Dossier : IMM-8032-21
Référence : 2022 CF 1427
Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2022
En présence de l'honorable monsieur le juge Gleeson
ENTRE :
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DAVID ISRAEL PEREZ PASILLAS
JESSICA PAOLA AGUILA MC PHERSON
MATEO DAVID PEREZ AGUILA
KATIA PAOLA PEREZ AGUILA
JULIETA FERNANDA PEREZ AGUILA
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] M. David Israel Perez Pasillas (le demandeur principal), sa conjointe Jessica Paola Aguila Mc Pherson (la demanderesse secondaire), et leurs enfants Mateo David, Katia Paola, et Julieta Fernanda Perez Aguila, sont des citoyens du Mexique. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 14 octobre 2021 de la Section d’appel des réfugiés [SAR] rejetant leur appel du refus d’octroi du statut de réfugié par la Section de la protection des réfugiés [SPR]. La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention et de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR], car ils n’avaient pas été victimes de persécution au Mexique, ni des personnes à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR à cause d’un manque de crédibilité.
[2] Je ne suis pas convaincu que l’intervention de la Cour est justifiée. La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.
II.
Contexte de l’affaire
[3] Le demandeur principal allègue craindre le Cartel Sinaloa [Cartel] et un homme qui habitait dans son quartier ayant des liens avec ce Cartel [M. X]. Le demandeur principal a rencontré M. X dans le cadre de son entreprise. En effet, le demandeur principal vendait des voitures usagées sur un site près de chez lui. M. X voulait donner une Mazda X9 2011 en paiement partiel pour un des véhicules du demandeur principal. Le 9 juillet 2019, la transaction a été finalisée chez M. X avec un paiement en argent comptant du solde de la valeur de l’auto vendue. L’échange de la Mazda X9 2011 est au cœur des prétentions du demandeur dans cette demande d’asile.
[4] Le 28 juillet 2019, alors qu’ils conduisaient la Mazda X9, les conjoints demandeurs ont été interceptés et fouillés par la police de l’État. Un policier leur a posé des questions sur la provenance du véhicule et a demandé aux demandeurs à quel cartel ils appartenaient. Le policier a aussi montré au demandeur principal des photos cellulaires de certaines personnes à côté de la Mazda X9. Le demandeur principal a répondu qu’il ne connaissait pas les gens sur les photos, mais en fait il a reconnu M. X. Selon les policiers, la Mazda X9 était impliquée dans la séquestration des gens et dans la distribution de drogue par le Cartel. Un policier a informé le couple qu’ils les surveilleraient pour des activités liées au Cartel. La famille n’a plus sorti le véhicule et l’a vendu le 22 septembre 2019.
[5] Dans leur demande de statut de personnes à protéger, le demandeur principal a rapporté avoir reçu un appel le 5 août 2019 d’un numéro inconnu dans lequel un associé de M. X a menacé de le tuer s’il divulguait l’adresse de ce dernier. Durant cet appel, l’associé a également fait mention du Cartel et a proféré des menaces contre la famille du demandeur principal.
[6] Suite à cet appel, les demandeurs ont vu des hommes dans une auto stationnée devant leur domicile. Plus tard dans la journée, un des hommes s’est présenté à la porte, mais les demandeurs n’ont pas répondu. Quelques jours plus tard, un homme inconnu s’est présenté à l’école de leur fille pour la chercher, en se faisant passer pour son oncle. À ce moment, les demandeurs ont décidé de quitter le Mexique.
[7] Les demandeurs indiquent également être mormons. Ils allèguent qu'ils ont été persécutés au sens de l’article 96 de la LIPR en raison de leurs croyances religieuses. Ils affirment que leur retour au Mexique les exposerait de nouveau à la persécution.
Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire
[8] Deux questions ont été soulevées devant la SAR. Premièrement, la SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs en ce qui concerne leur crainte déclarée du Cartel? Deuxièmement, la SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la discrimination subie par les demandeurs en tant que mormons n'atteignait pas le niveau de persécution?
[9] En appliquant la norme de contrôle de la décision correcte après un examen indépendant de la preuve, la SAR a conclu que le demandeur principal n’était pas un témoin crédible concernant les faits liés à la vente de la Mazda X9. Le SAR notait que dans son témoignage le demandeur principal affirmait que la Mazda X9 avait été vendue à M. X, contrairement au récit dans son formulaire de fondement de la demande d’asile [FDA], où il a écrit que M. X avait donné une Mazda X9 2011 en acompte pour une de ses autos. Selon la SAR, la transaction impliquant la Mazda est au cœur de la crainte alléguée par les demandeurs. Les détails de la transaction y compris les dates, les noms et les circonstances auraient dû être racontés dans le FDA, et à moins d’une explication satisfaisante, le récit ne devrait pas contredire ce que les demandeurs d’asile témoignent devant le tribunal. Ici, les contradictions ne sont pas isolées, puisque les demandeurs se sont également contredits durant leur témoignage.
[10] Les demandeurs ont eu plusieurs occasions d’expliquer les différents écarts. Toutefois, ils ont plutôt donné des versions contradictoires de la transaction impliquant la Mazda. Comme toutes les autres allégations quant à leur demande d’asile selon l’article 97 de la LIPR découlaient de ces explications contradictoires, la SAR a déterminé que les demandeurs n’avaient pas établi par prépondérance des probabilités qu’ils étaient exposés à une menace à la vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités par M. X ou le Cartel Sinaloa.
[11] Quant à la crainte liée à la religion, la SAR a identifié les principes énoncés dans la jurisprudence qui doivent être pris en compte pour évaluer si les actes de harcèlement atteignent le niveau de la persécution (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Munderere, 2008 CAF 84 au para 41 [Munderere]). Après avoir considéré les récits du demandeur principal et de la demanderesse secondaire ainsi que leurs témoignages, la SAR a reconnu que les demandeurs avaient été victimes de discrimination au Mexique mais a conclu que ces actes, considérés cumulativement, n'atteignaient pas le niveau de la persécution. La SAR a déterminé que les demandeurs n’ont pas démontré une possibilité sérieuse de persécution en raison de leurs croyances religieuses.
IV.
Question en litige et norme de contrôle applicable
[12] Les demandeurs ont identifié deux questions :
La SAR a-t-elle erré dans l’analyse de la crédibilité des demandeurs?
La SAR a-t-elle erré dans l’analyse de la notion de la persécution versus la discrimination?
[13] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]). Une décision raisonnable reflète les caractéristiques de la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov, ci-dessus, au para 99). En appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, la Cour ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif. En contrôle judiciaire, la Cour n’est plutôt appelée qu’à décider le caractère raisonnable de la décision, ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu (Vavilov, ci-dessus, au para 83).
V.
Analyse
A.
Crédibilité
[14] La décision de la SAR est raisonnable. L’histoire de la transaction de la Mazda a évolué tout au long du témoignage des demandeurs. L'évolution ne concernait pas des détails périphériques ou insignifiants, mais avait plutôt un impact sur les aspects fondamentaux de l'histoire. D’une part, le récit indiquait que la Mazda avait été reçue par le demandeur principal en paiement d'un autre véhicule. D’une autre part, le demandeur a spécifié lors de son témoignage devant la SPR avoir vendu la Mazda à M. X. Lorsque la SPR a soulevé cette incohérence, les demandeurs ont ensuite témoigné que plusieurs transactions se sont produites, ce qui a soulevé d'autres questions et incohérences. Dans ces circonstances, il était donc raisonnable pour la SAR de conclure que les demandeurs n’étaient pas crédibles.
[15] Il était également raisonnable pour la SAR de conclure, comme elle l'a fait, que la transaction impliquant la Mazda était au centre de la demande d’asile en vertu de l'article 97. N’ayant pas de preuve crédible et fiable que la transaction alléguée avait eu lieu, la SAR pouvait ainsi raisonnablement conclure qu'une menace à la vie en vertu de l'article 97 n'avait pas été établie.
B.
Discrimination vs persécution
[16] Afin de déterminer si la discrimination subie par les demandeurs en tant que mormons au Mexique atteignait le niveau de la persécution, la SAR a identifié la jurisprudence applicable. La SAR a ensuite exposé avec précision chacun des actes de discrimination allégués par les demandeurs et a procédé à une analyse visant à déterminer si les actes discriminatoires individuels ont atteint le niveau de la persécution. Concluant que ce n'était pas le cas, la SAR a ensuite examiné les actes de discrimination allégués de manière cumulative. En effectuant cette analyse, la SAR a correctement identifié les principes applicables (Munderere, ci-dessus, au para 41 citant Mete c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 840 et Rajudeen c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1984) 55 NR 129 (CAF)) et a fourni une justification transparente de ses conclusions.
[17] Les demandeurs soutiennent que la seule raison pour laquelle ils ont continué à être impliqués dans la société en général c’est parce qu'ils ont cessé de démontrer publiquement leur association à la religion mormone. La demanderesse secondaire a témoigné que la famille avait pris la décision de mettre la religion de côté parce qu’ils ne voulaient pas que leurs enfants subissent les attaques psychologiques alléguées par la demanderesse.
[18] La SAR a reconnu cet élément de preuve, mais a conclu qu'il était insuffisant pour atteindre le seuil de gravité pour constituer la persécution. En effet, elle a raisonnablement pris en considération le fait que les enfants étaient inscrits et allaient à l'école, que la famille est une famille mixte catholique/mormone et que les demandeurs ont témoigné qu'ils menaient une vie très stable au Mexique pour en venir à cette conclusion. Ainsi, je ne suis pas convaincu que la SAR ait commis une erreur justifiant l’intervention de la Cour.
VI.
Conclusion
[19] La décision de la SAR est raisonnable, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-8032-21
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question n’est certifiée.
Blanc
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blanc
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-8032-21
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INTITULÉ :
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DAVID ISRAEL PEREZ PASILLAS ET AL c LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 21 septembre 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS:
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LE JUGE GLEESON
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DATE DES MOTIFS :
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LE 19 OCTOBRE 2022
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COMPARUTIONS :
Me Susan Ramirez
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Pour les demandeurs
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Me Annie Flamand
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Susan Ramirez
Avocate
Montréal (Québec)
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Pour les demandeurs
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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