Dossier : T-137-22
Référence : 2022 CF 911
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 16 juin 2022
En présence de monsieur le juge Ahmed
ORDONNANCE ET MOTIFS
I.
Vue d’ensemble
[1] Le 25 janvier 2022, les demandeurs ont déposé un avis de demande en vue de solliciter le contrôle judiciaire [traduction] « relativement à la détermination de l’entité ou de la personne qui est légalement habilitée à gouverner la Nation des Wahpeton de Dakota Plains »
. Dans l’avis de demande, le contrôle judiciaire est sollicité à l’égard de deux résolutions du conseil de bande (les RCB) : une RCB adoptée le 27 septembre 2021 (la RCB de septembre) et une RCB adoptée le 16 décembre 2021 (la RCB du 16 décembre). Par la RCB de septembre, le défendeur, Donald Raymond Smoke, est désigné chef héréditaire de la Première Nation de Dakota Plains (Dakota Plains). Par la RCB du 16 décembre, la demanderesse Evangeline Towle se voit retirer son pouvoir de signature pour Dakota Plains.
[2] À l’appui de leur demande, les demandeurs ont signifié les affidavits suivants au défendeur le 24 février 2022 : l’affidavit d’Evangeline Towle, l’affidavit de Craig Blacksmith, l’affidavit de Jason Towle, l’affidavit de Chandelle Smoke-Towle, l’affidavit d’Alvin Smoke et l’affidavit de Katherine Whitecloud (les affidavits contestés).
[3] Le défendeur a présenté une requête écrite en vertu de l’article 369 des Règles de la Cour fédérale, DORS/98‑106 (les Règles) par laquelle il demande à la Cour de radier l’avis de demande des demandeurs dans son intégralité ou, à titre subsidiaire, de radier certaines parties de l’avis de demande et des affidavits contestés. Cette requête est fondée sur le fait que l’avis de demande a) outrepasse la compétence de la Cour, et b) qu’il a été déposé en dehors du délai de prescription de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7.
[4] Les demandeurs s’opposent à la requête en radiation, soutenant qu’il n’existe aucun vice fondamental dans l’avis de demande qui justifierait la radiation de la demande dans son intégralité, ou de certaines parties de celle‑ci. À titre subsidiaire, les demandeurs soutiennent que, si elle détermine que le défendeur a soulevé une question en litige qui mérite d’être débattue, la Cour devrait rejeter la requête et laisser la décision au juge saisi de la demande.
[5] La présente requête en radiation soulève les questions en litige suivantes :
Y a‑t‑il lieu de radier dans son intégralité l’avis de demande déposé par les demandeurs?
Y a‑t‑il lieu de radier certaines parties de l’avis de demande déposé par les demandeurs et les réparations connexes sollicitées?
C.
Y a‑t‑il lieu de radier certaines parties des affidavits déposés par les demandeurs?
[6] Le critère applicable en matière de radiation d’un avis de demande à l’égard duquel un contrôle judiciaire est sollicité est très exigeant. La Cour « […] doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande […] »
(Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 au para 47 (JP Morgan); voir également Robert Aquilini Successor Trust c Canada (Procureur général), 2021 CanLII 46435 (CF) au para 18 (Robert Aquilini); Louie c Première Nation Ts'kw'aylaxw, 2018 CanLII 116818 (CF) au para 10). On ne peut conclure à l’existence d’un « vice fondamental et manifeste »
lorsque les questions en litige sont sujettes à discussion (Fondation David Suzuki c Canada (Santé), 2018 CF 380 (CanLII) au para 130 (David Suzuki). Au paragraphe 66 de l’arrêt JP Morgan, la Cour d’appel fédérale a conclu que les éléments suivants peuvent constituer un vice fondamental justifiant la radiation d’un avis de demande :
[7] Comme l’a récemment affirmé notre Cour dans la décision Robert Aquilini :
[traduction]
[20] Il convient d’interpréter l’avis de demande de manière aussi libérale que possible, d’une façon qui remédie à tout vice de forme imputable à une carence rédactionnelle qui aurait pu se glisser dans les allégations : Prairies Tubulars (2015) Inc c Canada (Agence des services frontaliers), 2018 CF 991 au para 26 [Prairies Tubulars].
[21] La Cour doit également faire de l’avis de demande une « lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » afin d’obtenir « une appréciation réaliste » de la « nature essentielle » de la demande : JP Morgan, précité, au para 50.
[8] Le défendeur fait valoir que l’avis de demande déposé par les demandeurs ne désigne pas un « office fédéral »
(au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales) comme défendeur en ce qui concerne les décisions pour lesquelles ils sollicitent un contrôle judiciaire, à savoir la RCB de septembre et la RCB du 16 décembre. À ce titre, le défendeur soutient que la requête outrepasse la compétence de la Cour parce que Donald Raymond Smoke, en sa qualité personnelle, ne saurait constituer un « office fédéral »
.
[9] Le défendeur fait observer que la RCB de septembre et la RCB du 16 décembre sont toutes deux signées par le chef et le conseil. La RCB de septembre porte trois signatures en plus de celle de Donald Raymond Smoke. La RCB du 16 décembre porte la signature de neuf membres du conseil en plus de celle du chef Donald Smoke. Dans l’avis de demande, il est demandé à la Cour d’accorder une réparation uniquement vis-à-vis du défendeur, Donald Raymond Smoke. Le défendeur soutient en outre que, comme la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs outrepasse la compétence initiale de la Cour, toute demande d’autorisation de modification ou d’ajout de défendeurs pour remédier au vice fondamental dans l’avis de demande doit être rejetée.
[10] Le défendeur distingue la présente affaire de celles qu’a eu à examiner la Cour dans les décisions Première Nation Marcel Colomb c Colomb, 2016 CF 1270 (Marcel Colomb), Première Nation des Da'naxda'xw c Peters, 2021 CF 360 (Da'naxda'xw) et Nation Ojibwée de Saugeen c Derose, 2022 CF 531 (Saugeen), dans la mesure où dans aucune de ces décisions n’a été désigné comme défendeur un seul individu, que ce soit à titre personnel ou comme membre d’un office fédéral. En fait, les demandeurs ont omis de désigner l’un des trois décideurs de la RCB de septembre et n’ont désigné que le défendeur, qui est effectivement le sujet de la RCB de septembre mais pas le décideur. Le défendeur soutient que la RCB de septembre est en fait la décision distincte et identifiable en cause dans la présente affaire.
[11] Les demandeurs soutiennent que la Cour fédérale a en fait compétence dans la présente affaire. La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive à l’égard des décisions d’un office fédéral. Au paragraphe 33 de la décision Gamblin c Conseil de la Nation des cris de Norway House, 2012 CF 1536 (Gamblin), notre Cour cite la conclusion énoncée dans la décision Balfour c Nation des Cris de Norway House, 2006 CF 213, au paragraphe 20 :
[20] Il appert de la jurisprudence qu’un conseil de bande indienne constitue un « office fédéral » au sens de l’article 18 [ de la Loi sur les Cours fédérales] […] Sur cette base, la Cour d’appel fédérale a confirmé, dans Première nation Salt River no 195 (Conseil) c. Première nation Salt River no 195, 2003 CAF 385, au paragraphe 18, que la Cour fédérale a compétence pour décerner un bref de quo warranto ou pour rendre un jugement déclaratoire contre un conseil de bande indienne et les membres de celui‑ci […]. [En italique dans l’original.]
[12] Suivant le paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5, un « conseil de bande »
est notamment défini dans les termes suivants : « d) s’agissant de toute autre bande, le conseil choisi selon la coutume de celle-ci ou, en l’absence d’un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle-ci. »
Les demandeurs font remarquer que l’avis de demande traite de la détermination de l’entité ou de la personne qui est légalement habilitée à gouverner Dakota Plains, en ce qui concerne la RCB de septembre et la RCB du 16 décembre. Dans l’affaire Marcel Colomb, il a été demandé à la Cour de trancher une question similaire à celle qui est soulevée dans la présente affaire et la Cour a conclu en ces termes : « Il ne fait aucun doute que la Cour fédérale a la compétence requise pour traiter la question centrale et fondamentale de ce litige [...] : qui, des CCF ou des CCM, sont le chef et les conseillers légitimes de la PNMC? »
(au paragraphe 153).
[13] Les demandeurs soutiennent que l’avis de demande établit correctement et clairement que la gouvernance de Dakota Plains est un « conseil de bande »
au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens et que le défendeur est un membre constitutif présumé de ce conseil de bande (le chef héréditaire présumé). Les demandeurs font valoir que le défendeur n’a pas été nommé en sa qualité personnelle dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Les demandeurs n’ont pas nommé le défendeur en sa prétendue qualité de chef héréditaire de Dakota Plains parce qu’ils ne le reconnaissent pas comme tel et ont demandé à la Cour de se prononcer sur cette question. Selon les demandeurs, dans la décision Marcel Colomb, la Cour a expressément pris note du fait que « [b]ien que les CCM ne soient pas nommés dans l’intitulé de la cause en tant que représentants de la PNMC (pour la raison évidente que les CCF ne leur reconnaissaient pas ce statut), leur thèse [...] est basée sur le fait qu’ils allèguent être le chef et les conseillers légitimes de la PNMC. »
(au paragraphe 33). Par conséquent, tout comme dans la décision Marcel Colomb, la Cour a conclu que l’omission de conférer au défendeur un titre précis n’est pas fatal à la demande et ne signifie pas que celui‑ci répond en sa qualité personnelle. La Cour s’est plutôt penchée sur la « thèse »
invoquée dans le litige pour déterminer la qualité du défendeur en tant que partie.
[14] Par ailleurs, les demandeurs soutiennent que la Cour fédérale a compétence pour trancher les affaires touchant à la gouvernance autochtone (voir Da'naxda'xw; Marcel Colomb; Saugeen) et pour accorder les réparations sollicitées dans l’avis de demande, y compris les brefs de quo warranto (Loi sur les Cours fédérales, paragraphes 18(1) et 18(3)). Les demandeurs affirment qu’il peut être démontré a) qu’il n’existe pas de vice fondamental dans la demande sur la base de la compétence; b) que l’affaire est dûment portée devant la Cour; c) que les réparations sollicitées relèvent de la compétence de la Cour; d) que l’avis de demande soumis à la Cour ne constitue donc pas un abus de procédure. En tant que tel, l’avis de demande ne devrait pas être radié et l’affaire devrait être traitée telle qu’elle a été déposée et faire l’objet d’une décision appropriée par le juge saisi de la demande après que les parties auront eu la possibilité de présenter des éléments de preuve et des arguments (Robert Aquilini, au para 64)
[15] Je partage l’avis des demandeurs selon lequel la jurisprudence démontre clairement que la Cour a compétence pour instruire la présente affaire. En effet, bien que le défendeur soit la seule personne nommée dans l’avis de demande, je peux comprendre l’explication des demandeurs selon laquelle ils n’ont pas nommé le défendeur en sa qualité de chef héréditaire de Dakota Plains, parce que les demandeurs ne le reconnaissent pas comme tel. Le désaccord sur la question de savoir qui doit gouverner Dakota Plains est précisément la question en litige dont est saisie la Cour. Le défendeur, dans la présente affaire, se présente comme le chef héréditaire de Dakota Plains, en conformité avec la coutume. Comme l’ont fait remarquer les demandeurs, la jurisprudence de la Cour a établi que le conseil de bande d’une Première Nation constitue un « office fédéral »
et que la Cour a compétence à l’égard des décisions prises par le conseil de bande d’une Première Nation (Gamblin, aux para 29-63). Notre Cour a également conclu qu’elle peut examiner les décisions prises en vertu de la coutume. Dans la décision Thomas c One Arrow First Nation, 2019 CF 1663 (One Arrow), mon collègue le juge Grammond a indiqué, au paragraphe 14 :
On ne saurait remettre en cause la compétence de notre Cour pour examiner des décisions prises aux termes des lois électorales d’une Première Nation, y compris lorsque ces lois sont dites « coutumières ». Voir, par exemple, Canatonquin c Gabriel, [1980] 2 CF 792 (CA); Ratt c Matchewan, 2010 CF 160, aux paragraphes 96 à 106; Gamblin c Conseil de la Nation des Cris de Norway House, 2012 CF 1536, aux paragraphes 29 à 63.
[16] Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales exige qu’un demandeur présente sa demande de contrôle judiciaire dans les 30 jours suivant la première communication de la décision. Le défendeur fait valoir que la RCB de septembre et la RCB du 16 décembre ont été adoptées plus de 30 jours avant le dépôt de l’avis de demande, le 25 janvier 2022. Les demandeurs n’ont pas indiqué dans les motifs de leur avis de demande la date à laquelle ils ont pris connaissance de la RCB de septembre ou de la RCB du 16 décembre. Les demandeurs n’ont pas présenté de demande de prorogation du délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire. Ils n’ont pas non plus expliqué le retard dans la présentation de la demande de contrôle judiciaire et n’ont pas invoqué de motifs au titre desquels la Cour pourrait exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder une telle prorogation de délai.
[17] Le défendeur fait valoir que le dépôt d’un avis de demande dans le délai prescrit est une question préliminaire que les demandeurs étaient tenus de traiter dès le départ lorsqu’ils ont demandé à la Cour de leur accorder une réparation. Par ailleurs, étant donné que l’avis de demande ne contient pas de motifs suffisants pour justifier une telle réparation, le défendeur soutient que la Cour ne dispose d’aucun élément qui pourrait raisonnablement justifier une telle ordonnance. À première vue, le non-respect du délai constitue un vice fondamental et, à ce titre, l’avis de demande devrait être radié. En outre, le défendeur soutient que la RCB de septembre et la RCB du 16 décembre sont deux décisions distinctes et séparées : elles ont été prises par des décideurs différents, ne sont pas liées et ne présentent aucune analogie. En tant que telles, elles ne peuvent constituer une « même série d’actes »
ou « une ligne de conduite »
.
[18] Les demandeurs soutiennent que, de façon générale, les questions de respect des délais doivent être traitées à l’étape de la demande, et non dans le cadre d’une requête en radiation (David Suzuki, au para 155). Les demandeurs s’appuient sur la décision David Suzuki pour faire valoir que notre Cour a conclu que le terme « objet »
au paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales a une acception plus large que les termes « décision ou [...] ordonnance »
au paragraphe 18.1(2). À ce titre, le délai de prescription de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) ne s’applique pas lorsqu’un demandeur cherche à examiner un « objet »
qui n’est pas une « décision ou [une] ordonnance »
(David Suzuki, au para 156). Le terme « objet »
peut renvoyer à une politique ou à une ligne de conduite (David Suzuki, au para 157). Dans la décision David Suzuki, la Cour a conclu que, même si la demande de contrôle judiciaire dans cette affaire visait plusieurs décisions, chaque décision faisait partie d’une ligne de conduite contestée par les demandeurs et constituait un objet non visé par le paragraphe 18.1(2). La Cour résume la jurisprudence pertinente au paragraphe 173 de la décision :
Pour résumer, la jurisprudence susmentionnée met en évidence ce qui suit :
● Les questions de délai (c.-à-d. l’application du paragraphe 18.1(2)) sont généralement traitées à l’étape de la demande et non pas lors de la présentation d’une requête en radiation (décision Hamilton-Wentworth; voir également les décisions James Richardson, au paragraphe 14, et Airth, au paragraphe 13).
● Le délai de prescription de 30 jours établi au paragraphe 18.1(2) ne s’applique pas lorsqu’un demandeur demande le contrôle d’un objet, qui n’est pas une décision ou une ordonnance (Krause, SRC).
● Un objet comprend une politique ou une ligne de conduite (Airth, Sweet, Moresby).
● Une ligne de conduite comprend une « décision générale, sur les mesures de mise en œuvre, ou à la fois sur cette décision et ces mesures lorsqu’il résulte de leur réunion un acte illégal du gouvernement » (Krause, Fisher).
● Dans le contexte des décisions et des actes du gouvernement, l’accent porte sur la question de savoir s’il existe « une série de mesures gouvernementales étroitement liées et illégales » (Fisher, au paragraphe 79).
● Une ligne de conduite peut également comprendre une pratique continue (SRC, au paragraphe 26).
● Tant la jurisprudence relative à l’article 302 des Règles que celle relative au paragraphe 18.1(2) ont tendance à utiliser l’expression « ligne de conduite », et elles comportent un examen de la présence de décisions étroitement liées.
● Plus d’une décision peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire au moyen d’une seule demande – à titre d’exception à l’article 302 des Règles – et lorsqu’il s’agit d’un acte continu (Mahmood, Truehope) ou, comme on l’a qualifié dans la décision Khadr, une même série d’actes. Les facteurs à examiner pour déterminer s’il existe un acte continu ou une même série d’actes comprennent notamment la question de savoir si les décisions sont étroitement liées; la question de savoir s’il y a des similitudes ou des différences dans les faits, notamment le type de conclusions recherchées, les questions juridiques soulevées, le fondement de la décision et les organismes décisionnels; la question de savoir s’il est difficile de cerner une décision unique; et, en fonction des similitudes et des différences, la question de savoir si le fait de procéder à des contrôles judiciaires distincts entraînerait une perte de temps et d’énergie (Mahmood, Truehope).
[19] Dans l’affaire Saugeen, il a été demandé à la Cour de décider qui étaient le chef et les conseillers légitimes de la Nation ojibwée de Saugeen. La Cour a conclu que les demandes présentées dans cette affaire se rapportaient à une série d’évènements qui ne pouvait être réduite à une décision distincte qui ferait l’objet d’un contrôle judiciaire (au paragraphe 25). Les demandeurs soutiennent qu’il ressort clairement de leur demande que les questions en litige dans la présente affaire constituent une même série d’actes qui se situe au cœur du conflit de gouvernance en question, et que la réparation demandée est clairement énoncée et peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire qui relève de la compétence de notre Cour, comme c’était le cas dans l’affaire Saugeen. Compte tenu de ce qui précède, les demandeurs soutiennent qu’ils n’étaient pas tenus par les Règles de demander une prorogation du délai de présentation de leur demande parce que le délai prescrit de 30 jours ne s’applique pas en l’espèce.
[20] Je partage l’avis des demandeurs selon lequel le délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne s’applique pas en l’espèce, car l’objet en litige devant la Cour ne peut être réduit à une décision particulière. Il s’agit plutôt d’un différend en matière de gouvernance, qui constitue une même série d’actes, comme c’était le cas dans l’affaire Saugeen (au paragraphe 25).
[21] En somme, je rejette la requête en radiation de l’avis de demande dans son intégralité. Dans l’arrêt JP Morgan, la Cour d’appel fédérale a souligné l’importance de lire l’avis de demande « de manière à saisir la véritable nature de la demande »
(au paragraphe 49) et poursuit ainsi, au paragraphe 50 : « La Cour doit faire une « appréciation réaliste » de la « nature essentielle » de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme […] »
(citations internes omises). En outre, lorsque la question en litige soulevée par l’auteur de la requête comme motif pour demander le rejet de la demande est jugée sujette à discussion, les circonstances ne justifient pas le rejet de la demande à un stade préliminaire; la question devrait plutôt être tranchée par le juge saisi de la demande (Robert Aquilini, au para 19). Je conclus que les questions en litige soulevées dans la présente affaire méritent d’être débattues et que le défendeur n’a pas démontré l’existence d’un « vice fondamental et manifeste »
dans l’avis de demande.
[22] Aux paragraphes 38 à 40 de l’arrêt JP Morgan, la Cour d’appel fédérale traite comme suit des exigences relatives à un avis de demande de contrôle judiciaire :
[38] Dans un avis de demande de contrôle judiciaire, le demandeur doit présenter un énoncé « précis » de la mesure demandée et un énoncé « complet et concis » des motifs qu’il entend invoquer : Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, alinéas 301d) et 301e).
[39] L’énoncé « complet » des motifs englobe tous les moyens de droit et les faits essentiels qui, s’ils sont exacts, appellent l’octroi de la mesure demandée.
[40] L’énoncé « concis » des motifs doit comprendre les faits essentiels propres à démontrer à la Cour qu’elle peut et doit accorder la mesure demandée. Il ne comprend pas les éléments de preuve au moyen desquels ces faits doivent être prouvés.
[23] La Cour souligne qu’avant d’énoncer un motif, une partie doit disposer d’éléments de preuve à l’appui et qu’intenter une poursuite en formulant des allégations infondées dans l’espoir de les étoffer par la suite constitue un abus de procédure (paragraphes 44 et 45).
(1)
L’alinéa 1a) de l’avis de demande et la réparation connexe sollicitée
[24] L’alinéa 1a) de l’avis de demande porte sur la RCB de septembre, qui a été signée par le défendeur et qui le reconnaît comme le chef héréditaire de Dakota Plains, habilité à gouverner la Nation. Le défendeur soutient que l’alinéa 1a) de l’avis de demande devrait être radié parce qu’il ne précise pas les motifs de contrôle judiciaire pour lesquels les demandeurs contestent la RCB de septembre et ne contient pas de motifs adéquats pour la réparation sollicitée. Le défendeur fait valoir que l’avis de demande ne précise pas les faits importants à l’appui de chacun de ces motifs. L’allégation selon laquelle le défendeur se présente comme le chef héréditaire de Dakota Plains a trait à la conduite du défendeur après l’adoption de la RCB de septembre et ne se rapporte pas aux motifs de contestation de la RCB de septembre elle-même. Aucun des alinéas 3h) à 3q) n’indique quelle était la compétence du défendeur, ni en quoi le défendeur a agi au-delà de sa compétence et d’une manière contraire à la loi. Le défendeur soutient en outre que sa nomination en tant que chef héréditaire est conforme à la coutume de la bande alléguée par les demandeurs dans leur avis de demande, et qu’aucun motif de contrôle judiciaire n’est invoqué à l’égard de l’observation en cause de cette coutume.
[25] Les demandeurs soutiennent qu’en ce qui concerne le conflit de gouvernance en question, dans le cadre duquel la RCB de septembre entre en jeu, leur avis de demande présente un énoncé « précis »
de la réparation demandée aux alinéas 2a) à 2 n) et un énoncé « complet »
et « concis »
des motifs invoqués aux alinéas 3h) à 3q). L’avis de demande indique à l’alinéa 3r) que le défendeur [traduction] « a agi sans compétence, a outrepassé sa compétence et a agi d’une manière contraire à la loi »
, motifs qui, selon les demandeurs, sont des motifs de contrôle judiciaire devant la Cour reconnus au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales. À ce titre, les demandeurs soutiennent qu’il n’existe pas de « vice fondamental »
qui justifierait la radiation de l’alinéa 1a) et la réparation connexe sollicitée. À supposer que les faits énoncés dans l’avis de demande soient vrais (Robert Aquilini, au para 22), le simple désaccord du défendeur avec l’énoncé des faits dans la demande ne constitue pas un vice fondamental ni un motif de radiation de l’avis de demande ou de certaines parties de celui-ci. Les demandeurs soutiennent qu’il s’agit d’une question que le défendeur peut et doit soulever lors de l’instruction de la demande au fond et non dans le cadre d’une requête en radiation.
[26] Je conclus que l’alinéa 1a) de l’avis de demande et la réparation connexe sollicitée ne devraient pas être radiés. La Cour doit interpréter l’avis de demande de manière aussi libérale que possible, en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme, afin de faire une appréciation réaliste de la nature essentielle de la demande (Robert Aquilini, aux para 20-21). Il ressort de l’avis de demande, interprété de manière libérale, qu’il traite d’un conflit de gouvernance – dans le cadre duquel les parties sont en désaccord quant aux faits sous-jacents. Je partage l’avis des demandeurs selon lequel il s’agit d’une question à soulever lorsque la demande sera instruite au fond. Je suis également convaincu que les motifs de contrôle mentionnés par les demandeurs sont des motifs reconnus à l’alinéa 18.1(4)a) de la Loi sur les Cours fédérales.
(2)
L’alinéa 1b) de l’avis de demande et les réparations connexes sollicitées
[27] Le défendeur soutient que les parties de l’avis de demande se rapportant au contrôle judiciaire demandé de la RCB du 16 décembre devraient faire l’objet d’une radiation. En premier lieu, le défendeur fait valoir que, contrairement à l’article 302 des Règles, les demandeurs cherchent à examiner deux décisions distinctes : la RCB de septembre et la RCB du 16 décembre. Les demandeurs auraient dû demander à la Cour de permettre le contrôle judiciaire des deux décisions. De plus, il n’existe aucun motif dans l’avis de demande à l’appui d’une telle demande. Par conséquent, la demande de contrôle de la RCB du 16 décembre présentée par les demandeurs devrait être radiée, ainsi que les demandes de réparation connexes aux alinéas 2e)-f) et 2(3)s)-w) de l’avis de demande.
[28] En second lieu, le défendeur fait valoir que, même s’il s’agissait d’une décision prise par résolution du conseil de bande, la RCB du 16 décembre ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire parce qu’elle correspond à une décision privée ou commerciale (Maloney c Première nation de Shubenacadie, 2014 CF 129 au para 30). La RCB du 16 décembre porte sur la gestion des pouvoirs de signature du compte bancaire général de Dakota Plains auprès de Peace Hills Trust Company. Le défendeur fait valoir que cette décision ne découlait d’aucun pouvoir conféré par la loi ni d’aucun pouvoir de nature publique. Le défendeur s’appuie sur la décision Peace Hills Truth Company c Moccasin, 2005 CF 1364, dans laquelle la Cour a conclu qu’une RCB relative à un contrat de prêt commercial relevait purement du droit privé, n’avait rien à voir avec l’intérêt public, et ne pouvait donc pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire (aux paragraphes 61‑62).
[29] Les demandeurs soutiennent que l’article 302 des Règles ne s’applique pas en l’espèce et que l’alinéa 1b) de l’avis de demande ne devrait pas être radié car il fait partie intégrante de la ligne de conduite en cause. Les demandeurs soutiennent que, selon la jurisprudence, l’article 302 des Règles ne s’applique pas lorsqu’il peut être démontré que l’objet du contrôle judiciaire est une question en litige qui fait partie d’une « même série d’actes »
et justifie une exception à l’article 302 des Règles pour permettre le contrôle judiciaire de plus d’une seule ordonnance lorsqu’un demandeur conteste une même série d’actes ou une ligne de conduite (Gagnon c Bell, 2016 CF 1222 para 35 (Gagnon); David Suzuki, au para 164). Lorsque diverses décisions contestées sont étroitement liées et découlent de la même série d’actes, l’article 302 des Règles peut ne pas s’appliquer et, dans le cas contraire, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 55 des Règles et permettre aux parties de se soustraire à l’application de l’article 302 des Règles.
[30] Les demandeurs soutiennent que la présente affaire porte sur un différend en matière de gouvernance et concerne la conduite du défendeur en sa prétendue qualité de chef héréditaire de Dakota Plains. Les demandeurs contestent l’autorité légitime du défendeur d’occuper ce poste et contestent l’exercice illégal des fonctions de ce poste, comme dans les affaires Da'naxda'xw et Saugeen. Les demandeurs soutiennent que la question de la gouvernance de Dakota Plains n’est pas simplement une question relative à la composition du conseil de bande, mais qu’elle comprend également la protection des fonds de la bande pour son fonctionnement gouvernemental et au bénéfice de tous les membres de Dakota Plains (Marcel Colomb, au para 127). Il est dans l’intérêt supérieur de tous les membres de la communauté que tous les aspects du différend sur la gouvernance soient traités dans le cadre du présent contrôle judiciaire.
[31] Les demandeurs font remarquer que les décisions de notre Cour ont eu pour effet d’étendre la portée ce qui peut être considéré comme une ligne de conduite. La Cour a appliqué la jurisprudence de manière à permettre à la cour de révision de se pencher sur une décision générale, sur les étapes de mise en œuvre, ou à la fois sur cette décision et ces mesures lorsqu’il résulte de leur réunion un acte illégal du gouvernement envers le demandeur (Saugeen, David Suzuki, au para 161). Dans la décision David Suzuki, notre Cour fait observer que « la question importante n’est pas celle de savoir si la politique elle‑même ou les mesures particulières prises pour la mettre en œuvre sont contestées, mais plutôt celle de savoir s’il existe une série de mesures gouvernementales étroitement liées et illégales que le demandeur cherche à empêcher »
(au paragraphe 162).
[32] En outre, les demandeurs soutiennent que la RCB du 16 décembre fait partie de la série d’actes contestée et constitue une décision de droit public susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire. La RCB du 16 décembre a été signée par le défendeur agissant en sa prétendue qualité de chef héréditaire et concerne directement le pouvoir de signature pour le compte bancaire général de Dakota Plains – qui détient des fonds publics utilisés dans l’administration des fonctions gouvernementales. Dans la décision Marcel Colomb, la Cour a estimé que, puisque le contrat en question concernait l’utilisation de fonds publics dans le cadre de l’administration de fonctions gouvernementales, il ne s’apparentait pas à une entente de droit privé et était de nature suffisamment publique pour faire l’objet d’un contrôle judiciaire (paragraphes 123-124).
[33] Je souscris aux arguments des demandeurs sur ces deux points. Tout d’abord, pour les mêmes motifs qui m’amènent à conclure que la RCB de septembre et la RCB du 16 décembre font partie d’une même série d’actes, j’estime que la RCB du 16 décembre n’est pas une décision distincte, mais plutôt un élément du conflit de gouvernance en cause dans la présente affaire. La RCB du 16 décembre a été signée par le défendeur, vise à modifier le pouvoir de signature relatif au compte bancaire de la Première Nation de Dakota Plains et a retiré à la demanderesse, Evangeline Towle, le pouvoir de signature. À mon avis, le pouvoir de signature est intimement lié au conflit de gouvernance en cause dans la présente affaire. Par conséquent, je conclus que l’article 302 des Règles ne s’applique pas en l’espèce, car il peut être démontré que l’objet du contrôle judiciaire est un question un litige qui fait partie d’une « même série d’actes »
(Gagnon, au para 35). Comme il a été indiqué dans la décision One Arrow, au paragraphe 17 :
Il est vrai que l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, dispose qu’une demande de contrôle judiciaire doit porter sur une seule décision. Il existe néanmoins une exception lorsque les décisions contestées « sont si intimement liées qu’elles constituent une seule et même décision continue » : Parenteau c Badger, 2016 CF 535, au paragraphe 15. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.
[34] En outre, je conviens que la RCB du 16 décembre concerne l’administration de fonds publics pour des fonctions gouvernementales. Elle est donc considérée comme une décision publique qui peut faire l’objet d’un contrôle par la Cour. Comme l’a fait remarquer la Cour dans la décision Marcel Colomb, au paragraphe 156,
L’état de ce contrat a beaucoup à voir avec la légitimité de sa résiliation, effectuée par les CCM. S’il s’avère que les CCM ne sont pas le chef et les conseillers légitimes de la PNMC et qu’ils ne l’ont jamais été, la légalité de tout acte et de toute omission des CCM deviendra une considération inévitable pour la Cour. Le contrat ne peut tout simplement pas être séparé de la principale question en litige. Il en va de même pour la compétence de la Cour d’examiner la résiliation de ce contrat.
(3)
Les réparations sollicitées
[35] Le défendeur s’oppose à la réparation provisoire sollicitée par les demandeurs de la nature d’un bref de quo warranto déclarant Evangeline Towle cheffe de Dakota Plains et la reconnaissant comme cheffe héréditaire intérimaire. Selon le défendeur, bien que l’alinéa 18(1)a) de la Loi sur les Cours fédérales permette à la Cour de décerner des brefs de quo warranto lorsque l’autorité par laquelle une charge publique est exercée est contestée avec succès (Da'naxda'xw, au para 174), il ne confère pas à la Cour le pouvoir de nommer ou de confirmer une personne ou une entité comme titulaire légitime d’une charge.
[36] En outre, le défendeur conteste la réparation provisoire sollicitée par les demandeurs aux alinéas 2(l)(1)a), 2(l)(1)b) et au paragraphe 2(l)(3) de leur avis de demande. Le défendeur fait valoir que les demandeurs n’ont pas invoqué dans leur avis de demande des motifs suffisants pour satisfaire au critère en trois parties de l’arrêt RJR‑MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, dans le cadre d’une demande d’injonction interlocutoire ou de suspension d’instance. Le défendeur fait valoir que les demandeurs a) n’ont pas réussi à démontrer qu’il existe une question sérieuse à juger; b) n’ont pas fait valoir de motifs selon lesquels ils subiraient un préjudice irréparable; c) n’ont fourni aucune déclaration concernant la prépondérance des inconvénients et la partie qui subirait le plus grand préjudice en cas d’octroi ou de refus de la réparation provisoire.
[37] Les demandeurs soutiennent que la teneur de la réparation demandée à la Cour à l’alinéa 2d) de l’avis de demande est semblable à celle qui est demandée dans les affaires Saugeen et Da'naxda'xw, et que la Cour peut en fait accorder la réparation sous la forme d’un bref de quo warranto. Les demandeurs soutiennent que la teneur de la demande de réparation est claire et évidente : ils souhaitent que la Cour déclare Evangeline Towle cheffe légitime de Dakota Plains. À ce titre, l’alinéa 2d) n’a pas à être radié.
[38] Quant à leur demande de réparation provisoire, les demandeurs soutiennent qu’elle n’a pas été présentée sur requête et qu’elle n’est pas fatale à la demande. Leur choix de ne pas présenter la demande de réparation provisoire et de chercher à obtenir une résolution de la demande principale ne cause pas de préjudice au défendeur, et la radiation des alinéas mentionnés ne contribue pas à éclaircir les questions qui opposent les parties. Cela n’aide pas non plus à traiter la demande principale dans un délai raisonnable. Par conséquent, les demandeurs soutiennent que les alinéas ci-dessus n’ont pas lieu d’être rayés.
[39] En ce qui concerne la décision Da'naxda'xw sur laquelle s’appuie le défendeur, je tiens à faire remarquer que la Cour a déclaré ce qui suit dans son analyse du quo warranto :
[176] À titre préliminaire, je fais remarquer qu’en sollicitant un quo warranto, le demandeur conteste le droit d’un titulaire de charge individuelle d’occuper un poste en particulier. Par conséquent, il ne me semble pas évident que la Cour puisse décerner un bref de quo warranto par lequel elle déclare quel conseil de bande est l’organe directeur légitime. […]
[40] Comme l’ont fait remarquer les demandeurs, dans la décision Saugeen, la Cour a exercé sa compétence pour nommer une instance dirigeante légitime et a donc reconnu qu’il existe un tel recours en matière de gouvernance autochtone (au paragraphe 91). Bien qu’il reste à déterminer si le quo warranto est la réparation appropriée dans cette situation, j’estime qu’il s’agit néanmoins là d’une réparation à laquelle la Cour peut recourir.
[41] Quant à la demande d’injonction présentée par les demandeurs, je souscris à l’avis de ces derniers selon lequel la radiation des alinéas mentionnés plus haut n’aurait pas pour effet d’éclaircir les questions qui opposent les parties à la présente instance. À mon avis, les questions énoncées dans l’avis de demande devraient faire l’objet d’un examen au fond.
C.
Y a‑t‑il lieu de radier certaines parties des affidavits déposés par les demandeurs?
[42] Le défendeur fait valoir que, dans le cas où la Cour n’est pas disposée à radier l’avis de demande dans son intégralité, et qu’elle procède à la radiation de certaines parties, les parties correspondantes des affidavits contestés devraient également être radiées. À titre subsidiaire, le défendeur fait valoir que la Cour devrait radier les paragraphes contestés suivants et les pièces connexes dans les affidavits contestés :
a)
Paragraphes 37, 39, 40, 46, 47, 48, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64 et les pièces connexes de l’affidavit d’Evangeline Towle, souscrit le 22 février 2022;
b)
Paragraphes 18, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 75, 77, 78, 79 et les pièces connexes de l’affidavit de Craig Blacksmith, souscrit le 22 février 2022;
c)
Paragraphes 8, 9, 32 et les pièces connexes de l’affidavit de Jason Towle, souscrit le 22 février 2022;
d)
Paragraphes 12, 16, 17, 22, 32, 42, 43, 45, 50, 51 et les pièces connexes de l’affidavit de Chandelle Smoke-Towle, souscrit le 22 février 2022;
e)
Paragraphes 8, 9, 10, 13, 14, 16, 17, 18, 19, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33 et pièces connexes de l’affidavit d’Alvin Smoke, souscrit le 22 février 2022;
f)
Paragraphes 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 36 et 37 de l’affidavit de Katherine Whitecloud, souscrit le 22 février 2022.
[43] À titre préliminaire, la Cour doit déterminer s’il convient de rendre préalablement une décision sur la requête en radiation des paragraphes contestés et des pièces connexes qui accompagnent les affidavits contestés, ou si la requête doit être laissée à l’examen du juge saisi de la demande. Le défendeur fait remarquer que si, dans certaines circonstances, il est préférable de laisser cette tâche au tribunal qui est saisi de la demande, il existe des cas où le rejet des éléments de preuve inadmissibles à un stade préliminaire permet une utilisation plus efficace du temps et des ressources des parties et de la Cour. En particulier, lorsque les affidavits sont remplis de paragraphes inadmissibles, il peut être plus équitable et plus efficace de déterminer leur admissibilité à l’avance (Hunt v Stassen, 2019 ONSC 4466 aux para 11-13).
[44] La question de savoir si la Cour devrait rendre préalablement une décision sur une question de preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour, à exercer en fonction de facteurs reconnus. Entre autres facteurs à considérer, il y a la question de savoir a) si une telle décision par anticipation ferait en sorte que l’audition se déroule de manière plus rapide et plus ordonnée; et la question de savoir b) si la décision à rendre est relativement claire ou évidente. Si des « personnes raisonnables »
peuvent différer d’avis sur la façon de trancher la requête, alors la décision devrait être laissée au tribunal saisi de l’affaire (Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 (Bernard) au para 11).
[45] Le défendeur fait valoir que le volume des paragraphes contestés est tel que le défendeur subirait un préjudice s’il était tenu de répondre aux auteurs des affidavits et de les contre‑interroger. Cela entraverait considérablement le règlement efficace et rapide de la présente affaire. Le défendeur fait également valoir que la décision à rendre sur la requête est claire et évidente. L’enjeu de l’avis de demande de contrôle judiciaire en l’espèce revient à la validité de la RCB de septembre. L’avis de demande ne tient pas debout par rapport à la portée élargie alléguée par les demandeurs. Les affidavits contestés comprennent plusieurs paragraphes se rapportant à des actes postérieurs à la décision de la RCB de septembre et qui sont donc dénués de pertinence au regard de l’avis de demande dans son ensemble. De plus, le défendeur fait valoir que d’autres paragraphes des affidavits contestés n’ont aucun lien avec les motifs invoqués ou la réparation demandée, qu’ils ne fournissent pas la source des renseignements tenus pour véridiques par les auteurs des affidavits, qu’ils sont spéculatifs et qu’ils comprennent des témoignages d’opinion.
[46] Les demandeurs soutiennent que notre Cour a souligné que les plaideurs me doivent pas prendre l’habitude de recourir systématiquement à des requêtes en radiation de la totalité ou d’une partie d’un affidavit, surtout lorsque la question porte sur la pertinence (Mayne Pharma (Canada) Inc. c Aventis Pharma Inc. 2005 CAF 50 (CanLII) au para 13 (Mayne Pharma), citant Canadian Tire Corp. c P.S. Partsource Inc., 2001 CAF 8, [2001] ACF no 181 au para 18). La raison en est bien simple : les demandes de contrôle judiciaire doivent être instruites rapidement au fond et les incidents procéduraux de la nature d’une requête en radiation ont pour effet de retarder indûment une décision sur le fond. Les demandeurs soutiennent que le défendeur déforme le « fondement »
de la demande en limitant son champ d’application à la question de la validité de la RCB de septembre et en laissant entendre que le contrôle judiciaire devrait être effectué en fonction uniquement des éléments dont disposait le décideur au cours du processus décisionnel. Les demandeurs soutiennent qu’en fait, la portée de l’objet en question est beaucoup plus large. À ce titre, la requête du défendeur en radiation de certaines parties des affidavits des demandeurs doit être rejetée.
[47] Selon moi, une décision préalable visant la radiation de certaines parties des affidavits contestés n’est pas justifiée en l’espèce. Le défendeur n’a pas démontré que la preuve est manifestement non pertinente ou préjudiciable (Mayne Pharma, au para 13), et j’estime que des « personnes raisonnables »
peuvent différer d’avis sur la question soulevée (Bernard, au para 11). À ce titre, j’estime qu’il est préférable de laisser la décision concernant les paragraphes contestés et les pièces connexes dans les affidavits contestés au juge qui instruit la demande au fond. Celui-ci est le mieux placé pour évaluer les affidavits contestés dans le contexte de la demande dans son ensemble. Cela est d’autant plus vrai compte tenu de mon d’avis que l’affaire en cause ne concerne pas une décision distincte (la RCB de septembre), mais plutôt une série d’actes concernant la gouvernance de Dakota Plains, semblable à celle examinée dans l’affaire Saugeen. À la lumière de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner à ce stade les arguments du défendeur concernant la teneur des affidavits contestés.
IV.
Dépens
[48] Je ne vois aucune raison de déroger à la règle générale selon laquelle les dépens suivent l’issue de la cause. J’ordonnerai donc l’adjudication en faveur des demandeurs de dépens de 1 000 $, y compris les débours et les taxes.
[49] Pour les motifs qui précèdent, la requête du défendeur visant à radier l’avis de demande dans son intégralité est rejetée, de même que la demande subsidiaire du défendeur visant à ce que la Cour radie des parties de l’avis de demande. Je conclus également qu’une décision préalable visant la radiation de certaines parties des affidavits contestés n’est pas justifiée en l’espèce et que la décision doit être laisée au juge saisi de la demande.