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Date : 20220830


Dossier : T‑1550‑22

Référence : 2022 CF 1246

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 30 août 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

KARL STONE EN SA QUALITÉ DE CONSEILLER DE LA PREMIÈRE NATION DE DAKOTA TIPI

demandeur

et

LE MINISTRE DE SERVICES AUX AUTOCHTONES CANADA, BURKE RATTE ET LA PREMIÈRE NATION DE DAKOTA TIPI, REPRÉSENTÉE PAR ERIC PASHE,

KYLE PASHE, CAMERON HALL

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] M. Karl Stone [le demandeur], un conseiller de la Première Nation de Dakota Tipi [la PNDT], présente une requête par laquelle il demande à la Cour de rendre une injonction interlocutoire interdisant à un président d’élection [le PE] de continuer d’agir à ce titre pour l’élection générale de la PNDT [l’élection], prévue demain, le 31 août 2022, afin qu’un nouveau PE soit nommé dans le cadre d’une réunion en bonne et due forme du conseil de bande de la PNDT. Dans les faits, le demandeur demande à la Cour de mettre un terme à l’élection.

[2] La requête est rejetée. J’expose mes motifs ci‑après.

II. Contexte

[3] La PNDT mène ses élections conformément à la Loi électorale au sein de premières nations, LC 2014, c 5 [la LEPN] et du Règlement sur les élections au sein de premières nations, DORS/2015‑86 [le REPN]. L’élection est prévue demain, le 31 août 2022. Plusieurs étapes dans le processus électoral ont déjà eu lieu : les investitures ont eu lieu le 27 juillet 2022; un scrutin par anticipation a eu lieu le 22 août 2022 à Winnipeg, et la date limite pour demander les bulletins de vote par correspondance était le 25 août 2022.

[4] C’est la nomination de l’un des PE, M. Burke Ratte [le PE Ratte], qui a donné lieu à la requête en l’espèce. Le demandeur a des préoccupations concernant la capacité du PE Ratte à administrer l’élection de manière équitable et impartiale. Plus particulièrement, d’après les renseignements fournis par un membre de la collectivité, le demandeur était préoccupé par le fait que des rapports commerciaux éventuels et réels entre la PNDT et le PE Ratte puissent donner lieu à un conflit d’intérêts, ainsi que par un arrangement conclu avec un partenaire d’affaires du PE Ratte par lequel ce dernier fournirait des fonds électoraux au chef Eric Pashe. Le demandeur ne conteste pas la nomination de l’autre PE, Sherry Lynn Gobeil, quoiqu’il fait valoir que la LEPN et le REPN n’ouvrent pas la porte à la nomination de co‑PE.

[5] Le demandeur affirme que la nomination des PE n’avait pas été faite en bonne et due forme, car on ne l’avait pas avisé de la réunion du conseil de bande au cours de laquelle la sélection des PE devait avoir lieu. Ce n’est que le 21 juillet 2022 qu’il a été informé de la nomination des PE, à la suite de conversations avec des représentants de Services aux Autochtones Canada et avec le chef de la PNDT, Eric Pashe.

[6] Les défendeurs affirment que la nomination du PE a été faite en bonne et due forme, car il est bien établi que les réunions du conseil de bande ont lieu tous les jeudis. Il y avait quorum à la réunion du conseil de bande le 23 juin 2022, lors de laquelle ce dernier a autorisé la nomination des PE. La résolution du conseil de bande confirmant la nomination des PE est datée du 27 juin 2022.

[7] La seule question à trancher est celle de savoir si le critère à satisfaire pour l’octroi d’une injonction a été satisfait.

III. Analyse

[8] Les parties conviennent qu’une injonction provisoire peut être accordée uniquement si le demandeur satisfait à un critère conjonctif à trois volets (RJR‑MacDonald Inc c Canada (PG), 1994 1 RCS 311, aux pages 314 et 315 [RJR]) :

(1) une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger;

(2) il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée;

(3) il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.

[9] Le premier volet du critère énoncé dans l’arrêt RJR a ensuite été modifié dans le cas d’une injonction mandatoire; il faut alors analyser si le demandeur a établi une forte apparence de droit (R c Société Radio‑Canada aux para 15 et 16 [SRC]).

A. L’existence d’une question sérieuse à juger et la forte apparence de droit

[10] Le demandeur n’a pas réussi à satisfaire à ce volet du critère. Je présenterai mes motifs à la suite d’un survol des arguments des parties.

[11] Le demandeur fait valoir que ce critère n’est pas exigeant et qu’il y a satisfait. Plus particulièrement, le volet relatif à la question sérieuse a été satisfait, car, comme c’était le cas dans une autre affaire dont a été saisie la Cour (Whitford v Red Pheasant First Nation, 2022 FC 436), le PE Ratte est en conflit d’intérêts et son intégrité est remise en question. Le demandeur affirme également qu’il n’a reçu aucun préavis de la réunion du conseil de bande au cours de laquelle le PE Ratte a été nommé.

[12] Les défendeurs font valoir que le critère plus strict s’applique, car c’est une injonction mandatoire qui est réclamée, et que le demandeur n’a pas satisfait à ce critère. Plus particulièrement, le demandeur n’a pas démontré une forte probabilité de réussite, parce qu’il avait été avisé de la réunion du conseil de bande et qu’aucun élément de preuve n’étaye les allégations contre le PE Ratte. Dans l’éventualité où la Cour conclut que les ordonnances sont de nature prohibitive, et donc qu’elles doivent être rendues suivant une analyse en fonction du critère plus souple, les défendeurs font valoir que ce critère n’a pas non plus été satisfait. Il n’y a aucune exigence stricte concernant la communication d’un préavis et, compte tenu du fait que les réunions du conseil de bande se tenaient tous les jeudis, le demandeur en était informé.

[13] Le premier volet du critère exige aussi que la Cour tienne compte de la question de savoir si les autres recours disponibles ont été épuisés (Newbould c Canada (PG), 2017 CAF 106 au para 24; Dugré c Canada (PG), 2021 CAF 8 au para 34, citant Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 aux para 30 à 32; McDonald c Première Nation dénésuline de Fond‑du‑Lac, 2021 CF 96 au para 16 [McDonald]).

[14] S’il existe un autre recours disponible et qu’un demandeur ne cherche pas à obtenir réparation par l’intermédiaire de celui‑ci, la demande sera jugée prématurée. En l’espèce, je conclus que, si le demandeur est d’avis que la nomination du PE Ratte contrevenait à la LEPN ou au REPN, il peut demander un recours par l’intermédiaire de l’article 31 de la LEPN.

Contestation

31 Tout électeur d’une première nation participante peut, par requête, contester devant le tribunal compétent l’élection du chef ou d’un conseiller de cette première nation pour le motif qu’une contravention à l’une des dispositions de la présente loi ou des règlements a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.

B. Le préjudice irréparable

[15] Le demandeur fait valoir qu’il subira un préjudice irréparable, car l’intégrité et l’exactitude des résultats de l’élection seront irrémédiablement entachées, ce qui se soldera par une perte de confiance envers le processus électoral démocratique.

[16] Les défendeurs font valoir que la PNDT subira un préjudice irréparable si le PE Ratte n’est pas autorisé à continuer à exercer ses fonctions et si l’élection est reportée. Le mandat du conseil de bande prend fin le 1er septembre 2022; par conséquent, il sera difficile de nommer un autre PE, car il n’y aura aucun conseil de bande en fonction.

[17] Étant donné que l’article 31 de la LEPN offre un autre recours au demandeur, je conclus que ce dernier n’a pas établi qu’il subira un préjudice irréparable (McDonald au para 20).

[18] Le demandeur n’a pas satisfait au critère conjonctif à trois volets régissant l’octroi d’une injonction interlocutoire, car il n’est pas parvenu à établir qu’il existe une forte apparence de droit et que le rejet de la demande entraînera un préjudice irréparable. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce sur le volet du critère relatif à la prépondérance des inconvénients.

[19] La requête du demandeur est rejetée.

 


ORDONNANCE dans le dossier T‑1550‑22

LA COUR ORDONNE QUE la requête en injonction interlocutoire du demandeur soit rejetée avec dépens.

« Paul Favel »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1550‑22

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

KARL STONE EN SA QUALITÉ DE CONSEILLER POUR LA PREMIÈRE NATION DE DAKOTA TIPI c LE MINISTRE DE SERVICES AUX AUTOCHTONES CANADA, BURKE RATTE ET LA PREMIÈRE NATION DE DAKOTA TIPI, REPRÉSENTÉE PAR ERIC PASHE, KYLE PASHE, CAMERON HALL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 août 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

Le juge FAVEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 août 2022

 

COMPARUTIONS :

Steven Hunter

James Beddome

 

Pour le demandeur

 

Richard Buchwold, C.R.

Joshua Lieberman

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Beddome and Longclaws Law Corporation

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

Pitblado LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour les défendeurs

 

 

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