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Date : 20050119

Dossier : IMM-9802-03

Référence : 2005 CF 74

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

RAFIQUL ISLAM SHAIKH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE

[1]        Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 20 novembre 2003 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), par laquelle la Commission a conclu que le demandeur n'était ni un réfugié ni une personne à protéger.

CONTEXTE

[2]        Le demandeur, Rafiqul Islam Shaikh, est un musulman de 44 ans originaire du Bangladesh.

[3]        Il craint, au sens des articles 96 et 97 de la LIPR, que le Parti national du Bangladesh (PNB) et le Jamat-e-Islami (J-e-I) ne le persécutent et lui fassent subir un grave préjudice s'il retournait au Bangladesh. Le demandeur fonde cette crainte sur son appartenance à la ligue awami du Bangladesh et sur sa participation à ses activités.

[4]        Le demandeur dit qu'il a fait partie dans l'aile étudiante de la ligue awami du Bangladesh et, ultérieurement, qu'il a participé aux activités politiques principales awami. Il a obtenu son baccalauréat et sa maîtrise en zoologie de l'Université de Dhaka en 1982 et 1983 respectivement. Il a aussi reçu un certificat en nutrition en 1987 de l'Institut de nutrition et des sciences alimentaires de l'Université de Dhaka.

[5]        Il dit qu'il a été exposé à des actes de persécution de la part du J-e-I à quatre reprises : en 1989, en 1992, en 1997 et en 1998.

[6]        Selon le récit du demandeur, il a ouvert un centre d'information sur la nutrition en janvier 1989 au bazaar de Karapara. Un certain nombre de fiers-à-bras du J-e-I ont causé de gros dommages à sa boutique et lui ont extorqué de l'argent. Il a été incapable de gérer le centre de nutrition en raison de cette persécution et des graves dommages causés à son entreprise. À la même époque, le demandeur et son cousin travaillaient comme organisateurs électoraux et ce dernier a été tué au cours d'une attaque du J-e-I.. Le demandeur a plusieurs fois tenté d'obtenir la protection de la police, sans succès; il a donc fermé son entreprise et déménagé en Arabie saoudite.

[7]        En juillet 1992, le demandeur est rentré au Bangladesh et a fait un discours sur les droits des minorités lors d'un meeting de la ligue awami du Bangladesh. Après ce meeting, il a été attaqué par des fiers-à-bras du J-e-I. Il s'est fait soigner et il est ultérieurement rentré en Arabie saoudite.

[8]        En avril 1997, le demandeur est à nouveau rentré au Bangladesh afin d'ouvrir à nouveau son centre de nutrition. Encore une fois, le J-e-I l'a forcé à fermer son entreprise, et il est rentré en Arabie saoudite.

[9]        En avril 1998, le demandeur est retourné au Bangladesh pour y faire une visite. Des individus du J-e-I lui ont tiré dessus alors qu'il était dans un pousse-pousse. Après cet incident, le demandeur est retourné en Arabie saoudite.

[10]      Après 1998, le demandeur n'est jamais retourné au Bangladesh.

[11]      Le demandeur est arrivé au Canada le 29 avril 2001, et il a présenté une demande d'asile le 27 août 2002.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[12]      La Commission a décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention et qu'il n'était pas une personne à protéger, pour deux motifs principaux : (i) elle a conclu que le demandeur n'était pas crédible; (ii) elle a conclu que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur à Dhaka.

            La crédibilité

[13]      La Commission a mis en question la crédibilité du demandeur à trois égards :

a)          des faits qui n'avaient pas été mentionnés dans l'exposé circonstancié figurant dans le FRP ont été révélés lors de l'audience;

b)          des contradictions entre l'exposé circonstancié figurant dans le FRP, la déposition orale, et les notes prises au point d'entrée;

c)          l'invraisemblance de certaines des explications données par le demandeur.

[14]      La Commission a aussi mis en question la crédibilité du demandeur en tirant une inférence défavorable de l'absence de crainte subjective de sa part indiquée par le fait que, à partir de l'Arabie saoudite, il était rentré à plusieurs reprises dans son pays d'origine.

[15]      La Commission a conclu qu'il y avait des omissions et des contradictions dans l'exposé circonstancié du FRP quant au fait que le demandeur était rentré au Bangladesh en 1992 et en 1997. Dans cet exposé, le demandeur n'a pas déclaré être rentré dans son pays d'origine « en vacances » ; selon ce document, il est bien rentré au Bangladesh, mais l'expression « en vacances » n'y figure pas. La Commission a tiré une inférence défavorable de cette omission.

[16]      La Commission a aussi constaté des invraisemblances dans plusieurs explications données par le demandeur. La première avait trait à l'absence de crainte subjective chez lui, que tendaient à montrer les trois voyages effectués au Bangladesh au cours d'une période de dix ans, dont la Commission a tiré une inférence négative. La Commission a conclu que le demandeur s'était réclamé à nouveau de la protection de l'État du Bangladesh en y retournant en 1992, 1997 et 1998.

[17]      La Commission a estimé invraisemblable l'explication du demandeur selon laquelle il n'était pas au courant du fait qu'il pouvait faire une demande d'asile dans d'autres pays, parce qu'il est bien éduqué : il est titulaire d'une maîtrise en science.

[18]      La Commission a aussi conclu à des invraisemblances en raison de deux éléments; le demandeur a fait une demande de résidence permanente au Canada, de Londres (Angleterre), qui a été refusée le 20 mars 2001, et une demande de visa d'étudiant, d'un bureau à Buffalo (New York), et qui a été refusée le 15 novembre 2001. La Commission a conclu que le demandeur aurait dû s'informer au sujet des possibilités qui s'offraient lui pour obtenir un statut au Canada, et le fait qu'il ne l'a pas fait a rendu ses allégations invraisemblables. Le demandeur a allégué qu'il ne savait pas qu'il pouvait faire une demande d'asile; c'est pourquoi il ne s'était pas informé sur la possibilité de faire une demande en ce sens.

[19]      Ces demandes de résidence permanente et de visa d'étudiant n'ont pas été mentionnées dans le FRP du demandeur; la Commission a tiré de cette omission une inférence défavorable sur le plan de sa crédibilité.

[20]      La Commission a conclu que l'effet cumulatif de ces omissions, contradictions et invraisemblances a été de montrer l'absence d'une crainte subjective chez le demandeur, ce qui a eu une incidence défavorable sur sa crédibilité.

            La possibilité de refuge intérieur

[21]      La Commission a aussi conclu que le demandeur disposait d'une PRI acceptable à Dhaka.

[22]      La Commission a conclu que les deux volets du critère énoncé par le juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.) étaient respectés : i) elle doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne court pas un grave risque d'être persécuté dans la région qu'elle considère être une PRI; et ii) il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur de s'y réfugier, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui sont particulières à la situation du demandeur.

[23]      Le demandeur a fourni à la Commission un certain nombre de lettres pour établir ses liens avec la ligue awami du Bangladesh. La Commission n'y a donné que peu de poids parce que leur teneur était de nature générale et qu'il y était mentionné des incidents qui s'étaient produits plus de dix ans auparavant, ou des incidents sans indication de dates. La Commission a conclu que ces lettres n'avaient que peu de valeur pour évaluer la crainte de persécution du demandeur à son retour et signalé que tous les incidents qui étaient mentionnés s'étaient produits dans Bagherat, la ville d'origine du demandeur.

[24]      La Commission a aussi conclu que le demandeur n'avait pas fait de politique active depuis 1992, et que toutes ses activités avait été circonscrites à sa région d'origine. Elle a conclu que le demandeur aurait une PRI acceptable à Dhaka, où il avait fait ses études universitaires et travaillé sans incident avant 1989. Avec une population de 10 millions d'habitants, et une aire de 360 kilomètres carrés, Dhaka est une ville où l'anonymat du demandeur serait assuré. La Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur ne serait pas exposé à un grave risque de persécution à Dhaka.

[25]      Enfin, la Commission a conclu que, vu son niveau d'éducation, le demandeur serait capable de trouver du travail dans cette ville.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[26]      Le demandeur soulève quatre questions :

a)          La Commission a-t-elle dénaturé les éléments de preuve produits devant elle, et ainsi commis une erreur de droit, lorsqu'elle a conclu que le demandeur manquait de crédibilité en raison de prétendues omissions et invraisemblances?

b)          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que le demandeur s'était réclamé à nouveau de la protection de l'État du Bangladesh?

c)          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que le demandeur, en tardant à faire une demande d'asile, a révélé l'absence de crainte subjective?

d)          La Commission a-t-elle commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que Dhaka constituait une PRI pour le demandeur?

LES ARGUMENTS

            Considérations générales

[27]      Le défendeur soutient que les motifs de la Commission sont clairs, convaincants et complets et que le demandeur n'a pas présenté d'arguments susceptibles de persuader la Cour que la Commission a fait erreur lorsqu'elle a rendu sa décision.

            La crédibilité

[28]      Le demandeur fait valoir que l'agente a dit, lorsqu'elle a fait ses observations à la fin de l'audience :

[TRADUCTION]

Je vais simplement en rester là. Très bien, en ce qui a trait à la crédibilité du demandeur d'asile, je voudrais signaler qu'il a gardé son Formulaire de renseignements personnels qu'il devait nous donner auparavant. Le demandeur d'asile a répondu à toutes les questions qui lui ont été posées. Il n'a pas semblé embellir quoi que ce soit aujourd'hui. Ses réponses ont été très claires.

[29]      Le demandeur soutient que la Cour a formulé des normes claires en ce qui a trait à l'évaluation de la crédibilité du demandeur d'asile, notamment :

a)          Quand un demandeur d'asile jure que certaines allégations sont vraies, celles-ci sont présumées l'être, à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter (Pedro Enrique Juarez Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302);

b)          Lorsque la Commission met en question la crédibilité du demandeur d'asile sans donner de motifs, elle commet une erreur susceptible de contrôle (Ababio c. Canada (Ministère de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. n ° 250 (C.A.F.), Armson c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1989] A.C.F. n ° 800);

c)          Les inférences relatives à la crédibilité doivent être étayées par la preuve. Si la Commission fonde ses conclusions sur des inférences tirées de la preuve, la Cour peut juger si celles-ci l'ont raisonnablement été. Si les conclusions relatives à la vraisemblance des allégations sont fondées sur des inférences déraisonnables, la Cour peut intervenir (Frimpong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. n ° 441 (C.A.F.);

d)          Si la Commission dénature la preuve, ou n'en tient pas compte, et s'appuie sur ces conclusions pour tirer une inférence défavorable, la Cour peut intervenir (Carlos Enrique Sangueneti Toro c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1981] 1 C.F. 652 (C.A.F.));

e)          La Commission ne doit pas faire preuve d'excès de zèle lorsqu'elle conteste la crédibilité d'un demandeur d'asile, surtout lorsque ce demandeur dépose par l'intermédiaire d'un interprète (Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] A.C.F. n ° 444)).

Les omissions

[30]      Le demandeur soutient que la Commission a commis un certain nombre d'erreurs relativement à sa crédibilité lorsqu'elle a évalué la preuve.

            Les vacances

[31]      Le demandeur dit que la Commission a commis une erreur de droit dans son évaluation des omissions du FRP, car il n'y en a pas eu. Dans le FRP, le demandeur a déclaré être rentré au Bangladesh en 1997 afin de reconstituer son entreprise. Le demandeur savait qu'il ne pouvait rester en Arabie saoudite et a profité de son temps de vacances pour tenter de reconstituer son entreprise dans son pays d'origine.

[32]      Le défendeur répond que la Commission a correctement évalué les omissions du FRP en ce qui concerne les vacances qu'a prises le demandeur au Bangladesh en 1992 et en 1997. Le défendeur a fait des observations plus détaillées sur l'omission concernant 1997, et déclare que le demandeur a dit, lors de l'audience, qu'il était retourné au Bangladesh pour des vacances. Dans le FRP, le demandeur avait dit être rentré au Bangladesh en 1997 afin de reconstituer son entreprise.

[33]      Le défendeur soutient aussi que les conclusions de la Commission relatives à ces omissions étaient incidentes à sa décision et non déterminantes.

            Les demandes antérieures

[34]      Le demandeur soutient que l'omission des deux demandes antérieures de son FRP ne touche pas directement sa demande d'asile, et il ajoute que personne ne lui a posé de questions à ce sujet. La Commission n'a trouvé aucune explication plausible au sujet de cette omission; cependant, le demandeur soutient que, comme personne ne lui avait posé de questions ce sujet, la conclusion d' « absence d'explication plausible » est manifestement déraisonnable.

[35]      Le défendeur répond que la Commission n'a pas commis d'erreur en tirant une inférence défavorable du fait que le demandeur n'avait pas mentionné dans son FRP qu'il avait fait antérieurement deux demandes, soit une demande de résident permanent, et l'autre de visa étudiant. Le défendeur dit que les éléments omis du FRP peuvent être pris en compte lorsqu'il s'agit d'évaluer la crédibilité du demandeur d'asile et il s'appuie sur la décision Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1867 (C.F. 1re inst.), où il est dit, au paragraphe 33 : « il est inexact de dire que ces réponses [dans le FRP] ne devraient pas contenir tous les faits pertinents » . Le défendeur dit que les demandes que le demandeur avait faites antérieurement afin de rester au Canada constituaient des faits pertinents et importants, qui auraient dû être mentionnés dans son FRP.

[36]      Le défendeur a aussi pour position que la Commission n'était pas tenue de faire état de ses réserves à cet égard au demandeur. Le défendeur s'appuie sur la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1724, et sur les deux points suivants, au paragraphe 23 :

a)          Annuler la décision de la Commission parce qu'elle n'a pas signalé ses contradictions à un demandeur représenté par un avocat lui imposerait un fardeau injustifié;

b)          Lorsque le demandeur est interrogé par son propre avocat sur les questions de fait relativement auxquelles la Commission a tiré des conclusions défavorables sur le plan de sa crédibilité, la Commission n'est pas tenue de poser d'autres questions au demandeur.

Les invraisemblances

[37]      Dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 732, la Cour d'appel fédérale a analysé la norme de contrôle des décisions de la section du statut de réfugié :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[38]      Le demandeur soutient que, en ce qui a trait aux conclusions quant à la vraisemblance et à la crédibilité, la Cour doit être guidée par la décision Yada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. n ° 37, notamment par le paragraphe 25 :

Lorsque la conclusion de non-crédibilité repose sur des invraisemblances relevées par le tribunal, la Cour peut, à l'occasion d'un contrôle judiciaire, intervenir pour annuler la conclusion si les motifs invoqués ne sont pas étayés par les éléments de preuve dont était saisi le tribunal, et la Cour ne se trouve pas en pire situation que le tribunal connaissant de l'affaire pour examiner des inférences et conclusions fondées sur des critères étrangers aux éléments de preuve tels que le raisonnement ou le sens commun.

[39]      Le demandeur soutient aussi que la Commission doit agir avec prudence et prendre en compte la diversité des cultures des demandeurs d'asile. Des actions qui semblent invraisemblables selon les normes admises au Canada pourraient être tout à fait normales si l'on tient compte du bagage du demandeur d'asile. (Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 875).

[40]      Le demandeur dit que les conclusions d'invraisemblance tirées par la Commission en l'espèce sont arbitraires et abusives car elle n'a pas tenu compte des éléments dont elle disposait.

            L'incident décisif

[41]      Le demandeur soutient que l'attaque par arme à feu de 1998 a constitué l'incident décisif qui l'a incité à ne plus retourner au Bangladesh. Il ajoute que la Commission a formulé ses conclusions en ne tenant pas compte d'éléments de preuve importants, comme sa tentative de reconstituer son entreprise en 1997.

[42]      Le demandeur dit que la Commission, pour conclure à l'absence de crainte subjective, n'a pas tenu compte des preuves produites devant la Commission et ne les a pas comprises. Il dit qu'il avait essayé à trois reprises, au cours d'une période de dix ans, de reconstituer son entreprise au Bangladesh. La Commission a conclu qu'il était invraisemblable que le demandeur parte trois fois de l'Arabie saoudite pour retourner dans son pays d'origine s'il craignait d'y être persécuté. Cependant, le demandeur signale que l'incident décisif qui l'a incité à quitter son pays pour de bon s'est produit en 1998.

            Le demandeur n'a pas pris de renseignements

[43]      En ce qui concerne la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur aurait dû être au courant de la possibilité de faire une demande d'asile, ou qu'il aurait dû se renseigner à ce sujet, le demandeur dit que la Commission a tenu pour acquis que n'importe qui dans le monde devrait être au courant du système de protection des réfugiés et de la Convention de Genève. Dans sa déposition, le demandeur a déclaré qu'il ne savait pas qu'il pouvait faire une demande d'asile; ce n'est qu'à son arrivée à la frontière canadienne qu'un agent de l'immigration l'a informé de la possibilité de faire cette revendication. Le demandeur soutient qu'il n'y a rien d'invraisemblable dans son explication.

[44]      Le défendeur soutient que les arguments du demandeur en ce qui concerne les conclusions d'invraisemblance de la Commission ne constituent qu'une tentative de sa part d'amener la Cour à évaluer à nouveau les éléments de preuve produits devant la Commission. Le demandeur est éduqué et il a des liens avec un grand parti politique au Bangladesh. Le défendeur soutient que les conclusions de la Commission parlent d'elles-mêmes et qu'elles n'ont rien de manifestement déraisonnable.

            Le fait de se réclamer à nouveau de la protection de l'État d'origine

[45]      Le demandeur soutient aussi que la Commission a fait une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que le demandeur s'était réclamé à nouveau de la protection de l'État du Bangladesh. Il considère la fusillade de 1998 comme l'incident culminant l'ayant incité à quitter le Bangladesh. Il n'a pas tenté de rentrer au Bangladesh depuis 1998. Il dit donc que la Commission n'a pas compris les éléments de preuve produits devant elle.

[46]      Le défendeur répond que la Commission n'a pas fait erreur lorsqu'elle a pris en compte le fait que le demandeur est rentré au Bangladesh en 1992, en 1997 et en 1998 et donc le fait de se réclamer à nouveau de la protection de l'État d'origine. La Commission n'a tout simplement pas cru que le demandeur avait fait face à une situation insupportable, alors qu'il est rentré à plusieurs reprises au Bangladesh. Le défendeur soutient que la Commission a correctement conclu que le demandeur ne serait pas retourné à l'endroit même où il aurait été menacé de persécution, surtout à trois occasions et sans étudier, avant 1998, les possibilités de s'installer ailleurs. La conclusion de la Commission à cet égard n'a donc rien de manifestement déraisonnable.

            La présentation tardive de la demande d'asile

[47]      Le demandeur soutient aussi que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que le fait d'avoir tardé à faire une demande d'asile indiquait l'absence de crainte subjective chez lui. Il dit que la Commission n'a tout simplement pas tenu compte de son explication raisonnable sur cette question. Dans sa déposition, il a déclaré qu'il ne savait pas qu'il pouvait obtenir un statut dans un pays en revendiquant le statut de réfugié. Il avait cru qu'il ne lui était possible d'immigrer qu'à titre de résident permanent ou d'étudiant. Ce n'est qu'à la frontière canadienne qu'il a appris d'un agent d'immigration la possibilité de faire une demande d'asile. Dès qu'il a su qu'il pouvait faire une telle demande, il l'a faite (voir Hue c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. n ° 283 (C.A.F.)). La Cour, dans la décision Saez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 631, a dit, au paragraphe 5 :

Premièrement, bien que le retard dans la présentation d'une demande puisse être une considération pertinente, il ne s'agit pas d'un facteur décisif en soi. En se fondant sur ce retard pour conclure que la requérante n'avait pas de crainte subjective, le tribunal n'a pas donné suffisamment de poids à la torture et à l'assassinat dont la soeur de la requérante avait été victime et à la persécution des autres membres de sa famille.

[48]      Sur cette question, le défendeur soutient que le demandeur a présenté une demande d'asile 16 mois après son arrivée au Canada. La raison qu'il a donnée pour ne pas l'avoir faite plus tôt était qu'il ne savait pas que ce recours lui était ouvert. Le défendeur soutient que la Commission a pris bonne note de cette explication, mais que, pour des raisons évidentes, elle ne l'a pas acceptée.

            La possibilité de refuge intérieur

[49]      Le demandeur soutient enfin que la Commission a commis une erreur de droit lorsqu'elle a conclu que Dhaka constituait une PRI viable. La Commission s'est appuyée sur les trois éléments suivants :

a) Le demandeur n'avait pas fait de politique active depuis 1992;

b) L'activité politique du demandeur n'a eu pour seul théâtre que sa région d'origine;

c) Le demandeur avait peu de visibilité sur la scène politique, de sorte que Dhaka lui aurait assuré l'anonymat.

[50]      Le demandeur dit que la Commission a fait une erreur de droit car elle a cru que le demandeur d'asile doit être un activiste politique afin d'avoir droit à une protection. Il dit que c'est l'opinion politique attribuée, non pas les activités politiques concrètes, qui compte. Le demandeur est un membre connu de la ligue awami du Bangladesh. Lorsqu'il est retourné au Bangladesh en 1997, il a tenté de dire aux membres du J-e-I qu'il ne voulait rien de plus que reconstituer son entreprise. Les membres du J-e-I ne l'ont pas cru et l'ont attaqué. Voilà pourquoi les opinions politiques attribuées, pas l'activisme politique, constituent le critère indiqué.

[51]      Le demandeur affirme que, en ce qui concerne une PRI éventuelle, la Commission n'a pas tenu compte du fait que le PNB et le J-e-I constituent le pouvoir établi au Bangladesh. Le demandeur a indiqué que ces deux groupes étaient les auteurs des actes de persécution dont il était victime et comme ils constituent le pouvoir établi au Bangladesh, les risques de persécution auxquels il est exposé en sont accrus.

[52]      Le défendeur répond que la Commission a correctement conclu que le demandeur disposait d'une PRI viable au Bangladesh. Le demandeur demande tout simplement à la Cour d'évaluer à nouveau les éléments de preuve produits devant la Commission, contrairement au principe de retenue judiciaire imposé par l'arrêt Rasaratnam.

[53]      Le défendeur soutient que le demandeur n'a fait valoir aucun argument convaincant tendant à montrer que la conclusion est manifestement déraisonnable eu égard aux critères formulés par le juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam.

[54]      Le défendeur soutient en outre que la ligue awami du Bangladesh était au pouvoir lorsque le demandeur était exposé au risque de persécution et qu'aucun grand parti ne peut prétendre avoir les mains propres dans la violence politique au Bangladeshi. Il n'y a aucune raison de croire que le PNB ou le J-e-I chercheraient à s'en prendre au demandeur s'il s'installait à Dhaka, ou même qu'ils l'y trouveraient.

ANALYSE

[55]      Il est possible de mettre en question certaines des conclusions tirées quant à la crédibilité et certaines inférences défavorables tirées par la Commission en l'espèce mais, en ce qui concerne les aspects essentiels de la décision rendue, je ne peux conclure que la Commission en soit arrivée à des conclusions déraisonnables, à plus forte raison manifestement déraisonnables.

            Le fait de se réclamer à nouveau de la protection de l'État d'origine

[56]      Dans la partie narrative du FRP, le demandeur a fait les observations suivantes au sujet de sa décision de quitter définitivement le Bangladesh :

[TRADUCTION]

10.     En avril 1998, je suis rentré à Bagherat pour y faire une visite. J'étais en compagnie de Masud, un ami avec qui j'étais dans un pousse-pousse; tout à coup, nous avons été attaqués vers 10 heures du soir par des gens connus du jamat. Ils ont tiré sur moi deux ou trois fois, mais nous nous sommes échappés et nous nous sommes réfugiés dans la maison d'un professeur.

11.     Après 1998, je n'ai jamais pu me rendre au Bangladesh. J'ai dû vivre en Arabie saoudite.

[57]      A cette occasion, le demandeur n'a pas été atteint, mais on lui a tiré dessus.

[58]      En ce qui concerne le fait de se réclamer à nouveau de la protection de l'État d'origine, le demandeur a pour position que la Commission n'a pas vraiment compris les éléments de preuve qu'il avait produits et qu'elle n'a pas admis le fait que cet incident a constitué le point tournant qui l'a incité à prendre la décision de quitter définitivement le Bangladesh.

[59]      Le procès-verbal de l'audience révèle que le demandeur a été interrogé de manière poussée sur cette question et que, au cours de sa déposition, il a déclaré que, lorsqu'il avait quitté le Bangladesh les fois d'avant, il l'avait fait parce qu'il craignait pour sa vie. Pourtant, il y est retourné trois fois.

[60]      Après avoir étudié de près la déposition du demandeur sur cette question, je ne peux pas dire que la Commission en est arrivée à une conclusion qui pourrait être remise en question d'une manière ou d'une autre :

De l'avis du tribunal, si le demandeur d'asile faisait effectivement face, au Bangladesh, à la situation insupportable qu'il a décrite dans son récit sur son FRP et au cours de son témoignage à l'audience, il est raisonnable de s'attendre à ce qu'il ait été impatient de s'installer dans un pays autre que l'Arabie saoudite, où il a habité et travaillé à titre de résident temporaire et où il a admis qu'il ne pouvait résider indéfiniment, et qu'il étudie des solutions de rechange pour obtenir le statut de résident permanent dans un autre pays comme le Canada. De plus, le tribunal est d'avis qu'il est invraisemblable que le demandeur d'asile retourne trois fois dans le même district du Bangladesh où il prétend qu'il craignait d'être persécuté et d'être victime de graves préjudices et qu'il y poursuive ses activités politiques, tente d'y redémarrer son commerce et y voyage pendant les vacances, s'il craignait que des membres du PNB et du J-e-I le persécutent ou lui fassent subir de graves préjudices.

Le tribunal conclut que les faits et gestes du demandeur d'asile démontrent qu'il n'a aucune crainte subjective ce qui a des conséquences défavorables sur sa crédibilité.

[61]      Le demandeur dit que la Commission a imposé son propre point de vue sur ce qui aurait constitué un comportement raisonnable dans les circonstances, et n'a pas considéré les choses du point de vue du demandeur. Pis, selon le demandeur, si la Commission a conclu correctement relativement à cette question, cela veut dire que toute personne courant un risque serait tenue de quitter le pays immédiatement. Chacun réagit différemment, dit le demandeur, et la Commission ne doit pas imposer son propre point de vue sur ce qui aurait constitué un comportement indiqué dans les circonstances.

[62]      A mon avis, ce n'est pas ce qu'a fait la Commission. Elle devait évaluer le comportement du demandeur au regard de sa demande d'asile. Le demandeur a dit qu'il avait craint pour sa vie et qu'il avait quitté le Bangladesh à quatre reprises au cours d'une longue période de temps afin d'échapper à ses persécuteurs. Pourtant, il est retourné au même endroit trois fois. Il y a plus, il est un homme éduqué, et il a un frère au Canada.

[63]      Vu les éléments de preuve produits par le demandeur, les conclusions de la Commission relatives au fait qu'il s'était réclamé à nouveau de la protection de l'État d'origine et à l'absence de crainte subjective n'étaient pas déraisonnables ou manifestement déraisonnables. Le demandeur ne s'était tout simplement pas comporté comme une personne ayant une crainte subjective de persécution, si l'on considère le genre de personne qu'il est, le fait qu'il est rentré dans son pays à maintes reprises et les ressources dont il disposait pour se soustraire à la persécution qu'il a dit craindre.

            La présentation tardive de la demande d'asile

[64]      On a la même impression en ce qui concerne l'interprétation par la Commission du fait que le demandeur a tardé à présenter une demande d'asile. Le demandeur s'est borné à répondre qu'il n'était tout simplement pas au courant du régime de protection des réfugiés et de la manière de présenter une demande d'asile au Canada ou dans d'autres pays.

[65]      Pourtant, le demandeur est un homme bien éduqué, titulaire d'une maîtrise en sciences de l'Université de Dhaka, qui a étudié les différentes possibilités qui s'offraient à lui pour avoir accès au Canada et qui a bel et bien fait une demande de résidence permanente, de visa d'étudiant et de visa de visiteur avant de présenter une demande d'asile.

[66]      Le demandeur dit que l'important est qu'il a tout fait pour arriver au Canada et se soustraire à ses persécuteurs.

[67]      Cependant, les conclusions de la Commission sur cette question sont parfaitement cohérentes et tiennent compte de toutes les raisons qu'a fait valoir le demandeur au sujet du caractère tardif de sa demande d'asile :

Par conséquent, parce que le demandeur d'asile a tardé à se renseigner au sujet des diverses options pour obtenir le statut de résident permanent et à demander l'asile au Canada dès que possible, et faute d'explications plausibles à cet égard, le tribunal conclut que les faits et gestes du demandeur d'asile démontrent qu'il n'a aucune crainte subjective, ce qui a des répercussions défavorables sur sa crédibilité.

[68]      Le demandeur n'est pas simplement un demandeur d'asile qui est arrivé au Canada et qui a tardé pendant quelques mois pour présenter sa demande. Il est quelqu'un qui dit avoir subi des actes de persécution justifiant l'obtention du statut de réfugié en 1989, 1992, 1997 et 1998. Pourtant, il est constamment retourné sur les lieux où il dit avoir été persécuté, il n'a pas envisagé de partir ailleurs et d'obtenir un statut permanent dans un lieu sûr avant 2001, il a fait une demande de résidence permanente et de deux visas, et il est finalement arrivé au Canada en avril 2001 et a présenté une demande d'asile le 27 août 2002. Il est aussi un homme éduqué qui sait comment de renseigner sur toutes les possibilités d'entrer au Canada. Son comportement au cours des 10 dernières années au moins n'évoque tout simplement pas une situation d'urgence ou une crainte réelle de persécution, et on ne peut trouver à redire au fait que la Commission a relevé ces éléments et qu'elle a conclu que l'explication du demandeur concernant le caractère tardif de sa revendication, qui a « plaidé l'ignorance » , était invraisemblable.

            La possibilité de refuge intérieur

[69]      Selon la propre déposition du demandeur, il n'avait pas été politiquement actif au Bangladesh depuis 1992. Il n'avait pas une grande visibilité politique. Aucun élément de preuve ne tendait à indiquer qu'il serait pourchassé s'il se rendait à Dhaka, à part ses seules affirmations selon lesquelles ses persécuteurs avaient des réseaux partout et ils pouvaient le trouver. Aucun élément de preuve n'indiquait qu'ils le cherchaient ou qu'il était dans une situation différente de toutes les autres personnes qui, par le passé, avaient agi pour la ligue awani. Ses activités n'avaient été que purement locales.

[70]      La Commission a pris en compte les facteurs pertinents et la thèse soutenue par le demandeur. Objectivement, il n'est pas raisonnable de penser que le demandeur serait visé s'il retournait à Dhaka et, puisqu'il était un homme éduqué qui avait fréquenté l'université et travaillé à Dhaka sans incidents par le passé, il n'y avait pas de risque sérieux de persécution ou de préjudice grave s'il retournait à Dhaka et, eu égard à toutes les circonstances, il n'était pas déraisonnable qu'il prenne refuge à Dhaka.

[71]      Bien entendu, il est toujours possible de mettre en question une décision et d'y trouver des faiblesses. Cependant, si l'on considère la décision dans son ensemble, et les éléments principaux de la présente demande d'asile, les conclusions de la Commission tiennent la route et je conclus qu'il n'y a pas d'erreur susceptible de contrôle judiciaire.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

                                               1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                               2.          Il n'y a pas de question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-9802-03

INTITULÉ :                                              RAFIQUL ISLAM SHAIKH

                                                                  c.

                                                                  MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 20 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                             LE 19 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman

POUR LE DEMANDEUR

Patricia MacPhee

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR      

Sous-procureur général du Canada

John H. Sims, c.r.

POUR LE DÉFENDEUR


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