Date : 20221026
Dossier : IMM-5960-21
Référence : 2022 CF 1464
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 26 octobre 2022
En présence de madame la juge McVeigh
ENTRE :
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WALTER GEOVANY COREA PINEDA
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] Le demandeur, Walter Geovany Corea Pineda, un Hondurien âgé de 42 ans, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’asile.
II. Contexte
[2] Le demandeur affirme que des membres du gang des Maras, MS-13, ont commencé à l’approcher alors qu’il était âgé de 12 ou 13 ans. Il a toujours refusé de se joindre à eux, car il ne voulait pas prendre part aux activités criminelles de MS-13. Il déclare que les incidents se sont intensifiés, expliquant que les membres de MS-13 l’ont approché à plusieurs reprises et lui ont fait du mal.
[3] Vers la fin de l’année 2002 et le début de l’année 2003, la tante maternelle du demandeur a offert de l’aider s’il pouvait se rendre aux États-Unis. Le demandeur a marché depuis le Honduras jusqu’à la frontière américaine (Texas).
[4] Le demandeur a présenté une demande d’asile aux États-Unis, mais sa demande et l’appel ultérieur ont été rejetés. Il est demeuré aux États-Unis en tant que sans papiers. Il n’a fourni, à l’appui de sa demande d’asile au Canada, aucune des décisions en matière d’immigration rendues aux États-Unis à son égard ni aucun autre document.
[5] En septembre 2018, la plus jeune demi-sœur du demandeur lui a dit que, s’il se rendait au Canada et y déposait une demande d’asile, elle pourrait l’aider à subvenir à ses besoins pendant les démarches. Le 19 septembre 2018, il a effectué une traversée des États-Unis pour entrer au Canada, où il a amorcé le processus de demande d’asile.
[6] L’audience devant la SPR a eu lieu le 4 août 2021. La SPR a jugé que les questions déterminantes dans le dossier du demandeur étaient la crédibilité et le risque prospectif. Selon la SPR, le demandeur :
manquait de crédibilité et n’était pas à même de produire une preuve digne de foi suffisante à l’appui de sa demande;
n’avait pas établi un lien suffisant avec l’un des motifs de la Convention énoncés à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et n’était pas une personne à protéger;
n’était pas confronté à un risque personnel actuel ou à un risque de persécution à venir visé par l’article 97 de la LIPR.
III. Question en litige
[7] La question en litige est celle de savoir si la décision de la SPR était raisonnable.
IV. Norme de contrôle
[8] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). La Cour n’interviendra que si elle estime que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au para 100).
V. Analyse
[9] Deux questions sont déterminantes pour le présent contrôle judiciaire. Premièrement, le demandeur a soutenu que la SPR n’avait pas réellement répondu à la preuve. Deuxièmement, il a allégué que la SPR avait commis une erreur en concluant qu’il n’était pas membre d’un groupe social particulier aux termes de l’article 96 de la LIPR.
[10] Avant d’examiner ces questions déterminantes, je remarque que le demandeur a contesté les conclusions de la SPR en matière de crédibilité. En particulier, il estime déraisonnables les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité concernant la question de savoir s’il savait que des membres de MS-13 avaient approché sa mère.
[11] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour ne devrait pas s’immiscer dans les questions de preuve ou évaluer de nouveau la preuve lorsque les conclusions de la SPR sont raisonnablement fondées sur le dossier : Ayala Sosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 428 [Ayala Sosa] au para 54. De plus, la SPR a droit à une grande déférence quant à ses pouvoirs en matière de recherche des faits et son appréciation de la preuve (Vavilov, aux para 125-126; Bayram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 235 au para 21).
[12] Les conclusions de la SPR en matière de crédibilité sont raisonnables. Aucune circonstance exceptionnelle ne justifie de modifier l’appréciation de la preuve effectuée par la SPR, ni ses conclusions en matière de crédibilité.
A. Preuve objective
[13] Le demandeur soutient que la SPR a écarté des éléments de preuve documentaire objectifs clés figurant dans le cartable national de documentation (le CND). Il renvoie aux éléments de preuve présents dans le CND à l’égard des renseignements suivants :
- des affaires relatives à des personnes ayant quitté le Honduras en raison de violence impliquant des gangs ou le crime organisé, qui ont été tuées peu après leur retour à San Pedro Sula;
- le recours à la violence par MS-13 contre quiconque est soupçonné de coopérer avec les forces de l’ordre;
- des éléments de preuve selon lesquels MS-13 ne se prive pas de recourir à des punitions cruelles et excessives;
- l’effet du passage du temps sur la poursuite de personnes par le gang.
[14] Le demandeur allègue que la SPR n’a pas évalué adéquatement la preuve, et invoque le CND, les cinq articles qu’il a présentés qui portent sur des crimes liés à MS-13, les éléments de preuve objectifs du rapport de police et le certificat médical provenant de l’ordre des médecins du Honduras. Il soutient que l’omission d’analyser ces documents rend la décision déraisonnable.
[15] Je ne suis pas d’accord. Le paragraphe 22 de la décision de la SPR montre clairement qu’elle a tenu compte de la preuve documentaire et a conclu que le demandeur n’avait pas à faire face à un risque distinct de celui encouru par le reste de la population. Au paragraphe 23, la SPR souligne également que la mère du demandeur a pris en main la dénonciation du gang et a personnellement effectué de nombreuses dénonciations. À la lumière des dénonciations faites par la mère du demandeur, la SPR a conclu que ce dernier n’était pas à même d’établir de manière crédible que le gang avait approché sa mère à San Pedro Sula, où elle vivait toujours depuis son départ. Par conséquent, la SPR a conclu qu’il ne serait pas exposé à un risque prospectif. Il est manifeste que la SPR a tenu compte de la preuve.
[16] Le demandeur soutient que les conclusions en matière de crédibilité tirées par le décideur étaient excessivement pointilleuses et que cette approche était erronée. Il a soulevé des préoccupations liées au fait que peu de poids avait été accordé aux lettres de sa mère et de sa sœur. Selon lui, les conclusions excessivement pointilleuses qui ont été tirées ont directement influencé les conclusions de la SPR à son égard en matière de crédibilité, ce qui, par conséquent, rend la décision susceptible de révision.
[17] Ce que demande réellement le demandeur dans ses observations, c’est que la Cour adopte un point de vue différent sur les éléments de preuve et qu’elle les reconsidère. Ce rôle n’appartient pas à notre Cour. La SPR a examiné les lettres et est parvenue à une conclusion raisonnable à leur égard.
B. L’analyse relative à l’article 96 menée par la SPR
[18] Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu qu’il n’était pas membre d’un groupe social particulier. Elle a conclu que « [l]es menaces découlant d’actes criminels ne constituent généralement pas un lien avec les motifs prévus dans la Convention. Le fait qu’une personne dénonce la corruption ou fasse part de son opposition à la criminalité ne fait généralement pas d’elle un membre d’un groupe social »
.
[19] À l’appui de cette prétention, le demandeur invoque Banegas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 45 [Banegas]. L’affaire Banegas concernait un Hondurien âgé de 19 ans que le gang Mara 18 ciblait à des fins de recrutement. Depuis l’âge de 12 ans, le demandeur avait résisté à plusieurs reprises aux tentatives violentes de recrutement par le gang Mara 18. Dans cette affaire, la SPR avait refusé d’examiner la demande d’asile au titre de l’article 96 de la LIPR, concluant que le demandeur était victime de criminalité endémique « et qu’il n’appartenait pas à un “groupe social” ciblé »
(Banegas, au para 8). La Cour s’est appuyée sur les lignes directrices du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés pour conclure que le demandeur présentait des caractéristiques innées ou immuables dont la SPR aurait dû tenir compte au moment d’évaluer l’« appartenance à un groupe social »
(Banegas, aux para 25-26).
[20] Le défendeur distingue les faits de l’affaire Banegas de ceux de l’espèce. Ainsi, il soutient que le juge Shore a accepté l’affirmation du demandeur selon laquelle ses caractéristiques comme le sexe, la jeunesse et le statut social ou l’absence d’encadrement parental étaient des caractéristiques immuables, ce que la SPR n’avait pas examiné adéquatement dans cette affaire. En l’espèce, cependant, le demandeur n’est pas un jeune adolescent, car il est âgé de presque 42 ans. Fait important, dans l’affaire Banegas, la SPR a jugé que le demandeur était crédible, alors qu’en l’espèce la SPR a jugé que le demandeur ne l’était pas.
[21] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les faits en l’espèce sont considérablement différents et que le raisonnement de la Cour dans l’affaire Banegas ne s’applique pas au demandeur.
[22] L’observation du demandeur au sujet du groupe social doit également être rejetée. La Cour a déjà expressément rejeté les observations soulevées par le demandeur : voir Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, 1993 CanLII 105 (CSC) [Ward avec renvois aux RCS]. Dans l’arrêt Ward, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’en raison de la nature auxiliaire du régime international relatif aux réfugiés, le fait de considérer qu’« une association de gens est essentiellement un “groupe social” du seul fait de leur victimisation commune en tant qu’objets de persécution »
(à la p 729) ne suffirait pas pour satisfaire aux définitions de la Convention, car « [m]ême si les délégués ont inclus la catégorie du groupe social afin de combler toute lacune possible laissée par les quatre autres groupes, cela n’amène pas nécessairement à conclure que toute association ayant certains points en commun est incluse »
(Ward, à la p 732). La Cour suprême du Canada a formulé une mise en garde selon laquelle « [l]e Canada ne devrait pas outrepasser son rôle sur le plan international en engageant sa responsabilité dès qu’un groupe est visé »
(Ward, à la p 738).
[23] De même, au paragraphe 28 de la décision Ayala Sosa, la Cour a jugé raisonnables les conclusions de la SPR selon lesquelles les demandeurs n’avaient pas établi de lien avec l’un des motifs de la Convention énoncés à l’article 96. La Cour a statué que, « indépendamment de toutes les caractéristiques non immuables (comme le jeune âge, la pauvreté et le niveau de scolarité), ils prétendent essentiellement que le fait qu’ils sont ciblés par les Maras les intègre à un groupe social particulier »
(au para 29). En l’espèce, la prétention du demandeur en ce sens ne tient pas non plus pour les mêmes raisons.
[24] La décision a touché à tous les aspects importants de l’enquête effectuée en vertu de l’article 96, même en l’absence d’une analyse détaillée au regard de l’article 96. La décision doit être considérée dans sa totalité, et, lorsqu’on la considère de la sorte, force est de conclure que la SPR a effectivement tenu compte de la question de l’âge et a conclu que le demandeur, qui avait alors 41 ans, n’appartenait pas à ce groupe social jeune et impressionnable. Cette question, combinée au fait que les incidents se sont déroulés il y a environ 20 ans, rend raisonnable l’analyse du risque prospectif effectuée par la SPR.
[25] Je rejetterai la demande. Aucune question n’a été présentée aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.
JUDGEMENT dans le dossier IMM-5960-21
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
La demande est rejetée;
Aucune question n’est certifiée.
« Glennys L. McVeigh »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-5960-21
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INTITULÉ :
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WALTER GEOVANY COREA PINEDA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 15 septembRE 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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la juge MCVEIGH
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DATE DES MOTIFS :
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LE 26 octobRE 2022
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COMPARUTIONS :
Sheau Lih Vong
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POUR LE DEMANDEUR
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Melissa Mathieu
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Vong Law Professional Corporation
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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