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Date : 19980731


Dossier: T-2153-95

ENTRE :


ANNA DUPUIS,


demanderesse,


et


SA MAJESTÉ LA REINE,


et


DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA,


défendeurs,


et


le COMMISSARIAT AUX LANGUES OFFICIELLES,


mis-en-cause.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE RICHARD MORNEAU

[1]      Il s'agit d'une requête que la défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, a présentée en vue d'obtenir une ordonnance radiant les paragraphes 11, 14, 15, 36, 53 et 54 de l'affidavit d'Eva Ludvig (les paragraphes contestés) déposé par le commissariat aux langues officielles (le CLO). Les motifs invoqués ne sont pas tant que les paragraphes contestés renferment une preuve par ouï-dire ou que Mme Ludvig n'avait pas personnellement connaissance des faits énoncés, comme l'intimée l'allègue dans son avis de requête, que le fait qu'ils renferment des conclusions de droit que le CLO a tirées ou dont la demanderesse a fait part au CLO. L'intimée soutient que lesdites conclusions ne sont pas pertinentes et qu'elles ne peuvent donc pas être admises en preuve étant donné qu'il appartient à la Cour plutôt qu'au CLO d'établir de nouveau les faits et de tirer ses propres conclusions de droit. L'avocat de l'intimée a soutenu qu'au moyen de ces conclusions, le CLO pourrait essayer d'influencer indûment la Cour en sa faveur.

[2]      Les paragraphes contestés sont ainsi libellés :

         [TRADUCTION]
         11.      Le CLO a fait enquête sur ces deux dossiers, DRHC a reconnu les erreurs qu'il avait commises et le commissaire a conclu que DRHC n'avait pas respecté les obligations qui lui incombaient en vertu de l'article 36 de la Loi sur les langues officielles.                 
         14.      Selon le dossier relatif à la plainte que j'ai examiné en préparant le présent affidavit, Mme Dupuis s'est présentée au bureau de Montréal le 1er août 1994 pour informer le CLO que DRHC ne satisfaisait toujours pas à ses obligations en ce qu concerne la langue de travail, qui lui incombaient en vertu de la partie V de la Loi, et ce, même si la direction lui avait assuré qu'il avait été remédié à la situation. Mme Dupuis affirmait également qu'elle faisait l'objet de discrimination parce qu'elle s'était plainte au CLO.                 
         15.      Plus précisément, Mme Dupuis affirmait qu'on avait continué à lui transmettre des communications internes se rapportant à la supervision et aux services centraux et personnels en français seulement, de sorte qu'elle se voyait refuser le droit de travailler dans la langue de son choix, qui était l'anglais. Mme Dupuis a informé l'agent régional des circonstances précises dans lesquelles il avait été porté atteinte au droit qu'elle avait de travailler en anglais.                 
         36.      Aucune des infractions susmentionnées n'a été niée par les représentants de DRHC lorsque nous les avons rencontrés dans le cadre de l'enquête. DRHC nous a plutôt informés des efforts qui étaient faits en vue de remédier à la situation. Par conséquent, l'enquête était axée sur les mesures réparatrices que DRHC devait prendre.                 
         53.      Lors de cette rencontre, les représentants du ministère n'ont jamais contesté les allégations de Mme Dupuis; ils ont reconnu que la partie V de la LLO n'était pas respectée au CEC de Verdun et qu'ils voulaient savoir quelle solution le CLO accepterait afin que l'affaire puisse être classée.                 
         54.      La rencontre était donc axée sur les solutions à apporter aux problèmes que Mme Dupuis avait soulevés dans sa plainte, et DRHC a signalé les efforts qui étaient faits en vue de remédier à la situation.                 

[3]      L'avocat de l'intimée a concédé que les passages soulignés de la citation pourraient continuer à figurer dans l'affidavit étant donné qu'ils ne renfermaient pas d'éléments non admissibles.

[4]      De son côté, l'avocate du CLO soutient qu'il est de droit constant qu'il appartient à la Cour d'apprécier la présente situation tant sur le plan des faits que du droit et que les paragraphes contestés n'ont donc pas été soumis en vue d'influencer la Cour. l'avocate a soutenu que l'affidavit de la représentante du CLO au Québec, Mme Eva Ludvig, avait été déposé de façon que la Cour puisse avoir une idée complète et exacte de l'enquête que le CLO avait menée à la suite de la plainte portée par la demanderesse.

[5]      On a attiré l'attention de la Cour sur le fait qu'après la signification de la requête ici en cause, mais avant l'audience, le CLO avait accepté de supprimer plusieurs autres paragraphes de l'affidavit d'Eva Ludvig, après que l'intimée eut allégué que ces paragraphes renfermaient des conclusions de droit et qu'ils n'énonçaient pas strictement des faits.

[6]      Il reste encore à décider si, dans ces conditions, les paragraphes contestés doivent faire l'objet d'une requête en radiation ou si la question du caractère adéquat des paragraphes contestés doit être débattue lorsque l'affaire sera entendue au fond.

[7]      La requête ici en cause est présentée dans le cadre d'un recours que la demanderesse a formé devant la Cour en vertu de la partie X de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), ch. 31 (4e supp) (la Loi).

[8]      Le paragraphe 77(1) et l'article 80 de la Loi se lisent comme suit :

         [TRADUCTION]
             77.(1) Quiconque a saisi le commissaire d'une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV ou V, ou fondée sur l'article 91 peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.                 
             80. Le recours est entendu et jugé en procédure sommaire, conformément aux règles de pratique spéciales adoptées à cet égard en vertu de l'article 46 de la Loi sur la Cour fédérale.                 
[9]      Conformément à ces dispositions et bien qu'aucune règle spéciale n'ait été adoptée conformément à l'article 46 de la Loi sur la Cour fédérale, la demanderesse a déposé une demande devant cette cour, le 12 octobre 1995, en vertu de l'article 77 de la Loi, au moyen d'un avis de requête introductive d'instance.
[10]      De toute évidence, la demanderesse a donc décidé d'agir par voie de demande plutôt que par voie d'action. Dans le jugement Lavigne c. Canada, [1997] 1 C.F. 305, à la page 317, cette cour a reconnu la validité de la procédure engagée par voie d'une demande même si dans cette affaire-là, comme c'est également ici le cas, le demandeur réclamait des dommages-intérêts :
         [TRADUCTION]
         [...] La Loi sur les langues officielles, par contre, contient l'article 80 libellé comme suit :
                 80. Le recours est entendu et jugé en procédure sommaire, conformément aux règles de pratique spéciales adoptées à cet égard en vertu de l'article 46 de la Loi sur la Cour fédérale.                         
             Ainsi, le législateur a précisé que la demande prévue à l'article 77 est entendue et jugée en procédure sommaire, conformément aux règles de pratique spéciales adoptées à cet égard en vertu de l'article 46 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 14; 1992, ch. 1, art. 68)]. Aucune règle de ce genre n'a été adoptée. Le requérant s'est conformé à la partie X de la Loi en agissant par voie de demande plutôt que par voie d'action. En l'absence de règles spéciales adoptées en application de l'article 46 de la Loi sur la Cour fédérale, la procédure établie en vertu de la partie X de la Loi devrait être respectée et recevoir plein effet de la façon pratique prévue par le législateur.                 
         [Je souligne.]                 

[11]      L'alinéa 304(1)c) des Règles de la Cour fédérale (1998), au moyen d'un renvoi à la Loi, semble confirmer que les recours prévus à la partie X de la Loi doivent être formés par voie de demande en vertu des articles 301 et suivants des Règles.

[12]      La présentation de l'avocat de l'intimée selon laquelle le recours formé par la demanderesse le 12 octobre 1995 doit être considéré comme une action ne peut pas être retenue, et ce, pour les motifs énoncés ci-dessus.

[13]      La requête en radiation ici en cause se rapporte donc à une demande. La jurisprudence relative à la question de savoir s'il est approprié de présenter une requête visant à faire radier une demande s'applique donc en l'espèce.

[14]      Dans l'arrêt Bull (David) Laboratories (Canada) Inc. v. Pharmacia Inc. et al. (1994), 176 N.R. 48, aux pages 54-55, voici ce que le juge Strayer a dit :

         Nous n'affirmons pas que la Cour n'a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. [Voir, par exemple, Cyanamid Agricultural de Puerto Rico Inc. v. Commissioner of Patents (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (C.F. 1re inst.); et l'analyse figurant dans la décision Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1994] 1 C.F. 102, aux pages 120 et 121 (C.F. 1re inst.)] Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête.                 
         [Je souligne.]                 
[15]      À la page 53, le juge Strayer avait déjà fait la remarque suivante :                 
         Ces éléments appuient l'opinion voulant que les requêtes en contrôle judiciaire doivent parvenir au stade de l'audition le plus rapidement possible. Les objections visant l'avis introductif d'instance peuvent ainsi être tranchées rapidement dans le contexte de l'examen du bien-fondé de la demande.                 

Voir également Merck Frosst Canada Inc. et al. v. Minister of National Health and Welfare et al. (1994), 58 C.P.R. (3d) 245, à la p. 248, et Glaxo Wellcome Inc. et al. c. le ministre de la Santé et du Bien-être et al., jugement inédit de cette cour en date du 6 septembre 1996, dossier du greffe T-793-96).

[16]      L'avocat de l'intimée a référé la Cour au jugement Dragage F.R.P.D. Ltée v. Bouchard et al. (1994), 84 F.T.R. 81, dans lequel la cour a accepté de radier plusieurs paragraphes d'un affidavit dans le cadre de la présentation d'une demande. Toutefois, il importe de noter que cette affaire a été tranchée avant que la Cour d'appel fédérale rende sa décision dans l'affaire Pharmacia.

[17]      Je conviens qu'il est de droit constant que lorsqu'un recours est formé en vertu de l'article 77 de la Loi, il appartient à cette cour d'en arriver à ses propres conclusions de fait et de droit. À cet égard, je doute qu'en soumettant les paragraphes contestés, le CLO ait réellement cru qu'il pouvait influencer cette cour en sa faveur. Je suis davantage porté à croire que l'affidavit d'Eva Ludvig a été soumis aux fins énoncées par l'avocate du CLO. Au mieux, la question de savoir si les paragraphes contestés sont adéquats est contestable; or, selon l'arrêt Pharmacia, il ne s'agit pas d'une question susceptible de faire l'objet d'une requête en radiation.

[18]      Pour les motifs susmentionnés, la requête est rejetée, les frais devant suivre l'issue de l'affaire.

[19]      Comme il en a ci-dessus été fait mention, au début de l'audition de la requête, l'avocate du CLO a reconnu qu'elle avait convenu de retirer plusieurs paragraphes de l'affidavit d'Eva Ludvig. L'avocate disposera d'un délai de dix (10) jours à compter de la date de l'ordonnance qui doit être rendue pour supprimer les passages en cause ainsi que pour signifier à toutes les parties l'affidavit modifié d'Eva Ludvig et pour déposer ledit affidavit.

     Richard Morneau

     Protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 31 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

Cour fédérale du Canada

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     No du greffe : T-2153-95

ENTRE :

     ANNA DUPUIS

demanderesse,


et

     SA MAJESTÉ LA REINE,


et

     DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA,

défendeurs,


et

     le COMMISSARIAT AUX LANGUES OFFICIELLES,

mis-en-cause.

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MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      T-2153-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :ANNA DUPUIS,


demanderesse,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

et

DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA,

défendeurs,

et

le COMMISSARIAT AUX LANGUES OFFICIELLES,

mis-en-cause.

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 27 juillet 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du protonotaire Richard Morneau en date du 31 juillet 1998

ONT COMPARU :

Mme Anna Dupuis      pour la demanderesse

M. Raymond Piché      pour les défendeurs

Mme Elizabeth Grace      pour le mis-en-cause

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. George Thomson      pour les défendeurs

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Mme Elizabeth Grace      pour le mis-en-cause

Ottawa (Ontario)

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