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Date : 20220725


Dossier : IMM-2242-20

Référence : 2022 CF 1105

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

P.P. MINERALS CANADA CORPORATION

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Sandip Nitin Kamdar (M. Kamdar) est le propriétaire majoritaire de P.P. Minerals Canada Corporation, la demanderesse dans le cadre du présent contrôle judiciaire. P.P. Minerals Canada a présenté une demande pour obtenir une étude d’impact sur le marché du travail (l’EIMT) dans la catégorie des propriétaires exploitants du Programme des travailleurs étrangers temporaires (le PTET) afin que M. Kamdar puisse entrer au Canada et superviser les activités de l’entreprise. Cette demande a été rejetée par un agent d’Emploi et Développement social Canada [ESDC]. L’agent a conclu que l’employeur P.P. Minerals Canada n’était pas véritablement actif dans l’entreprise et qu’aucun besoin légitime n’avait été démontré pour le poste offert à M. Kamdar. Dans la demande de contrôle judiciaire en l’espèce, la demanderesse conteste le rejet de sa demande d’EIMT.

[2] La demanderesse soulève la question fondamentale de savoir comment l’obligation pour l’employeur d’être « véritablement actif dans l’entreprise à l’égard de laquelle [l’offre] est faite » (art 200(5)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR]) s’applique aux demandeurs de la catégorie des propriétaires exploitants. La demanderesse soutient que cette obligation doit tenir compte du contexte particulier des demandeurs de la catégorie des propriétaires exploitants, qui sont essentiellement de jeunes entreprises en démarrage. Elle a soulevé deux arguments concernant ce point. Premièrement, l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire en exigeant que l’employeur respecte son obligation d’être « véritablement actif » en démontrant que la société « fournit [déjà] un bien ou un service ». Deuxièmement, les motifs de l’agent n’étaient pas intrinsèquement cohérents, car l’agent recherchait une société déjà active, mais voulait aussi connaître les plans de la société pour l’avenir. La demanderesse soutient également que l’agent a commis une erreur de fait dans son évaluation.

[3] Je conclus qu’il n’y a pas lieu d’annuler la décision de l’agent. J’estime que l’agent n’a pas entravé son pouvoir discrétionnaire et qu’il a conclu que l’obligation pour l’employeur d’être véritablement actif n’a pas été respectée pour plusieurs raisons. En outre, les motifs sont intrinsèquement cohérents. L’agent a évalué deux obligations dans la réglementation – l’une est prospective et l’autre vise l’état actuel de l’entreprise; l’examen de ces deux obligations n’a pas conduit à des motifs intrinsèquement incohérents, contrairement à ce qui est allégué. Enfin, l’erreur factuelle alléguée par la demanderesse semble être une erreur d’écriture découlant d’un mauvais choix de case et n’était en aucun cas liée aux motifs pour lesquels la demande a été rejetée.

[4] La demanderesse ne m’a pas convaincue qu’il y a lieu d’annuler la décision de l’agent. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte factuel

[5] M. Kamdar occupe actuellement le poste d’associé directeur et de directeur général au sein de P.P. Minerals India. Le 18 septembre 2019, M. Kamdar a constitué en société P.P. Minerals Canada en vue d’étendre les activités de son entreprise. M. Kamdar est le propriétaire majoritaire de P.P. Minerals Canada. P.P. Minerals India se spécialise dans la fabrication et l’exportation de minéraux et de matériaux réfractaires. Le plan de M. Kamdar est que P.P. Minerals Canada soit également active dans l’industrie des matériaux réfractaires au Canada.

[6] Le 4 février 2020, P.P. Minerals Canada a présenté une demande d’EIMT en vue d’embaucher M. Kamdar à titre de directeur général au titre de la catégorie des propriétaires exploitants du PTET. Le 11 février 2020, l’agent a communiqué avec M. Kamdar et son ancien représentant pour les informer qu’il était préoccupé par l’authenticité de l’offre d’emploi et, plus particulièrement, par l’obligation pour l’employeur d’être « véritablement actif » au Canada. La demanderesse a fourni de plus amples renseignements sur la nature de la catégorie des propriétaires exploitants et sur les autres demandes approuvées dans la région de l’Ouest en 2016. Le 14 février 2020, l’agent a rejeté la demande après avoir conclu que l’offre d’emploi n’était pas authentique aux termes du paragraphe 200(5) et de l’alinéa 203(1)a) du RIPR.

III. Question préliminaire

[7] Les deux parties ont soulevé des plaintes au sujet des affidavits déposés par la partie adverse lors du contrôle judiciaire : l’affidavit de Ksenia Tchern, ancien avocat de P.P. Minerals Canada (l’affidavit de M. Tchern), déposé par la demanderesse, et l’affidavit de Katharine Alexander, directrice générale de la division du PTET à ESDC (l’affidavit de Mme Alexander), déposé par le défendeur. Je conviens que les deux affidavits contiennent des opinions, arguments et conclusions juridiques inadmissibles sur les questions de fond soulevées dans le cadre du contrôle judiciaire (art 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106; (Canada (Bureau de régie interne) c Canada (Procureur général)), 2017 CAF 43 aux para 16‑18). Je n’ai pas examiné les portions des affidavits contenant des arguments inadmissibles (para 18, 20‑24, 36‑39 de l’affidavit de M. Tchern et para 9 de l’affidavit de Mme Alexander) pour rendre ma décision.

IV. Questions en litige et norme de contrôle

[8] Trois questions ont été soulevées par la demanderesse dans sa contestation du rejet de la demande : i) L’agent a‑t‑il entravé son pouvoir discrétionnaire en exigeant que l’employeur, pour être « véritablement actif » au sens de l’alinéa 200(5)a) du RIPR, fournisse déjà des biens ou des services? ii) Les motifs de l’agent étaient‑ils intrinsèquement cohérents? iii) L’agent a‑t‑il commis une erreur factuelle?

[9] Concernant la première question, si le décideur a entravé son pouvoir discrétionnaire, la décision doit être annulée, quelle que soit la norme de contrôle applicable (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Keto, 2020 CF 467 au para 29).

[10] Les parties conviennent que les autres questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[11] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a décrit la norme de la décision raisonnable comme un type de contrôle empreint de déférence, mais néanmoins « rigoureux », et dont l’analyse a pour point de départ les motifs du décideur (au para 13). Les motifs écrits du décideur sont interprétés « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (Vavilov, au para 103).

[12] Selon la description de la Cour, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Les décideurs administratifs, dans l’exercice du pouvoir public, doivent veiller à ce que leurs décisions soient « justifié[es], intelligible[s] et transparent[es] non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au para 95).

V. Analyse

A. Contexte législatif

[13] Un employeur au Canada peut être tenu d’obtenir une EIMT positive de la part d’ESDC avant de pouvoir embaucher un travailleur étranger temporaire. Les paragraphes 203(1) et 203(3) du RIPR énoncent les facteurs qu’un agent d’ESDC doit prendre en considération lorsqu’il évalue une demande d’EIMT. Il doit notamment juger de l’authenticité de l’offre d’emploi. La question de savoir si une offre d’emploi est authentique est évaluée en fonction de quatre facteurs énoncés au paragraphe 200(5) du RIPR. Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, la principale préoccupation est la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’a pas respecté l’obligation de démontrer que « l’offre est présentée par un employeur véritablement actif dans l’entreprise à l’égard de laquelle elle est faite » (art 200(5)a) du RIPR).

[14] ESDC a publié des lignes directrices sur la question de l’évaluation de l’authenticité d’une offre d’emploi. La directive intitulée « L’évaluation de l’authenticité », en vigueur au moment de la décision de l’agent (la directive sur l’authenticité), a établi qu’une entreprise est véritablement active si l’« employeur exploite réellement, de bonne foi, une entreprise où un employé peut travailler et qui fournit un bien ou un service lié à l’offre d’emploi ».

B. L’agent n’a pas entravé son pouvoir discrétionnaire

[15] La demanderesse fait principalement valoir que l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur le libellé de la directive sur l’authenticité pour exiger qu’un employeur fournisse déjà un bien ou un service pour être jugé véritablement actif au sens de l’alinéa 200(5)a) du RIPR. Je conviens avec la demanderesse que les décideurs ne peuvent pas traiter les lignes directrices facultatives comme si elles avaient force de loi et qu’ils ne peuvent refuser d’examiner d’autres facteurs pertinents (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Thamotharen, 2007 CAF 198 au para 62). Toutefois, après avoir examiné attentivement le raisonnement de l’agent, j’estime qu’il n’a pas considéré le libellé de la directive sur l’authenticité comme contraignant et qu’il n’a pas fondé sa conclusion uniquement sur le fait qu’aucun bien ou service n’était fourni par l’entreprise au moment de l’évaluation.

[16] Le formulaire de modèle d’évaluation utilisé par l’agent pour justifier sa décision comprend un libellé du RIPR décrivant l’obligation pour l’employeur d’être « véritablement actif » énoncée à l’alinéa 200(5)a). Le formulaire pose également une question qui reprend le libellé de la directive sur l’authenticité : « L’employeur exploite‑t‑il actuellement une entreprise légitime qui fournit un bien ou un service où un employé pourrait travailler? »

[17] La demanderesse soutient que l’agent a indûment concentré son analyse sur la réponse à cette question, sans tenir compte des circonstances particulières des demandeurs qui présentent une demande au titre de la catégorie des propriétaires exploitants pour une entreprise en démarrage. La raison pour laquelle cette observation pose problème est que l’analyse de l’agent ne se limitait pas seulement à savoir si l’entreprise offre actuellement un bien ou un service. L’agent a examiné un certain nombre de facteurs avant de conclure que la demanderesse n’avait pas respecté l’obligation pour l’employeur d’être « véritablement actif » énoncée dans le RIPR. En plus de ne pas fournir de biens ou de services, l’agent a fait remarquer que l’entreprise n’avait pas de clients canadiens, qu’aucun emplacement d’entrepôt n’avait été choisi pour l’entreprise, qu’aucune activité commerciale n’était menée à l’adresse de bureau virtuel fournie et que, selon la demanderesse, il faudrait environ quatre à cinq mois pour acquérir de nouveaux clients après le commencement des activités de l’entreprise. L’agent a expressément demandé à la demanderesse combien de temps il faudrait avant que l’entreprise ait des clients. Cela n’indique pas que l’agent se sentait lié par le libellé de la directive sur l’authenticité et l’exigence qu’un bien ou un service soit déjà fourni au moment de l’évaluation (Charger Logistics Ltd c Canada (Emploi et Développement social), 2016 CF 286 au para 21).

[18] En se fondant sur un certain nombre de facteurs, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas respecté l’obligation prévue à l’alinéa 200(5)a) du RIPR selon laquelle « l’offre est présentée par un employeur véritablement actif dans l’entreprise à l’égard de laquelle elle est faite ». Dans les circonstances de l’espèce, je ne suis pas convaincue que la demanderesse a démontré que l’agent a entravé son pouvoir discrétionnaire en rendant sa décision.

C. Les motifs étaient intrinsèquement cohérents

[19] La demanderesse soutient également que les motifs n’étaient pas intrinsèquement cohérents parce que l’agent a évalué sa capacité à satisfaire aux besoins légitimes du poste (art 200(5)b) du RIPR) en examinant ses plans lorsque l’entreprise serait opérationnelle, et ce, après avoir conclu qu’elle n’était pas véritablement active dans l’entreprise et que l’offre d’emploi n’était donc pas authentique. Cette observation est dénuée de fondement. Les motifs de l’agent sont cohérents; l’agent fournit une évaluation des différents facteurs à examiner dans l’évaluation de l’authenticité conformément au RIPR. L’agent a clairement fait part de ses motifs à l’égard de chacun des facteurs législatifs.

D. L’erreur factuelle n’a pas joué un rôle déterminant dans la décision

[20] Enfin, la demanderesse soutient que la décision devrait être annulée parce que l’agent a incorrectement répondu « non » à la question « [l]’employeur se conforment‑ils aux lois fédérales, provinciales et territoriales sur l’emploi et le recrutement? » Je conclus qu’il s’agit vraisemblablement d’une erreur d’écriture étant donné que, dans l’exposé écrit, l’agent n’indique pas que l’employeur a eu des problèmes de non-respect. De plus, l’agent n’a pas invoqué ce motif pour rejeter la demande. Cette erreur administrative ne constitue pas une raison pour annuler la décision de l’agent (Kamburona c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 149 au para 20; Vavilov, au para 100).

VI. Conclusion

[21] Dans ces circonstances, je ne saurais conclure qu’il y a lieu d’intervenir dans la décision de l’agent. La décision est transparente, intelligible et justifiée « au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles [l’agent était] assujetti » (Vavilov, au para 85). La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Compte tenu des motifs pour lesquels j’ai rejeté la demande, je ne vois aucune raison d’adjuger les dépens demandés par la demanderesse. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2242-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2242-20

 

INTITULÉ :

P.P. MINERALS CANADA CORPORATION c LE MINISTRE DE L’EMPLOI ET DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 FÉVRIER 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JUILLET 2022

 

COMPARUTIONS :

Lev Abramovich

 

POUR LA DEMANDERESSE

Samantha Pillon

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ABRAMOVICH & TCHERN PC

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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