Date : 20220805
Dossier : IMM‑1670‑21
Référence : 2022 CF 1169
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 5 août 2022
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE :
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ADAM THOMAS
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeur
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MOTIFS ET JUGEMENT
[1] M. Adam Thomas (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le défendeur) a refusé de lui accorder la dispense ministérielle prévue à l’article 42.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).
[2] Le demandeur est citoyen des États‑Unis d’Amérique. Il a obtenu sa résidence permanente canadienne en mai 2000.
[3] En 2002, un grand jury des États‑Unis a mis en accusation le demandeur et M. Benjamin Nicoletti pour des infractions liées au jeu. L’acte d’accusation indique, entre autres, que le demandeur et M. Nicoletti auraient participé à une [traduction] « entreprise criminelle »
. Les autorités américaines ont ultimement abandonné les accusations.
[4] En 2004, le demandeur a conclu une entente sur le plaidoyer et a plaidé coupable à une accusation d’extorsion relativement au recouvrement d’une extension de crédit. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 24 mois et à une période de probation sous surveillance de deux ans. Avant sa sortie de prison aux États‑Unis, le demandeur a demandé au juge de district en chef, qui présidait l’affaire le concernant, la permission de résider au Canada.
[5] La demande a été accueillie le 22 mars 2006 et le demandeur est retourné au Canada le 7 avril 2006.
[6] Le 16 mai 2013, le demandeur a soumis, auprès d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, une demande de reconnaissance de sa réadaptation.
[7] Le 26 mai 2014, la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a déclaré le demandeur interdit de territoire au Canada pour grande criminalité et pour appartenance à une organisation criminelle en vertu des alinéas 36(1)b) et 37(1)a), respectivement, de la Loi.
[8] En juin 2015, la demande de reconnaissance du demandeur concernant sa réadaptation a été approuvée. L’interdiction de territoire pour grande criminalité n’était alors plus applicable.
[9] Le 15 juillet 2015, le demandeur a présenté une demande de dispense ministérielle au titre du paragraphe 42.1(1) de la Loi pour obtenir une déclaration selon laquelle l’interdiction de territoire le visant en application de l’alinéa 37(1)a) était levée.
[10] L’Agence des services frontaliers du Canada a recommandé au défendeur de refuser la demande.
[11] Le 21 février 2021, le défendeur a refusé la demande.
[12] Le demandeur fait valoir que le défendeur a effectué une analyse déraisonnable relativement à l’intérêt national, qu’il a tenu compte, de manière déraisonnable, de la mise en accusation par le grand jury et qu’il avait tiré des conclusions non étayées.
[13] Le défendeur soutient que la décision est raisonnable.
[14] La décision doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable, à la lumière des principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 RCS 653.
[15] Lorsqu’elle procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit se demander si la décision sous examen « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »
; voir l’arrêt Vavilov, précité, au paragraphe 99.
[16] Dans sa décision, le défendeur a examiné la vaste question de l’« intérêt national »
, dans le contexte des antécédents du demandeur, y compris la mise en accusation aux États‑Unis. Selon le demandeur, le défendeur a eu tort de rejeter sa demande de dispense fondée sur le paragraphe 42.1(1), car, dans son évaluation de l’intérêt national, il n’a pas tenu compte de la preuve et des arguments présentés en ce qui concerne l’élément relatif au « danger »
.
[17] Le défendeur soutient que, pour refuser une demande de dispense, il n’est pas nécessaire d’arriver à la conclusion qu’une personne constitue un danger présent ou futur. Il souligne qu’aux termes du paragraphe 42.1(3) de la Loi, il n’est pas tenu de limiter son analyse au fait que l’étranger constitue ou non un danger pour le public ou la sécurité du Canada. De son avis, suivant l’interprétation correcte de ce paragraphe, il n’a pas à inclure dans son analyse l’élément relatif au « danger »
.
[18] Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente demande :
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[19] De l’avis du demandeur, suivant une interprétation [traduction] « correcte »
du paragraphe 42.1(3), le défendeur doit tenir compte de l’élément relatif au danger, mais peut également tenir compte d’autres facteurs.
[20] Au paragraphe 17 de l’arrêt Ragupathy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 RCF 490, la Cour d’appel fédérale a noté qu’un « danger pour le public »
s’entend d’« un danger présent ou futur pour le public »
.
[21] À la lumière de ce guide jurisprudentiel, j’estime que le défendeur a effectué une analyse déraisonnable de l’« intérêt national »
, car il n’a pas tenu compte des observations du demandeur sur l’élément relatif au « danger »
, et plus particulièrement de la preuve de sa réadaptation.
[22] Le mot « danger »
figure dans le libellé du paragraphe 42.1(3). Il est élémentaire en droit de prendre en compte tous les mots d’une disposition législative.
[23] Je me reporte au paragraphe 122 de l’arrêt Vavilov, précité :
Il se peut qu’au moment d’interpréter une disposition législative, le décideur administratif ne tienne aucunement compte d’un aspect pertinent de son texte, de son contexte ou de son objet. […] [S]’il est manifeste que le décideur administratif aurait pu fort bien arriver à un résultat différent s’il avait pris en compte un élément clé du texte, du contexte ou de l’objet d’une disposition législative, le défaut de tenir compte de cet élément pourrait alors être indéfendable et déraisonnable dans les circonstances.
[24] Dans sa demande de dispense ministérielle présentée au titre du paragraphe 42.1(1), le demandeur a fourni des observations importantes démontrant qu’il ne constitue pas un danger présent ou futur pour les Canadiens ou la sécurité nationale du Canada. Les observations comprenaient des éléments de preuve concernant son permis de résidence temporaire antérieur, son autorisation de revenir au Canada et sa réadaptation.
[25] À mon avis, lorsque des observations importantes sont présentées au sujet d’un « danger »
et que ce mot figure dans la disposition applicable de la Loi, le décideur, soit le défendeur en l’espèce, doit tenir compte des éléments de preuve dans son analyse et fournir une explication justifiant, le cas échéant, le rejet de ces éléments de preuve.
[26] Je n’ai pas à examiner les autres questions et arguments des parties puisque, à mon avis, la décision est déraisonnable.
[27] Conformément à une directive donnée le 25 mars 2022, le demandeur a soumis, par lettre datée du 29 mars 2022, deux questions à certifier. Le défendeur a exprimé son opposition à ces questions dans une lettre en date du 1er avril 2022. Le demandeur a déposé une réponse au moyen d’une lettre datée du 8 avril 2022.
[28] Le critère qui s’applique à la certification d’une question aux fins de l’alinéa 74d) de la Loi consiste à savoir si l’affaire soulève une question grave de portée générale qui permettrait de régler un appel : voir l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Zazai, 2004 CAF 89.
[29] Compte tenu toutefois de la manière dont je tranche la présente affaire, j’estime que le critère applicable à la certification d’une question n’est pas respecté. La décision qui sera rendue par la Cour suprême du Canada au sujet de l’interprétation de l’expression « sécurité nationale »
dans l’affaire Earl Mason, et al c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, et al, dossier no 39855, pourrait s’avérer pertinente pour ce qui est du nouvel examen de la présente affaire, même s’il sera question de l’article 34 de la Loi.
[30] La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée au défendeur pour qu’il rende une nouvelle décision.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑1670‑21
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée au défendeur pour qu’il rende une nouvelle décision. Il n’y a aucune question à certifier.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Semra Denise Omer
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑1670‑21
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INTITULÉ :
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ADAM THOMAS c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET ST. JOHN’S (TERRE‑NEUVE‑ET‑LABRADOR)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 17 MARS 2022; OBSERVATIONS SUPPLÉMENTAIRES PRÉSENTÉES LE 29 MARS ET LES1ER ET 8 AVRIL
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE HENEGHAN
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DATE DES MOTIFS :
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LE 5 AOÛT 2022
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COMPARUTIONS :
Neerja Saini
Ravi Jain
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POUR LE DEMANDEUR
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Gregory George
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Green and Spiegel, LLP
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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