurs frais médicaux et à subvenir à d’autres besoins, mais aucun élément de preuve relatif à ces besoins n’a été présenté. Bien que les raisons pour lesquelles un résident permanent décide de quitter le pays et de demeurer à l’étranger puissent évidemment être nombreuses, il est du ressort de la SAI d’examiner la nature des raisons invoquées et le moment choisi. Au vu du dossier, il était loisible à la SAI de conclure que M. Ahmad n’avait pas démontré qu’il devait s’occuper de ses parents, que « [c]lairement, le travail représentait la raison principale de ses séjours au Pakistan » et que son témoignage sur cette question avait changé. Il n’appartient pas à la Cour de modifier de telles conclusions.

(4) L’analyse de la SAI concernant l’intérêt supérieur des enfants

[45] Je conclus également que l’analyse de la SAI concernant l’intérêt supérieur des enfants est raisonnable en dépit des arguments qu’avance M. Ahmad pour soutenir le contraire. La SAI a tenu compte de l’intérêt supérieur de ses deux plus jeunes enfants (les deux plus âgés étant des adultes), de ses neveux et de l’enfant de son ami. Le commissaire a conclu que leur intérêt supérieur militait en faveur de l’accueil de l’appel, mais il a ajouté qu’il ne l’emportait pas sur d’autres facteurs et que, tout bien considéré, il ne justifiait pas la prise de mesures spéciales fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

[46] Pour en arriver à cette conclusion, la SAI a examiné à la fois les lettres de soutien des enfants et la preuve de M. Ahmad relative à son désir de rétablir la relation avec eux. Elle a fait observer que M. Ahmad n’avait été motivé à renforcer sa relation avec ses enfants que lorsqu’il avait eu la possibilité de prendre une retraite anticipée de son emploi au Pakistan. Elle a estimé qu’il était « difficile de croire » qu’un père motivé attendrait si longtemps avant de « s’impliquer significativement » dans la vie de ses enfants, mais qu’elle « ne [pouvait] que reconnaître cette volonté » et l’incidence positive de cette volonté sur l’intérêt supérieur des enfants.

[47] M. Ahmad conteste ces conclusions. Selon lui, la SAI a admis [traduction] « à contrecœur » sa volonté d’être auprès de ses enfants. Il affirme que les éléments de preuve relatifs au nombre de visites qu’il a effectuées au Canada alors qu’il travaillait pour la compagnie aérienne et aux efforts qu’il a déployés pour voir ses enfants au cours de ces visites attestent son grand dévouement, et il soutient qu’il n’appartenait pas à la SAI de juger de ce qui constitue une implication « significative » dans la vie des enfants.

[48] À mon avis, les critiques de M. Ahmad ne démontrent pas que la décision est déraisonnable. La SAI a évalué l’intérêt supérieur des enfants et la mesure dans laquelle les enfants seraient touchés par une décision défavorable. Dans le cadre de cette évaluation, il était raisonnable que la SAI tienne compte des décisions de demeurer à l’étranger prises par M. Ahmad entre 2016 et 2020, notamment, du rôle qu’il avait joué dans la vie des enfants et de l’incidence sur l’intérêt supérieur des enfants de la prise de mesures spéciales fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ou du refus de prendre de telles mesures. Bien que M. Ahmad demande que ses décisions soient vues sous un jour plus favorable, il n’appartient pas à la Cour de procéder à sa propre appréciation de la preuve ou de décider si la prise de mesures spéciales fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est justifiée : Vavilov, aux para 75, 83 et 125.

[49] M. Ahmad critique également les affirmations de la SAI au sujet de la garde des enfants. La SAI a fait remarquer que les quatre enfants vivaient avec leur mère, qui en avait la garde, et que M. Ahmad « ne s’[était] pas présenté en Cour supérieure quand un jugement de garde [avait] été rendu ». M. Ahmad soutient qu’il s’agit d’une conclusion déraisonnable, puisqu’il ne s’était pas présenté parce qu’il était en détention en raison de fausses accusations de la mère des enfants le jour de l’audience relative à leur garde. Cependant, aucun élément de preuve à cet égard n’a été présenté à la SAI, et M. Ahmad ne peut présenter à la Cour de nouveaux éléments de preuve qui ont trait au fond de la décision : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19-20. Le seul élément de preuve au dossier est l’affirmation suivante de M. Ahmad : [traduction] « Je n’ai pas pu me présenter à l’audience, et elle a obtenu […] la garde à l’audience. Je ne le contesterais pas. » Compte tenu de la preuve, l’affirmation de la SAI selon laquelle M. Ahmad « ne s’est pas présenté » est raisonnable. Quoi qu’il en soit, les renseignements sur l’audience relative à la garde des enfants sont accessoires par rapport à la question de l’intérêt supérieur des enfants, comparativement à une appréciation des modalités de la garde elles-mêmes.

[50] M. Ahmad allègue que la SAI a également commis une erreur en affirmant, à propos de lui et de son ami qui avait témoigné, qu’« [a]vant 2021, leur dernier contact remontait à 2015 ». Il soutient qu’encore là, cette affirmation démontre que la SAI [traduction] « cherchait à minimiser » et qu’elle n’a tenu compte que des contacts en personne, faisant abstraction de tous les autres moyens de communication. Cet argument n’est pas fondé. L’affirmation en question ne concernait pas l’ami lui-même, mais les enfants de cet ami dont la SAI a évalué l’intérêt supérieur par souci d’exhaustivité. La conclusion est étayée par la preuve, et aucun élément de preuve contradictoire selon lequel M. Ahmad avait été en contact avec eux pendant cette période ne pouvait donner à penser que sa relation avec ces enfants était plus solide et que l’incidence de la décision de la SAI sur leur intérêt supérieur serait plus grande.

[51] Je conclus donc que M. Ahmad n’a pas démontré que l’analyse de la SAI concernant l’intérêt supérieur effectuée est déraisonnable.

(5) La SAI n’a pas omis d’examiner un facteur pertinent

[52] M. Ahmad soutient que la SAI n’a pas tenu compte d’un facteur pertinent dans l’évaluation des considérations d’ordre humanitaire, à savoir [traduction] « les liens [qu’il] continue d’entretenir au Canada, y compris avec des membres de sa famille ». Ce facteur est énoncé dans une décision de la SAI citée par M. Ahmad : Queiroga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CanLII 61463 (CA CISR) au para 25, citant Berrada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CanLII 56688 (CA CISR) au para 6 et Kok, au para 25.

[53] Je ne suis pas d’accord. Les facteurs énoncés par la SAI dans la décision Queiroga sont clairement équivalents à ceux énoncés dans la décision Ambat, bien qu’ils puissent être formulés différemment. En l’espèce, la SAI a tenu compte des liens familiaux de M. Ahmad et du soutien dont il dispose au Canada et elle a conclu qu’il s’agissait d’un facteur favorable à son appel. M. Ahmad fait valoir que sa liste de six témoins indique qu’il a un réseau au Canada, mais cette liste comprend cinq membres de sa famille et un ami dont la SAI a tenu compte dans son évaluation. Je ne peux conclure que la SAI a commis l’erreur de ne pas tenir compte d’un facteur pertinent.

(6) Autres questions

[54] M. Ahmad a contesté plusieurs autres conclusions ou affirmations de la SAI. Dans plusieurs cas, il conteste la formulation utilisée par la SAI. Par exemple, il soutient qu’en affirmant qu’« [i]l s’est séparé de son épouse en août 2011 », la SAI a sous-entendu que c’était lui qui avait décidé de se séparer de son épouse, alors que la séparation a résulté de plaintes et d’accusations criminelles non fondées. Il soutient également que le qualificatif « succincte » utilisé pour décrire la décision antérieure de la SAI par laquelle sa demande de résidence permanente avait été accueillie démontre encore là que le commissaire cherchait à [traduction] « minimiser » des facteurs qui pouvaient être considérés comme favorables. Je ne vois aucun fondement à ces critiques. Les mots employés par un décideur administratif sont importants et une accumulation de propos désobligeants ou défavorables injustifiés peut, dans certains cas, dénoter de la partialité ou un manque de compassion, mais il ne s’ensuit pas que chaque mot d’une décision doive être examiné à la loupe à la recherche d’un sens défavorable là où il n’est pas raisonnable d’en voir un.

[55] Enfin, M. Ahmad soutient que la SAI a fait plusieurs observations défavorables à son égard, mais qu’elle n’a pas mentionné les éléments de preuve favorables, dont ceux qui se rapportaient à sa moralité, comme la preuve provenant de son ami et ce qu’a affirmé le ministre dans sa plaidoirie finale, à savoir que M. Ahmad était une personne crédible, honnête, morale et travaillante. Ces arguments sont déraisonnables. La SAI n’est pas tenue de mentionner chaque élément de preuve. En tout état de cause, la SAI a mentionné le témoignage de l’ami de M. Ahmad en soulignant qu’il « vant[ait] les qualités de l’appelant et a[vait] lui a même offert un soutien financier important ». La SAI a admis que ce témoignage militait en faveur de l’appel tout en faisant observer que ce soutien financier aurait également pu aider M. Ahmad à s’établir au Canada longtemps auparavant. Cette mise en balance des facteurs favorables, neutres et défavorables est ce que doit faire la SAI avant de rendre une décision sur une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. En dépit des arguments contraires de M. Ahmad, je ne peux conclure que la SAI a indûment ou déraisonnablement soupesé les facteurs défavorables ni qu’elle n’a pas admis ou soupesé les facteurs favorables.

IV. Conclusion

[56] La décision de la SAI comporte certainement des éléments troublants, y compris des conclusions qui ne sont pas justifiées au vu du dossier. Toutefois, la Cour ne peut modifier une décision administrative que si les lacunes sont suffisantes pour rendre la décision dans son ensemble déraisonnable. En l’espèce, la décision dans son ensemble rendue par la SAI n’est pas déraisonnable. Elle n’est pas non plus inéquitable en raison du processus d’audience ou d’une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire de la SAI.

[57] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[58] Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de la certification, et je conviens que l’affaire ne soulève aucune question satisfaisant aux exigences relatives à la certification.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6789-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6789-21

 

INTITULÉ :

FIAZ AHMAD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 JUIN 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Melvin Weigel

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Annie Flamand

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Weigel Office

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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