Dossier : IMM-13-22
Référence : 2022 CF 1448
Ottawa (Ontario), le 24 octobre 2022
En présence de l’honorable monsieur le juge Pamel
ENTRE :
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KHEIR EDDINE AMARA
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] Le demandeur, M. Kheir Eddine Amara, demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR] le 26 novembre 2021, qui confirme le bien-fondé d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR]. La SPR et la SAR ont conclu que M. Amara ne ferait pas face, selon la prépondérance des probabilités, à un risque personnalisé au sens du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], et ont rejeté sa demande d’asile.
[2] M. Amara soumet qu’une erreur fatale entache le raisonnement de la SAR, en ce qu’elle n’a pas tenu compte du profil de l’agent de persécution dans son analyse des raisons qui ont mené M. Amara à ne pas se prévaloir de la protection de l’État algérien. Pour les motifs qui suivent, je souscris aux arguments de M. Amara et conclus que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.
[3] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : la décision de la SAR est-elle raisonnable? La norme de contrôle appropriée pour la révision d’une décision de la SAR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17 [Vavilov]). Le rôle de la Cour est d’examiner le raisonnement suivi par le décideur administratif et le résultat obtenu pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles »
(Vavilov au para 85).
[4] À titre préliminaire, je note que le demandeur a identifié le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à titre de défendeur dans le cadre de la présente demande. Or, comme le souligne le procureur général du Canada, en vertu du paragraphe 4(1) de la LIPR, le ministre chargé de l’application de la LIPR est, sauf disposition contraire, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. La détermination de l’admissibilité d’une demande de réfugié ne fait pas partie des exceptions prévues aux paragraphes subséquents de l’article 4 de la LIPR et constitue la prérogative du ministre. Par conséquent, l’intitulé de la cause est modifié par la suppression du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et par l’ajout du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.
[5] M. Amara est citoyen de l’Algérie. La SPR a retenu du témoignage de M. Amara qu’au mois de mai 2018, il a été faussement accusé par son oncle d’avoir volé une somme d’argent appartenant à sa grand-mère. L’oncle de M. Amara a inventé cet incident afin de réclamer cette somme d’argent au père du demandeur. Par la suite, l’oncle a proféré des menaces de mort à de nombreuses reprises à l’endroit de M. Amara et s’est présenté chez lui avec certains amis afin de l’agresser et de lui extorquer de l’argent. Le demandeur a quitté l’Algérie pour se rendre au Canada en juillet 2018 et déposé sa demande d’asile le 6 août 2018.
[6] La SPR a conclu que M. Amara n’avait pas épuisé tous les recours raisonnables pour obtenir la protection de l’État algérien et qu’il n’avait pas prouvé qu’il aurait été objectivement déraisonnable pour lui de le faire. La SPR a identifié deux arguments présentés par M. Amara pour justifier sa décision de ne pas dénoncer la situation à la police et de ne pas porter plainte contre son oncle, soit : a) qu’il ne voulait pas nuire ultérieurement à toute sa famille; et b) que son oncle a de nombreux liens avec les forces policières du quartier et leur fournit des informations concernant le trafic de drogue local.
[7] Au terme de son analyse, la SPR a conclu que le premier argument de M. Amara était déraisonnable dans les circonstances, et que son comportement dans cette situation n’était pas compatible avec celui d’une personne alléguant être exposée à un risque au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR. Quant au deuxième argument, la SPR a déterminé, sur la base des allégations de M. Amara, que son oncle ne travaillait pas pour les policiers et qu’il n’était pas payé, que les policiers ne collaboraient pas avec l’oncle mais se servaient plutôt de lui afin de recueillir des informations. La SAR a conclu que la justification de M. Amara à cet égard n’était pas raisonnable et que celui-ci aurait tout de même pu demander l’aide des autorités policières.
[8] En appel de la décision de la SPR, la SAR a noté que la SPR a jugé les arguments de M. Amara insuffisants pour renverser la présomption de la capacité et de la volonté de l’État de protéger ses citoyens. La SAR a aussi évoqué les observations écrites contenues dans le mémoire d’appel de M. Amara, selon lesquelles il avait voulu demander la protection de l’État, mais qu’il n’avait pu le faire par crainte subjective de nuire au tissu familial et d’aggraver peut-être la situation, surtout que son oncle est un informateur de la police. Procédant à sa propre analyse du dossier de M. Amara, la SAR a fourni les explications suivantes :
Vos explications selon lesquelles vous ne vouliez pas nuire au tissu familial et peut-être aggraver la situation ne constituent pas un critère pertinent ou, en tout cas, suffisant dans l’analyse de la protection que peuvent vous accorder les autorités de votre pays. Autrement dit, votre réticence à faire des démarches dans le but d’obtenir leur protection ne permet pas, à elle seule, de renverser la présomption qui prévaut dans ce domaine. Il vous fallait également démontrer qu’il aurait été objectivement déraisonnable pour vous de demander la protection des autorités de votre pays, ce que vous n’avez pas fait.
[9] La SAR a ainsi conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en jugeant que M. Amara n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État algérien et a confirmé la décision de la SPR.
[10] M. Amara soutient qu’il était déraisonnable pour la SAR de baser l’analyse de sa crainte de se prévaloir de la protection offerte par l’État uniquement sur sa volonté de ne pas nuire au tissu familial, alors que le profil de l’agent de persécution était un élément crucial de sa demande. M. Amara soutient que la décision ne laisse pas transparaître les raisons qui ont mené la SAR à ne pas considérer cet argument. M. Amara prétend qu’ainsi, plusieurs faits allégués quant à cet enjeu n’ont pas été pris en compte par la SAR, soit que son oncle reçoit des avantages de la police sous forme pécuniaire ou de faveurs en échange de ses informations, qu’il a fait suspendre le permis de conduire du père de M. Amara à deux reprises sans raison, et qu’il a indiqué au père de M. Amara que si celui-ci retournait en Algérie, il le saurait la journée même.
[11] M. Amara soutient qu’il a été jugé crédible tant par la SPR que la SAR, et qu’en conséquence la SAR devait procéder à l’analyse de cet argument qui était indispensable au soutien de sa demande. Il soumet qu’il était loisible à la SAR de réfuter ses prétentions, mais que de ne pas en tenir compte porte un coup fatal à la raisonnabilité de la décision.
[12] Je suis d’accord avec M. Amara. La SPR a adéquatement relevé les deux éléments qui supportaient la réticence de M. Amara à se prévaloir de la protection de l’État, à savoir la crainte de conflits familiaux et le lien de son oncle avec la police, et, après les avoir analysés, les a jugés insuffisants. Dans le cadre de sa propre analyse, il incombait à la SAR d’en faire autant. Il est possible que la SAR ait douté de la crédibilité des explications de M. Amara quant à sa crainte concernant l’étendue de l’influence de son oncle sur les forces policières et les conséquences possibles advenant le dépôt d’une plainte à la police. Il n’en reste pas moins que la SAR se devait d’aborder ces explications dans ses motifs, puisqu’elles constituaient un argument central du dossier de M. Amara.
[13] Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que la décision de la SAR n’est pas fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui se justifie au regard des contraintes juridiques et factuelles. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
ORDONNANCE au dossier IMM-13-22
LA COUR ordonne que :
L’intitulé de la cause est modifié pour que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme le défendeur approprié.
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
« Peter G. Pamel »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-13-22
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INTITULÉ :
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KHEIR EDDINE AMARA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 20 SEPTEMBRE 2022
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE PAMEL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 24 octobre 2022
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COMPARUTIONS :
Me Jihane Chikhi
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Pour le demandeur
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Me Maximilien Sauvé-Bourassa
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Jihane Chikhi
Montréal (Québec)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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