Date : 20220826
Dossier : T‑465‑21
Référence : 2022 CF 1231
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 26 août 2022
En présence de monsieur le juge Zinn
RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ
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ENTRE :
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MICHAEL PHILIPPUS BRINK et
FUH‑CHII YANG
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demandeurs
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE
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défenderesse
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ORDONNANCE ET MOTIFS
[1] Deux requêtes sont présentées à la Cour. Les demandeurs sollicitent une ordonnance autorisant la présente action comme recours collectif sous le régime de la partie 5.1 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles]. La défenderesse demande à la Cour de radier la déclaration dans son intégralité, sans autorisation de modification.
[2] Les avocats des parties doivent être félicités pour la rigueur de leurs observations écrites et orales relativement aux deux requêtes. Malgré le caractère bref des présents motifs, notre Cour a passé énormément de temps à analyser et à soupeser les arguments opposés des parties.
[3] En fin de compte, je suis parvenu à la conclusion que la requête de la défenderesse doit être accueillie et que celle des demandeurs doit être rejetée, toutes les deux pour la même raison. Même si les demandeurs ont fait valoir que le groupe de personnes tenues de payer des frais pour obtenir la résidence permanente au Canada et la citoyenneté canadienne est traité différemment des autres, cette distinction ne se fonde pas sur un motif de discrimination illicite. Par conséquent, les demandeurs n’ont pas établi que leur déclaration révèle une cause d’action valable.
Le contexte
[4] Le Canada oblige les étrangers à payer des frais pour acquérir le statut de résident permanent et des frais pour devenir citoyens canadiens [les frais, collectivement].
[5] Les frais comprennent un premier élément, soit un montant de 500 $ prescrit au paragraphe 303(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement] qui est « à payer par toute personne pour l’acquisition du statut de résident permanent »
. Les parties utilisent l’expression [traduction] « frais de résidence permanente » [les FRP] pour désigner ce montant. Les FRP, créés en 1995, étaient alors considérés comme un « droit exigé pour l’établissement »
et avaient été fixés initialement à 975 $ (Règlement sur les droits exigibles – Loi sur l’immigration – Modification, DORS/95‑120). L’article 303 est joint à l’annexe A des présents motifs à titre de référence.
[6] Le deuxième élément des frais est un montant de 100 $ prescrit à l’article 32 du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93‑246, qui est « à payer pour l’octroi […] du droit d’être citoyen à une personne qui est âgée d’au moins dix‑huit ans […] et est exigible au moment de la présentation de la demande »
; il y a remise de ce montant si le droit d’être citoyen n’est pas octroyé. Les parties utilisent l’expression [traduction] « frais de citoyenneté » [les FDC] pour désigner ce montant. Les FDC ont été créés en 1995 (Règlement sur la citoyenneté, 1993 – Modification, DORS/95‑122).
[7] La qualité de citoyen canadien est définie à l’article 3 de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29, ci‑joint à l’annexe B.
[8] Le demandeur Michael Brink est un immigrant qui réside au Canada. Le 10 mai 2017, alors qu’il était résident d’Afrique du Sud, il a demandé la résidence permanente au Canada. Il a payé les FRP et sa demande a été acceptée. Le 17 mars 2018, il est devenu résident permanent puis est arrivé au Canada en 2019.
[9] Le demandeur Fuh‑Chii Yang est né à Taïwan et est arrivé au Canada en 2015. Il est résident permanent du Canada. Le 13 juillet 2009, il a demandé la citoyenneté canadienne et a payé les FDC. Il n’y a rien au dossier indiquant si sa demande a été acceptée ou pas.
[10] En résumé, les demandeurs soutiennent qu’ils ont été [traduction] « obligés de payer des frais qui ne sont pas exigés de personnes nées au Canada »
. Ils affirment [traduction] « que les frais sont discriminatoires et qu’on devrait leur donner le droit de bénéficier d’une remise de ces frais inconstitutionnels »
.
[11] La déclaration énonce les causes d’action suivantes :
a)une atteinte à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte];
b)une atteinte aux alinéas 1a) et b) de la Déclaration canadienne des droits;
c)une atteinte à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec [la Charte du Québec];
[12] Les demandeurs ont informé la Cour qu’ils n’invoquaient plus l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits ni l’article 10 de la Charte du Québec.
[13] Les demandeurs font valoir qu’ils ont subi une discrimination directe et indirecte puis, au paragraphe 40 de leur déclaration, ils plaident que la distinction créée par les frais [traduction] « se fonde sur l’origine nationale ou ethnique ou sur le pays d’origine »
.
[14] Les demandeurs proposent que le groupe soit défini comme suit :
Toute personne qui est née en dehors du Canada et qui, entre le 8 septembre 2014 et la date du jugement de première instance, a payé ou aurait autrement dû payer les frais suivants :
a. les frais de résidence permanente (le sous‑groupe des résidents permanents);
b. et/ou les frais de citoyenneté (le sous‑groupe des citoyens);
mais à l’exclusion de ceux qui
c. ont bénéficié d’une remise des frais de résidence permanente conformément au paragraphe 303(4) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés;
d. ou ont reçu la remise prévue à l’article 33 du Règlement sur la citoyenneté, soit le prix à payer pour l’octroi du droit d’être citoyen.
[15] Selon les estimations des demandeurs, le groupe contiendrait le nombre de personnes suivantes, au 31 juillet 2021 :
Sous‑groupe des résidents permanents : 880 647 personnes
Sous‑groupe des citoyens : 1 040 635 personnes
[16] Les questions communes proposées par les demandeurs dans leur avis de requête ont été limitées aux suivantes à l’audience :
[…]
2. Est‑ce que les dispositions imposant le paiement de frais pour obtenir la citoyenneté ou la résidence permanente portent atteinte aux droits constitutionnels des membres du groupe protégés par l’article 15 de la Charte?
a. Le cas échéant, une de ces dispositions peut‑elle être justifiée au titre de l’article premier de la Charte?
3. Est‑ce que les dispositions imposant le paiement de frais pour obtenir la citoyenneté ou la résidence permanente portent atteinte aux garanties juridiques énoncées à l’alinéa 1d) de la Déclaration canadienne des droits?
[…]
6. Est‑ce que les dispositions imposant le paiement de frais pour obtenir la citoyenneté ou la résidence permanente devraient être invalidées?
a. Subsidiairement, est‑ce que la totalité ou une partie des membres du groupe devraient bénéficier d’une dispense constitutionnelle des frais à payer pour obtenir la citoyenneté ou la résidence permanente?
7. Est‑ce que la totalité ou une partie des membres du groupe devraient bénéficier d’une remise des frais à payer pour obtenir la citoyenneté ou la résidence permanente?
8. La défenderesse devrait‑elle être tenue de verser des dommages‑intérêts moraux pour atteinte à la dignité des membres du groupe ou, subsidiairement, des dommages‑intérêts symboliques?
9. La défenderesse devrait‑elle être tenue de verser des dommages‑intérêts punitifs et de payer les dépens de la présente action et/ou des intérêts avant et après jugement majorés pour avoir perçu les frais contestés en l’espèce?
10. Est‑il possible d’ordonner une réparation pécuniaire globale au titre du paragraphe 334.28(1) des Règles des Cours fédérales?
11. Quelle forme spéciale de preuve la Cour devrait‑elle exiger s’il subsiste d’autres questions à trancher ou si des membres du groupe réclament d’autres dommages‑intérêts propres à leur situation personnelle?
[17] L’article 334.16 des Règles énonce que cinq conditions doivent être réunies pour qu’une instance soit autorisée comme recours collectif :
les actes de procédure révèlent une cause d’action;
il existe un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes;
les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs;
le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;
il existe un représentant demandeur qui
représenterait de façon équitable et adéquate les intérêts du groupe,
a élaboré un plan qui propose une méthode efficace pour poursuivre l’instance et tenir les membres du groupe informés de son déroulement;
n’a pas de conflit d’intérêts avec d’autres membres du groupe en ce qui concerne les points de droit ou de fait communs;
communique un sommaire des conventions relatives aux honoraires et débours qui sont intervenues entre lui et les avocats.
[18] Selon la défenderesse, les demandeurs ne satisfont pas à ces conditions. Qui plus est, la défenderesse fait valoir dans sa réponse à la requête en autorisation et dans sa propre requête en radiation que l’argument fondé sur la discrimination ne révèle pas, tel qu’il est formulé, de cause d’action valable. La défenderesse soutient qu’il n’y a pas de distinction fondée sur un motif énuméré à l’article 15 de la Charte ou sur un motif analogue.
Objection préliminaire
[19] Avant l’audience, les demandeurs ont informé la Cour qu’ils s’opposaient [traduction] « aux onze documents totalisant 87 pages »
que la défenderesse a déposés le 12 avril 2022 dans son cahier de jurisprudence et de doctrine supplémentaire. Chaque document est un Résumé de l’étude d’impact de la réglementation [REIR] portant sur les modifications réglementaires qui touchaient les frais.
[20] Selon les demandeurs, les REIR ne sont pas des textes faisant autorité mais des éléments de preuve qui doivent être présentés par l’intermédiaire d’un témoin. En outre, ils ont souligné que 6 des 11 REIR n’ont pas été cités dans les mémoires de la défenderesse et se sont dit inquiets de constater que la défenderesse puisse se fonder sur ces documents pour présenter de nouvelles observations.
[21] La défenderesse a rassuré les demandeurs et la Cour en précisant qu’elle n’avancerait aucun nouvel argument à l’audience, et elle a respecté cet engagement.
[22] La défenderesse a souligné que [traduction] « le fait que les demandeurs s’appuient sur certains des REIR pertinents dans l’affidavit de Roxy Hamidi (qui n’est pas un témoin expert) pourrait amener la Cour à tirer des conclusions sur la base d’informations partielles »
. Elle fait valoir qu’elle a simplement déposé la totalité des REIR à la Cour afin de brosser un portrait complet du contexte.
[23] La défenderesse a également attiré l’attention de la Cour sur les décisions Paradis Honey Ltd c Canada (Procureur général), 2014 CF 215, inf par 2015 CAF 89, en ces termes :
[traduction]
Ces décisions ont été rendues dans le contexte d’une requête en radiation (recours collectif et autorisation). Elles sont directement pertinentes et font autorité pour ce qui est de l’admission et de l’utilisation de REIR dans le cadre d’une requête en radiation visant une demande d’autorisation de recours collectif.
[24] À mes yeux, ces décisions ne sont pas utiles. Il est vrai que le juge de première instance saisi de la requête en radiation mentionne les REIR déposés au tribunal, tout comme le juge dissident de la Cour d’appel fédérale. Cependant, l’objection se rattachait à l’argument avancé par le défendeur, soit que « les REIR en question [étaient] associés à des règlements qui n’étaient plus en vigueur à l’époque visée par le recours des demanderesses »
. Aucune objection ne visait l’admissibilité de ces documents ou le fait qu’ils constituent des éléments de preuve et non des textes faisant autorité qui serviraient de quelconque fondement.
[25] Bien que les demandeurs en l’espèce se reportent aux REIR dans leur dossier, ils semblent le faire à l’égard de leur requête en autorisation et non pas dans une réponse à la requête en radiation.
[26] Le paragraphe 221(2) des Règles énonce clairement qu’« [a]ucune preuve n’est admissible dans le cadre d’une [requête en radiation d’un acte de procédure] »
. Si la défenderesse entend utiliser les REIR de cette manière, elle ne peut pas le faire. Dans la mesure où ces documents sont pertinents à l’égard de la requête en autorisation, la Cour les accepte comme éléments de preuve admissibles. J’ajouterai une réserve ici en précisant que le contenu des REIR est accepté en guise d’information contextuelle en ce qui concerne le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, pas plus.
[27] En fin de compte, je suis en mesure de conclure que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable sans avoir à tenir compte des REIR.
Les actes de procédure révèlent‑ils une cause d’action valable?
[28] Pour que le recours collectif soit autorisé, il faut convaincre la Cour que « l’acte de procédure révèle une cause d’action valable »
. La Cour d’appel fédérale a indiqué clairement que, pour déterminer si cette exigence est remplie, notre Cour ne doit pas évaluer les chances de succès d’une cause d’action (voir Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 [Wenham] au para 29). « Le critère consiste à savoir si la cause d’action énoncée dans l’acte de procédure n’est pas vouée à l’échec de manière manifeste et évidente »
[Wenham, au para 31].
[29] Selon les demandeurs, [traduction] « la Cour doit se demander si les actes de procédure, tels qu’ils sont rédigés ou qu’ils peuvent raisonnablement être modifiés, révèlent une question qui n’est pas vouée à l’échec »
(citant Atlantic Lottery Corp Inc c Babstock, 2020 CSC 19 [Atlantic Lottery] au para 90).
[30] Les demandeurs ont fait valoir cet argument plusieurs fois durant leurs observations de vive voix et semblaient inviter la Cour à faire leur travail et à proposer des révisions appropriées afin que leur déclaration révèle effectivement une cause d’action valable. Or ce n’est pas ce qui est énoncé dans l’arrêt Atlantic Lottery, selon moi.
[31] L’énoncé général du juge dissident dans l’arrêt Atlantic Lottery se fonde sur l’arrêt Hunt c Carey Canada Inc [1990] 2 RCS 959 [Hunt] à la p 978, citant Minnes c Minnes (1962), 39 WWR 112 (BCCA) [Minnes], aux pp 116 et 122. Dans l’affaire Minnes, la cour d’appel de la Colombie‑Britannique devait statuer sur l’appel interjeté contre une ordonnance ayant eu pour effet de radier la déclaration et de rejeter l’action au motif que la déclaration ne révélait pas de cause d’action et qu’elle était frivole et vexatoire. Au nom des juges de la majorité, le juge Tysoe a décrit la déclaration comme étant [traduction] « rédigée de façon incompétente et dénuée de talent »
, mais il a conclu qu’il était en mesure de discerner le fond de la demande, qui avait été invoqué par les défendeurs. C’est dans ce contexte que la cour d’appel a mentionné la possibilité de modifier la déclaration, c’est‑à‑dire d’apporter des modifications en vue de corriger des lacunes sur le plan de la rédaction.
[32] C’est la position adoptée par le juge Gascon au paragraphe 46 de la décision Lin c Airbnb, Inc, 2019 CF 1563 :
Je concède que les actes de procédure auraient pu être rédigés avec beaucoup plus de clarté et de précisions concernant le produit véritable visé par la réclamation de M. Lin, particulièrement dans un contexte où, à l’article 54 invoqué par M. Lin pour étayer sa cause d’action, la notion de « produit » est un élément central. À cette étape de l’autorisation, je dois toutefois faire une lecture généreuse des actes de procédure. Il faut lire les actes de procédure dans leur ensemble et leur donner une interprétation libérale, ce qui permet de remédier à tout vice de forme qui aurait pu se glisser dans les allégations et de ne pas s’attacher aux questions de forme (Operation Dismantle c La Reine, [1985] 1 RCS 441, par. 14; Wenham, par. 34; John Doe CAF, par. 51; Shah c LG Chem Ltd., 2018 ONCA 819 [Shah], par. 74 et 76; Finkel c Coast Capital Savings Credit Union, 2017 BCCA 361 [Finkel], par. 17). [Non souligné dans l’original.]
Les faits allégués
[33] Les faits allégués par les demandeurs dans leur déclaration et qui sont pertinents lorsqu’il s’agit de décider s’il existe une cause d’action valable sont les suivants :
M. Brink est un immigrant qui réside maintenant au Canada; il a payé les FRP et a obtenu le statut de résident permanent.
M. Yang est un résident permanent du Canada et a payé les FDC pour devenir citoyen canadien.
Les frais en l’espèce ne correspondent pas à des frais de service aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 ou de la Loi sur la citoyenneté, mais [traduction]
« ressemblent en tous points à une taxe ou à un impôt »
.Les frais sont [traduction]
« imposés aux personnes qui ne sont pas nées au Canada, et les gens qui sont nés au Canada n’ont pas à payer de frais pour jouir des mêmes droits et/ou privilèges »
. Ces frais créent ainsi une distinction fondée sur l’origine nationale ou ethnique ou sur le pays d’origine.Peu importe que les frais soient considérés comme une taxe, un impôt ou des frais réglementaires, [traduction]
« cela ne change en rien le fond de la demande, soit que ces paiements sont discriminatoires et inconstitutionnels »
.Les frais [traduction]
« établissent une distinction entre les personnes nées au Canada (qui n’ont pas de taxes ou d’impôts semblables à payer pour obtenir les mêmes droits et/ou privilèges) et celles qui sont nées à l’étranger »
, et [traduction]« ils imposent aux étrangers un fardeau qui perpétue, renforce ou exacerbe un désavantage subi par toute personne qui n’est pas née au Canada »
.
Les dispositions invoquées
[34] L’article 15 de la Charte garantit à tous la même protection et le même bénéfice de la loi :
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[35] L’alinéa 1b) de la Déclaration canadienne des droits établit le droit à l’égalité devant la loi et à la protection de la loi sans discrimination fondée sur des droits et libertés de la personne expressément désignés :
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[36] Les deux parties ont centré leurs observations sur la Charte en mentionnant peu souvent la Déclaration canadienne des droits. Je ferai de même. L’analyse servant à décider si la déclaration révèle une cause d’action valable est la même, qu’elle se fonde sur la Charte ou sur la Déclaration canadienne des droits : dans les deux cas, la distinction doit reposer sur un motif illicite.
La distinction
[37] La Cour suprême, dans l’arrêt R c Kapp, 2008 CSC 41, affirme au paragraphe 17 que l’analyse devrait permettre de répondre à deux questions :
1. La loi crée‑t‑elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?
2. La distinction crée‑t‑elle un désavantage par la perpétuation d’un préjugé ou l’application de stéréotypes?
[38] Selon la défenderesse, l’instance se fonde essentiellement sur la distinction de traitement entre les personnes nées au Canada et celles qui sont nées à l’étranger. De fait, c’est ce qu’ont déclaré les avocats des demandeurs dans leurs observations présentées de vive voix. S’il s’agit du motif de distinction, on doit se demander s’il donne lieu à de la discrimination fondée sur un motif énuméré ou analogue.
[39] La défenderesse souligne à juste titre que, même si les demandeurs affirment avoir subi [traduction] « de la discrimination fondée sur leur origine nationale ou ethnique ou encore sur leur pays d’origine »
, ils ont en fait élargi le fondement de la discrimination alléguée. Dans le mémoire qu’ils ont présenté à l’appui de leur requête en autorisation, les demandeurs font valoir que les frais [traduction] « créent une distinction fondée sur un motif énuméré (l’origine nationale ou ethnique) et un motif analogue, celui de la citoyenneté »
[souligné dans l’original].
[40] Dans leurs observations orales, les demandeurs ont déclaré que la discrimination entre les deux groupes se fonde [traduction] « sur l’origine nationale, sur l’origine ethnique, qui sont des motifs énumérés, de même que sur des motifs analogues, dont la citoyenneté, la naissance ou le lieu de naissance »
.
[41] En résumé, les demandeurs soutiennent que les frais contreviennent à la Charte et à la Déclaration canadienne des droits puisqu’ils établissent une distinction entre les personnes nées au Canada et celles qui sont nées à l’étranger du fait de l’origine nationale, de l’origine ethnique, de la citoyenneté, de la naissance (soit la naissance ou toute autre situation aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques [le Pacte]) ou du lieu de naissance.
[42] Ils soulignent également que [traduction] « [la Cour] doit non pas chercher à établir de façon définitive le motif qui pourrait s’appliquer en l’espèce mais plutôt se limiter à établir s’il existe une cause défendable quant à la possibilité que les faits en l’espèce mettent en lumière au moins un de ces motifs »
.
[43] C’est seulement si un des motifs illicites sous‑tend la distinction entre le groupe tenu de payer les frais et le groupe qui n’y est pas obligé que la Cour peut conclure que les demandeurs ont avancé une cause d’action valable. Si ce n’est pas le cas, il est évident et manifeste qu’il est impossible de faire droit à la présente action.
[44] J’aborderai maintenant chacun des motifs allégués afin de déterminer si l’un d’eux est à la base de la distinction contestée.
Les motifs de distinction allégués
L’origine nationale
[45] L’origine nationale se rapporte à l’endroit où la personne est née ou encore, plus largement, à l’endroit d’où proviennent ses ancêtres.
[46] La distinction entre les deux groupes en l’espèce – ceux qui doivent payer les frais et ceux qui n’y sont pas tenus – n’est pas fondée sur l’origine nationale parce qu’il y a des personnes dans chacun des groupes qui possèdent diverses origines nationales et d’autres qui partagent la même origine.
[47] Même s’il est vrai, en règle générale, que toute personne née au Canada possède automatiquement la citoyenneté canadienne, le paragraphe 3(2) de la Loi sur la citoyenneté dispose expressément que les enfants nés au Canada d’un parent qui est agent diplomatique ou consulaire au service d’un gouvernement étranger, et certaines autres personnes déterminées, n’ont pas qualité de citoyen canadien.
[48] Une personne visée au paragraphe 3(2) de la Loi sur la citoyenneté aurait une origine nationale canadienne mais serait tenue de payer les frais.
[49] Par ailleurs, l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la citoyenneté énonce aussi qu’a qualité de citoyen toute personne née à l’étranger d’un père ou d’une mère ayant qualité de citoyen.
[50] Une personne visée à l’article 3 de la Loi sur la citoyenneté pourrait avoir une origine nationale autre que canadienne mais ne pas être tenue de payer les frais.
[51] Par conséquent, le motif de distinction entre ceux qui doivent payer les frais et ceux qui n’y sont pas tenus n’est pas l’origine nationale.
L’origine ethnique
[52] « L’origine ethnique »
s’entend des origines ethniques ou culturelles d’une personne ou de ses ancêtres. Il n’est pas rare au Canada qu’une personne se désigne ou désigne un tiers par une appellation composée, par exemple un Indo‑Canadien, une Canado‑Allemande ou un Libano‑Canadien, etc., qui est fondée sur l’origine ethnique de chacun.
[53] Le Canada, comme le soulignent les demandeurs, est un pays formé d’immigrants. Presque toutes les origines culturelles ou ethniques, voire toutes, sont représentées chez les membres de la population nés au Canada. Je ne discerne donc pas de raison permettant de soutenir que la distinction contestée en l’espèce se fonde sur l’origine ethnique. L’origine ethnique des personnes nées au Canada et non tenues de payer les frais s’apparente à celle des personnes nées à l’étranger qui peuvent être obligées de payer les frais.
La citoyenneté
[54] La citoyenneté est‑elle un motif sous‑tendant la distinction contestée? Est‑ce que ce sont les personnes n’ayant pas la citoyenneté canadienne qui doivent payer les frais alors que les citoyens canadiens n’y sont pas obligés?
[55] Il est certainement vrai que les citoyens canadiens ne sont tenus de payer ni les FRP ni les FDC. Cependant, ce ne sont pas toutes les personnes n’ayant pas la citoyenneté canadienne qui sont tenues de payer les frais.
[56] Le paragraphe 303(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés décrit plusieurs catégories de personnes qui ne sont pas tenues au paiement des frais de résidence permanente. Bon nombre de ces personnes sont nées à l’étranger, par exemple les membres de la famille et les enfants à charge du demandeur principal du statut de résident permanent. Il y a également la vaste catégorie des membres de la famille de répondants qui parrainent des personnes demandant la résidence permanente.
[57] Certains étrangers sont aussi exemptés de l’obligation de payer les FDC. Le barème joint en tant que pièce 1 à l’affidavit de Roxy Hamidi énumère plusieurs catégories de personnes qui ne sont pas tenues au paiement de ces frais. Il y a entre autres le mineur qui présente une demande en tant qu’adulte en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, le mineur qui se voit attribuer la citoyenneté en vertu du paragraphe 5(2) de la Loi sur la citoyenneté et le mineur qui est une personne adoptée.
[58] Par conséquent, le motif de distinction entre ceux qui doivent payer les frais et ceux qui n’y sont pas tenus n’est pas la citoyenneté.
La naissance
[59] Durant leurs plaidoiries, les demandeurs ont invoqué un motif analogue possible de discrimination qui serait fondé sur [traduction] « la naissance ou toute autre situation »
, aux termes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques [le Pacte].
[60] Le terme « naissance » n’est pas défini dans le Pacte et les demandeurs n’ont proposé aucune définition. Étant donné que le Canada est signataire du Pacte et qu’il a convenu de prendre des mesures pour s’assurer que les lois fédérales englobent ses dispositions, la Cour présume que c’est le cas pour la Charte et la Déclaration canadienne des droits également. Par conséquent, mon analyse concernant ces textes s’applique à l’interdiction de toute discrimination fondée sur la naissance qui est énoncée dans le Pacte.
Le lieu de naissance
[61] Comme pour l’origine nationale, dont il est question dans les motifs exposés plus haut, les membres des deux groupes peuvent être nés au Canada ou n’importe où à l’étranger. Par conséquent, la distinction n’est pas fondée sur le lieu de naissance.
Conclusion
[62] Il ne fait aucun doute que les demandeurs ont cerné deux groupes identifiables. Ils appartiennent tous deux à un groupe de personnes qui sont tenues de payer les frais. Il y a une distinction entre le groupe en question et le groupe n’ayant pas à payer les frais. Comme je l’ai décrit ci‑dessus, cette distinction ne se fonde ni sur un motif énuméré à l’article 15 de la Charte ni sur un motif analogue. Par conséquent, il est évident et manifeste qu’il est impossible de faire droit à une demande faisant état d’une discrimination entre les deux groupes qui serait interdite par la Charte.
[63] La requête en radiation de la défenderesse sera accueillie. La requête des demandeurs en vue de faire autoriser l’action comme recours collectif sera rejetée.
[64] Après que notre Cour a entendu leurs observations de vive voix, les demandeurs ont présenté deux précédents supplémentaires :
[TRADUCTION]
Le demandeur attire l’attention de la Cour sur une décision ayant trait à un recours collectif (British Columbia v Apotex Inc, 2022 BCSC 1383 aux para 3, 13, 42, 45, 48‑50, 52‑54, 58 et 60). Cette décision récente touche aux deux points de nature procédurale qui ont aussi été soulevés dans les requêtes en l’espèce, soit le caractère suffisant de l’avis de requête de la défenderesse et la conformité aux règles régissant précisément les affidavits présentés à l’appui d’une requête en autorisation de recours collectif.
Le demandeur a également appris que, le 17 août 2022, la Cour d’appel fédérale a rendu un arrêt portant sur l’utilisation des éléments de preuve extrinsèques lors de la présentation d’une requête en radiation dans le cadre d’un recours collectif (Mohr c Ligue nationale de hockey, 2022 CAF 145 aux para 55‑60 et 65‑68).
[65] Aucune des décisions n’est pertinente, étant donné que la requête en espèce a été tranchée sans qu’il soit nécessaire d’utiliser des éléments de preuve extrinsèques.
[66] La défenderesse n’a pas sollicité de dépens.
ORDONNANCE dans le dossier T‑465‑21
LA COUR REND L’ORDONNANCE qui suit :
La requête des demandeurs en vue de faire autoriser l’action comme recours collectif est rejetée.
La requête en radiation de l’action, sans autorisation de modification, présentée par la défenderesse, est accueillie.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Russel W. Zinn »
Juge
Traduction certifiée conforme
Martine Corbeil
Annexe A
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Appendix B
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑465‑21 |
INTITULÉ :
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MICHAEL PHILIPPUS BRINK et FUH‑CHII YANG c SA MAJESTÉ LA REINE |
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LES 19 ET 20 AVRIL 2022
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ORDONNANCE ET MOTIFS |
LE JUGE ZINN
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DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :
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LE 26 AOÛT 2022
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COMPARUTIONS :
Simon Lin Mathew Good
Kevin McLaren Alexia Majidi Heather McMahon Jérémie John Martin Sébastien A. Paquette |
POUR LES DEMANDEURS |
Marina Stefanovic
Nur Muhammed‑Ally David Cranton |
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Evolink Law Group Avocats Burnaby (Colombie‑Britannique) Hammerco Lawyers LLP Avocats Vancouver (Colombie‑Britannique) Mathew P. Good Law Corporation Avocats Vancouver (Colombie‑Britannique) Champlain Avocats Avocats Montréal (Québec) |
POUR LES DEMANDEURS |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LA DÉFENDERESSE |