Dossier : T‑1453‑22
Référence : 2022 CF 1107
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2022
En présence de monsieur le juge McHaffie
ENTRE :
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INTEL AUTO TRADE INC. s/n GO LUXURY CARS
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demanderesse
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et
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OCEAN NETWORK EXPRESS (CANADA) INC.,
OCEAN NETWORK EXPRESS PTE. LTD.,
TOLT INTERNATIONAL LOGISTICS INC.
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défenderesses
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ORDONNANCE ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] À la conclusion de l’audience du 21 juillet 2022 relative à la présente affaire, j’ai ordonné que l’ordonnance provisoire initialement rendue ex parte le 13 juillet, interdisant aux défenderesses d’entreprendre des démarches visant à libérer trois véhicules Mercedes‑Benz se trouvant à Tianjin, en Chine, ne soit pas maintenue en vigueur, pour des motifs qui suivraient. Voici ces motifs, ainsi que l’ordonnance et les motifs que je rends au sujet des dépens.
[2] Comme il est expliqué plus en détail ci‑après, je conclus que, lorsqu’elle s’est adressée à la Cour à titre ex parte le 13 juillet, Intel Auto Trade Inc s/n Go Luxury Cars [Intel] ne s’est pas acquittée de son obligation de faire une divulgation complète et franche des questions pertinentes et importantes à la Cour. En particulier, Intel savait que la défenderesse Tolt International Logistics Inc [Tolt] avait contesté le fait qu’Intel soit propriétaire des véhicules et en détienne le droit de possession, en s’appuyant sur les documents d’expédition et les relations d’entreprise entre Intel, 2708042 Ontario Inc [270 Ontario] et d’autres entreprises qui auraient participé à l’achat, à l’exportation et à la vente des véhicules. Peu importe le bien‑fondé de la position de Tolt, la réponse d’Intel à cette position ou le rôle de 270 Ontario ou des autres entreprises, il incombait à Intel de veiller à dresser un portrait complet de la situation lorsqu’elle a demandé à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de délivrer une injonction ex parte. Bien qu’une non‑divulgation importante ne porte pas toujours un coup fatal au maintien d’une ordonnance ex parte, je conclus dans les circonstances que je ne devrais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire de maintenir l’injonction.
[3] Par souci de clarté, en décidant de ne pas maintenir l’injonction, la Cour ne rend aucune décision concernant la propriété légitime des véhicules, le droit à leur possession ou le bien‑fondé des positions d’Intel ou de Tolt. Les éléments de preuve présentés à ce jour par les parties, en particulier Intel et Tolt, soulèvent certainement des questions. Ce sont des questions qui devront être tranchées lorsque la présente action fera l’objet d’une décision sur le fond.
[4] Les défenderesses ont droit à leurs dépens afférents à la requête. Intel ne conteste pas la demande faite par Ocean Network Express Pte Ltd [ONE] et Ocean Network Express (Canada) Inc [ONE Canada] pour que leur soient adjugés des dépens de 11 612,50 $, payables sans délai, et j’ordonne qu’il en soit ainsi. Pour les motifs exposés ci‑après, des dépens de 20 000 $ sont payables à Tolt sans égard à l’issue de l’instance.
II.
Contexte factuel
A.
Contexte procédural et preuve déposée
[5] Intel a déposé sa requête ex parte d’urgence le 13 juillet, appuyée d’un affidavit de Rui Fernandes, avocat au cabinet représentant Intel. L’affidavit de l’avocat aurait été utilisé compte tenu de l’urgence de la situation. J’ai accordé à titre provisoire l’ordonnance demandée, interdisant aux parties ONE, qui auraient expédié les véhicules et les auraient en leur possession à Tianjin, de les libérer, et interdisant à Tolt d’entreprendre des démarches pour les faire libérer. L’injonction provisoire était en vigueur jusqu’à la présentation de la requête le 15 juillet et obligeait Intel à signifier l’ordonnance et ses documents aux défenderesses.
[6] Avant l’audience du 15 juillet, Intel a déposé un affidavit de Jian Jiao, l’un des propriétaires d’Intel et son gestionnaire de la logistique, souscrit le 14 juillet. Cet affidavit remplaçait essentiellement l’affidavit de M. Fernandes, tout en fournissant certains éléments de preuve supplémentaires, en particulier au sujet de l’atteinte qui pourrait être portée à la réputation d’Intel.
[7] À l’audience du 15 juillet, toutes les parties étaient représentées par un avocat. Afin de donner aux défenderesses le temps de répondre à la requête d’Intel, les parties ont convenu que l’affaire serait de nouveau renvoyée au 21 juillet, et que l’injonction serait maintenue dans l’intervalle. Après que les observations des parties sur les modalités appropriées du maintien de l’injonction provisoire eurent été entendues, l’injonction a été maintenue en vigueur jusqu’au 21 juillet.
[8] Avant l’audience du 21 juillet, Intel a déposé un autre affidavit de M. Jiao, souscrit le 20 juillet. Tolt a déposé un affidavit d’une employée, Yuwei Zhang, établi le 19 juillet, ainsi qu’un affidavit souscrit le même jour par Yongsheng Wang, une adjointe juridique de l’avocat de Tolt, qui a confirmé les traductions faites par Mme Zhang de certains documents et messages en chinois sur WeChat, une application de messagerie chinoise. Les parties ONE ont déposé un affidavit d’Eric Chang, avocat général associé d’une société affiliée d’ONE, souscrit le 20 juillet. Le matin de l’audience du 21 juillet, les parties ONE ont déposé un autre affidavit de M. Chang contenant des renseignements nouvellement reçus au sujet des revendications portant sur les véhicules.
[9] Aucun des déposants n’a été contre‑interrogé au sujet de son affidavit. Les parties ont présenté leurs arguments en fonction des affidavits tels qu’ils ont été présentés, et aucune partie n’a soutenu que des conclusions défavorables devraient être tirées du refus ou du défaut d’une autre partie de permettre un contre‑interrogatoire.
B.
Les véhicules et les expéditions
[10] Les trois véhicules visés par la présente requête sont tous des véhicules utilitaires sport GLS450 2022 de Mercedes‑Benz. Ils portent les numéros d’identification de véhicule [NIV] 4JGFFKE6NA726246, 4JGFFKE5NA708174 et 4JGFFKE3NA71123, respectivement. Un quatrième véhicule de même année, marque et modèle, portant le NIV 4JGFF5KE4NA723295 [véhicule 3295], est également en cause dans l’action sous‑jacente et revêt un caractère pertinent pour le contexte factuel. Les quatre véhicules ont été achetés auprès de concessionnaires Mercedes à Toronto et à Montréal en avril et en mai 2022. Les permis pour véhicule de la province de l’Ontario montrent Intel comme propriétaire immatriculé des véhicules.
[11] Selon l’affidavit du 20 juillet de M. Jiao, Intel et 270 Ontario ont convenu en avril 2022 qu’Intel achèterait les véhicules et les expédierait en Chine. Ontario 270 devait faire fonction de vendeur des véhicules en Chine et, si elle ne pouvait pas trouver d’acheteur et ne payait pas les véhicules à Intel, alors Intel et son partenaire d’affaires à Hong Kong pourraient les vendre. À la suggestion de 270 Ontario, Intel a retenu les services de Tolt, une entreprise de logistique et d’expédition de la Colombie‑Britannique, à titre de transitaire. Des dispositions ont apparemment été prises à compter d’avril en vue de l’expédition des véhicules dans l’ensemble du Canada, puis en Chine. Le 2 mai, dans un échange sur WeChat entre Intel, 270 Ontario et Tolt, Intel a envoyé un message en chinois qui a été traduit des deux façons suivantes : [TRADUCTION]°« assurez‑vous que chaque libération de marchandise est confirmée par trois parties du groupe »
(traduction de M. Jiao) ou [TRADUCTION]°« chaque fois que vous libérez la marchandise, veuillez confirmer auprès de trois parties »
(traduction de Mme Zhang, confirmée par Mme Wang).
[12] Tolt a préparé et envoyé à Intel les connaissements [TRADUCTION]°« internes »
à l’égard des quatre véhicules. Chacun indique l’expéditeur comme étant Intel, le transitaire comme étant Tolt, la partie à notifier comme étant Jiangu Guotai H and B Co, Ltd [H&B], le consignataire comme étant [TRADUCTION]°« à ordre »
, et l’agent expéditeur à destination comme étant Tianjin Ocean Skyline International Forwarders Co, Ltd [Ocean Skyline]. À la rubrique [TRADUCTION]°« Description des biens et des services »
, ils font tous mention du véhicule, y compris de son NIV, et d’un numéro de lettre de crédit. Le connaissement interne pour le véhicule 3295 fait état de son chargement sur un navire exploité par ONE le 27 mai 2022. Les connaissements internes pour les trois autres véhicules indiquent leur chargement sur un navire différent exploité par ONE les 19 et 20 juin 2022.
[13] Tolt a également préparé des déclarations du Système canadien de déclaration des exportations [SCDE] pour l’Agence des services frontaliers du Canada. Pour chacun des véhicules, les rapports indiquent Intel comme exportateur, H&B comme consignataire, Tolt comme fournisseur de services et ONE comme transporteur.
[14] Tolt a envoyé les connaissements internes pour le véhicule 3295 et deux des autres véhicules à Intel par courriel le 3 juin. Le 7 juin, Intel a écrit à Tolt pour l’informer qu’elle avait découvert un cas de fraude sur lettre de crédit à l’étranger dans une affaire préalable sur laquelle elle enquêtait, et elle a demandé à obtenir copie des connaissements principaux pour ces trois véhicules et tous les véhicules futurs. Intel a demandé à Tolt de modifier les connaissements principaux et les déclarations du SCDE en y indiquant comme consignataire et partie à notifier World Auto Trading (HongKong) Limited [World Auto], l’agent d’Intel à Hong Kong, et de lui envoyer ces documents. World Auto est affiliée à l’agent d’Intel en Chine, Tianjin Jingxicheng International Trading Co, Ltd [Tianjin Jingxicheng].
[15] Tolt a répondu à la demande d’Intel (par WeChat) le 8 juin, en disant qu’elle ne pouvait pas modifier les renseignements sur le consignataire en raison des ententes de lettre de crédit associées aux véhicules, qui faisaient intervenir H&B et une autre entreprise établie à Hong Kong, KSK Investment Limited [KSK].
[16] Tolt a conclu un contrat avec ONE pour l’expédition des véhicules de Vancouver à Tianjin. La Cour n’a pas le connaissement d’ONE pour le véhicule 3295, mais M. Chang a fourni les trois connaissements d’ONE pour les trois autres véhicules, lesquels documents ont été établis par ONE le 20 juin, date à laquelle les véhicules ont été chargés à bord du navire d’ONE à Vancouver. Les connaissements indiquent chacun Tolt comme étant à la fois l’expéditeur et le transitaire, et Ocean Skyline comme étant à la fois le consignataire et la partie à notifier.
[17] Le véhicule 3295 est arrivé à Tianjin le 20 juin. Ce jour‑là, Tolt a signalé à 270 Ontario et à Intel par WeChat qu’un véhicule, vraisemblablement le véhicule 3295, était arrivé à destination et qu’il n’y avait que 14 jours d’entreposage gratuit à cet endroit. Intel a répondu, selon la traduction de Mme Zhang, que, [TRADUCTION]°« [a]près paiement par la société 270, il peut être libéré »
. Tolt et Intel semblent alors avoir eu un désaccord au sujet du paiement des frais d’entreposage et de la libération du véhicule, au cours duquel Intel a signalé que [TRADUCTION]°« [l]e problème, c’est que 270 n’a pas payé »
, alors que Tolt estimait que le différend d’Intel n’était pas lié à la logistique de Tolt et que Tolt devait parler à KSK.
[18] Le véhicule 3295 a été libéré le 28 juin. Selon M. Jiao, il a été remis à une personne inconnue, à l’insu et sans la permission d’Intel, et Intel ne sait pas maintenant où il se trouve. Intel s’est donc inquiétée des trois autres véhicules, qui étaient en transit vers Tianjin. Elle a envoyé deux courriels à Tolt le 6 juillet. Dans ces courriels, Intel a fait référence au ramassage non autorisé du véhicule 3295 et au connaissement « à ordre »
, affirmant que les véhicules ne pouvaient être libérés qu’avec l’autorisation d’Intel. Elle a demandé que le consignataire et la partie à notifier pour les trois autres véhicules soient remplacés par son agent chinois, Tianjin Jingxicheng, et a exigé que les trois véhicules ne soient pas libérés sans l’autorisation d’Intel.
C.
La correspondance en Chine
[19] Le même jour, le 6 juillet, Tianjin Jingxicheng a envoyé une [TRADUCTION]°« lettre de notification »
à l’ensemble des unités et des concessionnaires membres de la Tianjin Circulation Association of Parallel Import Cars [Association de Tianjin]. La lettre de notification indiquait que Tianjin Jingxicheng avait fait un signalement contre Ocean Skyline, KSK, Tolt et d’autres entreprises, soupçonnant de la fraude sur lettre de crédit et de la fraude liée à la contrefaçon de connaissement. La lettre de notification désignait les quatre véhicules, priait les concessionnaires et les courtiers de ne pas ramasser les véhicules pour [TRADUCTION]°« éviter de tomber dans le piège tendu par des criminels »
et exhortait Ocean Skyline à remettre les marchandises à Tianjin Jingxicheng.
[20] Tianjin Jingxicheng a également diffusé le 6 juillet une [TRADUCTION]°« lettre de signalement d’un cas soupçonné de fraude sur lettre de crédit et de fraude liée à la contrefaçon de connaissement »
, qui semble être le signalement mentionné dans la lettre de notification. La lettre de signalement nomme Intel comme propriétaire et exportateur du véhicule 3295 et allègue que Tolt et Ocean Skyline ont comploté pour remettre le véhicule à un consignataire inapproprié. Elle désigne également les trois véhicules restants et indique qu’Intel avait donné la directive à Tolt de les remettre à Tianjin Jingxicheng. Encore une fois, la lettre de signalement exhorte Ocean Skyline à remettre les trois véhicules à Tianjin Jingxicheng à leur arrivée au port, et prie les concessionnaires et les courtiers de ne pas s’occuper des quatre véhicules. La lettre de signalement indique qu’un certificat canadien de propriété du véhicule, une déclaration du SCDE et d’autres certificats de propriété sont joints, tout comme le connaissement transmis par Tolt à Intel. Comme la version de la lettre de signalement dont dispose la Cour en tant que pièce de l’affidavit de Mme Zhang ne comprend pas ces pièces jointes, il n’est pas certain si des documents étaient joints à la lettre pour les quatre véhicules ou seulement pour le véhicule 3295. Toutefois, il semble d’après le contexte de la lettre et la réponse de Tolt que les pièces jointes avaient trait au véhicule 3295.
[21] Le 8 juillet, Tolt a répondu à la lettre de notification et à la lettre de signalement du 6 juillet sous forme d’une déclaration spéciale adressée aux membres de l’Association de Tianjin et d’une lettre juridique de ses avocats à Tianjin Jingxicheng. La déclaration spéciale contestait les affirmations contenues dans la lettre de notification et la lettre de signalement et niait toute fraude ou tout comportement illégal de sa part. La déclaration spéciale de Tolt précisait qu’Intel n’était pas un client de Tolt, mais que le client dans la transaction était 270 Ontario. Elle indiquait également que la déclaration du SCDE et son connaissement interne avaient été modifiés à la demande de 270 Ontario, qu’ils servaient aux remboursements d’impôt au Canada, et qu’ils ne constituaient pas une preuve de la véritable identité du propriétaire du véhicule. La déclaration spéciale décrivait ensuite les modalités de paiement par lettre de crédit et la validité du connaissement finalement préparé. Tolt alléguait que la [TRADUCTION]°« véritable situation »
était que 270 Ontario et Intel étaient des partenaires d’affaires ayant des différends liés au financement, et qu’Intel ne prétendait être le propriétaire de la marchandise que pour tenter de prendre illégalement possession des véhicules.
[22] De même, la lettre juridique affirmait que Tolt n’avait jamais reçu de directives d’Intel et [TRADUCTION]°« n’avait aucune relation d’affaires directe avec elle »
, soulignait que la déclaration du SCDE et le connaissement interne ne servaient qu’aux remboursements d’impôt et n’avaient aucune autre importance, et renvoyait aux ententes de financement, de lettre de crédit et de connaissement. La lettre juridique exigeait que Tianjin Jingxicheng publie une lettre d’excuses dans les 15 jours. Le 18 juillet, Tianjin Jingxicheng a bel et bien publié une lettre d’excuses, faisant référence aux mesures qu’Intel avait prises, y compris devant la Cour, mais concluant après réflexion qu’il était inapproprié de sa part d’avoir émis des commentaires injustes alors que l’affaire n’avait pas été réglée.
[23] Entre‑temps, le 11 juillet, Intel a signalé le véhicule 3295 à la police régionale de York comme ayant été volé. Le même jour, les trois autres véhicules ont été déchargés du navire d’ONE à Tianjin. Le 12 juillet, Intel a appris de son avocat que les documents de transport d’ONE n’indiquaient pas qu’Intel était l’expéditeur des véhicules ou avait le moindre lien avec les véhicules.
III.
Divulgation complète et franche
A.
L’obligation de faire une divulgation complète et franche
[24] Les litiges au Canada se règlent généralement dans le cadre d’un débat contradictoire, où chaque partie est avisée des arguments et de la preuve des autres parties et se voit donner l’occasion de répondre avant que la Cour ne tranche la question. Dans certaines circonstances, habituellement en raison de l’urgence de la situation ou par crainte que le fait de donner un avis ne nuise à la réparation demandée, une partie peut demander une injonction à titre ex parte, c’est‑à‑dire sans avis donné à toute autre partie : Règles de la Cour fédérale, DORS/98‑106, art 374(1). Dans de tels cas, sans les freins et contrepoids habituels du système contradictoire, la Cour et la partie absente se trouvent [TRADUCTION]°« à la merci de la partie qui demande une injonction »
: United States of America v Friedland, [1996] OJ no 4399 (Div gen) au para 26; Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (CA) (Re), 2021 CAF 92 aux para 122‑123 [Re Loi sur le SCRS]. Par conséquent, la loi impose tant à la partie qui présente une demande de réparation ex parte qu’à son avocat une obligation de franchise exceptionnelle, exigeant de leur part une « divulgation complète et franche »
de l’affaire : Friedland, au para 26; Re Loi sur le SCRS, aux para 120‑122; TMR Energy Ltd c Ukraine, 2005 CAF 28 aux para 63‑64. Cette obligation a été codifiée dans les règles de pratique de certains tribunaux : voir p. ex. Règles de procédure civile, RRO 1990, Reg 194, art 39.01(6). À la Cour fédérale, il s’agit toujours d’un principe de common law découlant de la nature des demandes ex parte.
[25] L’obligation de divulgation complète et franche signifie qu’une partie qui dépose une requête ex parte ne peut présenter uniquement sa version des faits sous le meilleur jour possible. Elle doit présenter de façon équilibrée les faits et le droit et informer la Cour des points de fait ou de droit qui sont connus d’elle et qui favorisent l’autre partie : Friedland, au para 27; Ruby c Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75 au para 27; Re Loi sur le SCRS, au para 121. L’obligation est décrite comme étant celle de « faire preuve de la bonne foi la plus absolue »
: Re Loi sur le SCRS, au para 121; TMR Energy, au para 65, citant Canadian Paraplegic Assn (Newfoundland and Labrador) Inc v Sparcott Engineering Ltd, 1997 CanLII 14645 (CA TNL) au para 18.
[26] L’obligation de divulgation complète et franche exige la divulgation de tous les faits pertinents et importants. Elle n’est toutefois pas imposée de façon formelle ou mécanique et doit tenir compte du contexte d’une requête ex parte, qui est souvent urgente et présentée dans de courts délais et sur la foi d’informations connues : Friedland, au para 31. De simples imperfections dans un affidavit ou le défaut de divulguer des faits ne prêtant pas à conséquence ne seront pas considérés comme un manquement à l’obligation ayant pour effet de priver le demandeur d’un recours : Friedland, au para 31; Pardhan c Coca‑Cola Ltd, 2003 CAF 11 au para 26. En revanche, pour évaluer l’importance d’un fait, il ne s’agit pas simplement de déterminer si le résultat aurait été le même, et un fait peut être important même s’il n’est pas déterminant : Friedland, au para 36; Unilin Beheer BV c Triforest Inc, 2017 CF 76 au para 46; Kisti v Kisti, 2020 ONSC 4706 au para 22. La Cour divisionnaire de l’Ontario a décrit un fait important comme étant [TRADUCTION]°« tout fait que le juge des requêtes aurait soupesé ou pris en compte pour trancher les questions en litige, peu importe si sa divulgation avait changé l’issue »
: Stans Energy Corp v Kirgyz Republic, 2015 ONSC 3236 (C div) au para 5, citant Forestwood Co‑operative Homes Inc v Pritz, [2002] OJ no 550 (C div) au para 26.
[27] Compte tenu de l’importance de l’obligation de divulgation complète et franche, un manquement à cette obligation est grave et peut entraîner l’annulation ou la levée de l’ordonnance obtenue ex parte, même s’il se peut que le demandeur ait autrement eu droit à l’ordonnance : Friedland, aux para 30, 112, 175; Stans Energy, au para 5. Il en est ainsi, que l’omission soit délibérée ou involontaire, puisqu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait intention d’induire la Cour en erreur : ME2 Productions, Inc c M. Untel, 2019 CF 214 au para 63.
[28] Néanmoins, un manquement à l’obligation n’est pas toujours fatal. La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’évaluer le manquement et de déterminer si l’ordonnance ex parte devrait être maintenue : Pardhan, aux para 26‑27; ME2, au para 64; Kisti, au para 30. C’est un pouvoir discrétionnaire qui devrait être exercé « très prudemment »
: TMR Energy, au para 65, citant Landhurst Leasing plc v Marcq, [1997] EWJ no 1490 (CA) à la p 15, aux para 63‑66. Les facteurs pertinents dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire comprennent la nature du manquement, l’importance de l’information pour les questions en litige et l’issue, le degré et l’ampleur de la culpabilité ou de l’intention du demandeur, et tout préjudice causé aux autres parties : TMR Energy, aux para 65, 68; Pardhan, au para 27; ME2, au para 64; Kisti, au para 30.
B.
Intel n’a pas fait de divulgation complète et franche
[29] Après avoir examiné la preuve présentée par l’ensemble des parties à l’audience du 21 juillet, je conclus qu’Intel ne s’est pas acquittée de son obligation de divulgation complète et franche lorsqu’elle s’est adressée à la Cour à titre ex parte le 13 juillet.
[30] Comme il a été exposé précédemment, la requête ex parte du 13 juillet d’Intel a été présentée sur la foi de l’affidavit de M. Fernandes. L’affidavit de M. Fernandes reposait en grande partie sur les renseignements fournis par M. Jiao et les documents provenant d’Intel, ainsi que sur certains renseignements obtenus par l’avocat d’Intel lors de discussions avec l’avocat d’ONE.
[31] Le 13 juillet, Intel a déposé une preuve exposant sa revendication de la propriété légitime des quatre véhicules, en y joignant ses documents d’achat et les permis pour véhicule de la province de l’Ontario. La preuve contenait les connaissements internes et les déclarations du SCDE fournis par Tolt. Elle comprenait une copie du courriel du 7 juin d’Intel faisant état de sa préoccupation relative à la fraude sur lettre de crédit à l’étranger et demandant à Tolt de modifier les connaissements principaux et les déclarations du SCDE pour y indiquer World Auto comme consignataire et partie à notifier. M. Fernandes a déclaré dans son affidavit qu’il a été informé que Tolt avait répondu par WeChat, refusant de modifier les connaissements, mais que, [TRADUCTION]°« depuis le 7 juin 2022, Tolt n’a répondu à aucune communication envoyée par Intel Auto Trade ou son avocat »
.
[32] M. Fernandes a également fait référence au courriel du 6 juillet d’Intel au sujet des trois autres véhicules, bien qu’il semble que, par oubli, ce courriel n’ait pas été joint à son affidavit. M. Fernandes a déclaré, encore une fois pour en avoir été informé, [TRADUCTION]°« [qu’]aucune réponse à ce courriel n’a été reçue de Tolt »
.
[33] L’impression faite par la preuve présentée par Intel le 13 juillet, c’est que, après son refus de modifier les connaissements en réponse au courriel du 7 juin, Tolt était, dans les faits, devenue silencieuse et n’avait répondu [TRADUCTION]°« à aucune communication »
, y compris au courriel du 6 juillet. C’est également ce que l’avocat d’Intel croyait comprendre, semble‑t‑il, puisqu’il a fait valoir à la Cour que la réponse au courriel du 7 juin était [TRADUCTION]°« la dernière communication reçue de Tolt »
.
[34] Or, la preuve dont la Cour dispose maintenant montre qu’il y a eu d’autres échanges directs entre Intel et Tolt à tout le moins à la fin de juin, ainsi que la correspondance entre son agent chinois et Tolt au début de juillet. La preuve présentée le 13 juillet ne faisait pas référence aux échanges sur WeChat entre Intel et Tolt les 20 et 21 juin, après l’arrivée du véhicule 3295 à Tianjin, dans lesquels Intel a signalé que le véhicule pouvait être libéré une fois le paiement effectué par 270 Ontario et que, le problème, c’est que 270 Ontario n’a pas payé.
[35] La preuve présentée le 13 juillet ne mentionnait pas non plus le fait que l’agent d’Intel en Chine, Tianjin Jingxicheng, avait envoyé la lettre de notification et la lettre de signalement une semaine plus tôt, alléguant qu’Intel était propriétaire d’un des véhicules, cette allégation étant fondée essentiellement sur les mêmes motifs et documents que ceux qu’Intel a présentés à la Cour. Fait important, la preuve présentée le 13 juillet ne révélait pas non plus que Tolt avait répondu le 8 juillet au moyen de la déclaration spéciale et de la lettre juridique, niant qu’Intel était propriétaire des véhicules, niant toute fraude, niant entretenir la moindre relation d’affaires avec Intel et assimilant le problème à un différend entre Intel et 270 Ontario. Intel ne prétend pas qu’elle n’était pas au courant de cette correspondance qu’a eue son agent à Tianjin.
[36] La preuve présentée le 13 juillet ne faisait pas mention des échanges mentionnés ci‑dessus ni de la position connue de Tolt. En fait, la preuve présentée ne faisait aucunement référence à l’existence de 270 Ontario, à sa relation de vendeur des véhicules en Chine, ou à la préoccupation de Tolt selon laquelle 270 Ontario n’avait pas payé. Elle ne mentionnait pas non plus la participation de KSK ou les problèmes de lettre de crédit qui avaient été signalés par Tolt.
[37] Ces questions étaient pertinentes et importantes. Intel a soutenu le 13 juillet qu’elle satisfaisait aux critères relatifs à l’octroi d’une injonction, à savoir a) qu’il existait une question sérieuse à juger; b) qu’Intel subirait un préjudice irréparable si l’ordonnance n’était pas rendue; c) que la prépondérance des inconvénients favorisait l’octroi de l’ordonnance; d) que l’octroi d’une réparation était juste et équitable eu égard aux circonstances : RJR‑MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 à la p. 334; Google Inc c Equustek Solutions Inc, 2017 CSC 34 aux para 1, 25. Les faits qui étaient connus d’Intel et qui n’ont pas été présentés à la Cour étaient pertinents et importants au regard de ces observations.
[38] À propos de la question sérieuse à juger, Intel a fait valoir qu’elle [TRADUCTION]°« conserve tous les droits, titres et intérêts afférents aux véhicules »
et que le véhicule 3295 avait déjà été obtenu par fraude soit par Tolt, soit par un tiers. Le fait que la position de Tolt sur ces points était connue, à savoir qu’elle contestait la propriété des véhicules revendiquée par Intel et toute fraude commise par Tolt, était important pour la question à juger, tout comme l’était le fondement de la position adoptée par Tolt. Il en va de même de la participation de 270 Ontario en tant que représentant commercial de Tolt. Pour reprendre les termes de la Cour divisionnaire, il s’agissait de [TRADUCTION]°« fait[s] que le juge des requêtes aurait soupesé[s] ou pris en compte pour trancher les questions en litige »
: Forestwood, au para 26.
[39] En ce qui concerne la question du préjudice irréparable, Intel s’est fondée principalement sur l’atteinte à sa réputation auprès de ses partenaires d’affaires en Chine, bien que sa preuve de ce préjudice n’ait pas été présentée avant l’affidavit du 14 juillet de M. Jiao. Le fait que son agent en Chine ait lui‑même fait des allégations publiques de fraude contre des tiers, lesquelles avaient été niées par Intel au point où elle a envoyé une lettre juridique exigeant une rétractation, était important pour l’évaluation de cette question.
[40] De même, en ce qui a trait à la prépondérance des inconvénients, Intel a fait référence aux intérêts qu’elle avait dans les véhicules et au préjudice possible porté à ONE du fait de devoir rester en possession des véhicules. Toutefois, elle n’a pas mentionné le fait que Tolt avait affirmé que les documents d’expédition pertinents et les antécédents transactionnels conféraient à une autre partie un droit de posséder les véhicules.
[41] Ces questions sont importantes, sans égard au bien‑fondé de la position de Tolt, et peu importe si la participation de 270 Ontario ou d’autres entreprises aux transactions a en définitive une incidence sur la propriété ou le droit de possession des véhicules que revendique Intel. La preuve présentée par Tolt soulève certainement des questions à première vue. En particulier, la preuve n’explique pas entièrement pourquoi Tolt a transmis des connaissements internes à Intel, alors que les connaissements d’ONE contenaient des renseignements différents et n’ont pas été fournis à Intel. La preuve n’explique pas non plus pourquoi Tolt a affirmé dans sa déclaration spéciale qu’Intel n’était pas un client, et dans la lettre juridique que Tolt n’avait pas de relations d’affaires directes avec Intel, alors que Tolt a de toute évidence transmis au moins les connaissements internes et deux factures à Intel. Intel aurait été en droit de présenter sa réfutation de la position de Tolt à la Cour, ou de faire valoir les raisons pour lesquelles cette position ne devrait pas être acceptée. Il n’était pas loisible à Intel de présenter dans les faits à la Cour un scénario factuel dans lequel la correspondance en Chine n’existait pas.
[42] À cet égard, je ne peux pas accepter l’argument d’Intel selon lequel il s’agit simplement d’une affaire de contrat de transport et, au bout du compte, les relations d’affaires et les ententes de financement en ce qui concerne les véhicules ne sont pas pertinentes. Même selon la propre preuve d’Intel, telle qu’elle a été présentée en fin de compte dans le second affidavit de M. Jiao, 270 Ontario avait le pouvoir manifeste d’agir à titre de vendeur des véhicules en Chine. Dans un échange du 3 mai sur WeChat présenté par Mme Zhang, 270 Ontario a informé Tolt et Intel qu’elle avait [TRADUCTION]°« un acompte et un contrat sur chaque véhicule avec chaque client »
, ce qui laisse entendre que 270 Ontario avait trouvé des clients pour les véhicules en question. Plus tôt ce matin‑là, Intel avait apparemment reconnu la participation et les intérêts de KSK, notant à l’égard d’un des véhicules que, comme KSK en était le bénéficiaire en vertu d’une lettre de crédit, cette dernière avait déjà en principe un droit de propriété sur le véhicule. Intel semble soutenir que le client de 270 Ontario n’avait un droit de possession que si Intel était payée. Quoi qu’il en soit, ces ententes financières et transactionnelles étaient pertinentes pour la propriété et le droit de possession des véhicules que revendiquait Intel.
[43] Je souligne que, en faisant les commentaires qui précèdent, la Cour ne tire aucune conclusion ni ne rend aucune décision sur qui est ou était propriétaire des véhicules, qui en a ou en avait le droit de possession, ou qui a ou avait le droit de se les faire payer. Ces questions seront tranchées dans l’action sous‑jacente une fois que toutes les parties auront bénéficié de la communication préalable. Pour le moment, le problème tient simplement au fait qu’Intel avait l’obligation de dresser un portrait complet et objectif des questions pertinentes et ne l’a pas fait.
[44] Je souligne également que rien n’indique que l’avocat d’Intel était responsable de l’absence d’information complète. Cela étant dit, cette question n’a aucune incidence sur l’analyse, car l’obligation de divulgation complète et franche incombe à la fois à la partie qui demande réparation et à son avocat : Re Loi sur le SCRS, au para 122.
C.
Incidence du défaut de faire une divulgation complète et franche
[45] Comme il a été mentionné, un manquement à l’obligation de divulgation complète et franche n’est pas toujours fatal. La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’évaluer les circonstances et de décider si le défaut de faire une divulgation complète et franche devrait être déterminant. Dans les présentes circonstances, je conclus que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire en ne laissant pas subsister l’injonction.
[46] À mon avis, les renseignements qui n’ont pas été divulgués lorsqu’Intel s’est adressée à la Cour étaient importants et considérables. La question même qu’Intel soulevait était son droit de posséder les véhicules qui avaient été expédiés en Chine en vue d’être vendus. Intel a présenté des renseignements sur le contexte de ses ententes de vente et d’expédition, mais n’a pas dressé un portrait complet des parties concernées, de la nature des transactions, des revendications des autres parties, et des positions connues d’une des parties dont Intel a insinué qu’elle pourrait s’être livrée à un comportement illégal.
[47] Ce portrait limité peint par Intel s’est poursuivi lors de la présentation de la requête le 15 juillet, quand Intel a déposé le premier affidavit de M. Jiao. M. Jiao n’a pas fait référence à la correspondance en Chine qu’a eue Tianjin Jinxicheng, même s’il a traité directement de la préoccupation qu’entretenait Intel quant à sa réputation et de la crainte que Tianjin Jingxicheng ne fasse plus affaire avec Intel pour protéger sa propre réputation en tant qu’entreprise. L’avis à l’industrie donné par Tianjin Jingxicheng elle‑même dans lequel elle accuse Tolt et d’autres de conduite criminelle et la réponse que Tianjin Jingxicheng a reçue de Tolt étaient des faits importants relativement à ces allégations, mais ils n’ont pas été divulgués. Même dans son affidavit supplémentaire du 20 juillet, M. Jiao a fait référence à la déclaration spéciale et à la lettre juridique de Tolt, mais pas à la lettre de notification et à la lettre de signalement de Tianjin Jingxicheng qui ont incité Tolt à répondre. L’affaire était alors une requête dont avis avait été donné plutôt qu’une procédure ex parte, mais j’estime que la réticence manifeste de M. Jiao à peindre un portrait complet est pertinente par rapport à la question du pouvoir discrétionnaire.
[48] Je juge également pertinente l’incidence des renseignements supplémentaires sur le bien‑fondé de la requête en injonction sous‑jacente. De toute évidence, s’il n’est plus satisfait au critère énoncé dans l’arrêt RJR‑MacDonald, il n’y a aucune raison de maintenir l’injonction. Je conclus que je n’ai pas à décider s’il est satisfait au critère énoncé dans l’arrêt RJR‑MacDonald d’après l’ensemble de la preuve, car les nouveaux renseignements portés à ma connaissance font à tout le moins douter sérieusement si Intel a démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable ou que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de l’injonction.
[49] En ce qui concerne le préjudice irréparable, comme il a été indiqué précédemment, Intel s’appuie principalement sur l’atteinte à sa réputation auprès de ses partenaires d’affaires et de ses clients en Chine. Le 13 juillet, cette thèse a été avancée comme une question d’argumentation. Le 15 juillet, M. Jiao a présenté des éléments de preuve concernant l’ampleur de ses activités en Chine et a dit craindre que Tianjin Jingxicheng ne fasse plus affaire avec Intel si les véhicules sont perdus. Il semble maintenant que certaines des préoccupations quant à la réputation aient pu découler du fait que Tianjin Jingxicheng a envoyé un avis à l’industrie locale de Tianjin dans lequel elle a soulevé des allégations de fraude, à l’égard desquelles elle a finalement été forcée de présenter des excuses. Dans ces circonstances, il est loin d’être évident que quelque atteinte irréparable soit portée à la réputation d’Intel du simple fait que l’injonction demandée ne soit pas octroyée.
[50] Pour ce qui est de la prépondérance des inconvénients, Intel a d’abord fait valoir qu’il s’agissait exclusivement d’apprécier l’atteinte à sa participation financière dans les véhicules par rapport au préjudice porté à ONE du fait de rester en possession des véhicules. Il est maintenant clair, d’après le portrait complet dont dispose la Cour, qu’il y a au moins deux revendications concurrentes de la possession des véhicules, et que le règlement de ces revendications est susceptible d’être plus complexe qu’Intel ne l’a présenté au départ. Le maintien de l’injonction pendant que ces revendications sont réglées risque d’accroître les coûts globaux d’entreposage et de réduire la valeur des voitures au fil du temps. Encore une fois, les renseignements qui n’ont pas été présentés initialement sont importants relativement à la prépondérance des inconvénients et font nettement douter si la prépondérance des inconvénients favorise ou a jamais favorisé la détention des véhicules.
[51] Comme il a été mentionné, je n’ai pas à trancher ces questions. Toutefois, mes réserves quant à la question de savoir s’il est satisfait au critère relatif à l’octroi de l’injonction d’après l’ensemble de la preuve me portent à conclure que je ne devrais pas exercer mon pouvoir discrétionnaire en faveur du maintien de l’injonction malgré l’absence de divulgation complète et franche.
[52] Pour les motifs qui précèdent, j’ai ordonné à la conclusion de l’audience du 21 juillet 2022 la levée de l’injonction initialement octroyée le 13 juillet et maintenue le 15 juillet.
IV.
Dépens
[53] Comme Intel le reconnaît, les défenderesses ont droit à leurs dépens en tant que parties ayant obtenu gain de cause. À l’audience, les parties ONE ont réclamé des dépens s’élevant au total à 11 612,50 $. Elles ont fait valoir qu’elles étaient simplement un transporteur tiers pris au milieu d’un différend entre d’autres parties et qu’elles devraient être indemnisées de ces dépens. Intel n’a pas contesté la demande faite par les parties ONE pour que leur soient adjugés leurs dépens de 11 612,50 $, payables sans délai, et j’ordonne qu’il en soit ainsi.
[54] Tolt a évalué ses dépens avocat‑client à 25 000 $. Elle a fait valoir qu’il était approprié d’adjuger les dépens avocat‑client compte tenu de la conclusion de la Cour selon laquelle Intel avait manqué à son obligation de divulgation complète et franche, et elle a aussi demandé que les dépens soient payables sans délai. Bien qu’Intel ait reconnu que Tolt avait droit aux dépens afférents à la requête, elle a soutenu qu’il n’était pas justifié d’adjuger les dépens avocat‑client dans les circonstances. Elle a également fait valoir que, puisque Tolt pourrait au bout du compte être tenue responsable des pertes d’Intel associées aux véhicules, il était approprié que les éventuels dépens suivent l’issue de l’action sous‑jacente.
[55] Bien que l’obligation de divulgation complète et franche soit importante, et que le manquement à cette obligation soit nécessairement lourd de conséquences, le défaut de faire une divulgation complète et franche ne justifie pas invariablement l’adjudication de dépens avocat‑client. Dans la décision Friedland, le juge Sharpe a conclu que l’adjudication des dépens avocat‑client, payables sans délai, était justifiée compte tenu de la non‑divulgation et des fausses déclarations faites par le demandeur : Friedland, aux paras 205‑206. En revanche, dans l’arrêt TMR Energy, la Cour d’appel fédérale a conclu que, bien qu’il y ait eu une non‑divulgation importante, il n’était pas opportun d’adjuger les dépens sur une base avocat‑client, mais elle a néanmoins exercé son pouvoir discrétionnaire d’accorder des dépens majorés : TMR Energy Ltd c Ukraine, 2005 CAF 231 aux para 4‑8. Dans l’arrêt Kisti, le juge Schabas a accordé des dépens d’indemnisation partielle réduits malgré sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’a pas fait une divulgation complète et franche : Kisti v Kisti, 2020 ONSC 5295 aux paras 2–3.
[56] Dans les présentes circonstances, je conclus que l’approche adoptée par la Cour d’appel dans l’affaire TMR Energy est appropriée et je conclus qu’il n’est pas approprié d’adjuger les pleins dépens avocat‑client, mais qu’il convient d’accorder des dépens majorés. Compte tenu de la nature de l’affaire et de son caractère urgent, je conclus qu’il est approprié d’adjuger des dépens de 20 000 $. Je conviens avec Intel que ces dépens ne devraient pas être payables sans délai, mais je ne suis pas d’accord pour dire qu’ils devraient suivre l’issue de l’action principale. Ils devraient plutôt être payables par Intel à Tolt sans égard à l’issue de l’instance.
[57] Par souci de clarté, les dépens susmentionnés couvrent les réponses des parties à la requête d’Intel et les comparutions des 15 et 21 juillet 2022.
ORDONNANCE dans le dossier T‑1453‑22
LA COUR ORDONNE :
Ocean Network Express Pte Ltd et Ocean Network Express (Canada) Inc se voient adjuger leurs dépens de 11 612,50 $ afférents à l’ordonnance du 21 juillet 2022 de la Cour, payables sans délai par Intel Auto Trade Inc s/n Go Luxury Cars.
Tolt International Logistics Inc se voit adjuger ses dépens de 20 000 $ afférents à l’ordonnance du 21 juillet 2022 de la Cour, payables par Intel Auto Trade Inc s/n Go Luxury Cars sans égard à l’issue de l’instance.
« Nicholas McHaffie »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑1453‑22
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INTITULÉ :
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INTEL AUTO TRADE INC. s/n GO LUXURY CARS c OCEAN NETWORK EXPRESS (CANADA) INC., OCEAN NETWORK EXPRESS PTE. LTD., TOLT INTERNATIONAL LOGISTICS INC.
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 13 juillet 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE MCHAFFIE
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DATE DES MOTIFS :
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Le 25 juillet 2022
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COMPARUTIONS :
Gordon Hearn
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POUR LA DEMANDERESSE
|
Daniel Grodinsky
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POUR LES DÉFENDERESSES OCEAN NETWORK EXPRESS (CANADA) INC. et OCEAN NETWORK EXPRESS PTE. LTD.
|
Robert Fischer
Nicole Chang
|
POUR LA DÉFENDERESSE TOLT INTERNATIONAL LOGISTICS INC
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Fernandes Hearn LLP
Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
|
Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L. |
POUR LES DÉFENDERESSES OCEAN NETWORK EXPRESS (CANADA) INC. et OCEAN NETWORK EXPRESS PTE. LTD.
|
Whitelaw Twining LLP |
POUR LA DÉFENDERESSE TOLT INTERNATIONAL LOGISTICS INC
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