Date : 20221014
Dossier : T-448-22
Référence : 2022 CF 1402
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 14 octobre 2022
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE : |
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
demandeur |
et |
FABIO VARIOLA |
défendeur |
ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] Le procureur général du Canada a introduit une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale [division d’appel]. La division d’appel a refusé d’accorder la permission d’interjeter appel de la décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Pour les motifs exposés ci-dessous, j’accueillerai la demande de contrôle judiciaire.
I. Contexte
[2] L’enfant de M. Variola est né en septembre 2020. Le 31 août 2021, M. Variola a demandé 16 semaines de prestations parentales standards de l’assurance-emploi [AE]. La Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23 [la Loi sur l’AE] prévoit deux options pour les prestations parentales : (i) l’option standard avec un taux de prestations plus élevé, versé jusqu’à concurrence de 35 semaines; et (ii) l’option prolongée avec un taux de prestations moins élevé, versé jusqu’à concurrence de 61 semaines.
[3] Le 25 septembre 2021, soit trois semaines après le début des 16 semaines de prestations parentales demandées par M. Variola, la Commission de l’assurance-emploi du Canada [la Commission] a cessé de verser des prestations à M. Variola. En effet, selon l’option standard, la Commission ne peut pas verser de prestations à un demandeur plus de 52 semaines après la semaine de naissance de l’enfant [la période de prestations parentales].
[4] M. Variola a ensuite demandé à la Commission de passer de l’option standard à l’option prolongée. La Commission a refusé la demande de M. Variola aux termes du paragraphe 23(1.2) de la Loi sur l’AE, qui dispose qu’un prestataire ne peut changer d’option une fois que la Commission a commencé à verser des prestations parentales.
[5] M. Variola a interjeté appel de la décision de la Commission devant la division générale au motif que les renseignements relatifs à la période de prestations parentales ne figuraient pas sur le formulaire de demande, de sorte qu’il a dû se renseigner auprès de son employeur et consulter le site Web de Service Canada. Compte tenu (i) des renseignements que M. Variola a trouvés sur le site Web de Service Canada et (ii) des renseignements fournis par son employeur, M. Variola pensait qu’il pouvait demander et percevoir des prestations parentales à tout moment au cours des 78 semaines suivant la naissance de son enfant.
[6] La division générale a estimé que le choix de M. Variola n’était pas valide parce que le formulaire de demande de la Commission l’avait incité à faire le mauvais choix. La division générale s’est appuyée sur une conclusion de la division d’appel selon laquelle un choix fait avec des informations trompeuses de la part de la Commission n’est pas un choix valide : Commission de l’assurance-emploi du Canada c SA, 2021 TSS 406 au para 4.
[7] La Commission a demandé à la division d’appel la permission d’appeler de la décision de la division générale. La division d’appel a refusé d’accorder la permission à la Commission parce qu’elle a estimé que l’appel de la Commission n’avait aucune chance raisonnable de succès. La division d’appel a également refusé de prendre en considération de nouveaux éléments de preuve inclus dans la demande de permission de la Commission, à savoir un résumé des renseignements disponibles sur le site Web de Service Canada concernant la période de prestations parentales et un hyperlien permettant d’accéder à ces renseignements.
II. Questions en litige et norme de contrôle
[8] La seule question en litige soulevée dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si la décision de la division d’appel de rejeter la demande de permission d’en appeler au motif qu’aucun des arguments de la Commission n’avait de chance raisonnable d’être accueillis en appel, est déraisonnable.
[9] Les décisions de la division d’appel d’accorder ou non la permission d’en appeler sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Procureur général) c De Leon, 2022 CF 527 au para 18 [De Leon], Conte c Canada (Procureur général), 2021 CF 1182 au para 13, Andrews c Canada (Procureur général), 2018 CF 606 au para 17). Selon cette norme, la Cour doit évaluer si la décision administrative examinée démontre un raisonnement qui est rationnel et logique, de sorte qu’elle est justifiée en vertu du droit et des faits pertinents : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 102 et 105 [Vavilov].
III. Thèses des parties
[10] Le demandeur prétend que la division d’appel a déterminé de manière déraisonnable (i) qu’il n’y avait pas d’argument défendable selon lequel la division générale avait commis des erreurs de droit et de fait en concluant que M. Variola avait été induit en erreur par un formulaire de demande peu clair; et en outre (ii) que la division générale avait commis une erreur de droit en n’appliquant pas le paragraphe 23(1.2) de la Loi sur l’AE.
[11] Premièrement, le demandeur prétend que le formulaire de demande d’assurance-emploi n’était pas trompeur et que M. Variola a plutôt mal compris le régime de prestations parentales de l’assurance-emploi suivant les renseignements reçus de son employeur. Le demandeur affirme en outre que la Commission n’est pas responsable des renseignements fournis par les employeurs à leurs employés et que la division d’appel n’a pas pris en compte la source de la confusion de M. Variola.
[12] Le demandeur prétend que la Cour a confirmé dans la décision De Leon, aux paragraphes 27 et 28, que le formulaire de demande d’assurance-emploi n’était pas en soi trompeur ou dépourvu de renseignements sur la demande de prestations parentales. Le demandeur invoque également la décision Karval c Canada (Procureur général), 2021 CF 395 au para 14 [Karval], pour faire valoir qu’il incombait en fin de compte à M. Variola de comprendre ce à quoi il avait consenti lorsqu’il a présenté sa demande.
[13] Deuxièmement, le demandeur affirme qu’en application du paragraphe 23(1.2) de la Loi sur l’AE, le choix des prestations parentales est irrévocable une fois que les paiements ont commencé. Le demandeur affirme que la division d’appel a conclu de manière déraisonnable qu’il n’était pas soutenable que la division générale ait omis d’appliquer cette disposition de la Loi sur l’AE.
[14] Plus précisément, le demandeur invoque l’arrêt Canada (Procureur général) c Hull, 2022 CAF 82 aux para 46 et 47 [Hull], pour soutenir que la Cour d’appel fédérale est claire quant à l’interprétation du paragraphe 23(1.2) de la Loi sur l’AE : le choix de prestations parentales que le demandeur fait sur le formulaire de demande est irrévocable une fois que les versements commencent. Le demandeur affirme que l’intention du législateur, telle qu’elle est expliquée au paragraphe 57 de l’arrêt Hull, confirme l’irrévocabilité du choix, de sorte que ni la Commission, ni la division générale, ni la division d’appel ne peuvent révoquer ou modifier ce choix.
[15] En réponse, M. Variola demande à la Cour de rejeter la demande et d’ordonner le paiement de la différence entre les prestations qu’il a déjà reçues au titre de l’option standard (1 914 $) et celles qu’il aurait reçues s’il avait choisi l’option prolongée sur le formulaire de demande (6 128 $), soit un total de 4 214 $.
[16] Premièrement, M. Variola affirme qu’il serait injuste que la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire de la décision de ne pas accorder la permission, car cela entraînerait une longue procédure de réexamen de la demande de permission d’en appeler, un appel potentiel et, en fin de compte, un retard supplémentaire dans le versement à M. Variola du solde des prestations parentales qui lui sont dues au titre de l’option prolongée.
[17] Deuxièmement, M. Variola prétend que l’interprétation du paragraphe 23(1.2) de la Loi sur l’AE par la Commission est erronée et que l’interprétation correcte est celle de la division générale, qui prend en considération des facteurs contextuels tels que l’erreur humaine, des instructions imprécises, le stress, les barrières linguistiques et l’analphabétisme fonctionnel. M. Variola estime qu’il convient donc de faire preuve de retenue à l’égard des décisions de la division générale et de la division d’appel. Lors de l’audience du 28 septembre 2022, M. Variola a ajouté que la loi ne devrait pas être appliquée de manière rigide, selon le principe du « tout ou rien »
, ce qui conduirait à un résultat inéquitable parce qu’il ne prend pas en compte les circonstances individuelles.
[18] Troisièmement, M. Variola prétend que la jurisprudence invoquée par le demandeur n’est pas pertinente ou que les faits sont différents de son affaire. Il affirme que dans la décision Karval, les éléments de preuve ont montré que la demanderesse n’avait pas été induite en erreur par le formulaire de demande, mais qu’elle avait l’intention de modifier son choix afin de demander des prestations auxquelles elle n’avait pas droit.
[19] M. Variola fait valoir que dans la décision De Leon et l’arrêt Hull, les deux demandeurs se sont vu garantir un soutien financier par l’intermédiaire des prestations parentales, parce qu’ils contestaient leur choix d’option dans la période de prestations parentales, mais il affirme qu’il serait privé de tout soutien financier au-delà de la période de prestations parentales dans le cadre de l’option standard.
[20] Enfin, M. Variola souligne qu’il se représente lui-même, qu’il n’a pas de formation juridique (il est professeur d’ingénierie) et qu’il demande à la Cour de considérer qu’il est désavantagé en tant que partie non représentée. Lors de l’audience, M. Variola a déclaré qu’il était kafkaïen d’être poursuivi sans relâche (avec des appels) par l’entité même qui est censée l’aider, en tant que contribuable, à obtenir des prestations parentales, et qu’en fin de compte, il défendait simplement ses droits et ne demandait pas plus que ce à quoi il pensait avoir droit en ce qui concerne les prestations parentales.
IV. Analyse
[21] Le paragraphe 58(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 [Loi sur le MEDS] dispose que « [l]a division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès »
. Selon l’interprétation que les tribunaux ont donnée à cette disposition, le seuil pour accorder la permission d’en appeler est bas (Ingram c Canada (Procureur général), 2017 CF 259 au para 14), exigeant du demandeur qu’il démontre seulement une « cause défendable »
sur les motifs d’appel (Fancy c Canada (Procureur général), 2010 CAF 63 aux para 2 et 3).
[22] Le paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS dispose que les seuls motifs d’appel devant la division d’appel sont les suivants :
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[23] Je suis d’avis que la division d’appel a conclu de manière déraisonnable qu’il n’y avait pas de cause défendable pour l’un ou l’autre des motifs d’appel. Premièrement, la division générale a commis une erreur de fait et de droit en concluant que M. Variola avait été induit en erreur par le formulaire de demande, et la division d’appel a confirmé cette conclusion de manière déraisonnable. Deuxièmement, la division générale a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le paragraphe 23(1.2) de la Loi sur l’AE, tel qu’il est interprété par la jurisprudence contraignante que sont les jugements Karval, De Leon et Hull.
[24] Avant de commencer l’analyse, je note que l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire pourrait être lourde sur le plan financier pour M. Variola. De toute évidence, ce dernier est sincère dans sa perception qu’il s’agit d’un résultat injuste. Cependant, comme l’a récemment déclaré la juge Rivoalen dans l’arrêt Hull, [traduction] « l’issue du présent contrôle judiciaire pourrait avoir d’importantes répercussions financières pour la défenderesse »
(paragraphe 25), mais comme l’a précédemment noté le juge de Montigny de la même Cour dans l’arrêt Wilson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 49 au para 14, « la loi telle qu’elle est rédigée doit être appliquée et il n’appartient pas à la Cour de rendre des décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire »
.
[25] En ce qui concerne l’analyse, tout d’abord, de la question de savoir si M. Variola a été induit en erreur par le formulaire de demande, le juge Barnes a formulé des commentaires utiles sur cet argument au paragraphe 14 de la décision Karval :
Il est certain que bon nombre de programmes de prestations gouvernementales sont complexes et assortis de conditions d’admissibilité strictes. Il est presque toujours possible, après coup, de conclure qu’il aurait fallu donner plus d’information, recourir à un langage plus clair et fournir de meilleures explications. Si un prestataire est réellement induit en erreur parce qu’il s’est fié à des renseignements officiels et erronés, la doctrine des attentes raisonnables lui offre certains recours juridiques. Cependant, lorsqu’une prestataire comme Mme Karval n’est pas induite en erreur, mais qu’elle ne possède tout simplement pas les connaissances nécessaires pour répondre correctement à des questions qui ne sont pas ambiguës, il n’y a aucun recours possible en droit. Il incombe fondamentalement au prestataire d’analyser soigneusement les options possibles et de tenter de les comprendre puis, si des doutes subsistent, de poser des questions.
[26] Les commentaires du juge Barnes mettent en lumière trois notions importantes : (i) les programmes de prestations publiques sont complexes et pourraient toujours être mieux expliqués a posteriori, de sorte que l’absence de renseignements clairs ne peut constituer une information trompeuse; (ii) il incombe au prestataire de rechercher des renseignements supplémentaires; et (iii) il existe toujours un recours juridique si un prestataire est effectivement induit en erreur.
[27] M. Variola a indiqué dans sa demande de réexamen à la Commission, dans son recours devant la division générale et dans ses observations devant la Cour, qu’il avait été induit en erreur par (i) l’absence de renseignements sur la période de prestations parentales et (ii) les renseignements qu’il a demandés à son employeur. Cependant, la jurisprudence établit deux points qui contredisent les arguments de M. Variola. Premièrement, la simple absence de renseignements clairs – si tel était le cas en l’espèce – ne peut constituer une information trompeuse, et deuxièmement, il incombe au prestataire de rechercher des renseignements supplémentaires (voir les décisions Karval, au para 14, et De Leon, au para 27).
[28] En l’espèce, M. Variola affirme qu’il s’est acquitté de cette obligation en consultant le site Web de Service Canada. Il explique que la longueur de la période de prestations parentales est indiquée à plusieurs reprises, ce qui l’a amené à penser que la durée était la principale condition à remplir.
[29] Bien que le site Web de Service Canada indique la durée de la période de prestations parentales, la Commission a souligné dans ses observations dans la demande de permission d’en appeler à la division d’appel que le site Web précise également que « vous devez […] prendre [les prestations parentales] pendant des périodes précises à compter de la semaine de naissance de votre enfant [...] »
(en ligne : https://www.canada.ca/fr/services/prestations/ae/assurance-emploi-maternite-parentales.html).
[30] Malgré le refus de la division d’appel de prendre en considération cet élément de preuve parce qu’il s’agissait d’un nouvel élément de preuve, je trouve que les renseignements sur la période de prestations parentales sur le site Web de Service Canada ne sont ni obscurs ni trompeurs. Cela dit, je ne doute pas de la sincérité de M. Variola, tant dans ses efforts pour clarifier sa position avant sa demande de prestations parentales que, par la suite, dans les affirmations qu’il a faites à la Cour au sujet de sa confusion due aux renseignements qu’il a trouvés sur le site Web.
[31] En effet, et comme il est indiqué plus haut, notre Cour a déjà reconnu que le régime des prestations parentales était complexe (Karval, au para 14). Il exige donc une attention particulière de la part des demandeurs de prestations, comme M. Variola, qui ont des responsabilités exigeantes en tant que parents et professionnels actifs. Toutefois, la Cour a le devoir d’appliquer la loi telle qu’elle a été voulue par le législateur et telle qu’elle a été interprétée dans des précédents juridiques contraignants. Comme l’a expliqué le juge Evans dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Knee, 2011 CAF 301 au para 9, dans le contexte du régime de prestations d’assurance-emploi : « [...] des règles rigides sont toujours susceptibles de donner lieu à des résultats sévères qui paraissent en contradiction avec les objectifs du régime législatif. Toutefois, aussi tentant que cela puisse être dans certains cas (et il peut bien s’agir en l’espèce de l’un de ces cas), il n’est pas permis aux arbitres de réécrire la loi ou de l’interpréter d’une manière contraire à son sens ordinaire »
.
[32] M. Variola affirme également qu’il a demandé à son employeur des renseignements qui, selon lui, se sont révélés erronés. Bien qu’un prestataire puisse être induit en erreur en s’appuyant sur des « renseignements officiels et erronés »
(Karval, au para 14), les renseignements sur lesquels M. Variola s’est appuyé n’étaient pas des renseignements officiels puisqu’ils lui ont été fournis par son employeur. La Commission ne peut être tenue responsable des renseignements fournis par un employeur à ses employés.
[33] Deuxièmement, sur la question de l’application du paragraphe 23(1.2) de la Loi sur l’AE, je suis d’avis que la conclusion de la division d’appel selon laquelle il n’y a pas de cause défendable quant au fait que la division générale a commis une erreur de droit sur l’application de la Loi sur l’AE est déraisonnable. La division générale s’est appuyée à tort sur une série de décisions de la division d’appel dans lesquelles le choix d’un prestataire est jugé non valide dès le départ (Commission de l’assurance-emploi du Canada c MO, 2021 TSS 435, Commission de l’assurance-emploi du Canada c SA, 2021 TSS 406).
[34] Compte tenu de ces décisions, la division générale a autorisé M. Variola à modifier son choix alors que la Commission lui avait déjà versé des prestations parentales. Ces décisions interprètent le paragraphe 23(1.2) de la Loi sur l’AE de façon que le choix du prestataire est irrévocable une fois que les prestations sont versées seulement s’il s’agit d’un choix valide au départ. Dans sa décision de ne pas accorder la permission d’en appeler, la division d’appel précise que permettre à M. Variola de faire un choix valide n’est pas la même chose que de lui permettre de changer d’option.
[35] Toutefois, cette interprétation du paragraphe 23(1.2) a été corrigée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hull, de sorte que les tribunaux inférieurs ont décidé de ne pas suivre la décision de notre Cour dans l’affaire Karval – qui liait ces tribunaux. Dans l’arrêt Hull, la juge Rivoalen donne une interprétation sans équivoque de ces dispositions, à la lumière des nombreuses décisions contradictoires du Tribunal rendues par la division générale et la division d’appel au sujet des paragraphes 23(1.1) et 23(1.2) de la Loi sur l’AE. La Cour d’appel fédérale a conclu que le choix entre les deux options de prestations parentales fait par le demandeur de prestations sur le formulaire de demande est le choix du demandeur de prestations (paragraphe 23(1.1)) et qu’il est irrévocable une fois que les paiements commencent (paragraphe 23(1.2)) : arrêt Hull, aux para 46 à 49.
[36] Ainsi, l’interprétation de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hull élimine tout doute quant à la question de savoir si la Commission et le Tribunal doivent tenir compte du contexte dans lequel le prestataire a fait un choix pour déterminer si ce choix n’était pas valide, ou si la Commission et le Tribunal peuvent remplacer un choix non valide par une solution de rechange valide.
[37] La Cour d’appel fédérale explique en outre que l’élimination du doute au profit de la certitude est précisément la raison pour laquelle le législateur a choisi de rendre le choix irrévocable (Hull, au para 57). Bien que l’arrêt Hull ait été rendu après la décision de ne pas accorder la permission d’en appeler, l’irrévocabilité du choix aux termes du paragraphe 23(1.2) de la Loi sur l’AE a été confirmée dans la décision Karval, au paragraphe 14, et ni la division générale ni la division d’appel n’ont pas suivi les principes de ce précédent contraignant.
[38] M. Variola a choisi de bénéficier des prestations parentales au titre de l’option standard lorsqu’il a soumis son formulaire de demande. Il ne peut pas modifier ce choix maintenant qu’il a reçu les prestations parentales. L’interprétation du paragraphe 23(1.2) de la Loi sur l’AE par la division d’appel et la division générale n’est pas justifiée par rapport au droit et aux faits de la jurisprudence contraignante que sont les décisions Karval, De Leon et Hull (Vavilov, aux para 102 et 105). La division générale a donc commis une erreur de droit dans son interprétation du paragraphe 23(1.2) de la Loi sur l’AE, erreur qui rend la décision de la division d’appel déraisonnable.
[39] Je terminerai avec deux commentaires concernant M. Variola. Tout d’abord, en ce qui concerne sa sérénité et son professionnalisme en tant que partie qui se représente elle-même, j’ai trouvé que son comportement devant la Cour et ses observations écrites étaient exemplaires. Bien que ses arguments n’aient pas été retenus, je le félicite pour son travail important et pour l’aide qu’il a apportée à la Cour.
[40] Ensuite, lors de l’audience du 28 septembre 2022, M. Variola a suggéré d’améliorer le site Web de Service Canada afin de mettre en évidence la date de début de la période de prestations parentales. Il se peut que Service Canada envisage une mise à jour à l’avenir, afin de mieux préciser la distinction entre les prestations choisies et les conséquences de ce choix.
[41] En outre, comme l’a noté la juge Rivoalen dans l’arrêt Hull, au paragraphe 25, renvoyant à une décision de la division d’appel, [traduction] « il serait utile que la Commission prenne l’habitude d’envoyer systématiquement un relevé à tous les demandeurs de prestations avant d’envoyer le premier paiement de prestations parentales »
.
[42] De telles clarifications, selon M. Variola, auraient permis d’éviter la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui. Elles renseigneraient certainement les personnes dans la même situation à l’avenir, lorsqu’elles tentent de s’y retrouver dans le régime des prestations parentales.
[43] Enfin, compte tenu de toutes les circonstances, y compris le fait que le demandeur n’a pas demandé de dépens, il n’y a pas lieu d’en ordonner.
V. Conclusion
[44] Pour les motifs exposés ci-dessus, je fais droit à la demande de contrôle judiciaire, j’annule la décision de la division d’appel datée du 1er février 2022 et je renvoie l’affaire devant la division d’appel pour qu’elle soit réexaminée conformément à la présente ordonnance et aux présents motifs, le tout sans dépens.
JUGEMENT dans le dossier T-448-22
LA COUR ORDONNE :
La demande est accueillie.
La décision de la division d’appel est annulée et renvoyée à un autre membre de la division d’appel aux fins de réexamen conformément aux présents motifs.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Alan S. Diner »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-448-22 |
INTITULÉ :
|
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c FABIO VARIOLA |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
|
DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 28 septembre 2022
|
ORDONNANCE ET MOTIFS : |
LE JUGE DINER
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 14 octobre 2022 |
COMPARUTIONS :
Tiffany Glover |
POUR LE DEMANDEUR |
Fabio Variola |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
Pour le demandeur |
Aucun |
POUR LE DÉFENDEUR |