Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221110


Dossier : IMM‑9132‑21

Référence : 2022 CF 1532

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 10 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

SANDORNE KOVACS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Sandorne Kovacs, est une citoyenne de la Hongrie. Elle a obtenu l’asile au Canada en avril 2013. Toutefois, à la suite d’un voyage qu’elle a effectué en Hongrie en 2020, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le ministre] a présenté à l’encontre de Mme Kovacs une demande de constat de perte d’asile en application du paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Dans une décision du 15 novembre 2021 [la décision], la Section de la protection des réfugiés [SPR] a accueilli la demande du ministre et a mis fin à l’asile de Mme Kovacs. Elle a conclu qu’en acquérant un passeport hongrois et une carte d’identité nationale hongroise, et en retournant dans son pays de nationalité, Mme Kovacs s’était réclamée de nouveau de la protection de la Hongrie.

[2] Mme Kovacs sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Elle soutient que la SPR a commis une erreur en concluant que, aux termes de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR, elle s’était volontairement et intentionnellement réclamée de nouveau de la protection de son pays de nationalité. Elle soutient que la décision est déraisonnable et que la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents et s’est fondée sur des faits sans importance pour mettre fin à l’asile qui lui avait été accordé. Elle demande à la Cour d’annuler la décision et de la renvoyer à la SPR pour nouvel examen.

[3] La seule question à trancher est celle de savoir si la décision de la SPR est déraisonnable.

[4] Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire de Mme Kovacs sera rejetée. Après avoir examiné la décision, les éléments de preuve présentés à la SPR et le droit applicable, je conclus que la décision est raisonnable et que la preuve appuie amplement les conclusions de la SPR concernant le fait que Mme Kovacs s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays de nationalité. Je conclus que les motifs de la SPR possèdent les qualités qui rendent son analyse logique et cohérente au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes.

II. Contexte

A. Contexte factuel

[5] En avril 2013, Mme Kovacs a obtenu l’asile au Canada et est devenue une réfugiée au sens de la Convention. À l’époque, elle a indiqué qu’elle craignait d’être persécutée en Hongrie en raison de son origine ethnique rom. Elle a reçu un document de voyage canadien le 28 novembre 2019.

[6] Entre le 18 août 2020 et le 7 septembre 2020, Mme Kovacs s’est rendue en Europe pour assister au mariage de son fils en Allemagne. Lors de l’audience devant la SPR, elle a admis s’être rendue en Hongrie pour une période d’environ trois semaines, soit presque toute la durée de son voyage, lorsqu’elle a appris que sa mère avait été hospitalisée. Pendant son séjour en Hongrie, elle a demandé et obtenu un passeport hongrois et une carte d’identité nationale hongroise, qui ont été délivrés respectivement le 24 août 2020 et le 25 août 2020.

[7] Compte tenu de ces faits, le ministre a présenté une demande visant à mettre fin à l’asile de Mme Kovacs.

B. Décision

[8] Dans sa décision, la SPR a accueilli la demande du ministre et a mis fin à l’asile de Mme Kovacs.

[9] Lors de l’audience, la SPR a relevé de nombreuses incohérences entre le témoignage de Mme Kovacs devant la SPR et ses déclarations à un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) lors de l’entretien au « point d’entrée » à son retour d’Europe. Des exemples tirés des notes de l’agent de l’ASFC ont été fournis pour démontrer que Mme Kovacs avait menti au sujet de son retour en Hongrie. Elle a d’abord nié être retournée dans son pays de nationalité, puis a déclaré n’y être retournée que deux jours, pour finalement admettre lors de l’audience qu’elle avait séjourné en Hongrie pendant environ trois semaines, du 19 août 2020 au 6 septembre 2020. La SPR a également expliqué que Mme Kovacs avait changé à plusieurs reprises ses réponses aux questions posées à propos de son voyage en Europe, de la manière dont elle s’était déplacée d’Allemagne en Hongrie, des raisons pour lesquelles elle était retournée en Hongrie et de ce qu’elle avait fait pendant son séjour dans ce pays. Elle a également souligné que Mme Kovacs n’avait pas mentionné la maladie de sa mère à l’agent de l’ASFC à son retour au Canada.

[10] La SPR a accepté une partie du témoignage de Mme Kovacs concernant les graves problèmes de santé de sa mère et son hospitalisation pendant la période où elle s’est rendue en Hongrie. Cependant, en raison des incohérences entre la preuve et le témoignage de Mme Kovacs, la SPR a conclu qu’il était possible de douter de la gravité de la maladie de sa mère et de l’étendue des soins dont celle‑ci avait besoin. Selon la SPR, les explications de Mme Kovacs n’étaient pas suffisantes pour démontrer que son retour dans son pays de nationalité constituait une circonstance exceptionnelle justifiant qu’elle n’avait pas d’autre option pour assurer à sa mère des soins adéquats. Le retour de Mme Kovacs en Hongrie était donc volontaire, a dit la SPR.

[11] La SPR a également souligné que « le simple fait de demander et d’obtenir un passeport n’est souvent pas une question déterminante ». Toutefois, comme Mme Kovacs avait obtenu son nouveau passeport hongrois et sa carte d’identité nationale alors qu’elle se trouvait en Hongrie, on pouvait présumer qu'elle avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays.

[12] Dans sa décision, la SPR a également pris en compte l’explication de Mme Kovacs concernant son origine ethnique rom pour justifier le renouvellement de ses documents d’identité hongrois, mais a conclu que cette explication était insuffisante pour renverser la présomption selon laquelle elle avait voulu se réclamer à nouveau de la protection de son pays de nationalité, compte tenu des problèmes de crédibilité de Mme Kovacs.

C. Dispositions pertinentes

[13] La disposition applicable est l’article 108 de la LIPR. Elle est rédigée en partie comme suit :

Rejet

Rejection

108 (1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108 (1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themself of the protection of their country of nationality;

[…]

Perte de l’asile

Cessation of refugee protection

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

Effet de la décision

Effect of decision

(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

D. Norme de contrôle applicable

[14] Il n’est pas contesté qu’un constat de perte d’asile au titre de l’article 108 de la LIPR peut faire l’objet d’un contrôle au regard de la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 [Camayo CAF] au para 39; Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 134 au para 11; Chowdhury c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 312 [Chowdhury] au para 5). Cela est confirmé par l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], qui établit que la norme de la décision raisonnable est la norme qui est présumée s'appliquer lorsqu'une cour de révision examine une décision administrative au fond.

[15] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s'intéresse à la décision rendue par le décideur administratif, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision (Vavilov, aux para 83 et 87). Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). La cour de révision doit donc se demander si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, au para 99).

[16] Le contrôle doit comporter une évaluation rigoureuse de la décision administrative en cause. Toutefois, la cour de révision doit, pour savoir si la décision est raisonnable, d’abord examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Vavilov, au para 84). La cour de révision doit adopter une approche empreinte de déférence et intervenir « uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov, au para 13).

[17] Il incombe à la partie qui conteste la décision administrative d’en démontrer le caractère déraisonnable. Les lacunes reprochées doivent être plus que superficielles pour qu’une cour de révision puisse infirmer une décision administrative. Elle doit être convaincue que la décision « souffre de lacunes graves » (Vavilov, au para 100). Lorsque les motifs comportent une lacune fondamentale ou révèlent une analyse déraisonnable, la cour de révision peut avoir de bonnes raisons d’intervenir.

III. Analyse

[18] Mme Kovacs soutient que la décision est contradictoire en ce sens que la SPR conclut que son témoignage n’est pas crédible, mais reconnaît tout de même que sa mère est malade. Elle affirme que ses actions étaient raisonnables et [traduction] « ne démontrent en aucun cas qu’elle avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité ou qu’elle l’a fait ». Mme Kovacs soutient que, compte tenu des raisons qu'elle a invoquées pour justifier qu'elle obtienne ses documents d'identité hongrois et qu'elle retourne en Hongrie, la SPR a conclu à tort qu’elle avait l’intention de se réclamer à nouveau de la protection de son pays de nationalité.

[19] Avec égards, et malgré la situation regrettable dans laquelle elle se trouve aujourd’hui, je ne suis pas convaincu par les arguments de Mme Kovacs.

[20] J'estime plutôt que la SPR pouvait raisonnablement conclure que Mme Kovacs n’avait pas réfuté la présomption découlant du renouvellement de son passeport hongrois et de sa carte d’identité nationale, ainsi que de son voyage en Hongrie. En fait, la SPR a effectivement tenu compte de bon nombre des facteurs résumés par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 84 de l'arrêt Camayo CAF, même si elle ne disposait pas de cette décision lorsqu’elle a rendu la sienne. Dans ses motifs, elle a procédé à une évaluation détaillée et personnalisée de tous les éléments de preuve disponibles avant de conclure que Mme Kovacs n’avait pas réfuté la présomption, résultant de ses actions, selon laquelle elle s’était réclamée de nouveau de la protection de son pays de nationalité. J’estime que le raisonnement de la SPR est transparent, intelligible, justifié et intrinsèquement cohérent. Aucune des erreurs alléguées par Mme Kovacs ne m’amène « à perdre confiance dans le résultat auquel est arrivé le décideur » (Vavilov, au para 122).

[21] Il n’est pas contesté que trois conditions doivent être remplies pour conclure qu'une personne s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays de nationalité au titre de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR : « a) la volonté : le réfugié doit avoir agi volontairement; b) l’intention : le réfugié doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité; c) le succès de l’action : le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection » Nsende c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 531 au para 13 ; voir aussi Camayo CAF, au para 18. Norouzi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 368 au para 9. Cerna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1074 au para 12. Ces conditions sont cumulatives (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Bashir, 2015 CF 51 au para 40).

[22] La SPR a effectué une analyse approfondie de chacun de ces trois éléments.

[23] En ce qui concerne le caractère volontaire des actions de Mme Kovacs, la SPR a estimé qu'aucun élément de preuve ne démontrait que son retour en Hongrie n’était pas volontaire. Elle a pris en compte le fait que sa mère était malade, mais a estimé que les explications fournies par Mme Kovacs étaient insuffisantes pour justifier que son retour en Hongrie était involontaire et que les raisons de ce retour ne constituaient pas des circonstances exceptionnelles. Les incohérences entre le témoignage de Mme Kovacs et les éléments de preuve qu’elle a produits n’ont pas convaincu la SPR qu’elle n’avait pas d’autre choix que de retourner en Hongrie pour s’occuper de sa mère. Mme Kovacs a mentionné que sa famille lui rendait visite chez sa mère pendant son séjour en Hongrie. La SPR pouvait donc conclure qu’elle avait de la famille en Hongrie qui aurait pu s’occuper de sa mère, malgré le fait que sa sœur était également malade. Autrement dit, Mme Kovacs avait d’autres options. Notre Cour a conclu que, lorsque d’autres membres de la famille sont en mesure de s’occuper d’un parent malade, la présomption selon laquelle une personne s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays de nationalité n’est pas réfutée (Jing c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 104 au para 24; Tung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1224 au para 41).

[24] La SPR a conclu que Mme Kovacs est entrée en Hongrie et s’est adressée aux autorités hongroises de son plein gré et qu’elle n’a pas été contrainte par des circonstances indépendantes de sa volonté. Je souligne que la SPR avait de sérieuses réserves quant à la crédibilité des raisons du voyage de Mme Kovacs en Hongrie et doutait que ce voyage ait été motivé par la maladie soudaine et l’hospitalisation de sa mère. Compte tenu des changements constants dans le témoignage de Mme Kovacs sur les circonstances de son voyage en Hongrie, je ne suis pas persuadé que les conclusions de la SPR sur le caractère volontaire de ses actions soient déraisonnables.

[25] En ce qui a trait à l’intention, il est généralement admis que la personne réfugiée qui demande un passeport ou qui le renouvelle est présumée avoir l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité. Cette présomption est renforcée lorsque la personne réfugiée utilise effectivement ce passeport pour se rendre dans le pays dont elle a la nationalité (Camayo CAF, aux para 23 et 63); Chowdhury, au para 9, citant Abechkhrishvili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 313 au para 23; Abadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 29 au para 16; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nilam, 2015 CF 1154 au para 25). La présomption peut être réfutée dans des circonstances exceptionnelles, mais il incombe à la personne réfugiée de fournir des preuves suffisantes (Camayo CAF, au para 65; Chowdhury, au para 12).

[26] En l’espèce, la SPR a conclu que Mme Kovacs avait l’intention implicite de se réclamer de nouveau de la protection de la Hongrie puisque, lors de son séjour dans le pays, elle avait activement procédé au renouvellement de son passeport hongrois et de sa carte d’identité nationale. Elle a également conclu que la présomption n’était pas réfutée par l’explication de Mme Kovacs, selon laquelle elle craignait d’avoir des difficultés avec les autorités hongroises en raison de son origine ethnique rom. J'estime que dans la situation de Mme Kovacs, il était raisonnable pour la SPR de ne pas accorder beaucoup d’importance à sa crainte alléguée de persécution si elle était arrêtée par les autorités hongroises en possession de son seul document de voyage canadien. Elle a pris en considération ses explications, mais est arrivée à la conclusion qu’en renouvelant activement ses documents d’identité hongrois, Mme Kovacs avait en fait l’intention de se réclamer à nouveau de la protection de la Hongrie. Je constate que Mme Kovacs a pu entrer en Hongrie sans problème avec son document de voyage canadien et qu’elle n’a certainement pas craint les autorités hongroises lorsqu’elle s’est présentée à elles pour obtenir son passeport et sa carte d’identité nationale. Elle a aussi accepté de fournir ses données biométriques dans le cadre de ce processus.

[27] En ce qui concerne la question de savoir si elle s’était effectivement réclamée à nouveau de la protection de son pays de nationalité, il n’est pas contesté que Mme Kovacs n’a eu aucune difficulté à entrer en Hongrie ou à en sortir pendant son voyage, qu’elle ne s’est pas cachée de ses agents de persécution pendant qu'elle était en Hongrie et qu’elle a mené des activités pendant son séjour dans le pays dont elle a la nationalité; elle s’est rendue deux fois auprès des autorités hongroises et a effectué au moins une transaction bancaire. Elle n’a pas éprouvé de difficultés aux mains des autorités hongroises lors de son retour en Hongrie, même lorsqu’elle s’est activement adressée à elles. En outre, elle n’a pris aucune mesure pour se protéger de ses anciens agents de persécution pendant son séjour en Hongrie.

[28] Toutes les actions de Mme Kovacs témoignent de sa confiance dans la capacité du gouvernement hongrois à la protéger. Tout bien pesé, je conclus que la SPR a examiné toutes les circonstances pertinentes et les arguments présentés par Mme Kovacs. Elle a tiré des conclusions à partir des faits présentés, tout en faisant preuve de prudence étant donné sa conclusion selon laquelle Mme Kovacs était peu crédible.

[29] Au paragraphe 84 de l’arrêt Camayo CAF, la Cour d’appel fédérale a relevé les facteurs pertinents sur lesquels la SPR doit se pencher dans le cadre d’une audience relative à la perte de l’asile. Bien que cet arrêt n’ait pas été disponible lorsque la SPR a statué sur la présente affaire, ces facteurs doivent être pris en compte, car ils ont tous été examinés par la SPR dans sa décision, dans la mesure où ils s'appliquaient au cas de Mme Kovacs :

  1. les dispositions du paragraphe 108(1) de la LIPR, qui imposent une contrainte à la SPR pour qu’elle parvienne à une décision raisonnable;

  2. les dispositions des conventions internationales telles que la Convention sur les réfugiés, et les directives telles que le Guide sur les réfugiés, en tant que droit international, constituent une contrainte importante pour les décideurs administratifs tels que la SPR;

  3. la gravité des conséquences qu’aura pour la personne concernée la décision de mettre fin à l’octroi de l’asile;

  4. les observations des parties;

  5. l’état des connaissances de la personne en ce qui concerne les dispositions relatives à la perte de l’asile;

  6. les attributs personnels de la personne tels que son âge, son éducation et son niveau de connaissance;

  7. l’identité de l’agent persécuteur, et ses relations avec les autorités gouvernementales du pays;

  8. la question de savoir si l’obtention d’un passeport du pays d’origine est faite volontairement;

  9. la question de savoir si la personne a effectivement utilisé le passeport pour voyager;

  10. la raison du voyage;

  11. ce que la personne a fait pendant son séjour dans le pays en question;

  12. la question de savoir si la personne a pris des précautions pendant son séjour dans le pays dont elle a la nationalité;

  13. la question de savoir si les actions de la personne démontrent qu’elle n’a plus de crainte subjective de persécution dans le pays de sa nationalité, de sorte que la protection supplétive n’est plus nécessaire;

  14. tout autre facteur s’appliquant à la question de savoir si la personne en cause a réfuté la présomption selon laquelle elle s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays de nationalité.

[30] La Cour d’appel fédérale a également déclaré que, lorsqu’elle traite d'un cas relatif à une demande de constat de perte de l’asile, la SPR doit fournir « une explication motivée concernant les éléments de preuve pertinents et les questions clés, y compris les principaux arguments présentés par les parties » (Camayo CAF, au para 82, citant Sexsmith c Canada (Procureur général), 2021 CAF 111 au para 36). C’est précisément ce qu’a fait la SPR en l’espèce, et Mme Kovacs n’a fait état d’aucun de ses arguments qu’elle aurait omis de prendre en compte.

[31] En résumé, Mme Kovacs n’a pas réussi à démontrer l’existence de graves lacunes dans la décision et le raisonnement de la SPR. Les motifs de la SPR sont clairs, ils traitent de tous les éléments clés et témoignent d’un raisonnement intrinsèquement cohérent. De par les arguments qu'elle avance, Mme Kovacs conteste essentiellement l’appréciation de la preuve faite par la SPR, mais cela ne constitue pas une raison valable pour justifier l’intervention de la Cour. Lorsqu'elle est saisie d’un contrôle judiciaire, la cour de révision ne doit pas apprécier à nouveau les éléments de preuve examinés par le décideur. La cour de révision ne peut modifier les conclusions de fait du décideur administratif que dans des circonstances exceptionnelles (Vavilov, au para 125; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55). Dans la mesure où tous les éléments de preuve ont été dûment examinés, la question du poids à leur attribuer relève entièrement de l’expertise de la SPR. Telle est la situation en l’espèce. Le décideur administratif n’a pas fait abstraction de la preuve au dossier et de la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision, et ne s’est pas « fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, au para 126).

[32] Lors de l’audience, l'avocate de Mme Kovacs a insisté sur le fait que le voyage de sa cliente n’avait duré que trois semaines, que sa cliente n’avait pas quitté la maison de sa mère pendant son séjour en Hongrie et qu’elle n’avait pas utilisé son passeport hongrois pour voyager. Elle a affirmé que ces actions ne permettaient pas de prouver que sa cliente s’était volontairement réclamée à nouveau de la protection de son pays de nationalité, qu’elle en avait eu l’intention, ou qu’elle avait réussi à le faire. Avec égards, je ne suis pas d’accord. En l’espèce, la SPR éprouvait de sérieuses réserves quant à la crédibilité de Mme Kovacs, compte tenu des demi‑vérités et des nombreux changements dans les réponses que celle‑ci avait données aux autorités canadiennes de l’immigration au sujet de son voyage et de ses activités. En outre, même si Mme Kovacs n’a pas utilisé son passeport hongrois pour voyager, il n’en reste pas moins qu’elle a pris la mesure tout à fait inhabituelle, pour une réfugiée au sens de la Convention ayant fait valoir qu’elle avait été persécutée en Hongrie en raison de son origine ethnique rom et ayant obtenu le statut de personne protégée au Canada, de se présenter aux autorités hongroises en vue d’obtenir des documents d’identité nationaux. Mme Kovacs a ainsi cherché activement à obtenir la protection diplomatique du pays qui serait à l’origine de sa persécution. Compte tenu des circonstances, je ne suis pas persuadé qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure que Mme Kovacs s’était réclamée à nouveau de la protection de la Hongrie.

[33] Il est vrai que Mme Kovacs n’a pas obtenu son passeport hongrois pour se rendre dans ce pays et que c’est normalement ce qui déclenche l’application de la présomption selon laquelle une personne s’est réclamée de nouveau de la protection de son pays de nationalité. Toutefois, je suis d’avis que la présomption doit également s’appliquer lorsqu’une personne décide de demander et d’obtenir un passeport de son pays de nationalité alors qu’elle se trouve dans ce pays. Cela laisse fortement supposer que la personne avait l’intention de se réclamer de la protection de son pays de nationalité (Camayo CAF, para 63).

[34] Je suis conscient du fait que la perte de l’asile ou du statut de personne protégée a de graves conséquences pour la personne concernée, notamment la perte de la résidence permanente et l’impossibilité d’avoir recours à certaines options prévues dans les lois canadiennes en matière d’immigration. Toutefois, en l’espèce, les actions de Mme Kovacs justifiaient les conclusions de la SPR.

IV. Conclusion

[35] Pour les motifs qui ont été exposés, la demande de contrôle judiciaire de Mme Kovacs est rejetée. La décision constitue une issue raisonnable fondée sur le droit et la preuve, et elle possède les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la décision soit fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle soit justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. Tel est le cas en l’espèce en ce qui concerne les conclusions sur le fondement desquelles la SPR a rejeté la demande d'asile de Mme Kovacs.

[36] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑9132‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑9132‑21

 

INTITULÉ :

SANDORNE KOVACS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE GASCON

 

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :

LE 10 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Nilufar Sadeghi

Pour la demanderesse

 

Michel Pépin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen et associés

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.