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Date : 20221027


Dossier : T-429-22

Référence : 2022 CF 1480

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 octobre 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

SHIRAZ VIRANI

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. L’aperçu

[1] M. Shiraz Virani [le demandeur] a présenté une demande de prestation canadienne de la relance économique [la PCRE] en octobre 2020. Dans une décision rendue le 19 juillet 2021, l’Agence du revenu du Canada [l’ARC], qui administrait la PCRE, a conclu que le demandeur n’était pas admissible à cette prestation puisqu’il n’avait pas gagné au moins 5 000 $ en revenus d’emploi ou de travail indépendant en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois ayant précédé la date de sa demande. Le demandeur a interjeté appel de cette décision, et un autre agent de l’ARC a procédé à un second examen de la demande de PCRE. Dans une lettre datée du 15 février 2022, l’agent de l’ARC a confirmé la décision initiale après avoir conclu que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE pour la même raison [la décision].

[2] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision. Le défendeur admet que la décision a été rendue de manière inéquitable sur le plan procédural et il convient que l’affaire devrait être renvoyée à un autre agent de l’ARC.

[3] Le demandeur prie la Cour d’accueillir la demande de contrôle judiciaire avec dépens. Il prie aussi la Cour de renvoyer l’affaire à l’ARC en donnant à celle-ci pour directive de conclure qu’il a gagné au moins 5 000 $ en 2019.

[4] Pour les motifs exposés ci-après, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire du demandeur, sans dépens. Il ne m’a pas convaincue que sa situation appartient aux « situations limitées » dans lesquelles il convient que la Cour substitue sa propre décision à celle du décideur plutôt que de renvoyer l’affaire à celui-ci : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 139-142. Je ne vois aucune raison d’accorder la réparation extraordinaire demandée en l’espèce.

II. La question préliminaire

[5] À titre préliminaire, le défendeur en l’espèce doit être le procureur général du Canada, et non l’ARC. L’intitulé sera modifié en conséquence.

III. Analyse

[6] À l’appui de sa prétention selon laquelle il était admissible à la PCRE, le demandeur a présenté ses feuillets T4 et T4A pour l’année d’imposition 2019, lesquels montraient qu’il avait gagné des revenus d’au moins 5 000 $. Il soutient que ses feuillets T4 et T4A sont des [traduction] « documents légaux produits par un tiers » et qu’ils constituent donc une [traduction] « preuve concluante [de ses revenus] fournie par un tiers ». Pour cette raison, il fait valoir que l’ARC n’a pas à aller plus loin pour confirmer son admissibilité à la PCRE. Selon lui, il serait vain que la Cour renvoie l’affaire pour nouvel examen sans donner de directive.

[7] De plus, le demandeur s’appuie sur un document intitulé « Confirmation de l’admissibilité à la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE), et à la Prestation canadienne de la relance économique pour proches aidants (PCREPA), et à la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique (PCMRE) » [les lignes directrices de l’ARC] pour étayer son argument selon lequel ses feuillets T4 et T4A constituent une preuve suffisante de ses revenus.

[8] Le demandeur fait valoir que le fait que l’ARC ait produit un avis de cotisation pour l’année d’imposition 2019 en se fondant sur sa déclaration de revenus pour cette même année signifie qu’elle avait accepté la déclaration de ses revenus d’emploi et de travail indépendant.

[9] En tout respect, je ne suis pas d’accord.

[10] Pour commencer, conformément à l’article 3 de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE], je souligne qu’un demandeur devait remplir les conditions suivantes pour être admissible à la PCRE :

  • dans le cas d’une demande de PCRE présentée à l’égard d’une période de 2 semaines qui débutait en 2020, ses revenus provenant d’un emploi ou d’un travail exécuté pour son compte devaient s’élever à au moins 5 000 $ pour l’année 2019 ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle il avait présenté sa demande, aux termes de l’alinéa 3(1)d) de la LPCRE;

  • dans le cas d’une demande de PCRE présentée à l’égard d’une période de 2 semaines qui débutait en 2021, ses revenus provenant d’un emploi ou d’un travail exécuté pour son compte devaient s’élever à au moins 5 000 $ pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle il avait présenté sa demande, aux termes de l’alinéa 3(1)e) de la LPCRE.

[11] De plus, l’article 6 de la LPCRE prévoit ce qui suit :

6 Le demandeur fournit au ministre tout renseignement que ce dernier peut exiger relativement à la demande.

6 An applicant must provide the Minister with any information that the Minister may require in respect of the application.

[12] Autrement dit, la LPCRE confère à l’ARC le pouvoir de demander des renseignements à un demandeur, et il incombe à celui-ci de fournir les renseignements demandés.

[13] Dans les lignes directrices de l’ARC, la section intitulée « Preuve de revenus de 5 000 $ » explique que, pour être admissible aux trois prestations, le particulier « doit avoir gagné un minimum de 5 000 $ en 2019 [ou en 2020] ou dans les 12 mois précédant la date à laquelle il a présenté une demande. Le revenu doit provenir d’un emploi ou d’un travail indépendant » (caractères gras dans l’original).

[14] Les lignes directrices de l’ARC expliquent aussi ce qui n’est pas considéré comme un revenu d’emploi ou de travail indépendant. Elles mentionnent ensuite ce qui suit : « Si les revenus 2019 ou 2020 ne peuvent pas être validés [...], une preuve doit être fournie. »

[15] Le demandeur attire l’attention sur la section des lignes directrices de l’ARC qui commence par la phrase suivante : [traduction] « Les revenus indiqués dans les cases suivantes des feuillets T sont considérés comme des revenus d’emploi ou de travail indépendant admissibles. » Il compare ensuite les cases énumérées dans cette section à celles figurant sur ses feuillets T4 et T4A fournis à titre de preuve de ses revenus d’emploi et de travail indépendant.

[16] Mon interprétation des lignes directrices de l’ARC n’appuie pas la position du demandeur. Les lignes directrices de l’ARC renvoient aux « cases » figurant sur les feuillets T4 en guise d’exemples de ce qui est considéré comme un revenu d’emploi ou de travail indépendant. Le fait que le demandeur ait déclaré des revenus dans ces cases ne constitue pas, en soi, une preuve des revenus.

[17] Comme l’a expliqué la Cour dans la décision Santaguida c Canada (Procureur général), 2022 CF 523 :

[26] Conformément à l’article 6 de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2, le demandeur était tenu de fournir tout renseignement exigé par l’ARC relativement à la demande.

[27] Pour déterminer si un demandeur était admissible, les agents se servaient d’un document intitulé « Confirmation de l’admissibilité à la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE), et à la Prestation canadienne de la relance économique pour proches aidants (PCREPA), et à la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique (PCMRE) » [les lignes directrices de l’ARC] pour les orienter. Il y était question des documents que devait présenter le demandeur pour démontrer qu’il avait gagné au moins 5 000 $. Comme preuve acceptable des revenus d’emploi, le demandeur pouvait fournir des bordereaux de paie récents, des lettres de vérification de l’emploi, un relevé d’emploi, des relevés bancaires comprenant le nom, l’adresse et le dépôt de la paie, ainsi que tout autre document qui permettait de justifier un revenu d’emploi de 5 000 $. Pour ce qui est des revenus d’un travail indépendant, les lignes directrices de l’ARC donnaient plusieurs exemples d’une preuve acceptable, dont des factures aux clients indiquant la date du service, le nom du client, le coût du service et le type de paiement reçu.

[18] Ainsi, tant selon la LPCRE que selon les lignes directrices de l’ARC, un demandeur doit fournir la preuve de ses revenus afin de démontrer son admissibilité à la PCRE. En l’espèce, le demandeur a insisté sur le fait que tout autre document, y compris ses relevés bancaires, contenait des renseignements confidentiels; il n’a donc fourni aucun document autre que ses feuillets T4 et T4A.

[19] Compte tenu de la preuve limitée présentée par le demandeur à l’ARC jusqu’à maintenant, je conviens avec le défendeur qu’il ne serait pas approprié, en l’espèce, que la Cour ordonne à l’ARC de conclure que le demandeur avait gagné des revenus d’au moins 5 000 $ et qu’il était donc admissible à la PCRE.

[20] Pour étayer sa position, le demandeur cite le passage suivant de la décision Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139, rendue par la juge Strickland :

[32] Les lignes directrices sur la PCRE indiquent que le revenu gagné doit être un revenu d’emploi ou de travail indépendant. Il est possible d’établir ceci en consultant la déclaration de revenu[s] de 2019, plus précisément les revenus d’un travail indépendant figurant aux lignes 13499 [à] 14299 (revenu brut) et aux lignes 13500 à 14300 (revenu net). Si le demandeur n’a pas gagné au moins 5 000 $ en 2019, l’agent doit lui demander, d’une part, s’il a travaillé et gagné un revenu entre le 1er janvier 2020 et la date de la demande de prestations et, d’autre part, la source du revenu et le montant gagné. Le document précise ceci : [traduction] « Si vous déterminez que des documents sont requis, indiquez au demandeur les documents qu’il doit fournir pour prouver qu’il a gagné au moins 5 000 $ au cours des 12 derniers mois. »

[21] En tout respect, rien dans le passage cité ci-dessus ne donne à penser que l’ARC doit s’appuyer uniquement sur la déclaration de revenus pour confirmer l’admissibilité d’un demandeur. Il confirme plutôt que, si elle estime que d’autres documents sont requis, l’ARC doit en informer le contribuable. Comme elle ne l’a pas fait en l’espèce, elle a manqué à son obligation d’équité procédurale. Il ne s’ensuit toutefois pas que l’ARC ne peut pas demander d’autres documents au demandeur.

[22] L’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’adjuger des dépens. Après avoir examiné les facteurs à prendre en compte énoncés au paragraphe 400(3) des Règles, je ne suis pas d’avis qu’il serait approprié d’adjuger des dépens en l’espèce.

[23] En outre, je ne suis pas convaincue qu’il s’agit d’une situation où une partie se représentant elle-même qui a eu gain de cause devrait se voir accorder une indemnité pour le temps et les efforts consacrés à la défense de la cause. Le demandeur n’a pas eu entièrement gain de cause dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire et il n’a pas démontré qu’il avait engagé un coût de renonciation en cessant d’exercer une activité rémunératrice pour se préparer à défendre sa cause : Yu c Canada (Procureur général), 2011 CAF 42 au para 37.

[24] Par conséquent, j’annulerai la décision et je renverrai l’affaire à un autre décideur afin qu’il rende une nouvelle décision. Ce faisant, j’invite le ministre à offrir au demandeur l’occasion de présenter des observations et des documents supplémentaires.

IV. Conclusion

[25] La demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

[26] Aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T-429-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-429-22

 

INTITULÉ :

SHIRAZ VIRANI c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 octobre 2022

 

COMPARUTIONS :

Shiraz Virani

 

Pour le demandeur
(Pour son propre compte)

 

Jessica Ko

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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