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Date : 20030416

Dossier : IMM-1206-02

Référence : 2003 CFPI 438

Ottawa (Ontario), le mercredi 16 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                                 SOLOMON ZELEKE

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 Solomon Zeleke est un citoyen de l'Éthiopie qui a prétendu avoir une crainte fondée de persécution basée sur sa nationalité amhara et sur le fait qu'il soit membre du All Amhara People's Organization ( « AAPO » ). Il demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ( « SSR » ) selon laquelle il n'est pas un réfugié au sens de la Convention.


HISTORIQUE DES FAITS

[2]                 Selon le formulaire de renseignements personnels (FRP) de M. Zeleke, le gouvernement éthiopien actuel a tué, détenu et torturé des personnages importants de nationalité amhara. Un grand nombre d'Amharas ont été forcés à évacuer différentes régions de l'Éthiopie. Leurs demeures ont été incendiées et leurs biens ont été confisqués.

[3]                 M. Zeleke dit également dans son FRP que le AAPO est une formation politique qui utilise tous les moyens permis par la loi pour protéger les droits du peuple amhara, pour exposer ses souffrances et pour faire connaître au reste du monde les mauvais traitements, les tueries et les détentions que subit le peuple amhara. M. Zeleke dit qu'il est devenu membre à part entière du AAPO en mars 2000 et a travaillé en tant que président du comité de propagande pour le secteur régional de Nazret. Il avait comme tâche d'exposer la politique du gouvernement, de recruter de nouveaux membres, de mobiliser les gens pour des manifestations, de rédiger des documents distribués par le AAPO ainsi que de distribuer ces documents à des agences internationales.


[4]                 Entre janvier 1995 et mars 2001, moment où il a quitté l'Éthiopie, M. Zeleke a été arrêté et détenu 14 fois. Il dit dans son FRP que lors de certaines de ces détentions, il a été interrogé et torturé. Selon son témoignage devant la SSR, plusieurs de ces arrestations étaient attribuables à ses origines ethniques. Dans un deuxième récit soumis à la SSR, M. Zeleke a dit qu'il avait été blâmé et arrêté pour le sabotage du système d'égout et d'approvisionnement en eau. M. Zeleke détient un diplôme en génie hydro-économique de l'Université à Addis-Abeba en Éthiopie. Depuis août 1986, il a travaillé pour le gouvernement au service de la construction de réseaux d'adduction d'eau et, depuis mai 1998, au service d'eau et d'égouts. Au moment où il a quitté l'Éthiopie, M. Zeleke dirigeait l'agence d'approvisionnement en eau pour la région de Oromia à Nazret.

[5]                 Selon son FRP, M. Zeleke a rapporté ses ennuis au gouvernement fédéral et a demandé à être muté. Sa demande a été refusée et on lui a ordonné de retourner à Nazret dans les 72 heures. À son retour à Nazret, il a constaté qu'on avait saccagé sa demeure, qu'on avait emporté tous ses biens et que personne ne voulait lui parler. M. Zeleke a quitté l'Éthiopie le 26 mars 2001 et est arrivé au Canada le 10 avril 2001.

LA DÉCISION DE LA SSR

[6]         Les conclusions suivantes étaient au coeur de la décision défavorable de la SSR :

1. M. Zeleke a été détenu pour des motifs reliés à son travail plutôt qu'à sa nationalité amhara ou son appartenance à l'AAPO;

2. Le témoignage de M. Zeleke n'était pas plausible; en effet, puisqu'il a obtenu son diplôme d'une université locale, il était raisonnable de déduire que son employeur aurait trouvé quelqu'un pour remplacer M. Zeleke s'il croyait qu'il sabotait délibérément l'approvisionnement en eau;

3. D'autres membres de l'exécutif de l'AAPO étaient dans des situations similaires et n'ont pas été maltraités ou persécutés;


4. Le témoignage de M. Zeleke concernant sa capacité de changer d'emploi est directement contredit par le rapport du Département d'État des États-Unis (DÉ) pour l'année 2000;

5. Les déclarations de M. Zeleke qu'il a été battu avec un bâton en prison, qu'on lui a attaché les jambes, puis, qu'on l'a frappé aux talons ou aux jambes, et que d'autres personnes ont été tuées en prison étaient un embellissement.

ANALYSE

i) La conclusion que M. Zeleke a été détenu pour des raisons reliées à son travail

[7]         Apparemment, la SSR n'a pas contesté la preuve de détention de M. Zeleke, mais a tiré la conclusion qu'il a été persécuté en raison de son rendement au travail et non pour un motif relié à la Convention. Pour arriver à cette conclusion, la SSR a longuement repris des extraits de la deuxième déclaration de M. Zeleke concernant ses périodes de détention qui ont eu lieu dans le contexte cité, à savoir lorsqu'il a fait défaut de mettre en oeuvre les ordres de ses supérieurs relatifs à la construction de canalisations d'alimentation d'eau. Toutefois, selon le témoignage de M. Zeleke, bien que l'excuse utilisée pour justifier sa détention était reliée au travail, la raison de la détention était reliée à ses origines ethniques ou son implication au sein de l'AAPO. Les motifs de la SSR ne démontrent pas qu'elle a bien évalué le lien allégué par M. Zeleke entre le fondement de la plainte et la motivation qui sous-tend la plainte.


ii) La conclusion que M. Zeleke était remplaçable

[8]         Comme il est mentionné précédemment, la SSR a déduit que l'employeur de M. Zeleke aurait trouvé quelqu'un pour le remplacer s'il avait cru qu'il sabotait délibérément l'approvisionnement en eau et qu'il créait des problèmes à l'agence d'approvisionnement en eau. Cette déduction était basée sur le fait que M. Zeleke avait obtenu son diplôme d'une université locale et que ses qualifications n'avaient donc rien d'unique. M. Zeleke a traité ce point en réponse à une question que lui a posé le commissaire qui présidait l'audience :

[traduction]

Q.             Et pourquoi en auraient-ils autant - - pourquoi vous croiraient-ils irremplaçable alors que vous avez seulement étudié à l'université à Addis-Abeba et qu'il y avait vraisemblablement d'autres étudiants comme vous?

R.             Lorsque nous avons terminé - - lorsque j'ai terminé, à l'époque, il y avait très peu de main-d'oeuvre spécialisée dans cette profession au pays. Deuxièmement, les gens qualifiés étaient dispersés à travers le pays. Mais deuxièmement, j'avais acquis aussi beaucoup d'expérience en travaillant. Ils ne pouvaient tout simplement pas prendre un étudiant qui venait de terminer ses études - - un nouveau diplômé sans aucune expérience pratique. Il ne pourrait pas faire tout le travail technique. Ce serait difficile pour lui.

M. Zeleke a aussi témoigné qu'il était le seul ingénieur au service de l'agence d'approvisionnement en eau.


[9]         Sur cette question, le témoignage de M. Zeleke ne contenait pas de divergences et il n'y avait aucune preuve quant au nombre d'ingénieurs d'expérience spécialisés en approvisionnement de l'eau en Éthiopie. À mon avis, la SSR a commis une erreur en tirant la conclusion, en l'absence de preuve, (et contrairement au témoignage sous serment de M. Zeleke) que M. Zeleke était facilement remplaçable. Par conséquent, cette conclusion de non-plausibilité n'était pas soutenue par la preuve.

iii) La conclusion que d'autres membres dirigeants de l'AAPO étaient dans des situations similaires mais n'ont pas été maltraités ou persécutés

[10]       La SSR a dit que M. Zeleke n'était pas le seul membre dirigeant de l'AAPO dans sa région. Elle s'est basée sur le fait que les autres membres dirigeants étaient dans des situations semblables à celle de M. Zeleke, mais n'étaient pas traités de la même façon, et a conclu que le témoignage de M. Zeleke qu'il était persécuté à cause de sa nationalité et son travail au sein de l'AAPO n'était pas fiable ou digne de confiance.

[11]       Toutefois, en tirant pareille conclusion, la SSR n'a pas tenu compte du témoignage de M. Zeleke selon lequel il n'était pas dans une situation similaire parce que :

1. En tant que président du comité de propagande régional de l'AAPO, il était le seul membre à distribuer des documents faisant état des injustices faites au peuple Amhara à des organismes non gouvernementaux étrangers;

2. Son poste de directeur de l'agence d'approvisionnement en eau faisait en sorte qu'il était quotidiennement en contact avec les chefs de l'administration locale, alors que les autres n'avaient pas de tels contacts.

3. Le gouvernement voulait montrer au monde entier qu'il y avait des partis d'opposition en Ethiopie, alors les têtes dirigeantes et l'exécutif de ces partis d'opposition n'étaient pas touchés, alors que d'autres membres, moins en vue, étaient arrêtés.


[12]       Bien que la SSR n'ait pas été tenue d'accepter ce témoignage, elle était tenue d'expliquer pourquoi elle a rejeté le témoignage de M. Zeleke et pourquoi elle a conclu qu'il était dans une situation semblable à d'autres personnages qui n'étaient pas dérangés. Le témoignage de M. Zeleke sur cette question était à ce point marquant que le fait que la SSR n'en ait pas tenu compte amène à déterminer qu'elle a tiré cette conclusion sans égard à cet élément de preuve. Voir : Cepeda-Guittirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1998) 157 F.T.R. 35.

iv) La conclusion que les affirmations de M. Zeleke concernant la torture constituaient un embellissement

[16]       La SSR a dit ce qui suit :

Si de telles choses se passaient dans les prisons, il est raisonnable de penser que les sources désintéressées, spécialisées, impartiales et renseignées de la preuve documentaire, comme le Département d'État, Human Rights Watch, Political Handbook of the World, etc., en auraient parlé, mais ce n'est pas le cas. Également, le rapport du Département d'État signale que les diplomates et les groupes s'occupant de droits de la personne, la Croix-Rouge, etc., ont accès aux prisons. Donc, si de telles choses se produisaient, il est raisonnable de conclure qu'on en ferait état, mais ce n'est pas le cas. Je conclus qu'il s'agit d'un embellissement.

[17]       En fait, la preuve documentaire contenait l'information suivante :

Le rapport du Département d'État des États-Unis - 2000 :

[traduction] La constitution interdit l'usage de la torture et de mauvais traitements; toutefois, il existe des rapports crédibles sur le fait qu'il arrive parfois aux responsables de la sécurité de battre ou de maltraiter les détenus. Les services de médias gouvernementaux ont à l'occasion publié des rapports faisant état des agissements de responsables qui ont été incarcérés ou démis de leurs fonctions pour abus de pouvoir et violations des droits de la personne. À l'automne, on dit que la police a battu un homme qui était censément détenu en représaille pour des activités électorales; il a été battu avec tellement de force qu'il en a eu des séquelles permanentes. En décembre on dit que la police a battu à mort un autre homme qui était détenu pour des raisons similaires.

Le rapport du Home Office du Royaume-Uni :

[traduction] La constitution de 1994 accorde une place importante aux droits de la personne et garantit leur respect. Dans la réalité, le dossier du gouvernement en matière de droits de la personne laisse encore à désirer. Au cours des années 1998, 1999 et 2000, il est arrivé aux responsables de la sécurité de battre et de maltraiter des détenus et de se livrer à des exécutions sommaires.


L'Ethiopian Human Rights Council rapporte ceci :

[traduction] Les responsables de la sécurité ont ensuite commencé, tour à tour, à les frapper à la plante de leurs pieds nus, au dos et ailleurs sur le corps.

[18]       Encore une fois, la conclusion d'embellissement n'était pas soutenue par la preuve documentaire qui, en fait, confirmait le témoignage de M. Zeleke relativement aux conditions carcérales.

CONCLUSION

[19]       Malgré le respect que nous devons à la SSR sur le plan juridique en ce qui a trait à son appréciation de la preuve et ses conclusions quant à la crédibilité, je suis convaincue que dans la présente affaire les erreurs décrites précédemment justifient l'intervention de la Cour. Par conséquent, la décision de la SSR sera rejetée et l'affaire sera renvoyée à la Section du statut de réfugié afin qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.

[20]       Les avocats n'ont soulevé aucune question pour certification et aucune question n'est certifiée dans ce dossier.


                                                                     ORDONNANCE

[21]       LA COUR ORDONNE :

Par les présentes, la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié portant la date du 26 février 2002 est rejetée. L'affaire est

renvoyée à la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-1206-02

INTITULÉ :                                                        SOLOMON ZELEKE

c.

M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 9 décembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                                     le 16 avril 2003

COMPARUTIONS :

Byron E. Pfeiffer                                                   POUR LE DEMANDEUR

Lynn Marchildon                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pfeiffer and Associates              POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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