Date : 20220726
Dossier : T‑1325‑20
Référence : 2022 CF 1115
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 26 juillet 2022
En présence de madame la juge Kane
ENTRE :
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A INC. ET B INC.
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demanderesses
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et
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MUSÉE CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE ET SOCIÉTÉ RADIO‑CANADA
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défendeurs
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JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS
[1] Les demanderesses, A Inc. et B Inc., demandent un contrôle judiciaire de la décision du défendeur, le Musée canadien des droits de la personne [le MCDP ou le Musée], de communiquer certains documents en réponse à deux demandes d’accès à l’information, dont l’une a été faite par un journaliste de la défenderesse, la Société Radio‑Canada [la SRC]. Le MCDP a examiné les observations des demanderesses et les dispositions de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1 [la Loi], et a décidé de communiquer les documents demandés avec des caviardages. Les demanderesses soutiennent que les documents ne devraient pas être communiqués du tout, même s’ils sont caviardés, car ils sont assujettis à des exceptions à la communication en vertu du paragraphe 19(1) et des alinéas 20(1)c) et d) de la Loi.
[2] Le 22 décembre 2020, le juge chargé de la gestion de l’instance a accueilli la demande des demanderesses de poursuivre leur demande de contrôle judiciaire [la demande] de façon anonyme, étant donné que la question de savoir si les noms des demanderesses sont protégés contre la divulgation est une question à trancher dans la demande.
[3] Le 8 janvier 2021, le juge chargé de la gestion de l’instance a rendu une ordonnance de confidentialité désignant certains renseignements à déposer et à traiter comme des renseignements confidentiels, plus précisément les documents non caviardés visés par la présente demande, ainsi que les noms, adresses, numéros de téléphone, noms de domaine et toute autre information permettant d’identifier les demanderesses.
[4] De plus, le 8 janvier 2021, le juge chargé de la gestion de l’instance a rendu une ordonnance conservatoire, avec le consentement des demanderesses et du MCDP. L’ordonnance conservatoire régit la production et la communication des renseignements « confidentiels »
et des renseignements « réservés aux seuls avocats »
.
[5] La SRC a été ajoutée en tant que défenderesse le 8 février 2021.
[6] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée, tout comme la requête des demanderesses visant à retirer un document du dossier certifié du tribunal [le DCT]. La Cour conclut que certains passages doivent être caviardés conformément au paragraphe 19(1) de la Loi et que ces renseignements peuvent être retranchés pour permettre la communication des documents.
I.
Question préliminaire : requête des demanderesses
[7] Au début de l’audition de la présente demande, la Cour a examiné la requête des demanderesses visant à retirer un document du DCT. Ce document est une lettre datée du 13 octobre 2020 qui présente les observations écrites que les demanderesses ont présentées au MCDP conformément à l’article 28 de la Loi, à la suite de la réception d’un avis en vertu de l’article 27 selon lequel le MCDP avait l’intention de communiquer des documents concernant les demanderesses. Les observations décrivent l’opposition des demanderesses à la communication des documents.
[8] Le DCT a été signifié aux demanderesses et déposé à la Cour le 29 janvier 2021. Le 31 mai 2021, les demanderesses ont déposé leur dossier de demande, qui comprenait la lettre du 13 octobre 2020. Le 14 juin 2021, les avocats des demanderesses ont soulevé des préoccupations au sujet du contenu des versions publiques et confidentielles du DCT. Le juge chargé de la gestion de l’instance a ordonné que la requête des demanderesses visant à retirer tout document qu’elles considéraient comme étant indûment inclus dans le DCT soit entendue au moment de l’audition de la présente demande et a établi un calendrier pour la remise des dossiers de requête.
[9] Les demanderesses qualifient l’objet de leur requête de [TRADUCTION]°« correction »
du DCT. Les demanderesses soutiennent que leurs observations au MCDP constituent un mémoire des arguments juridiques qui ne devrait pas faire partie du dossier du tribunal, en s’appuyant sur les décisions Regina (City) c ATU, Local 588, 1975 CarswellSask 78 aux para 15 et 16, 61 DLR (3d) 376 (BR Sask), conf par (1976) 67 DLR (3d) 533 (CA Sask), et Newfoundland and Labrador (Resource Development Trades Council) c Muskrat Falls Employers’ Association Inc., 2018 NLSC 260 aux para 13 et 14. Les demanderesses soutiennent que les observations ne sont ni des éléments de preuve ni des actes de procédure et qu’elles ne sont pas nécessaires à la décision relative à la demande et devraient donc être exclues du DCT. Les demanderesses soutiennent que la preuve est seulement celle qui est énoncée dans un affidavit qui décrit l’incidence de la communication des documents en cause.
[10] Les demanderesses soutiennent que le contenu du dossier aux fins du contrôle judiciaire n’est pas abordé dans les articles 317 ou 318 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, ou dans la Loi sur l’accès à l’information ou la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21.
[11] Le MCDP et la SRC s’opposent à la requête des demanderesses.
[12] Le MCDP fait remarquer que le paragraphe 317(1) des Règles des Cours fédérales, qui prévoit qu’un demandeur peut demander des documents en la possession du tribunal dont la décision fait l’objet d’un contrôle, porte sur des documents qui sont « pertinents quant à la demande »
. Le MCDP soutient que les documents dont disposait le décideur sont pertinents pour une demande de contrôle judiciaire et font partie du dossier du contrôle judiciaire, même pour une décision de novo. Le MCDP soutient que le DCT, qui comprend la preuve qui a été prise en compte par le MCDP pour déterminer s’il fallait communiquer les dossiers, est nécessaire à la Cour afin de déterminer si le MCDP a correctement appliqué les exceptions à la communication. Le MCDP fait remarquer que la Cour fédérale a tenu compte des observations de tiers en vertu de l’alinéa 28(1)b) de la Loi dans le cadre du DCT dans d’autres instances en matière d’accès à l’information : voir, p. ex., Suncor Énergie Inc. c Office Canada‑Terre‑Neuve‑et‑Labrador des hydrocarbures extracôtiers, 2021 CF 138 aux para 18 à 28; Porter Airlines inc. c Canada (Procureur général), 2013 CF 780 au para 5; Concord Premium Meats Ltd c Canada (Agence d’inspection des aliments), 2020 CF 1166 au para 14 [Concord].
[13] Le MCDP ajoute que les demanderesses ont acquiescé à l’inclusion des observations dans le DCT en ne s’opposant pas en temps opportun et en incluant les observations dans leur propre dossier de demande. Le MCDP s’est appuyé sur le DCT, y compris les observations, pour déterminer s’il fallait déposer d’autres éléments de preuve par affidavit; le retrait du document maintenant serait inéquitable et préjudiciable.
[14] La SRC est d’accord avec le MCDP et ajoute qu’aucune jurisprudence n’a été citée pour étayer la capacité de retirer un document d’un DCT. Même les documents non pertinents demeurent dans un DCT. La SRC ajoute que le retrait du document serait incompatible avec le principe de la publicité des débats judiciaires, qui s’applique à tous les documents mis à la disposition de la Cour afin de trancher l’affaire. La SRC soutient que la requête des demanderesses est assujettie au critère des limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires, comme l’a récemment exprimé la Cour suprême dans l’arrêt Sherman (Succession) c Donovan, 2021 CSC 25 au para 38 [Sherman (Succession)].
[15] Je conclus qu’il n’y a aucun fondement en droit ni aucune raison invoquée par les demanderesses pour retirer leurs observations au MCDP du DCT. Les demanderesses n’ont invoqué aucune jurisprudence de la Cour pour appuyer leur affirmation selon laquelle les arguments juridiques présentés au décideur ne devraient pas faire partie d’un DCT. Il est typique, dans les demandes de contrôle judiciaire, que le DCT comprenne des observations présentées au décideur qui plaident à la fois les faits et le droit.
[16] Les deux affaires citées par les demanderesses ne les aident en rien, car elles portent toutes deux sur des conflits de travail en arbitrage, qui surviennent dans un contexte législatif distinct. Je remarque que la décision la plus récente de la Cour suprême de Terre‑Neuve portait sur la question de savoir si le dossier devait être élargi pour inclure les mémoires présentés à l’arbitre en matière de relations de travail, et non pas si les documents au dossier devaient être retirés.
[17] L’argument des demanderesses, selon lequel leurs observations au MCDP n’étaient pas des éléments de preuve ou des actes de procédure et que la Cour rendra sa propre décision, ne tient pas compte du fait que le dossier dont disposait le décideur initial est pertinent, même dans le cadre d’un examen de novo. Comme il est mentionné au paragraphe 33 de la décision Concord, qui est plus amplement décrit ci‑dessous, même si l’examen est appelé « de novo »
, cela ne signifie pas que la Cour ne tient pas compte des renseignements dont disposait le décideur pour déterminer si la décision est correcte. En l’espèce, les demanderesses ont fourni leurs observations au MCDP avec peu d’autres renseignements. Lors d’un examen de novo, des éléments de preuve supplémentaires peuvent être présentés, mais les éléments de preuve au dossier demeurent pertinents. Comme l’a fait remarquer le MCDP, le retrait des observations des demanderesses du dossier laisserait croire que le MCDP n’a pas reçu de réponse des demanderesses, même si elles ont eu l’occasion de le faire, comme l’exige la Loi, et que le MCDP en est arrivé à sa décision sur la communication sans tenir compte de leur avis.
[18] La jurisprudence appuie la conclusion selon laquelle le DCT, même dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire dans laquelle la Cour mène un examen de novo, comprend les documents qui avaient été présentés au décideur initial (voir, p. ex., la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Hanjra, 2018 CF 207 aux para 17 à 20), qui portait sur un contexte différent dans lequel la Cour a souligné que tout document s’étant trouvé devant un décideur lorsqu’il a pris sa décision doit être présumé pertinent lorsque celle‑ci est soumise à un contrôle. La Cour a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 20 :
Ma conclusion sur cette question ne change pas parce que la Section d’appel de l’immigration est saisie d’un appel de novo et non d’un contrôle judiciaire. La différence importante tient au fait que dans le cadre d’un appel de novo, les deux parties peuvent introduire de nouveaux éléments de preuve en complément du dossier dont disposait l’agent. Cependant, cette possibilité n’ébranle d’aucune façon la présomption de la pertinence de l’intégralité de ce dossier.
[19] Au paragraphe 9 de l’arrêt Maax Bath Inc. c Almag Aluminum Inc., 2009 CAF 204, la Cour d’appel a déclaré ce qui suit :
Un document est pertinent au sens des Règles 317 et 318 s’il a pu influer sur la décision du Tribunal ou s’il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de la demande de contrôle judiciaire (Telus, précité, au paragraphe 5; Pathak, précité, au paragraphe 10).
[20] Comme l’a fait remarquer la SRC, le retrait des observations du DCT irait à l’encontre du principe de la publicité des débats judiciaires. Au paragraphe 38 de l’arrêt Sherman (Succession), la Cour suprême du Canada a reformulé le critère des limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires. La Cour a expliqué que ce critère s’applique à toutes les limites discrétionnaires, y compris les ordonnances de non‑publication, de mise sous scellés et de caviardage. La personne qui sollicite une exception au principe de la publicité des débats judiciaires (en l’espèce, les demanderesses) doit établir que : 1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important; 2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et 3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.
[21] Les demanderesses n’ont établi aucun élément de ce critère. Elles prennent simplement la position selon laquelle l’inclusion des observations au dossier n’est pas nécessaire. Je suis d’accord avec la SRC pour dire que le public a le droit de savoir ce que le MCDP a pris en considération lorsqu’il a décidé de fournir les documents avec des caviardages, tout comme la Cour.
[22] Les demanderesses semblent vouloir revenir sur leurs observations, en tout ou en partie, mais leurs arguments à l’égard de la présente demande soulèvent les mêmes arguments ou des arguments semblables à ceux présentés dans leurs observations au MCDP. En plus de l’absence de fondement juridique ou autre pour retirer les observations du DCT, le retrait des observations ne dissocierait pas les demanderesses des arguments présentés au MCDP.
[23] Par conséquent, la requête des demanderesses sera rejetée.
II.
Contexte
[24] Le MCDP est une société d’État. Il a pour mission « d’explorer le thème des droits de la personne, en mettant un accent particulier sur le Canada, en vue d’accroître la compréhension du public à cet égard, de promouvoir le respect des autres et d’encourager la réflexion et le dialogue »
(Loi sur les musées, LC 1990, c 3, art 15.2).
[25] En 2020, des médias ont rapporté que le MCDP avait accepté des demandes de groupes qui allaient visiter les expositions visant à dissimuler ou à éviter du contenu lié aux luttes pour les droits de la personne de la communauté LGBTQ+.
[26] Le 18 juin 2020, une demande d’accès à l’information a été soumise afin d’obtenir [TRADUCTION]°« tous les documents (courriels, notes de service, lettres, etc.) internes et externes portant sur des discussions concernant le fait que le Musée devait bloquer, sauter ou ne pas montrer de quelque façon que ce soit des expositions sur les personnes LGBT ou les couples de même sexe à tout type de groupe de visiteurs »
. La demande portait sur tous ces documents qui étaient datés du 1er janvier 2018 ou après cette date.
[27] Le 21 juin 2020, un journaliste de la SRC a demandé, entre autres documents, [TRADUCTION]°« tous les documents concernant l’exclusion de contenu sur les couples de même sexe pendant les visites au musée qui sont en la possession du gestionnaire du MCDP, Alain Bouchard, ou qui le mentionnent. Inclure les courriels et les documents de politique que M. Bouchard a rédigés au sujet de cette pratique ou les documents qui ont fourni des directives au personnel »
.
[28] Parmi les documents que le Musée a identifiés comme répondant aux demandes, il y avait des documents concernant A Inc. et B Inc., deux écoles privées exploitées par la même société. L’une des écoles en question se trouve au Canada et l’autre, aux États‑Unis.
[29] Le dossier relatif à A Inc. consiste en un courriel sous forme de tableau contenant les renseignements de réservation pour une visite autoguidée du Musée. Le dossier semble indiquer, entre autres renseignements, le nom de l’école, le nom et l’adresse courriel d’un membre du personnel de l’école, le niveau scolaire des élèves qui y participeraient, ainsi qu’une note relative à la demande de ne pas montrer certains contenus.
[30] Le dossier concernant B Inc. consiste en une demande initiale de réservation d’une visite et plusieurs échanges de courriels subséquents. La demande de réservation indique le nom de l’école, son emplacement et son numéro de téléphone, le nom et l’adresse courriel du membre du personnel qui a fait la demande, ainsi que le niveau scolaire des élèves qui y participeraient. La demande fait également état de la demande spéciale de ne pas montrer certains contenus. La correspondance subséquente comprend des courriels avec le membre du personnel et entre les employés du Musée. Les courriels divulguent le nom, les coordonnées et le titre du poste du membre du personnel.
[31] Conformément au paragraphe 27(1) de la Loi, le MCDP a écrit aux demanderesses le 12 août 2020, avec des rappels subséquents, pour les inviter à soumettre des observations concernant la communication possible des dossiers.
[32] Les avocats des demanderesses ont répondu en leur nom le 13 octobre 2020 par une lettre conjointe s’opposant à la communication des documents et citant des exceptions à la communication en vertu du paragraphe 19(1) et des alinéas 20(1)c) et d) de la Loi. Les demanderesses invoquent les mêmes exceptions à la communication dans la présente demande.
III.
Décision du MCDP de communiquer des documents caviardés
[33] Le 23 octobre 2020, le MCDP a informé chacune des demanderesses qu’il avait décidé de communiquer les documents, avec des caviardages. Le MCDP a déterminé que certaines parties des documents contenaient des renseignements personnels et étaient soustraites à la communication en vertu du paragraphe 19(1), mais qu’elles pouvaient être retranchées, conformément à l’article 25 de la Loi.
[34] Le MCDP a déterminé que les documents n’étaient pas soustraits à la communication en vertu de l’alinéa 20(1)c) ou de l’alinéa 20(1)d), parce que les demanderesses n’avaient pas démontré à la satisfaction du MCDP que la communication entraînerait un risque de préjudice au‑delà de la simple hypothèse ou possibilité, ni qu’il y avait un risque vraisemblable d’entrave à des négociations menées en vue de contrats ou à d’autres fins.
[35] Le MCDP a joint les copies des documents qu’il a proposé de communiquer, en soulignant les caviardages effectués en application du paragraphe 19(1) pour dissimuler les noms et les coordonnées des membres du personnel et les niveaux scolaires des élèves, comme il est indiqué dans la demande des écoles concernant les participants proposés.
IV.
Question en litige et norme de contrôle
[36] L’article 44 de la Loi prévoit qu’un tiers (en l’espèce, les demanderesses) peut demander à la Cour une « révision »
d’une décision concernant la communication d’un document. L’article 44.1 précise que les recours prévus aux articles 41 et 44 doivent être « entendus et jugés comme une nouvelle affaire »
.
[37] L’examen de la Cour est décrit comme une procédure de novo visant à déterminer si les documents devraient être communiqués : Merck Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), 2012 CSC 3 au para 53 [Merck Frosst]; Canada (Commissariat à l’information) c Calian Ltd, 2017 CAF 135 au para 28 [Calian]; Concord aux para 33 et 35. De nouveaux éléments de preuve peuvent être déposés devant la Cour, et le tribunal n’accorde que peu ou pas de déférence au décideur de l’institution fédérale : Concord, au para 33, citant Les Viandes du Breton Inc. c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2006 CF 335 aux para 30 et 31, conf par 2007 CAF 341.
[38] Dans la décision Concord, la Cour a conclu que la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vavilov n’a pas modifié l’approche relative à la procédure visée à l’article 44 (voir Concord, aux para 36 à 43) et conclu que l’approche établie dans l’arrêt Merck Frosst continue de s’appliquer, ce qui exige que la Cour examine les éléments de preuve présentés par les parties afin de déterminer si la décision concernant la communication des documents est correcte.
[39] Au paragraphe 53 de l’arrêt Merck Frosst, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :
Selon l’art. 51 de la Loi, le juge siégeant en révision doit décider si « le responsable [de l’]institution fédérale est tenu de refuser la communication [. . .] d’un document » et, dans l’affirmative, il doit ordonner à ce dernier de ne pas le communiquer. Il s’ensuit que dans les cas où un tiers, telle Merck en l’espèce, demande à la Cour fédérale, en vertu de l’art. 44 de la Loi, de « contrôler » la décision du responsable de l’institution de communiquer tout ou partie d’un document, le juge de la Cour fédérale doit déterminer si ce dernier a correctement appliqué les exceptions aux documents visés. Ce processus a parfois été qualifié d’examen de novo de la question de savoir si le document en cause est soustrait à la communication. Le terme « de novo » n’est peut‑être pas, à proprement parler, celui qu’il convient d’utiliser; toutefois, il n’y a aucun désaccord dans ces affaires quant au rôle du juge siégeant en révision dans un tel contexte : il doit décider si les exceptions ont été correctement appliquées relativement aux documents en cause. Les articles 44, 46 et 51 sont les dispositions législatives les plus pertinentes qui s’appliquent au présent contrôle.
[Non souligné dans l’original, références omises.]
[40] Au paragraphe 33 de la décision Concord, la Cour a expliqué pourquoi l’examen prévu à l’article 44 a été décrit comme une procédure « hybride »
:
La procédure sommaire prévue à l’article 44 a été qualifiée d’« hybride », car elle est instruite par voie de demande et elle implique un réexamen d’une décision qui est, à certains égards, semblable à un contrôle judiciaire traditionnel. Toutefois, il s’agit également d’une sorte d’audience de novo, parce que de nouvelles preuves peuvent être déposées devant le tribunal, le tribunal n’accorde que peu ou pas de déférence au décideur de l’institution fédérale, et le tribunal doit décider si les documents doivent être communiqués sous la forme proposée par l’institution fédérale (Les Viandes du Breton Inc. c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2006 CF 335 aux para 30‑31.
[41] La question que la Cour doit trancher à l’égard de la présente demande consiste à savoir si les documents demandés doivent être communiqués avec les caviardages proposés par le Musée ou avec plus ou moins de caviardages. Pour ce faire, il faut déterminer si l’une ou l’autre des exceptions à la communication décrites au paragraphe 19(1) ou aux alinéas 20(1)c) ou d) de la Loi s’applique et, le cas échéant, si les parties restantes peuvent être prélevées conformément à l’article 25 et communiqués avec des caviardages.
V.
Dispositions législatives pertinentes
[42] L’objet de la Loi est énoncé à l’article 2 :
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[43] Le paragraphe 19(1) prévoit une exception à l’accès aux renseignements personnels :
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[44] Les renseignements personnels sont définis à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, avec des renvois supplémentaires à ce qui est inclus et exclu de la définition.
[45] D’autres exceptions à la communication sont énoncées au paragraphe 20(1), pour certains renseignements concernant des tiers :
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[46] Les exceptions énumérées au paragraphe 20(1) sont obligatoires; lorsque des documents relèvent de l’une des exceptions, l’institution fédérale doit refuser de les communiquer : Merck Frosst, au para 98.
VI.
Éléments de preuve
[47] Les demanderesses s’appuient sur l’affidavit de leur déposant, qui est décrit comme le directeur de l’éducation de la société (un organisme scolaire privé) qui dirige les activités exercées par les deux demanderesses.
[48] Le déposant déclare que les demanderesses exigent des droits de scolarité et reçoivent un financement gouvernemental par élève; par conséquent, leurs revenus dépendent directement du nombre d’inscriptions. Elles sont également en concurrence directe avec les écoles publiques et les autres écoles privées pour l’inscription et le personnel.
[49] Le déposant ajoute que la société reçoit des fonds supplémentaires d’une fondation qui répartit les fonds entre plusieurs écoles, y compris les demanderesses. Le déposant atteste qu’il croit que, si les documents sont communiqués, l’attention négative des médias découragera les donateurs de la fondation et pourrait faire en sorte que la fondation cesse de verser du financement aux demanderesses.
[50] Le déposant joint à son affidavit plusieurs articles de presse faisant état des conséquences pour le MCDP à la suite de reportages sur la censure de contenu par ce dernier pendant des visites des expositions.
[51] Le déposant joint également un article de presse qui, selon lui, démontre que la couverture médiatique négative — dans une affaire liée à des événements tragiques survenus dans des écoles aux États‑Unis — peut réduire le nombre d’élèves inscrits. Le déposant croit que, si les documents sont communiqués, l’attention négative des médias qui en découlerait aurait le même effet.
[52] Le déposant indique que la société a un certain nombre d’offres d’emploi en ligne pour le personnel. Le déposant affirme que la société a récemment perdu un nouvel employé à une autre école en raison d’une fausse couverture médiatique qui n’avait rien à voir avec la présente instance. Le déposant croit que la divulgation des noms des écoles aux médias est susceptible de nuire à la capacité des demanderesses de recruter et de maintenir en poste du personnel.
[53] Le déposant a été contre‑interrogé par le MCDP et la SRC, comme il est indiqué ci‑dessous.
VII.
Observations des demanderesses
[54] Les demanderesses soutiennent que leur objectif dans la présente demande est de protéger la vie privée des enfants, c’est‑à‑dire les élèves qui seront touchés par toute communication des documents en cause. Elles soutiennent que tous les renseignements sont des renseignements personnels. Les demanderesses soutiennent également que tout renseignement communiqué peut être regroupé avec d’autres informations pour révéler l’identité des élèves.
[55] Les demanderesses s’appuient sur la preuve de leur déposant pour étayer leurs observations selon lesquelles les exceptions prévues aux alinéas 20(1)b) et c) sont nécessaires pour prévenir des préjudices.
[56] Les demanderesses soutiennent qu’il existe un risque vraisemblable de préjudice probable pour eux et, par conséquent, pour les élèves, à la suite de la communication des documents. Elles soulignent l’attention négative des médias en 2020 à l’égard du MCDP et soutiennent que le MCDP a subi des pertes financières et de l’entrave à des négociations menées en vue de contrats ou à d’autres fins, qui sont les préjudices mêmes énoncés aux alinéas 20(1)c) et d) de la Loi justifiant les exceptions. Les demanderesses soulignent des reportages médiatiques selon lesquels le Fonds Purge LGBT a suspendu ses négociations avec le MCDP au sujet d’une exposition prévue; Fierté Winnipeg a annulé un gala qui devait avoir lieu au Musée; le maire de Winnipeg a démissionné de son poste d’administrateur au sein de l’organisme de financement du MCDP; le président‑directeur général du MCDP n’a pas sollicité de nouvelle nomination; et le ministre fédéral du Patrimoine a fait des commentaires négatifs à propos du MCDP. Les demanderesses soutiennent qu’elles subiraient un préjudice semblable à celui subi par le MCDP si les documents étaient communiqués.
[57] Les demanderesses ajoutent qu’une attention médiatique est probable si les documents sont communiqués, particulièrement parce que la SRC est une défenderesse, et que cette attention des médias leur nuira.
[58] Les demanderesses soutiennent qu’en vertu de l’alinéa 20(1)c), les noms des demanderesses et les adresses courriel des membres du personnel devraient être soustraits à la communication. Elles font valoir que l’identification des écoles et des enseignants suscitera une attention médiatique négative, ce qui aura pour effet de stigmatiser les écoles et leurs élèves, d’inciter les élèves et leurs parents à changer d’école et de faire perdre des revenus en raison de la baisse des inscriptions et des dons.
[59] Les demanderesses soutiennent que ces mêmes renseignements devraient être soustraits à la communication en vertu de l’alinéa 20(1)d) parce qu’on peut s’attendre à ce que la couverture médiatique négative associée aux écoles, si celles‑ci sont nommées, nuise aux négociations à venir pour les dons et le recrutement de personnel. De même, si les noms ou les adresses courriel des membres du personnel étaient communiqués, le nom des écoles serait révélé.
[60] Les demanderesses soutiennent également que les documents contiennent des renseignements soustraits à la communication à titre de renseignements personnels en vertu du paragraphe 19(1) :
- Les noms, les adresses et les numéros de téléphone des demanderesses. Les demanderesses font valoir que, s’ils sont communiqués, le public pourrait combiner les noms des écoles avec sa connaissance des personnes qui travaillent dans les écoles et d’autres renseignements dans les documents afin d’en déduire les points de vue et les opinions de personnes identifiables.
- Les noms des membres du personnel des demanderesses. Les demanderesses soutiennent que ces renseignements révèlent des informations personnelles et divulguent les opinions et les points de vue de ces personnes.
- Les adresses courriel des membres du personnel des demanderesses. Les demanderesses soutiennent que ces renseignements révéleraient les noms des écoles et des membres du personnel.
- Les numéros de téléphone des membres du personnel des demanderesses. Les demanderesses soutiennent que ces renseignements pourraient être combinés à des renseignements accessibles au public afin de déterminer l’école et les membres du personnel concernés par les documents.
- Les postes occupés par les membres du personnel des demanderesses, qui, une fois combinés aux noms des écoles, révéleraient l’identité des membres du personnel visés.
- Les niveaux scolaires des élèves participant aux visites guidées. Les demanderesses soutiennent qu’en combinaison avec les connaissances préalables et les noms des écoles, ces renseignements révéleraient des informations sur l’éducation reçue par des élèves particuliers, qui sont des renseignements personnels.
[61] Les demanderesses contestent l’argument de la SRC selon lequel les renseignements personnels devraient être communiqués de toute façon parce que l’intérêt public dans la communication l’emporte sur le droit à la vie privée. Les demanderesses réitèrent que tous les renseignements communiqués peuvent être rassemblés pour identifier les élèves, dont la vie privée devrait être protégée.
[62] Les demanderesses soutiennent qu’une fois les exceptions appliquées, les documents restants ont peu de signification et que, par conséquent, rien ne devrait être communiqué. Subsidiairement, elles demandent que les renseignements susmentionnés soient retranchés. Les demanderesses ajoutent toutefois que la suppression de certaines parties du document pourrait entraîner la divulgation de renseignements trompeurs.
[63] Les demanderesses ont déclaré à l’audience qu’elles préféreraient au départ ne jamais avoir été associées à la présente affaire, mais elles n’ont pas expliqué ce qui les empêche de clarifier leur position ou tout renseignement potentiellement trompeur qui pourrait finir par être divulgué.
VIII.
Observations du MCDP
[64] Le MCDP souligne que, comme point de départ, la Loi prévoit que l’information doit être communiquée et que les exceptions à ce principe sont limitées et précises. De plus, il incombe à la personne qui cherche à interdire la communication de fournir des éléments de preuve convaincants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’une exception s’applique. Le MCDP soutient que les demanderesses ne se sont pas acquittées de leur fardeau.
[65] Le MCDP soutient que la preuve est loin de démontrer un risque vraisemblable de préjudice probable, comme l’exigent les alinéas 20(1)c) et d) de la Loi. Le MCDP fait remarquer que le déposant des demanderesses a fait des déclarations très générales et non étayées.
[66] Le MCDP soutient que les demanderesses ne peuvent pas invoquer le préjudice causé au MCDP pour supposer qu’elles subiront le même préjudice, en soulignant, entre autres choses, que les demanderesses sont des organisations très différentes ayant des relations et des mandats communautaires très différents. Le MCDP ajoute que la preuve du préjudice qui lui a été causé est un ouï‑dire double, puisque les connaissances du déposant proviennent d’articles de journaux.
[67] Le MCDP soutient également qu’il est non fondé et hypothétique pour les demanderesses de s’appuyer sur un article, qui aurait rapporté l’incidence de la couverture médiatique d’événements scolaires tragiques, pour démontrer un préjudice probable. L’article ne laisse pas entendre que la couverture médiatique cause quelque préjudice que ce soit.
[68] Le MCDP note également qu’il n’y a aucune preuve montrant que les deux membres du personnel qui ont fait la demande de visite n’étaient pas autorisés à le faire par les demanderesses. Si les demanderesses préfèrent ne pas être associées à la demande de visite, elles ont la possibilité désapprouver les actions de leurs employés.
[69] Le MCDP soutient qu’il n’existe aucune preuve objective montrant que la communication des documents causera vraisemblablement aux demanderesses des pertes financières appréciables ou nuira à leur compétitivité, au sens de l’alinéa 20(1)c). Il n’y a pas non plus de preuve montrant que le financement de la fondation serait touché ou que les documents révéleraient des renseignements commerciaux de nature délicate qui pourraient être utilisés par les concurrents des demanderesses à leur détriment. Le MCDP fait remarquer que le déposant a admis en contre‑interrogatoire qu’il a peu de connaissances directes des finances des demanderesses ou des documents en cause. Le MCDP soutient que l’affirmation du déposant selon laquelle la communication des documents aurait une incidence sur le recrutement et le maintien en poste du personnel est entièrement hypothétique.
[70] Le MCDP soutient également que les demanderesses n’ont pas nommé de négociations précises, réelles et en cours qui seraient entravées par la communication des documents au sens de l’alinéa 20(1)d).
[71] Le MCDP conteste l’affirmation des demanderesses selon laquelle des renseignements personnels seront communiqués. Le MCDP fait remarquer que l’exception prévue au paragraphe 19(1) s’applique aux renseignements qui identifient une personne et qui concernent cette personne. Le MCDP soutient que, compte tenu du caviardage proposé des noms des membres du personnel qui ont fait la demande de visite, de leurs coordonnées et des niveaux scolaires des élèves qui devaient participer à la visite, la divulgation des noms des demanderesses (c.‑à‑d. le nom des écoles), qui est la question en suspens, ne mènerait pas à l’identification d’une personne. De plus, aucun des renseignements contenus dans les documents ne révèle de renseignements au sujet de personnes, car ces personnes ne peuvent pas être identifiées et il n’y a aucun moyen de déterminer l’opinion qui a mené aux demandes. Le MCDP soutient que, tout au plus, les documents peuvent laisser deviner des renseignements sur le contenu des cours, qui ne sont pas des renseignements personnels sur les élèves. Le MCDP soutient que, pour constituer des renseignements personnels, la communication doit constituer [TRADUCTION]°« une partie importante des antécédents de la personne […] en matière d’éducation »
, et qu’un seul événement, comme une visite proposée, n’est pas admissible.
[72] Le MCDP soutient en outre que tout renseignement faisant l’objet d’une exception en matière de communication peut raisonnablement être retranché des documents.
IX.
Observations de la SRC
[73] La SRC est d’accord avec le MCDP et fournit des observations supplémentaires. La SRC fait remarquer que l’objet de la Loi et de ses exceptions n’est pas de prévenir l’embarras (voir Bronskill c Canada (Patrimoine canadien), 2011 CF 983 au para 131 [Bronskill]).
[74] La SRC soutient que le déposant ne jouait aucun rôle dans les activités des demanderesses et qu’il n’avait aucune connaissance directe des questions qu’il prétendait aborder, y compris les finances des demanderesses. La SRC fait remarquer que le déposant a déformé certains faits, y compris le fait que les deux demanderesses reçoivent du financement de la fondation, alors qu’il a déclaré le contraire en contre‑interrogatoire. La SRC soutient que la Cour devrait rejeter complètement le témoignage du déposant ou ne lui accorder aucun poids, car il s’agit de simples hypothèses.
[75] La SRC soutient en outre qu’il n’y a aucune preuve montrant que les élèves qui devaient participer à la visite ont besoin d’être protégés de quoi que ce soit ou que la communication des documents causera un préjudice aux élèves.
[76] La SRC ajoute que la couverture médiatique négative prévue ne justifie pas une exception de la communication et que le préjudice allégué qui pourrait en découler n’a aucun fondement factuel. La SRC réitère que l’argument des demanderesses ne tient pas compte des différences fondamentales entre le MCDP et les demanderesses. Il n’y a aucune preuve d’une relation entre les demanderesses et la communauté LGBTQ qui serait touchée. Il n’y a aucune preuve établissant la probabilité que le financement des demanderesses soit touché, et encore moins de façon « appréciable »
, comme l’exige la Loi.
[77] La SRC soutient que le risque de diminution du nombre d’inscriptions est également purement hypothétique. La SRC fait remarquer, tout comme le MCDP, que l’article sur lequel se fondent les demanderesses à l’appui de cette allégation ne porte pas sur l’incidence de la couverture médiatique et ne peut appuyer l’argument des demanderesses selon lequel l’attention négative des médias aura probablement une incidence sur l’inscription des élèves ou le recrutement de personnel.
[78] En ce qui concerne l’alinéa 20(1)d), la SRC soutient qu’il n’y a aucune preuve de négociations réelles et précises qui seraient entravées par la communication des documents. La SRC fait remarquer que les dons faits à la fondation ou venant de celle‑ci ne sont pas [TRADUCTION]°« négociés »
.
[79] La SRC conteste l’argument des demanderesses selon lequel le fait que la SRC, un organisme médiatique, ait présenté une demande de documents laisse entendre qu’il y aura une couverture médiatique à la suite de la communication des documents, ce qui causera un préjudice aux demanderesses. La SRC fait remarquer que les médias ont le droit de faire des demandes d’accès à l’information auprès des institutions gouvernementales et qu’ils le font. La SRC renvoie au paragraphe 52 de la décision Concord, dans laquelle la Cour a réitéré « qu’une couverture médiatique négative ou inexacte appréhendée au sujet des renseignements n’est pas suffisante pour satisfaire au critère »
.
[80] En ce qui concerne les exceptions relatives aux renseignements personnels prévues au paragraphe 19(1), la SRC soutient qu’aucun renseignement ne devrait être soustrait à la communication et que les caviardages proposés par le MCDP ne sont donc pas nécessaires. La SRC soutient que les documents ne révèlent pas d’opinion personnelle, mais simplement les demandes de censure du contenu du Musée sans autre explication.
[81] Par ailleurs, la SRC convient que, si la divulgation du nom d’un membre du personnel de l’école révèle son opinion personnelle, ce nom devrait être retranché, de même que tout autre renseignement permettant de l’identifier, comme son adresse courriel, son numéro de téléphone et son titre de poste. Lors de la plaidoirie, la SRC ne semblait plus s’opposer au caviardage des noms des membres du personnel à titre de renseignements personnels.
[82] La SRC soutient que les niveaux scolaires ne justifient pas de caviardage parce qu’il ne s’agit pas de renseignements personnels sur les élèves. Les niveaux scolaires des élèves qui devaient participer à la visite ne correspondent pas au sens du mot « éducation »
aux fins de la définition de « renseignements personnels »
dans la Loi sur la protection des renseignements personnels. La SRC soutient que le terme « éducation »
désigne les antécédents scolaires d’une personne identifiable, et non un aspect du programme d’études ou d’une classe ou d’un événement en particulier. La SRC ajoute qu’il n’y a aucune preuve montrant que la demande de censure du contenu faisait partie du programme d’études et fait remarquer que le déposant affirme que les demanderesses n’ont pas donné l’instruction aux membres du personnel de présenter les demandes en question. La SRC soutient donc qu’il n’y a aucune raison de prétendre que les documents révèlent quelque chose au sujet de l’éducation d’un élève en particulier.
[83] Subsidiairement, la SRC soutient que, même si les niveaux scolaires des élèves qui devaient participer ou ont participé à la visite permettent de les identifier ou constituent des renseignements personnels, les documents devraient néanmoins être communiqués conformément à l’alinéa 19(2)c) de la Loi et au sous‑alinéa 8(2)m)(i) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. La SRC soutient que l’intérêt public dans la communication l’emporte sur toute atteinte à la vie privée, et fait remarquer que l’attente de confidentialité à l’égard des renseignements en cause était faible, étant donné que la visite devait avoir lieu dans un espace public et que toute atteinte à la vie privée des élèves en cause est minime. D’autre part, il est d’un grand intérêt public de comprendre la décision du MCDP d’accepter la demande et de censurer le contenu, et il est nécessaire de savoir qui a demandé cette censure et pourquoi, afin de comprendre la décision du MCDP.
[84] La SRC soutient que, si la demande est rejetée, la Cour devrait annuler l’ordonnance de confidentialité et l’ordonnance d’anonymisation et que le dossier de la Cour devrait être non scellé, en restituant l’intitulé original de la cause.
X.
Les demanderesses ne se sont pas acquittées du fardeau qui leur incombait d’établir un risque vraisemblable de préjudice probable
[85] Selon les alinéas 20(1)c) et d), la partie qui revendique les exceptions (en l’occurrence, les demanderesses) doit établir que la divulgation risquerait de causer des pertes ou profits financiers appréciables ou de nuire à sa compétitivité ou d’entraver des négociations menées en vue de contrats ou à d’autres fins : AstraZeneca Canada inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1451 au para 42 [AstraZeneca]. Les demanderesses ne l’ont pas fait.
[86] Les hypothèses des demanderesses au sujet des préjudices pour leurs finances et leurs négociations contractuelles ne sont pas fondées sur « des faits vérifiables, des inférences crédibles et une expérience pertinente »
(Calian, au para 50).
[87] En réponse à la question de la Cour afin de savoir si le préjudice allégué était probable, étant donné que quatre ans se sont écoulés depuis la présentation de la demande, les demanderesses ont fait référence à la preuve de leur déposant, qui a fait remarquer qu’il y a une concurrence pour l’inscription. Les demanderesses ont également soutenu que, si ces renseignements étaient communiqués maintenant, il y aurait un nouveau stigmate et un préjudice probable, car les opinions de ceux qui ont demandé que les visites soient adaptées pour éviter certains contenus seraient attribuées aux demanderesses. Les demanderesses n’ont pas expliqué pourquoi elles ne pouvaient pas simplement s’exprimer et préciser si elles partageaient ces points de vue.
A.
Alinéa 20(1)c)
[88] La partie invoquant l’alinéa 20(1)c) doit établir un « risque vraisemblable de préjudice probable »
: Merck Frosst, au para 192; Concord, au para 46; Air Atonabee Ltd c Canada (Ministre des Transports), 1989 CarswellNat 585 au para 34, 27 FTR 194 [Air Atonabee]; Canada Packers Inc. c Canada (Ministre de l’Agriculture), 1988 CanLII 1421 au para 22, [1989] 1 CF 47 (CAF); Fermes Burnbrae Limitée c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CF 957 au para 102 [Fermes Burnbrae]. La Cour suprême a précisé que cette norme signifie qu’une partie n’a pas à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice se produira effectivement, mais qu’elle doit démontrer qu’il existe beaucoup plus qu’une simple possibilité qu’un préjudice soit causé : Merck Frosst, aux para 196, 197 et 199. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada au paragraphe 204 de l’arrêt Merck Frosst, « [i]l faut éviter de refuser la divulgation de renseignements sur le fondement d’une crainte de préjudice qui est fantaisiste, imaginaire ou forcée »
. Il faut plutôt établir « un risque, qui, en toute objectivité, est fondé sur des motifs réels et sérieux »
.
[89] La jurisprudence reconnaît que certaines conjectures sont inhérentes. Au paragraphe 90 de la décision AstraZeneca, la Cour a expliqué ce qui suit :
[B]ien que ce critère comporte en soi un aspect prévisionnel et conjectural, il existe des moyens d’établir le caractère raisonnable de cette attente. Le simple fait d’exposer la crainte d’un administrateur de l’entreprise ne suffit pas. La Cour requiert une preuve précise qu’une telle issue est raisonnablement probable.
[90] En l’espèce, les demanderesses s’appuient sur un affidavit qui fournit des renseignements minimaux venant d’une personne qui n’a aucune connaissance directe des questions en litige et qui ne fait qu’avancer des hypothèses sur le préjudice. La jurisprudence établit qu’il ne suffit pas à une partie de fournir un affidavit déclarant en termes vagues et hypothétiques que la communication est susceptible de causer un préjudice; il doit également y avoir une preuve de la probabilité d’un tel préjudice : Viandes du Breton Inc. c Canada (Ministère de l’Agriculture), 2000 CanLII 16764 au para 9, 198 FTR 233; Société canadienne des postes c Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2004 CF 270 au para 45.
[91] Les demanderesses n’ont fourni aucune preuve pertinente à l’appui de leur affirmation selon laquelle une attention négative des médias entraînera une baisse du nombre d’inscriptions et, par conséquent, entraînera des pertes financières et nuira à leur compétitivité par rapport aux autres écoles. L’article joint à l’affidavit — qui prétend montrer que la couverture médiatique négative des événements tragiques survenus dans les écoles aux États‑Unis a entraîné une diminution des inscriptions — ne dit pas du tout cela. L’article souligne que de tels événements ont des répercussions nombreuses et variées sur les élèves, qui se poursuivent au fil du temps, et que des études sont nécessaires pour mieux déterminer ce dont les élèves ont besoin. L’article souligne qu’une baisse du nombre d’inscriptions et des résultats aux tests a été observée dans certaines études. Toutefois, l’article ne laisse pas entendre que la couverture médiatique négative a été une cause ou un facteur ayant contribué à ces répercussions, mais plutôt que ces répercussions étaient le résultat des événements qui se sont produits.
[92] Les demanderesses supposent également que l’attention négative des médias pourrait avoir une incidence sur leur financement de la fondation en décourageant les dons à la fondation ou en décourageant la fondation de fournir du financement aux demanderesses.
[93] Le fait que les demanderesses s’appuient sur les critiques formulées contre le MCDP après qu’il a été révélé que le MCDP avait accepté de censurer certains contenus, l’annulation d’événements et l’incidence sur la relation du MCDP avec des groupes d’intervenants ne démontre pas que les demanderesses subiront un préjudice probable. Les articles de presse sur lesquels se fondent les demanderesses ne prouvent pas que le MCDP a subi un préjudice financier ou perdu des dons. Comme l’ont fait remarquer le MCDP et la SRC, le MCDP est un type d’organisation tout à fait différent des demanderesses. Le MCDP a pour mandat de sensibiliser le public aux droits de la personne, y compris les violations des droits de la personne. Les demanderesses sont des écoles privées et n’ont pas expliqué leur mandat ou leurs valeurs, mais elles sont tout à fait différentes. Si elles prévoient une attention négative, les demanderesses peuvent prendre des mesures pour exprimer plus clairement leur point de vue, ce qu’elles n’ont pas fait jusqu’à présent publiquement ou dans la présente demande. De plus, comme le signale la SRC en contre‑interrogatoire, le déposant a admis qu’une seule des demanderesses reçoit des fonds de la fondation.
[94] Bien que la communication des documents puisse donner lieu à une couverture médiatique de suivi sur les événements sous‑jacents (bien que quatre ans se soient écoulés et que l’intérêt ait diminué), cela ne démontre pas un préjudice possible au sens de la Loi. Les reportages négatifs prévus dans les médias au sujet des renseignements en cause ne sont pas suffisants en soi pour justifier l’exception en matière de communication. Comme il a été souligné au paragraphe 52 de la décision Concord :
En outre, la jurisprudence établit clairement qu’une couverture médiatique négative ou inexacte appréhendée au sujet des renseignements n’est pas suffisante pour satisfaire au critère. Comme la Cour l’indique dans Merck Frosst, la Loi a pour objet « de permettre aux membres du public de prendre connaissance des renseignements pour qu’ils puissent eux‑mêmes les apprécier, et non de les empêcher de les obtenir. À mon avis, une exception ne pourrait être invoquée avec succès sur la base d’un tel argument que dans une situation assez exceptionnelle » (au para 224), et ce, notamment parce qu’un tiers qui craint une couverture médiatique négative injuste dispose d’autres recours (Fermes Burnbrae Limitée c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CF 957 aux para 112‑113 [Fermes Burnbrae], citant avec approbation Les Viandes du Breton Inc c Canada (Ministère de l’Agriculture) (2000), 2000 CanLII 16764 au para 23 [Les Viandes du Breton 2000].
[95] L’accès à l’information ne devrait pas être restreint simplement parce que la communication des renseignements sera embarrassante ou défavorable (Bronskill, au para 131); la partie qui demande la non‑divulgation doit démontrer que les renseignements sont défavorables à un tel point qu’ils causeront l’un des préjudices décrits à l’alinéa 20(1)c) et d) : Coopérative fédérée du Québec c Canada (Agriculture et Agroalimentaire), 2000 CanLII 14811 au para 11, 180 FTR 205.
[96] Les demanderesses ont complètement omis de présenter des éléments de preuve concernant l’effet qu’une éventuelle couverture médiatique aura sur elles. Les demanderesses n’ont fourni aucune preuve au sujet de la philosophie ou des valeurs des écoles, de leurs donateurs ou des préoccupations, le cas échéant, des parents des élèves, pour expliquer comment la couverture médiatique pourrait causer un préjudice financier.
[97] De plus, comme l’a fait remarquer la SRC, toute perte financière probable (si une telle perte avait été établie) doit être appréciable (AstraZeneca, au para 92). La preuve indique qu’une seule des demanderesses reçoit du financement de la fondation, et il n’y a aucune preuve du caractère appréciable du financement reçu. Comme il a été mentionné, le déposant admet avoir une connaissance limitée des finances des demanderesses. Les demanderesses ont signalé qu’elles recevaient également du financement du gouvernement; cependant, il n’y a aucune preuve indiquant les diverses sources de financement ni de quel pourcentage ou de quelle façon une réduction hypothétique du financement venant de la fondation ou d’autres donateurs causerait une perte financière « appréciable »
ou toute perte que ce soit.
[98] Les demanderesses n’ont pas non plus réussi à établir un préjudice probable ou possible à leur compétitivité. Le déposant affirme seulement qu’elles font concurrence aux écoles privées et publiques pour l’inscription et le personnel, mais ne fournit aucune information sur les marchés dans lesquels elles sont censées faire concurrence ou d’autres renseignements pour mettre cette affirmation en perspective.
B.
Alinéa 20(1)d)
[99] Pour se prévaloir de l’exception prévue à l’alinéa 20(1)d), les demanderesses doivent démontrer un risque vraisemblable d’entrave (au sens d’obstruction) à des négociations réelles et en cours; les risques hypothétiques pour les possibilités commerciales futures ne satisfont pas au critère : Concord, au para 116; Fermes Burnbrae, aux para 124 et 125. Les demanderesses ne l’ont pas fait.
[100] Les demanderesses affirment simplement que la communication des documents est susceptible d’avoir une incidence sur le recrutement et le maintien en poste de leur personnel et pourrait aussi avoir une incidence sur le financement venant de la fondation. Comme il a été mentionné, il n’y a aucune preuve de la façon dont la fondation finance les écoles ou les demanderesses, et aucune preuve que ce financement est négocié. En ce qui concerne les répercussions sur le personnel, le déposant a noté seulement la perte d’un nouvel employé en raison de l’attention médiatique accordée à une affaire non liée concernant une école située aux États‑Unis qui est loin des écoles des demanderesses. Les demanderesses n’ont fourni aucune preuve indiquant le nombre d’employés dans chaque école ou au sein de la société ou la façon dont elles recrutent du personnel, le nombre de postes vacants, les taux de roulement réguliers ou tout autre renseignement qui appuierait leur point de vue selon lequel la communication des documents pourrait décourager le personnel. Encore une fois, il y a d’autres façons pour les demanderesses de répondre à leurs préoccupations concernant leur réputation.
XI.
Les documents caviardés ne contiennent pas de renseignements personnels
[101] La Loi sur la protection des renseignements personnels définit les « renseignements personnels »
à l’article 3 comme des renseignements « concernant un individu identifiable »
et donne de nombreux exemples de ce qui constitue ou non des renseignements personnels. Cette définition vise à saisir tout renseignement au sujet d’une personne en particulier, sous réserve seulement de certaines exceptions : Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8 au para 23, citant Dagg c Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 RCS 403 aux para 68 et 69, 148 DLR (4th) 385 [Dagg]. La protection de la vie privée est fondée sur la dignité et l’intégrité de la personne et repose sur le postulat selon lequel l’information de caractère personnel est propre à l’intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l’entend : Dagg, au para 67. Comme il est mentionné au paragraphe 52 de l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Bureau d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), 2006 CAF 157, « [l]a notion de vie privée intègre donc celles d’intimité, d’identité, de dignité et d’intégrité de l’individu »
.
[102] Les demanderesses s’appuient sur le paragraphe 19(1), qui soustrait les renseignements personnels à la communication, parce qu’elles affirment que les documents révèlent les opinions et les croyances personnelles de membres du personnel identifiables et qu’ils révèlent les antécédents scolaires personnels d’élèves identifiables.
[103] Les demanderesses n’ont pas établi comment la divulgation des noms des deux membres du personnel, dont les postes au sein de l’organisation des demanderesses ne sont pas décrits, révélerait leurs opinions ou points de vue personnels. Le déposant ne savait pas pourquoi ces demandes avaient été faites, mais a ajouté que [TRADUCTION]°« ce n’était pas quelque chose que nous leur aurions demandé de faire »
. Cependant, le déposant a admis en contre‑interrogatoire qu’il n’avait parlé à aucun représentant des demanderesses au sujet des événements sous‑jacents aux documents. Les documents révèlent seulement que deux membres du personnel ont fait les demandes.
[104] Cependant, étant donné que les membres du personnel peuvent sembler être responsables de la présentation de la demande et que l’on pourrait en déduire qu’ils ont fait la demande parce qu’ils sont d’avis que les élèves ne devraient pas être exposés à certains contenus du musée, les noms des membres du personnel devraient être caviardés, ainsi que les renseignements permettant de les identifier. Le caviardage des noms des membres du personnel, de leurs coordonnées et de leur titre de poste (s’il y a lieu) est suffisant pour les rendre non identifiables. Toutefois, la divulgation de l’identité des demanderesses ne révélerait pas le nom des membres du personnel qui ont présenté ou transmis les demandes.
[105] L’affirmation des demanderesses selon laquelle la divulgation des niveaux scolaires des élèves qui devaient participer à la visite révélerait des renseignements personnels sur les antécédents scolaires d’élèves identifiables est sans fondement. Il est impossible d’extrapoler ces renseignements de manière à ce qu’ils révèlent les antécédents scolaires personnels d’un élève ou identifient un élève.
[106] À l’audition de la demande, les demanderesses se sont concentrées sur les droits à la vie privée des enfants qui seraient touchés si des « renseignements personnels »
étaient communiqués. Cependant, la seule information concernant les élèves des écoles qui avaient demandé la visite était leurs niveaux scolaires et le nombre prévu d’élèves qui y participeraient. Il a été révélé à l’audience qu’il n’y a aucune preuve montrant que la visite a eu lieu ou que des élèves y ont effectivement assisté. Rien n’indique non plus si le nombre prévu d’élèves représente un pourcentage important ou très faible de la population étudiante. Si 100 participants prévoyaient y assister ou y ont assisté sur un groupe de 110, cela pourrait peut‑être permettre d’identifier les élèves. Mais cette information est inconnue. En raison de l’absence de preuve, la Cour ne peut pas conclure que l’identité des élèves, ou tout autre renseignement à leur sujet, pourrait être révélée par l’information sur les niveaux scolaires des élèves qui ont visité ou non le MCDP. De plus, si la visite a bien eu lieu, c’était dans un endroit public où les élèves auraient pu être reconnus par n’importe qui d’autre présent.
[107] L’affaire Re British Columbia (Ministry of Education), 2009 CarswellBC 4356, [2009] BCIPCD No 27, sur laquelle se sont fondés les demanderesses, n’est pas analogue parce qu’elle concernait des renseignements personnels sur des élèves identifiables, y compris des données démographiques et des résultats d’examen. En l’espèce, même si les renseignements contenus dans les documents permettaient d’identifier des élèves, tout ce qui pourrait être découvert, c’est le fait qu’ils ont peut‑être participé à une visite au MCDP où certains contenus ont été cachés ou évités. Il ne s’agit pas de renseignements personnels sur les élèves.
[108] Comme l’a fait remarquer le MCDP, la participation à une sortie éducative un jour donné n’est pas analogue à des aspects des antécédents scolaires d’un élève, comme son rendement scolaire, les cours qu’il a suivis ou les écoles qu’il a fréquentées.
XII.
Les renseignements soustraits à la communication peuvent être retranchés
[109] Les renseignements soustraits à la communication, à savoir les noms des membres du personnel et leurs coordonnées, peuvent facilement être retranchés, et le reste des documents, qui sont de toute façon brefs, peuvent être communiqués.
[110] L’article 25 de la Loi exige que les institutions fédérales communiquent tout renseignement qui n’est pas soustrait à la communication et qui peut raisonnablement être dissocié des renseignements soustraits. Les renseignements restants, avec les passages caviardés, auront un sens et rempliront raisonnablement les objectifs de la Loi : Merck Frosst, au para 237; Air Atonabee, aux para 69 et 70. En l’espèce, les caviardages sont minimes.
[111] Je ne suis pas d’accord avec l’argument des demanderesses selon lequel tout renseignement communiqué peut être regroupé avec d’autres informations pour révéler des renseignements personnels. Les documents à communiquer révéleront seulement que les demanderesses ont proposé que certains élèves participent à une visite du MCDP et ont demandé que la visite évite des contenus précis.
[112] En conclusion, la demande est rejetée.
XIII.
Étapes suivantes
[113] Les demanderesses s’opposent aux observations de la SRC selon lesquelles les modalités de l’ordonnance de confidentialité ne devraient plus s’appliquer si la Cour rejette la demande et conclut que les documents doivent être communiqués. Les demanderesses invoquent les conditions de l’ordonnance conservatoire à l’appui de leur position selon laquelle elles ont produit et déposé des renseignements en croyant qu’ils ne seraient pas divulgués. Les demanderesses soutiennent que les modalités de l’ordonnance conservatoire continuent d’empêcher la communication de renseignements confidentiels ou réservés aux seuls avocats et que ces renseignements doivent être détruits après la fin de tout appel.
[114] En réponse à la question de la Cour au sujet des renseignements que les demanderesses avaient déposés et qui n’auraient pas été déposés sans l’ordonnance conservatoire, les demanderesses ont indiqué le nom de la fondation qui versait du financement, le nom du déposant et le nom de la société à titre d’exemples. La Cour fait remarquer que ces renseignements ne sont pas divulgués dans les documents qui, de son avis, doivent être communiqués par le MCDP.
[115] Les ordonnances conservatoires régissent le traitement des renseignements confidentiels entre les parties. Au paragraphe 10 de la décision Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c BNSF Railway Company, 2019 CF 281, la Cour a souligné ce qui suit :
Avant d’analyser le critère juridique énoncé dans Sierra Club, je tiens à préciser que j’ai utilisé, dans les présents motifs, le sens courant des expressions suivantes. Ainsi, l’ordonnance conservatoire régit le traitement des renseignements confidentiels, mais ne précise pas les modalités de leur dépôt auprès de la Cour. L’ordonnance de confidentialité, elle, précise ces modalités. Les ordonnances hybrides comportent des modalités propres aux ordonnances conservatoires et aux ordonnances de confidentialité.
[Souligné dans l’original.]
[116] Bien que les demanderesses soutiennent que l’ordonnance conservatoire devrait régir la communication future des renseignements que les demanderesses cherchent à protéger, l’ordonnance conservatoire exige que les parties maintiennent la confidentialité des renseignements qui leur sont communiqués à titre de renseignements confidentiels ou réservés aux seuls avocats.
[117] En l’espèce, il existe également une ordonnance de confidentialité qui prévoit que certains renseignements désignés comme confidentiels peuvent être déposés et traités comme des renseignements confidentiels. Ces renseignements comprennent les documents non caviardés, les noms, les adresses, les numéros de téléphone et les noms de domaine des demanderesses, ainsi que tout autre renseignement qui pourrait raisonnablement permettre d’identifier les demanderesses. L’ordonnance de confidentialité prévoit que les modalités d’utilisation des renseignements confidentiels et le maintien de la confidentialité pendant l’audition de la présente demande sont laissés à la discrétion de la Cour qui instruit la présente affaire et que l’ordonnance ne s’applique pas à la rédaction du jugement final et des motifs, à moins que la Cour ne l’ordonne.
[118] Il n’y a aucune raison pour que la Cour dissimule plus de renseignements que nécessaire pour tenir compte de l’application des exceptions prévues dans la Loi. En l’espèce, les alinéas 20(1)c) et d) ne s’appliquent pas, car il n’y a aucune preuve de préjudice probable qui sera causé par la communication des documents proposés avec le caviardage des noms. Il est illogique et contraire aux objectifs de la Loi de permettre, comme les demanderesses semblent le demander, que le dossier de la Cour protège les renseignements que les demanderesses ne veulent pas rendre publics simplement parce qu’elles ne veulent pas être associées aux événements qui sous‑tendent la présente instance. Comme il a été mentionné, rien n’empêche les demanderesses de clarifier leur point de vue si elles souhaitent le faire auprès de leurs donateurs, des élèves et du public en général. Les tribunaux n’ont pas à se pencher sur les problèmes de relations publiques.
[119] La Cour s’est efforcée de fournir ses motifs de manière à éviter la divulgation des renseignements prétendument soustraits à la communication en attendant la décision définitive sur tout appel. Toutefois, la Cour a d’abord fourni des motifs confidentiels et donné aux parties l’occasion de présenter des observations sur la nécessité de caviarder les documents. Les parties ont indiqué qu’aucun caviardage n’est nécessaire et, par conséquent, la présente version publique peut maintenant être publiée.
[120] L’ordonnance de confidentialité demeurera en vigueur jusqu’au règlement de tout appel.
[121] La décision définitive concernant la communication des renseignements contenus dans les dossiers de la Cour peut être rendue à une date ultérieure, après le règlement de tout appel.
XIV.
Dépens
[122] Le MCDP et la SRC demandent que leurs dépens soient évalués conformément au tarif.
[123] Le MCDP fait valoir que le dossier démontre amplement que les demanderesses ont employé des tactiques pour empêcher qu’une décision soit rendue en temps opportun à l’égard de la présente demande, notamment en demandant une ordonnance d’anonymisation bien après qu’elles ont déposé des documents comprenant leurs noms, en s’opposant au départ à l’ajout du MCDP à titre de défendeur, et en présentant la requête visant à supprimer un document du dossier, sans raison logique ou juridique et sans jurisprudence à l’appui. Le MCDP note également que les demanderesses n’ont pas consenti à ce qu’il fournisse à la SRC les documents réservés aux seuls avocats, mais qu’elles ont par la suite déposé une version non caviardée de ces mêmes renseignements. Le MCDP soutient que, selon les facteurs pertinents, des dépens correspondant à l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B devraient lui être adjugés.
[124] Le MCDP fait remarquer que les parties sont tenues de présenter leurs observations sur les dépens à l’audience relative à la demande, mais que les demanderesses n’étaient pas prêtes à le faire. Le MCDP fait remarquer que les avocats des demanderesses avaient été engagés avant la présentation de la présente demande et qu’ils ne peuvent se dissocier des choix faits plus tôt dans le processus.
[125] La SRC demande également des dépens correspondant à l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B. La SRC signale que les demanderesses ont refusé de lui fournir des renseignements de base, notamment l’identité des parties, et que les avocats ont refusé de fournir des dates de disponibilité aux fins d’une audience sur la requête proposée de la SRC, que la SRC a fini par retirer pour permettre à la demande d’être traitée plus rapidement. Les avocats ont refusé toutes les questions et prétendu que l’anonymat était nécessaire, ont empêché la SRC de contre‑interroger le déposant, puis ont fourni à la SRC un dossier non caviardé.
[126] Les demanderesses ont présenté de brèves observations écrites en réponse aux observations de vive voix des défendeurs. Les demanderesses réfutent toute inconduite de leur part et soutiennent que les mesures qu’elles ont prises étaient dans l’intérêt supérieur de leur client afin de protéger les droits à la vie privée en cause. Les demanderesses contestent le fait que leur requête en vue de retirer un document du dossier était sans fondement.
[127] L’article 400 des Règles prévoit que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer si des dépens doivent être adjugés et dans quelle proportion. Les facteurs non exhaustifs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles guident la Cour dans sa décision (Francosteel Canada Inc. c African Cape (L’), 2003 CAF 119). Les facteurs ne se rapportent pas exclusivement aux dépens en vertu du tarif ou aux montants forfaitaires adjugés, mais à l’ensemble des dépens adjugés.
[128] Les facteurs comprennent le résultat de l’instance; l’importance et la complexité des questions en litige; toute offre écrite de règlement; la charge de travail; la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger la durée de l’instance; la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile; et toute autre question que la Cour juge pertinente.
[129] Le résultat de l’instance a habituellement un poids important parce qu’en règle générale, les dépens doivent suivre le sort du principal (Merck & Co Inc. c Novopharm Ltd., 1998 CanLII 8260 au para 24, 152 FTR 74 (CF 1re inst)).
[130] Aux paragraphes 8 à 10 de l’arrêt Consorzio del Prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, la Cour d’appel a fourni des directives concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour dans l’adjudication des dépens, en soulignant, entre autres choses, que le pouvoir discrétionnaire de la Cour doit être exercé prudemment et que l’attribution des dépens n’est pas un exercice comptable. En ce qui a trait au tarif, la Cour d’appel a souligné ceci : « [e]n vertu de la règle 407, lorsque les parties ne cherchent pas à obtenir des dépens supplémentaires, les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B. Même lorsque l’on demande des dépens supplémentaires, la Cour, à sa discrétion, peut conclure que les dépens adjugés selon la colonne III constituent un dédommagement suffisant quant aux dépens partie‑partie »
(au para 8).
[131] En l’espèce, les défendeurs, le MCDP et la SRC, ont tous droit à leurs dépens étant donné qu’ils ont gain de cause dans la présente demande. Un examen des entrées enregistrées appuie les observations des défendeurs selon lesquelles les demanderesses ont fait certains choix qui ont entraîné du travail supplémentaire et retardé la décision relative à la présente demande, y compris la requête sans fondement instruite au début de l’audition de la présente demande. Je ne suis pas convaincue par les observations des demanderesses selon lesquelles certaines mesures, peut‑être inutiles, ont été prises en raison de la nécessité de s’adapter à l’évolution des pratiques au début de la pandémie. Cependant, je ne suis pas convaincue non plus que des dépens correspondant à l’échelon supérieur de la colonne IV sont justifiés. Compte tenu de tous les facteurs pertinents et des circonstances, les dépens des défendeurs doivent correspondre à l’échelon supérieur de la colonne III du tarif B.
JUGEMENT dans le dossier T‑1325‑20
LA COUR STATUE :
La requête des demanderesses visant à retirer un document du dossier certifié du tribunal est rejetée.
La demande présentée en vertu de l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information est rejetée.
Le défendeur, le Musée canadien pour les droits de la personne, doit maintenir les caviardages proposés dans sa décision définitive du 23 octobre 2020, à l’exception des niveaux scolaires des élèves, qui doivent être communiqués.
Les demanderesses doivent payer aux défendeurs leurs dépens, qui doivent être évalués conformément à l’échelon supérieur de la colonne III du tarif B.
L’ordonnance de confidentialité du 8 janvier 2021 est prolongée en attendant la décision définitive sur tout appel du présent jugement.
« Catherine M. Kane »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑1325‑20
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INTITULÉ :
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A INC. ET B INC. c MUSÉE CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE ET SOCIÉTÉ RADIO‑CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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ottawa (ontario)
TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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lES 30 et 31 MaI 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS CONFIDENTIELS :
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LA JUGE KANE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 26 JUILLET 2022
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COMPARUTIONS :
D. Bronwhyn Simmons
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pour les demanderesses
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Todd Andres
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POUR LE MCDP, DÉFENDEUR
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Sean Moreman
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POUR LA sRC, DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Miller Thompson LLP
Calgary (Alberta)
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pour les demanderesses
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Pitblado LLP
Winnipeg (Manitoba)
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POUR LE MCDP, DÉFENDEUR
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Société Radio‑Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LA sRC, DÉFENDERESSE
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