Date : 20221107
Dossier : IMM-319-21
Référence : 2022 CF 1515
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2022
En présence de madame la juge Sadrehashemi
ENTRE : |
WING YU WONG |
demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Les requêtes dont la Cour est saisie ont été introduites dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire en matière d’immigration dont est actuellement saisie une juge adjointe de la Cour. La présente décision ne porte pas sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire. Elle porte plutôt sur deux questions préliminaires : i) un appel d’une ordonnance de la juge adjointe concernant les documents que le ministre est tenu de produire dans le dossier certifié du tribunal le [DCT]; et ii) la question de savoir si notre Cour devrait convertir la demande de contrôle judiciaire en action, ce qui donnerait aux parties l’occasion de procéder à la communication de documents et à des interrogatoires préalables.
[2] La demanderesse, madame Wing Yu Wong [Mme Wong], demande le contrôle judiciaire de la décision du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de ne pas retenir sa demande de parrainage de ses parents au Canada. Au moment où Mme Wong a manifesté son intérêt de parrainer ses parents, en janvier 2021, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] traitait uniquement les demandes de parrainage parental sélectionnées par le biais d’un système de sélection au hasard. Le nombre maximal de demandes pouvant être sélectionnées grâce à ce système était de 10 000. Mme Wong conteste le fait que sa demande n’a pas été sélectionnée. Elle conteste également le système de sélection au hasard mis en place par le biais d’instructions ministérielles en vertu de l’article 87.3 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[3] La Cour a accueilli la demande. La juge adjointe Ring est responsable de la gestion de l’instance dans le cadre du contrôle judiciaire [la juge responsable de la gestion de l’instance].
[4] Mme Wong avait fait valoir que le ministre n’avait pas produit tous les documents pertinents en ce qui concerne le contrôle judiciaire. Plus spécifiquement, elle a identifié sept catégories de documents que le ministre devrait, selon elle, fournir. Mme Wong a présenté une requête à la juge responsable de la gestion de l’instance, demandant à la Cour d’exiger du ministre qu’il produise ces documents. La juge responsable de la gestion de l’instance a partiellement accédé à cette demande. Mme Wong a déposé une requête devant moi en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] pour faire appel de certaines parties de la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance [la requête en appel].
[5] Après qu’elle ait déposé sa requête en appel et que la Cour ait fixé une date pour l’audition de cette requête, Mme Wong a déposé une autre requête [la requête en conversion] demandant à la Cour de convertir la requête en action, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [la LCF]. Mme Wong a joint sa requête en conversion aux observations écrites qu’elle a déposées à l’appui de sa requête en appel. Elle a combiné les deux affaires, en faisant valoir qu’elle souhaite maintenant, d’une part, que la Cour convertisse la requête en action et, d’autre part, que la Cour annule la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance relativement à la production de documents pertinents en ce qui concerne le contrôle judiciaire.
[6] Le ministre soutient qu’il n’existe aucun fondement juridique me permettant d’accueillir la requête en appel de Mme Wong, étant donné que l’alinéa 72(2)e) de la LIPR empêche celle-ci de faire appel d’une décision interlocutoire. Le ministre avance qu’en substance, Mme Wong tente de [traduction] « contourner »
la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance sur les documents pertinents en demandant une conversion de la requête en action, tout en introduisant un recours qui accroît la portée de ce qu’elle conteste dans la demande de contrôle judiciaire. Le ministre demande des dépens spéciaux en raison de ce comportement prétendument inapproprié.
[7] Comme je l’expliquerai plus en détail ci-dessous, je ne pense pas que l’approche de Mme Wong soit une tentative de contourner les procédures. La demanderesse a fait preuve de franchise dans les observations écrites et orales qu’elle a présentées à la Cour. La position de Mme Wong est que si la requête en conversion est accueillie, la requête en appel pourrait devenir [traduction] « sans portée pratique »
, et que c’est la raison pour laquelle deux requêtes ont été déposées devant moi. Je ne relève aucun élément permettant d’ordonner des dépens spéciaux dans ces circonstances.
[8] Je conçois cependant que cette démarche, et plus particulièrement la demande de Mme Wong pour que je traite d’abord la requête en conversion, a entraîné une certaine confusion. À mon avis, la manière appropriée de traiter ces questions est de déterminer la compétence de la Cour pour instruire l’appel de l’ordonnance de la juge responsable de la gestion de l’instance. Cet appel est la principale raison pour laquelle je suis saisi de ces questions. Commencer par la requête en appel me permet également d’examiner l’argument du ministre selon lequel la requête en conversion est essentiellement un moyen de contourner une décision sur la pertinence qui ne peut faire l’objet d’un appel.
[9] Comme je l’explique ci-dessous, j’estime avoir compétence pour instruire l’appel, bien que ce soit un appel d’une décision interlocutoire. Je fais cette constatation parce que l’alinéa 72(2)e) de la LIPR, invoquée par le ministre, ne s’applique pas lorsque l’autorisation d’interjeter appel a déjà été accordée. Toutefois, Mme Wong ne m’a pas convaincue qu’il existait un motif pour annuler la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance. Je ne relève aucune erreur manifeste et dominante dans les parties de l’ordonnance que Mme Wong conteste.
[10] En ce qui concerne la requête en conversion, après mûre réflexion, j’ai décidé qu’il n’y avait pas lieu que je statue sur cette requête. C’est moi qui étais saisi de l’affaire, et non la juge responsable de la gestion de l’instance, étant donné que Mme Wong l’a présentée comme étant liée à l’appel de la décision. Je n’ai relevé aucune erreur manifeste et dominante dans cette décision; selon moi, les questions soulevées dans la requête en conversion ne sont pas liées à ma décision sur la requête en appel. Dans ces circonstances, rendre une décision sur la requête en conversion constituerait un contournement de la procédure habituelle pour une affaire déjà traitée.
[11] En outre, l’argument de Mme Wong concernant la nécessité de convertir la demande en action repose sur un projet de demande introductive d’instance, laquelle pourrait sans doute accroître la portée des contestations incluses dans son avis de requête. Mme Wong n’a pas demandé l’autorisation de modifier l’avis de requête original, et le ministre n’a pas non plus consenti aux modifications proposées dans le projet de demande introductive d’instance.
[12] Par conséquent, comme je l’explique ci-dessous, le recours approprié est d’adresser toute requête supplémentaire à la juge responsable de la gestion de l’instance. Mme Wong peut essayer de modifier sa demande et d’obtenir d’autres documents en fonction des modifications. Étant donné que je n’ai pas tranché cette question, Mme Wong ne subira aucun préjudice si elle décide de déposer une autre demande en conversion de la requête en action devant la juge responsable de la gestion de l’instance.
II. Contexte
[13] Mme Wong est une résidente permanente du Canada. Le ou vers le 13 octobre 2020, elle a soumis un formulaire d’intérêt à IRCC pour le parrainage de ses parents qui vivent à Hong Kong. Le 11 janvier 2021, Mme Wong a appris qu’elle n’avait pas été sélectionnée par IRCC à l’issue d’un processus de sélection au hasard, selon lequel un nombre maximal de 10 000 demandes étaient choisies. Sa demande ayant été rejetée, Mme Wong n’a donc pas pu aller de l’avant et parrainer ses parents.
[14] Le 19 janvier 2021, Mme Wong a déposé la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Elle a contesté la décision d’IRCC de ne pas la sélectionner pour qu’elle puisse présenter une demande de parrainage de ses parents. Elle a également contesté le système de sélection et d’invitation à présenter une demande envoyée aux répondants éventuels, tel qu’il est décrit dans les instructions ministérielles (prévues par l’article 87.3 de la LIPR), qui a été utilisé dans le cadre du Programme des parents et des grands-parents de 2020. Elle a fait valoir que le processus :
va à l’encontre de son droit, tel qu’établi au paragraphe 13(1) de la LIPR, de présenter une demande de parrainage d’un membre de sa famille,;
va à l’encontre de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte], en ce qu’il établit une discrimination fondée sur la situation familiale et l’âge;
va à l’encontre de son droit, qu’elle tire de l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44, à une audition impartiale pour la définition de ses droits, ce qui rend ce système invalide.
A. Historique des procédures
[15] Le 27 mai 2021, la Cour a autorisé le contrôle judiciaire et a ordonné au ministre de déposer le DCT au plus tard le 17 juin 2021. Mme Wong a demandé à ce que le ministre inclue dans le DCT sept catégories de documents qui, selon elle, sont pertinents en ce qui concerne le contrôle judiciaire. Le ministre a refusé. Cela a mené au dépôt par Mme Wong d’une requête demandant à la Cour d’obliger le ministre à fournir les sept catégories de documents demandées, conformément à l’article 17 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [les RCF en matière d’immigration].
[16] Mme Wong a également demandé que la Cour rende une ordonnance en vertu de l’article 384 des Règles, afin que le contrôle judiciaire se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale, que les délais de dépôt et la date d’audience soient modifiés et que l’affaire soit gérée conjointement à 76 autres affaires connexes [les affaires connexes], advenant que la Cour autorise un appel dans le cadre de ces affaires.
[17] Le 15 juillet 2021, la Cour a ordonné que cette procédure et les affaires connexes se poursuivent à titre d’instance à gestion spéciale et a modifié les délais de dépôt et la date d’audience initialement fixés dans l’ordonnance accordant l’autorisation. La juge adjointe Ring a ensuite été désignée comme juge responsable de la gestion de l’instance.
[18] Les affaires connexes ne sont pas utiles à ma décision. Elles ont conduit à la tenue d’une audience de contrôle judiciaire portant sur deux affaires types sélectionnées, et elles ont été rejetées (Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1424). Le cas de Mme Wong ne faisait pas partie de cette procédure et n’y était pas soumis.
B. Ordonnance de la juge responsable de la gestion de l’instance sur la communication des documents
[19] Le 29 novembre 2021, la juge responsable de la gestion de l’instance a accueilli en partie la requête de Mme Wong au titre de l’article 17 des Règles, ordonnant au ministre de produire des documents supplémentaires faisant partie de deux des sept catégories demandées par Mme Wong, soit :
documents relatifs à l’âge des personnes parrainées dans le cadre du Programme des parents et des grands-parents, et à l’âge des personnes parrainées dans le cadre du programme de parrainage d’un époux, d’un conjoint de fait ou d’un partenaire conjugal;
documents sur la manière dont les individus sont sélectionnés dans le cadre du processus aléatoire.
[20] La juge responsable de la gestion de l’instance a rejeté la demande de Mme Wong visant à contraindre le ministre à produire des documents dans les cinq catégories suivantes, définies par Mme Wong :
documents relatifs aux mesures prises par le ministre entre 2011 et 2020 pour résorber l’arriéré présumé de 2011;
documents relatifs à tout motif ou justification de l’imposition d’une procédure de sélection aléatoire pour le parrainage des parents et des grands-parents, mais pas pour le parrainage des conjoints;
intégrité des documents qui ont été présentés au Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) dans l’affaire Attaran, qu’ils aient été jugés recevables ou non;
documents relatifs aux
« contraintes fiscales »
prétendues;toute recherche, étude ou tout rapport concernant la contribution économique et les coûts des soins de santé associés aux personnes parrainées dans le cadre du Programme des parents et des grands-parents.
C. Requête en appel de l’ordonnance de communication de documents
[21] Le 9 décembre 2021, Mme Wong a interjeté appel de la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance, en vertu de l’article 51 des Règles. L’appel concernait uniquement la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance portant sur trois des sept catégories de documents initialement demandés par Mme Wong.
[22] Mme Wong a demandé à la Cour d’exiger du ministre qu’il produise dans leur intégralité deux des catégories de documents exclues : i) les documents qui ont été présentés au TCDP dans l’affaire Attaran; et ii) toute recherche, étude ou tout rapport concernant la contribution économique et les coûts des soins de santé associés aux personnes parrainées dans le cadre du Programme des parents et des grands-parents. Mme Wong a également demandé à la Cour de modifier l’ordonnance de la juge responsable de la gestion de l’instance afin que les documents produits concernant l’âge des personnes parrainées dans le cadre du Programme des parents et des grands-parents et l’âge des personnes parrainées dans le cadre du programme des époux et conjoints ne se limitent pas aux demandes de parrainage de l’année 2020, mais incluent tous les documents de ce type depuis 2011.
[23] Le 22 février 2022, Mme Wong a déposé avec ses observations écrites sur la requête en appel un avis de requête demandant que la première requête soit convertie en action en vertu de l’article 18.4 de la LCF. Mme Wong demande maintenant à la Cour, d’une part, d’ordonner que la requête soit convertie en action, ce qui permettrait aux parties de recourir aux procédures applicables aux actions prévues par les Règles et, d’autre part, de considérer l’appel de la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance comme un recours alternatif.
III. Analyse
A. Requête en appel
(1) Compétence pour instruire l’appel
[24] Comme indiqué ci-dessus, je n’ai pas à me pencher sur les questions soulevées par la proposition d’ordonnance de Mme Wong. Je dois d’abord déterminer si la Cour a compétence pour instruire l’appel, étant donné que je suis saisie de l’affaire uniquement parce que Mme Wong a fait appel de la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance.
[25] Mme Wong soutient que la Cour a compétence pour instruire l’appel d’une ordonnance d’un juge adjoint (anciennement connu sous le nom de protonotaire) en vertu de l’article 51 des Règles. Le paragraphe 51(1) des Règles est libellé comme suit : « L’ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Cour fédérale. »
L’article 51 des Règles s’applique aux demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire. Les RCF en matière d’immigration permettent l’application de l’article 51 des Règles aux procédures d’immigration, alors que l’application d’autres dispositions des Règles aux procédures d’immigration est expressément interdite (RCF en matière d’immigration, art 4(1)). La seule restriction à l’application de l’article 51 des Règles est définie au paragraphe 1.1(2) des Règles : « Les dispositions de toute loi fédérale ou de ses textes d’application l’emportent sur les dispositions incompatibles des présentes règles. »
De même, le paragraphe 4(1) des RCF en matière d’immigration prévoit que les Règles s’appliquent aux demandes d’autorisation, aux demandes de contrôle judiciaire et aux appels, pour autant qu’elles ne soient pas incompatibles avec la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 [LC] ou la LIPR.
[26] La principale question à trancher est de savoir si le droit de faire appel de la décision d’un juge adjoint auprès d’un juge de la Cour fédérale, prévu à l’article 51 des Règles, est incompatible avec la LIPR, et en particulier avec l’alinéa 72(2)e), qui interdit de faire appel de certaines décisions interlocutoires. Il n’est pas contesté que la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance est interlocutoire. L’unique question est de savoir si l’alinéa 72(2)e) de la LIPR s’applique aux décisions interlocutoires qui sont rendues après qu’une autorisation ait été accordée. Si tel est le cas, les deux parties conviennent que la requête en appel serait irrecevable parce qu’elle concerne une ordonnance interlocutoire. Si l’alinéa 72(2)e) ne s’applique pas dans le cas où une autorisation a déjà été accordée, la requête en appel n’est pas proscrite car il n’y a aucune raison de conclure que l’article 51 des Règles est incompatible avec la LIPR. Par conséquent, je considère avoir compétence pour instruire l’appel en vertu de l’article 51 des Règles.
[27] L’« approche contemporaine »
en matière d’interprétation législative nécessite de « lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »
(Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21, citant Elmer Driedger, « Construction of Statues »
, 2e éd. (Toronto, Butterworths, 1983)).
[28] À mon avis, le libellé de la disposition et le régime législatif sont clairs : l’alinéa 72(2)e) de la LIPR s’applique au stade de la demande d’autorisation et fait partie de l’article 72, qui traite des demandes d’autorisation :
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[29] Le ministre a fait valoir que le paragraphe 72(2) n’est pas limité aux seules demandes d’autorisation (en anglais, « applications for leave »
) en raison du fait que l’article s’intitule en anglais, « applications for judicial review »
, et qu’il ne fait donc pas exclusivement référence aux demandes d’autorisation. L’interprétation du ministre est incompatible avec la version française de l’alinéa 72(2)e), et avec le régime législatif.
[30] Le libellé de l’alinéa 72(2)e) confirme que la disposition vise les demandes d’autorisation. Le paragraphe 72(2) énonce les « dispositions [qui] s’appliquent à la demande d’autorisation »
. Le paragraphe 72(1) prévoit qu’un contrôle judiciaire est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation. En français, il est encore plus évident que le paragraphe 72(2) traite des demandes d’autorisation, car contrairement à l’anglais qui utilise les termes « application »
(demande) ou « an application under subsection (1) »
(demande faite en vertu du paragraphe (1)), le libellé français réfère explicitement à une « demande d’autorisation »
(ce qui équivaut à l’anglais « application for leave »
).
[31] Les dispositions de la LIPR confirment également que l’alinéa 72(2)e) vise les demandes d’autorisation. Tous les autres alinéas du paragraphe 72(2) traitent de questions qui se rapportent uniquement au processus d’autorisation et qui ne se posent pas une fois que l’autorisation a déjà été accordée : le fait qu’une demande ne peut être présentée tant que les voies d’appel prévues par la LIPR ne sont pas épuisées (LIPR, art 72(2)a)); le délai pour signifier et déposer une demande d’autorisation (LIPR, art 72(2)b)); la possibilité pour un juge de proroger ce délai (LIPR, art 72(2)c)); et le fait qu’il est statué sur une demande à bref délai et selon la procédure sommaire, sauf autorisation d’un juge, sans comparution en personne (LIPR, art 72(2)d)). L’article 74 énonce les dispositions relatives au « contrôle judiciaire »
. Il ne fait pas référence aux demandes d’autorisation, comme l’article 72, mais bien au « contrôle judiciaire »
, ce qui signifie qu’une autorisation a déjà été accordée. Les alinéas de l’article 74 s’appliquent tous à la procédure de contrôle judiciaire, après qu’une autorisation ait été accordée.
[32] Le ministre a soutenu que je devais examiner l’alinéa 72(2)e) selon deux aspects : le premier (« le jugement sur la demande »
) faisant référence à une demande d’autorisation et signifiant qu’on ne peut interjeter appel de décisions d’autorisation, et le second (« et toute décision interlocutoire »
) faisant référence à tout jugement interlocutoire, même rendu après qu’une autorisation ait été accordée.
[33] Je ne relève aucun fondement à cette interprétation, étant donné que l’alinéa 72(2)e) ne peut être lu isolément. Il s’agit d’une seule partie d’un article entier visant les demandes d’autorisation, et je ne vois aucune raison d’interpréter cet alinéa différemment du reste du paragraphe. Rien dans le libellé de l’article n’appuie la position du ministre.
[34] On ne m’a présenté aucune décision dans laquelle la Cour aborde directement la question dont je suis saisie en l’espèce, soit celle de savoir si l’alinéa 72(2)e) s’applique dans le cas où une autorisation a déjà été accordée.
[35] Le ministre s’est appuyé sur un certain nombre d’affaires dans lesquelles l’interdiction de faire appel de décisions interlocutoires prévue à l’alinéa 72(2)e) de la LIPR a été abordée. Aucune de ces décisions ne permet au ministre de soutenir sa position. Dans toutes ces affaires, l’autorisation n’avait pas encore été accordée. La question soulevée ici (à savoir si l’alinéa 72(2)e) s’applique lorsqu’une autorisation a déjà été accordée) n’est traitée dans aucune de ces affaires (Yogalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 540; HD Mining International Ltd c Construction and Specialized Workers Union, section locale 1611, 2012 CAF 327; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Edwards, 2005 CAF 176; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1126; Wong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 229; et Harkat c Canada (Procureur général), 2021 CAF 209).
[36] Pour déterminer si une question peut être certifiée, le ministre a évoqué deux autres affaires (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Chen, 2005 CAF 56; Froom c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 331) qui traitent de la possibilité pour une partie de faire appel devant la Cour d’appel fédérale d’une décision interlocutoire rendue par un juge de la Cour fédérale, et ce, même en l’absence d’une question certifiée. Bien que la Cour d’appel fédérale n’ait pas directement commenté à ce propos dans l’une ou l’autre de ces décisions, il m’apparaît que l’autorisation avait déjà été accordée dans les deux cas. En effet, la Cour d’appel fédérale fait mention dans ces décisions de l’interdiction d’interjeter appel des décisions interlocutoires, prévue à l’alinéa 72(2)e) de la LIPR, ainsi que de la nécessité qu’une question soit certifiée, prévue à l’alinéa 74d) de la LIPR, comme motifs de sa décision de ne pas instruire l’appel. Bien que les deux affaires se soient produites après que l’autorisation ait été accordée, il ne semble pas que l’argument présenté devant moi (selon lequel l’alinéa 72(2)e) ne s’applique pas lorsqu’une autorisation a déjà été accordée) ait été soulevé dans l’un ou l’autre de ces cas. Dans les deux cas, la référence à l’alinéa 72(2)e) est brève et la Cour d’appel fédérale n’aurait pas instruit l’appel de toute manière, parce qu’il n’y avait aucune question certifiée.
[37] Mme Wong a fait mention de l’affaire Douze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1086 [Douze], pour étayer sa position selon laquelle les appels des décisions interlocutoires rendues par des juges adjoints sont autorisés dans les cas où l’autorisation a déjà été accordée. Dans l’affaire Douze, le ministre a fait appel auprès d’un juge de la Cour fédérale de l’ordonnance d’un juge adjoint exigeant que certains documents soient divulgués dans le DCT. Les circonstances sont donc similaires à celles du cas de Mme Wong, puisque l’autorisation avait là aussi déjà été accordée et que l’appel concernait un différend sur le contenu du DCT. Il n’est pas question de l’alinéa 72(2)e) dans la décision, ni de la compétence de la Cour pour instruire l’appel lorsque l’autorisation a été accordée. Dans l’affaire Douze, la Cour a fait droit en partie à l’appel de l’ordonnance de la juge adjointe.
[38] Le ministre avance un autre argument concernant l’applicabilité de l’alinéa 72(2)e) à la situation de Mme Wong. Le ministre soutient que même si je considère que l’alinéa 72(2)e) ne s’applique qu’aux demandes d’autorisation, Mme Wong n’en est pas encore à l’étape du contrôle judiciaire et que, par conséquent, l’interdiction de faire appel de décisions interlocutoires devrait tout de même s’appliquer à sa situation. Le ministre fait valoir qu’étant donné que la plainte de Mme Wong est liée au DCT et que la production de ce dernier a été exigée par la Cour dans l’ordonnance accordant l’autorisation, la phase d’autorisation n’est pas tout à fait terminée.
[39] Je ne souscris pas à ce raisonnement. La Cour a accordé l’autorisation en mai 2021. Dans la même ordonnance, la Cour a ordonné au ministre de produire un DCT. Mme Wong a introduit la requête sous-jacente contestant le contenu du DCT en juin 2021, et elle a introduit le présent appel en décembre 2021. La loi ne prévoit pas d’étape « intermédiaire »
suivant l’octroi de l’autorisation et précédent le début du contrôle judiciaire. Je ne vois pas de raison de conclure qu’une fois l’autorisation accordée, les dispositions du paragraphe 72(2) qui régissent les demandes d’autorisation devraient continuer de s’appliquer.
[40] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue que l’interdiction d’interjeter appel d’une décision interlocutoire prévue à l’alinéa 72(2)e) de la LIPR ne s’applique qu’avant qu’une autorisation ne soit accordée. Étant donné que l’autorisation a déjà été accordée en l’espèce, je considère que j’ai compétence en vertu de l’article 51 des Règles pour instruire l’appel de l’ordonnance de la juge responsable de la gestion de l’instance interjetée par Mme Wong.
(2) Pas d’erreur manifeste et dominante dans la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance
[41] Dans le cadre d’un appel interjeté en vertu de l’article 51 des Règles, je dois examiner la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance en appliquant la norme de l’erreur manifeste et dominante aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit, sauf lorsqu’une question de droit isolable est en cause et que, dans ce cas, comme pour toute question de droit, la norme applicable est celle de la décision correcte (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33; Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux para 64, 66 [Hospira]).
[42] À mon avis, la position de Mme Wong porte sur des questions mixtes de fait et de droit ne comportant aucune question de droit isolable. Comme je l’explique ci-dessous, Mme Wong a fait valoir que son appel est, du moins en partie, fondé sur l’erreur de la juge responsable de la gestion de l’instance sur une question de droit. Je ne pense pas que le principe de droit cité par Mme Wong à l’appui de cette affirmation soit pertinent au regard de la décision qu’elle conteste en appel. Par conséquent, la norme de l’erreur manifeste et dominante s’applique, ce qui signifie que je ne peux modifier la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance, sauf si je constate une erreur [traduction] « évidente, manifeste et clairement apparente, qui a pour effet de compromettre l’intégrité des motifs »
(Martinez c Canada (Royal Mounted Police), 2021 CF 529,au para 6 [Martinez]). Cette norme appelle à un [traduction] « haut degré de déférence »
(Martinez, au para 6).
[43] Mme Wong conteste la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance en ce qui concerne trois catégories de documents qui, selon elle, sont [traduction] « indispensables pour que la cour de révision puisse s’acquitter de sa responsabilité de procéder à un véritable contrôle judiciaire des politiques du ministre »
. Les trois catégories de documents que le ministre devrait produire, selon Mme Wong, sont les suivantes :
documents concernant l’âge des personnes parrainées dans le cadre du Programme des parents et des grands-parents et l’âge des personnes parrainées dans le cadre du programme des époux et conjoints, non seulement pour l’année 2020 (comme l’avait ordonné la juge responsable de la gestion de l’instance), mais également pour tous les ans depuis 2011;
intégrité des documents qui ont été présentés au TCDP dans l’affaire Attaran, qu’ils aient été jugés recevables ou non;
toute recherche, étude ou tout rapport concernant la contribution économique et les coûts des soins de santé associés aux personnes parrainées dans le cadre du Programme des parents et des grands-parents.
[44] Mme Wong invoque des erreurs pour chacune de ces trois catégories de documents. Mme Wong conteste également de manière générale la description faite par la juge responsable de la gestion de l’instance de la portée du contrôle judiciaire, une erreur qui, selon Mme Wong, a eu un [traduction] « effet en cascade »
. J’analyserai d’abord la contestation plus générale de Mme Wong concernant la description de la portée du contrôle judiciaire, puis les erreurs soulevées pour chaque catégorie de documents.
a) Portée du contrôle judiciaire
[45] La juge responsable de la gestion de l’instance a déterminé que la demande de contrôle judiciaire était, en substance, [traduction] « une contestation de la décision qui aurait été prise par le ministre, le 11 janvier 2021, de ne pas sélectionner la demanderesse de façon aléatoire pour recevoir une invitation à présenter une demande [de parrainage], et d[es modalités du Programme des parents et des grands-parents] de 2020 en vertu duquel cette décision aurait été prise »
.
[46] Mme Wong soutient que cette interprétation est trop limitée, car sa contestation ne vise pas seulement l’édition 2020 du Programme des parents et des grands-parents, mais plutôt l’ensemble du programme depuis 2011, alors que le ministre a commencé à émettre des instructions ministérielles en vertu de l’article 87.3 de la LIPR pour limiter le nombre de demandes de parrainage de parents et de grands-parents pouvant être sélectionnées et être traitées. Mme Wong qualifie l’erreur d’[traduction] « interprétation incorrecte des dispositions législatives faisant l’objet du contrôle judiciaire »
.
[47] Mme Wong qualifie de « dispositions législatives »
les instructions spéciales émises chaque année par le ministre en ce qui concerne le traitement des demandes de parrainage de parents et de grands-parents. Elle affirme que la juge responsable de la gestion de l’instance n’a pas perçu les interrelations existant entre ces instructions, lesquelles ont été émises chaque année depuis 2011 et visaient à « bloquer »
le traitement des demandes de parrainage des parents et des grands-parents. Mme Wong soutient que la juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur en définissant la portée du contrôle judiciaire, en n’appliquant pas les enseignements de la récente décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72 [Conseil canadien pour les réfugiés], en particulier que « [l]es dispositions qui appartiennent à un régime légal aux composantes interreliées ne sauraient être examinées et contestées isolément »
(Conseil canadien pour les réfugiés, au para 58).
[48] Cette observation pose un certain nombre de problèmes. Premièrement, il est incorrect de qualifier les instructions émises isolément, chaque année, en vertu du pouvoir du ministre au titre de l’article 87.3 de la LIPR comme des [traduction] « dispositions interreliées appartenant à un régime législatif »
. Cette indication de la Cour d’appel fédérale ne saurait s’appliquer à l’argument que Mme Wong cherche à faire valoir. Il s’agit d’instructions distinctes publiées indépendamment l’une de l’autre au cours d’années successives. Leur similitude n’en fait pas pour autant des dispositions interreliées appartenant à un même régime législatif.
[49] Deuxièmement, en s’appuyant sur cette remarque incidente de l’arrêt Conseil canadien pour les réfugiés, Mme Wong soutient que la véritable essence de ses arguments sur la discrimination et le jugement équitable dans le cadre du contrôle judiciaire se résume ainsi : « Est-ce que l’article 87.3 de la LIPR permet au ministre de donner des instructions qui enfreignent ou sont susceptibles d’enfreindre l’article 15 de la Charte, ou l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits? »
Même avec une lecture libérale, cette large portée n’est pas la façon dont Mme Wong a formulé sa contestation dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente; elle ne l’a pas non plus formulée de cette façon dans la requête qu’elle a déposée devant la juge responsable de la gestion de l’instance en vertu de l’article 17 des Règles. Mme Wong n’a pas soulevé d’incohérence dans les principes juridiques sur lesquels s’est appuyée la juge responsable de la gestion de l’instance pour définir la portée du contrôle judiciaire. Elle n’a pas dit non plus que la juge responsable de la gestion de l’instance avait commis des erreurs factuelles en décrivant la nature et la portée de la contestation sous-jacente, telle qu’elle est exposée dans l’avis de requête et dans les observations présentées dans les documents relatifs à l’autorisation. Je ne relève aucune erreur manifeste et dominante dans l’interprétation que fait la juge responsable de la gestion de l’instance de la portée du contrôle judiciaire.
[50] Je remarque en outre que Mme Wong, dans le projet de demande introductive d’instance qu’elle a déposé à l’égard de la requête en conversion, cible ce qui est en cause dans sa contestation en utilisant un langage différent de celui utilisé dans l’avis de requête et les documents relatifs à l’autorisation. Plutôt que de porter sur le processus de sélection aléatoire et le système sous-jacent (permettant la sélection d’un nombre maximal de 10 000 candidats) utilisé dans l’édition 2020 du Programme des parents et des grands-parents, le projet de demande introductive d’instance fait référence à des [traduction] « instructions visant le blocage »
, définies comme incluant toutes les instructions ministérielles émises depuis 2011, qu’un système de sélection aléatoire ait été utilisé ou non pour le processus de sélection. Pareille description n’a pas été présentée à la juge responsable de la gestion de l’instance lorsqu’elle a déterminé la portée du contrôle judiciaire.
b) Documents du Tribunal canadien des droits de la personne dans l’affaire Attaran
[51] Mme Wong affirme que tous les documents déposés par le ministre devant le TCDP dans l'affaire Attaran c Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et al., dossier du TCDP no T2163/3716 (Attaran) sont pertinents parce qu’il s’agissait là aussi d’une affaire concernant la discrimination fondée sur l'âge et la situation familiale, exercée par le ministre dans l'administration du programme de parrainage des parents et des grands-parents. Mme Wong n’a pas demandé un sous-ensemble de documents en particulier; elle a plutôt fait une demande générale concernant tous les documents déposés, que le TCDP les ait admis ou non.
[52] Mme Wong a soutenu devant la juge responsable de la gestion de l’instance et devant moi‑même que ces documents devraient tous être divulgués parce que l’affaire portée devant le TCDP et sa propre demande de contrôle judiciaire étaient des cas [traduction] « presque identiques »
. La juge responsable de la gestion de l’instance n’a pas accepté cette interprétation. Elle a plutôt constaté que l’affaire Attaran concernait une plainte déposée en 2010 pour les importants retards accusés par le ministre dans le traitement d’une demande de parrainage de ses parents déposée par M. Attaran en 2009. L’affaire Attaran se distingue non seulement parce que l’action a été introduite en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC, 1985, c H-6, et non en vertu de la Charte, mais aussi parce que le fondement des allégations est différent. Comme l’a noté la juge responsable de la gestion de l’instance, la plainte de M. Attaran portait sur la longueur du délai de traitement, alors que Mme Wong fait valoir que sa demande de parrainage pourrait ne jamais être sélectionnée en raison du système de sélection aléatoire utilisé et du nombre maximal de demandes pouvant être choisies qu’imposaient les instructions ministérielles dans le cadre de l’édition 2020 du Programme des parents et des grands-parents.
[53] Mme Wong soutient que la juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur manifeste et dominante en définissant la portée de l’affaire Attaran. Le seul fondement de cette allégation est l’affirmation de Mme Wong selon laquelle la juge responsable de la gestion de l’instance n’a pas tenu compte du fait que la majorité des documents déposés dans l’affaire Attaran étaient ultérieurs à la demande de parrainage déposée en 2009 par M. Attaran, et que l’exposé des précisions d’IRCC dans cette affaire démontrait qu’IRCC s’était servi d’[traduction] « instructions visant le blocage »
après 2009. La référence de Mme Wong à des [traduction] « instructions visant le blocage »
dans l’exposé des précisions renvoie à la description des changements apportés à la politique de parrainage des parents et des grands-parents depuis que M. Attaran a déposé la demande de parrainage de ses parents et depuis qu’elle a été approuvée en 2012.
[54] Je ne vois aucune raison de conclure à l’existence d’une erreur manifeste et dominante. Je ne relève aucun fondement à l’affirmation de Mme Wong selon laquelle des documents ont été omis ou, plus grave encore, selon laquelle la production de ces documents aurait pu influencer la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance, qui a conclu que les deux affaires étaient clairement distinctes. La différence entre les deux affaires a été la pierre d’assise de la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance de ne pas ordonner la communication des documents, étant donné que Mme Wong soutenait que tous les documents de l’affaire Attaran étaient pertinents puisque ce cas et la sienne étaient « presque identiques »
.
c) Documents comparatifs concernant l’âge
[55] Dans sa requête déposée devant la juge responsable de la gestion de l’instance en vertu de l’article 17 des Règles, Mme Wong a demandé des documents concernant l’âge des grands‑parents et des parents parrainés, ainsi que des époux et conjoints parrainés. Mme Wong n’a pas indiqué de période spécifique encadrant les documents qu’elle souhaitait obtenir. La juge responsable de la gestion de l’instance a estimé qu’en l’absence de limites temporelles liées à la portée de la demande, celle-ci était trop large et trop vague. Elle a donc ordonné au ministre de produire des documents pour l’année 2020 uniquement. Mme Wong soutient qu’il s’agit d’une erreur manifeste et dominante pour la même raison qu’elle soutient que la portée du contrôle judiciaire aurait dû être définie de manière plus large.
[56] Il n’y a pas d’erreur manifeste et dominante dans l’approche de la juge responsable de la gestion de l’instance. Celle-ci a limité l’ordonnance en estimant que la portée du contrôle judiciaire concernait l’édition 2020 du Programme des parents et des grands-parents. J’ai déjà établi qu’il n’y avait pas d’erreur manifeste et dominante dans la détermination de la portée du contrôle judiciaire.
[57] Mme Wong a présenté un argument supplémentaire. Elle a évoqué pour la première fois en appel une plainte concernant la facilité d’utilisation des documents produits par le ministre en exécution de l’ordonnance rendue par la juge responsable de la gestion de l’instance en vertu de l’article 17 des Règles. Je n’ai pas été saisie de cette question. Mme Wong peut, si elle le souhaite, soulever la question auprès de la juge responsable de la gestion de l’instance.
d) Documents de recherche concernant la contribution économique et les coûts des soins de santé associés aux parents et grands-parents parrainés
[58] La juge responsable de la gestion de l’instance a déterminé que les documents de recherche concernant la contribution économique et les coûts des soins de santé associés aux parents et aux grands-parents n’étaient pas pertinents en ce qui concerne le traitement de la plainte pour discrimination de Mme Wong. La juge responsable de la gestion de l’instance a constaté que le ministre n’avait soulevé aucun argument au titre de l’article premier de la Charte, et qu’il ne s’appuyait pas sur l’absence de contributions économiques ou sur les coûts des soins de santé associés aux parents et aux grands-parents pour étayer sa position selon laquelle l’allégation de discrimination n’était pas fondée. Mme Wong a fait valoir dans la requête déposée en vertu de l’article 17 des Règles que ces documents étaient pertinents parce que [traduction] « les raisons invoquées par le ministre pour justifier les restrictions relatives aux demandes imposées dans le cadre du [Programme des parents et des grands-parents] sont liées à l’âge plus avancé de ces immigrants, ce qui constitue un exemple classique de discrimination fondée sur l’âge »
. Compte tenu de la nature des arguments avancés dans les documents relatifs à la demande d’autorisation, la juge responsable de la gestion de l’instance a estimé que Mme Wong n’avait pas fait la preuve de la pertinence de ces documents.
[59] Mme Wong affirme maintenant que cette conclusion ne concorde pas avec les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Fraser c Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, ni avec la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire du Conseil canadien pour les réfugiés. Les références à ces deux affaires que fait Mme Wong ne l’aident pas à défendre sa position. Mme Wong soutient que [traduction] « les allégations relatives aux effets inconstitutionnels de la législation contestée doivent être accompagnées de preuves recevables des effets présumés »
. Elle affirme que les documents de recherche qu’elle demande sur les contributions économiques et les coûts des soins de santé associés aux parents concernent les « effets présumés »
de la politique du ministre applicable au programme de parrainage des parents. Mme Wong n’a pas expliqué en quoi ces documents de recherche se rapportent aux « effets »
du traitement des demandes de parrainage des parents. Je ne vois aucune raison de remettre en cause la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance concernant cette catégorie de documents.
(3) Conclusion quant à la requête en appel
[60] J’ai examiné l’appel interjeté par Mme Wong en vertu de l’article 51 des Règles concernant l’ordonnance de la juge responsable de la gestion de l’instance. Je n’ai constaté aucune erreur manifeste et dominante en ce qui concerne les trois catégories de documents contestées par Mme Wong en appel. La requête en appel est donc rejetée.
B. Requête en conversion
[61] Comme je l’ai indiqué au début des motifs, j’ai déterminé que je n’étais pas saisie de la requête en conversion.
[62] Mme Wong a soutenu que la requête en appel et la requête en conversion étaient liées car l’objectif commun des deux requêtes est d’assurer qu’un dossier de preuves complet soit présenté devant le juge qui instruira le contrôle judiciaire. Il ne s’agit pas pour moi d’un motif justifiant que je tranche la question de la requête en conversion. Dans le cadre de l’appel de la décision de la juge responsable de la gestion de l’instance, mon rôle n’est pas de résoudre les questions de preuve pour le contrôle judiciaire, mais plutôt de déterminer s’il y a lieu d’intervenir et de modifier les conclusions formulées par la juge responsable de la gestion de l’instance. Comme l’a indiqué la Cour d’appel dans l’arrêt Hospira, « [...] le juge des requêtes saisi d’un appel fondé sur la règle 51 des Règles fera toujours bien de se rappeler que le protonotaire responsable de la gestion de l’instance connaît très bien les questions et les faits particuliers de l’affaire, de sorte que l’intervention ne doit pas être décidée à la légère »
(au para 103).
[63] Le fait de joindre ces deux requêtes a également créé de la confusion, car les parties ne s’entendaient pas sur la question de ma compétence pour instruire la requête en appel. Dans ces circonstances, une façon de faire aurait pu consister à demander à ce que la requête en appel soit mise en suspens dans l’attente qu’une décision soit rendue sur une requête en conversion déposée devant la juge responsable de la gestion de l’instance.
[64] Enfin, il m’est apparu clairement au cours de l’audience sur ces requêtes qu’il subsiste un litige important à propos de la portée du contrôle judiciaire sous-jacent. Mme Wong a fait valoir qu’elle a cherché à en clarifier la portée dans le projet de demande introductive d’instance qu’elle a déposé à l’appui de la requête en conversion. Le ministre a affirmé que Mme Wong avait tenté d’étendre de manière inappropriée la portée de ce qu’elle contestait dans le cadre du contrôle judiciaire. S’appuyant sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Commission des droits de l’homme) c Nation crie de Saddle Lake, 2018 CAF 228 aux para 23-24, le ministre a affirmé que le projet de demande introductive d’instance n’était pas nécessaire pour la requête en conversion et qu’il était utilisé en l’espèce dans le but d’étendre la portée du contrôle judiciaire, en contournant les conclusions de la juge responsable de la gestion de l’instance sur la portée et la pertinence.
[65] Comme je l’ai déjà noté ci-dessus, le langage utilisé dans le projet de demande introductive d’instance pour décrire la nature et la portée de la contestation est différent de celui qui est utilisé dans l’avis de requête et dans d’autres documents relatifs à l’autorisation. Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le nouveau langage utilisé constitue une extension de la portée. Cette question n’a pas fait l’objet d’une argumentation complète. Mme Wong n’a pas demandé l’autorisation de modifier l’avis de requête original et le ministre n’a pas, de son côté, consenti à des modifications. Cette méthode n’était pas appropriée dans les circonstances et, à mon avis, elle a ajouté à la complexité de l’analyse de la requête en conversion à ce stade.
[66] Le recours approprié consiste à adresser toute autre question à la juge responsable de la gestion de l’instance. Mme Wong peut essayer de modifier sa demande et d’obtenir d’autres documents en fonction des modifications acceptées. Étant donné que je n’ai pas tranché la question de la requête en conversion, Mme Wong ne subira aucun préjudice si elle décide de déposer une autre demande en conversion de la requête en action devant la juge responsable de la gestion de l’instance.
IV. Questions à certifier
[67] Dans les observations écrites qu’elle a présentées à la suite de l’audience, Mme Wong a proposé deux questions pour la certification. La première question proposée porte sur la compétence d’instruire un appel d’une décision d’un juge adjoint et la seconde concerne la requête en conversion :
Est-ce que l’alinéa 72(2)e) ou l’alinéa 74d) de la LIPR s’applique à l’appel d’une décision interlocutoire rendue par un juge adjoint sur une demande de contrôle judiciaire, et interjeté au titre de l’article 51 des Règles?
Est-ce qu’un critère plus généreux, ou un seuil plus bas, devrait s’appliquer aux
« conversions »
faites en vertu de l’article 18.4(2) de la LCF pour les contrôles judiciaires de la LIPR portant sur une politique ou un programme?
[68] Le ministre s’est opposé à la certification des deux questions.
[69] Aucune des deux questions n’est déterminante (Lunyamila c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2018 CAF 22 au para 46). J’ai déterminé qu’il n’y avait aucune erreur manifeste et dominante dans l’ordonnance de la juge responsable de la gestion de l’instance. Par conséquent, même si je me trompe à propos de ma propre compétence pour instruire l’appel, le résultat obtenu sera le même et la décision rendue par la juge responsable de la gestion de l’instance au titre de l’article 17 des Règles serait maintenue. Je n’ai pas statué sur la requête en conversion et il ne convient donc pas de certifier une question sur ce point (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89 au para 12).
[70] J’ai également des doutes concernant ma compétence pour certifier une question relative à l’appel d’une décision interlocutoire lorsque le contrôle judiciaire n’a pas encore eu lieu. Étant donné que les questions proposées n’ont pas pu être certifiées pour les raisons susmentionnées, je n’ai pas besoin de trancher cette question. Je note toutefois que le juge en chef s’est récemment penché sur l’application de l’alinéa 74d) aux questions interlocutoires dans l’affaire Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1126 [ACAADR]. Dans l’affaire ACAADR, le juge en chef ne statuait pas sur une question interlocutoire, mais, au cours de la procédure de contrôle judiciaire, le ministre lui a demandé de certifier une question relative à une décision sur la qualité pour agir qui avait été prise par un juge adjoint avant que l’autorisation ne soit accordée (et qui n’avait donc pas fait l’objet d’un appel). Dans le cadre de l’examen de cette demande, le juge en chef a précisé que l’alinéa 74d) s’applique aux jugements consécutifs à un contrôle judiciaire et non aux jugements interlocutoires :
À mon avis, la logique de l’article 74 de la LIPR indique que l’appel visé à l’alinéa 74d) est un appel du jugement rendu à l’égard de la demande mentionnée aux alinéas 74a) et c) et visée à l’alinéa 74b). L’article 74 ne semble absolument pas viser des questions interlocutoires Il concerne simplement la fixation d’une date et d’un lieu pour l’audition d’une demande, la nécessité que cette date ne soit pas fixée à moins de 30 jours ni à plus de 90 jours de la date à laquelle la demande d’autorisation est accueillie (en l’absence d’accord préalable), le règlement de la demande à bref délai et selon la procédure sommaire, et enfin, les circonstances dans lesquelles un appel du jugement peut être interjeté. La version française de l’alinéa 74d), qui fait référence au « jugement consécutif au contrôle judiciaire », me conforte dans cette opinion. Cela montre clairement que l’appel visé à l’alinéa 74d) est un appel du jugement rendu à l’égard de la demande, et non un appel d’une décision interlocutoire qui aurait pu être rendue séparément avant l’audition de la demande.
[Souligné dans l’original.]
[71] Je n’ai pas besoin de trancher la question de ma propre compétence pour certifier une question concernant une décision interlocutoire. Comme je l’ai déjà noté, je ne vois aucune raison de certifier les questions proposées par Mme Wong.
V. Les dépens
[72] Le ministre demande les dépens pour des raisons spéciales au titre de l’article 22 des RCF en matière d’immigration, en partie à cause de sa position voulant que Mme Wong a interjeté appel malgré le fait que la jurisprudence est claire sur le fait qu’un tel appel est proscrit. Comme je l’ai expliqué ci-dessus, je ne suis pas d’accord avec l’interprétation que fait le ministre de l’alinéa 72(2)e) de la LIPR ni avec sa position selon laquelle l’appel est proscrit. En outre, bien que j’aie mentionné la confusion ayant résulté de l’approche adoptée par Mme Wong pour conjuguer ces requêtes, ainsi que le fait qu’elle n’ait pas demandé d’autorisation de modifier son avis de requête, je ne crois pas que Mme Wong ait eu l’intention de contourner une procédure de manière inappropriée ou de soumettre de nouveau à la Cour une question déjà tranchée. Par conséquent, je ne vois aucune raison d’accorder des dépens pour des raisons spéciales.
JUGEMENT dans le dossier IMM-319-21
LA COUR REND L’ORDONNANCE qui suit :
L’appel de la demanderesse de l’ordonnance de la juge adjointe Ring datée du 29 novembre 2021 est rejeté;
Aucune question grave de portée générale n’est certifiée;
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Lobat Sadrehashemi »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-319-21 |
IMM645721
|
WING YU WONG c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE par vidéoconférence
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 10 mars 2022
|
JUGEMENT ET MOTIFS : |
La juge SADREHASHEMI
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 7 novembre 2022
|
COMPARUTIONS :
Simon Lin |
POUR LA DEMANDERESSE |
Helen Park Erica Louie |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
EVOLINK LAW GROUP
Burnaby (Colombie-Britannique)
|
POUR LA DEMANDERESSE |
Procureur général du Canada Vancouver (Colombie-Britannique) |
POUR LE DÉFENDEUR |