Date : 20220601
Dossier : IMM-3086-21
Référence : 2022 CF 802
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 1er juin 2022
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE :
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KULWANT KAUR DAYAL
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS :
I.
Aperçu
[1] La Cour est saisie du deuxième contrôle judiciaire d’une décision concernant les mêmes parties dans le contexte d’une demande de parrainage.
[2] Le 27 novembre 2018, la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR] a conclu que la demanderesse, Kulwant Kaur Dayal, ne pouvait pas parrainer les membres de sa famille aux fins de l’obtention de la résidence permanente parce qu’elle ne disposait pas du revenu vital minimum [RVM] requis par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR]. La SAI a également estimé qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. J’ai présidé le contrôle judiciaire antérieur, j’ai accueilli la demande et j’ai renvoyé l’affaire à la SAI pour nouvel examen, surtout en raison d’une appréciation erronée du facteur d’ordre humanitaire de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché : Dayal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1188 [Dayal, 2019] aux para 34-38.
[3] Lors de la nouvelle audience tenue devant la SAI, la demanderesse n’a pas contesté la validité juridique du rejet de la demande de parrainage. La nouvelle audience avait plutôt porté sur la question de savoir s’il y avait, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant, des considérations d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales. Le 16 avril 2021, la SAI a de nouveau conclu qu’aucun motif d’ordre humanitaire ne justifiait la prise de mesures spéciale et elle a rejeté l’appel : Dayal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CanLII 141694 (CA CISR) [décision].
[4] Mme Dayal sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision aux motifs que la SAI a commis une erreur de droit dans son application de l’alinéa 67(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], qu’elle a commis une erreur en faisant des hypothèses et en faisant abstraction d’éléments de preuve pertinents, et qu’elle a commis une erreur dans son appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant.
[5] Il n’est pas contesté que la principale question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision était raisonnable. La norme de contrôle présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 25. À mon avis, aucune des situations dans lesquelles la présomption peut être réfutée n’est présente en l’espèce : Vavilov, au para 17.
[6] Pour qu’une décision soit à l’abri d’une intervention judiciaire, elle doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité : Vavilov, au para 99. Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’a pas valablement tenu compte des questions clés ou des arguments principaux formulés par les parties, ou s’il a omis de s’y attaquer de façon significative : Vavilov, aux para 125-127. Les questions d’interprétation de la loi ne reçoivent pas un traitement exceptionnel. Comme toute autre question de droit, on peut les évaluer en appliquant la norme de la décision raisonnable : Vavilov, au para 115. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, au para 100.
[7] Malgré la mise en garde de la Cour suprême contre « [les] va-et-vient interminable[s] de contrôles judiciaires et de nouveaux examens»,
je suis convaincue qu’il existe des raisons impérieuses, que j’explique ci-dessous, d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire de la demanderesse : Vavilov, au para 142. Une fois de plus, selon moi, le point déterminant est l’insuffisance de l’analyse faite par la SAI de l’intérêt supérieur de l’enfant, ce qui rend la décision est déraisonnable.
[8] Voir l’annexe A pour les dispositions législatives applicables.
II.
Analyse
[9] L’analyse porte sur chacune des erreurs soulevées par la demanderesse.
A.
Aucune erreur dans l’application de l’alinéa 67(1)c)de la LIPR
[10] Je ne suis pas convaincue que la SAI a commis une erreur de droit dans son application de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.
[11] Selon cette disposition, la SAI doit conclure qu’il y a des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. Il s’agit d’une mesure discrétionnaire qui « constitue une sorte de soupape de sécurité disponible pour des cas exceptionnels »
: Semana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1082 au para 15.
[12] De plus, la Cour a déjà conclu que la force de persuasion des motifs d’ordre humanitaire devait être proportionnelle à l’importance de l’obstacle à l’admissibilité : Bermudez Anampa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 20 au para 26; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 394 au para 12; Ouedraogo c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CF 310 au para 27; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Doss, 2021 CF 623 au para 20.
[13] J’estime que la SAI a raisonnablement décrit ces principes comme suit : « … [l’]exercice du pouvoir discrétionnaire exige une évaluation nuancée et qualitative de la preuve, ainsi qu’un examen de toutes les circonstances de l’affaire. Cependant, une approche qualitative n’est pas inconciliable avec la prise en considération d’une échelle liée aux mesures spéciales pour établir s’il y a des motifs d’ordre humanitaire suffisants à la lumière de l’importance de l’interdiction de territoire, qui, en l’espèce, tient à l’insuffisance du revenu ».
[14] La demanderesse soutient que l’approche de l’« échelle »
ou de l'« échelle mobile »
des motifs d’interdiction n’est pas justifiée parce qu’elle oppose l’importance du manquement à tous les autres facteurs. Je ne suis pas d’accord. Bien que la jurisprudence ait établi que la raison pour laquelle une personne est interdite de territoire au Canada (ou, comme en l’espèce, le rejet d’une demande de parrainage) ne saurait constituer le facteur déterminant pour l’issue d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la dispense serait alors inutile), la raison pour laquelle une personne a besoin d’une dispense est un facteur pertinent et il appartient à l’agent de décider du poids à y accorder : Palencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1301 au para 42. En d’autres termes, les raisons pour lesquelles un demandeur sollicite une dispense pour considérations d’ordre humanitaire est un facteur à prendre en compte, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas lieu d’examiner adéquatement la nature et la portée des obstacles juridiques à l’octroi d’une dispense : Lopez Bidart c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 307 au para 32.
[15] Personne ne conteste que l’écart entre le revenu réel de la demanderesse et le RVM requis est important puisque le manque à gagner dépasse 70 000 $ pour chacune des années 2017, 2018 et 2019. Dans les circonstances, je conclus qu’il n’était pas déraisonnable pour la SAI de tenir compte de cet écart (c’est-à-dire de l’importance du manquement à la LIPR) et de l’atténuation possible du risque financier posé par le parrainage, dans l’appréciation globale des facteurs. À mon avis, il n’y a rien d’irrationnel ou d’incohérent dans la description qu’a faite la SAI des considérations d’ordre humanitaire applicables au titre de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR : Vavilov, au para 85. Par contre, comme je l’explique ci-après dans les présents motifs, j’estime que l’analyse de ces considérations est lacunaire à plusieurs égards.
B.
La SAI a fait des hypothèses, mais n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve pertinents
[16] À mon avis, la SAI n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve pertinents, en l’espèce, mais a plutôt fait des hypothèses. La SAI est présumée avoir pris en considération tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis et il lui est loisible de renvoyer uniquement aux éléments de preuve qu’elle juge importants : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sohail, 2017 CF 995 au para 31. Par ailleurs, rien n’indique, à mon avis, que la SAI a écarté la preuve concernant les actifs financiers de la famille.
[17] Je conclus, cependant, que la SAI a formulé des hypothèses inappropriées sur la question de savoir si le père de la demanderesse serait en mesure de trouver du travail compte tenu de son âge et s’il pourrait travailler longtemps. La SAI a mentionné en particulier que le père avait atteint l’« âge normal de la retraite »
sans expliquer ce que voulait dire cette expression, ni pourquoi elle s’appliquait nécessairement au père de la demanderesse (qui, selon les éléments de preuve, est un agriculteur indépendant, plutôt qu’un employé tenu de prendre sa retraite à un âge donné). La Cour a déjà dit qu’il n’était pas permis pour un décideur de faire des hypothèses et de tirer des conclusions conjecturales : Dhudwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1124 aux para 20-21); Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 757 au para 62. En outre, la SAI doit être sensible aux contextes culturels, y compris en ce qui a trait à la retraite, et doit aborder la question du point de vue du pays d’origine, et non du « point de vue occidental »
: Gjoka c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 386 au para 81; A.P. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 906 au para 22.
[18] Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire qu’en arrivant à la conclusion ci-dessus, la SAI a transformé un facteur favorable, soit que le père voulait travailler au Canada pour soutenir la famille et qu’un ami de la famille, qui aide financièrement la demanderesse, l’aiderait à trouver un emploi, en un facteur défavorable, en accordant un poids à l’hypothèse que le père aurait de la difficulté à trouver un emploi en raison de son âge : Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 72, aux para 35-37. Il est établi par la jurisprudence qu’une énonciation de faits, suivie non pas d’une conclusion fondée sur des faits, mais plutôt sur une supposition, permet de casser une décision administrative : Huot c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 180 au para 26.
[19] Autrement, je conclus que les conclusions tirées par la SAI à l’égard des autres aspects de la demande n’étaient pas déraisonnables dans les circonstances, notamment ses conclusions sur le manque de clarté au sujet de la dette liée au domicile que la demanderesse possède conjointement avec l’ami de la famille (qui est également un membre de la famille de la mère de la demanderesse), les dépenses connexes, le montant des contributions financières de la demanderesse liées à la vente du domicile conjugal et, ensuite, à la maison en rangée que celle‑ci a achetée après son divorce, et le lien de dépendance de la demanderesse avec l’ami de la famille. J’estime également qu’il n’était pas déraisonnable pour la SAI d’envisager la possibilité d’un changement dans la situation de l’ami de la famille qui pourrait modifier sa capacité à fournir un soutien financier, et le fait que la dette devrait un jour être remboursée, comme s’y attend l’ami en question. Ces conclusions, à mon avis, découlent d’une preuve insuffisante quant à la situation financière globale de la demanderesse, surtout à ce qui concerne sa relation avec l’ami de la famille, mais ne repose pas sur des conjectures ou des hypothèses.
C.
L’analyse déraisonnable de l’intérêt supérieur de l’enfant faite par la SAI
[20] Je suis d’avis que la SAI a de nouveau mal analysé l’intérêt supérieur de l’enfant à plusieurs égards importants. Pour cette raison, j’estime que l’intervention de la Cour est justifiée.
[21] Je pars du principe que, « [p]our établir si une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant au titre de l’article 67 de la LIPR est raisonnable, la jurisprudence qui analyse ce facteur dans le contexte du paragraphe 25(1) de la LIPR est pertinente »
: Phan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 435 [Phan] au para 19. Comme l’a affirmé ma collègue la juge Strickland, l’application du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant « [...] dépen[d] fortement du contexte, en raison de la multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant. Il faut donc tenir compte de l’âge de l’enfant, de ses capacités, de ses besoins et de son degré de maturité »
: Phan, au para 20 (je souligne). De plus, « le décideur ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être bien identifié et défini, puis examiné avec beaucoup d’attention eu égard à l’ensemble de la preuve »
: Phan, au para 21; Vieira Sebastiao Melo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 544 [Melo] au para 53.
[22] Qui plus est, comme l’enseigne la Cour suprême, « [l]e décideur doit considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. […] [L]orsque la loi exige expressément la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché, cet intérêt représente une considération singulièrement importante dans l’analyse »
: Phan, précité, aux para 20-21, citant l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]; Melo, précitée, aux para 49 et 52.
[23] Comme mon collègue le juge Zinn l’a fait remarquer, l’agent doit effectuer une évaluation indépendante de chacun des facteurs d’ordre humanitaire pertinents, y compris l’intérêt supérieur des enfants, puis les soupeser collectivement pour décider s’il y a des circonstances de nature à inciter toute personne raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne (citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 A.I.A 338, cité dans Kanthasamy, au para 13) : Melo, précitée, au para 47. Il est fort possible que l’un de ces facteurs suffise à lui seul pour justifier la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire : Melo, précitée, au para 47. De plus, le manque à gagner de la demanderesse, qui découle du non-respect de la LIPR, n’est pas pertinent pour l’examen de l’intérêt supérieur des enfants : Melo, précitée, au para 46.
[24] À la lumière de ces principes, j’estime que la SAI a commis plusieurs erreurs susceptibles de contrôle. En concluant que « [l]es enfants sont en bonne santé et fréquentent l’école, mais il leur manque une partie importante de la structure parentale dans leur vie »
, la SAI a minimisé l’intérêt supérieur de ces enfants qui ont été victimes de violence parentale et qui ont été témoins de la violence grave que leur père a infligée à leur mère pendant près d’une décennie : Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 au para 5.
[25] Deuxièmement, la SAI a reconnu dans sa décision que les expériences traumatisantes qu’avaient vécues les enfants leur avaient nui, et la demanderesse a témoigné que les enfants avaient suivi des cours pour composer avec le stress et qu’elle avait fait d’autres activités avec eux pour les aider à atténuer leurs difficultés. La raison pour laquelle la SAI a conclu que les enfants étaient en bonne santé, surtout en ce qui a trait à leur santé mentale, ne ressort pas clairement des motifs.
[26] Par exemple, on peut lire dans la décision : « Il a été dit que les enfants sont en santé ».
En effet, la demanderesse a répondu [traduction] « Oui »
lorsque la SAI lui a demandé : [traduction] « Vos enfants sont-ils généralement en bonne santé? ».
Lorsque la SAI lui a, par la suite, demandé : [traduction] « Les enfants savent-ils que vous êtes stressée? »,
la demanderesse a répondu [traduction] : « Oui, ils le savent et ils sont également stressés ».
[27] Bien que je reconnaisse qu’il n’est pas nécessairement déraisonnable pour un décideur de privilégier certains éléments de preuve, alors qu’il ne fait aucun doute que les membres de cette famille ont souffert pendant longtemps des mauvais traitements d’un parent et époux, il en faut plus, à mon avis, pour démontrer qu’en concluant que les enfants sont en bonne santé, la SAI s’est montrée suffisamment « réceptive, attentive et sensibles »
à leur vécu et que cette conclusion était raisonnable dans les circonstances. Je ne suis pas convaincue qu’elle l’ait fait de la manière envisagée dans la jurisprudence, par exemple dans les décisions Phan, précitée, aux para 18-28, et Melo, précitée, aux para 46-75.
[28] Troisièmement, bien que la SAI ait mentionné l’âge de tous les enfants et qu’elle se soit penchée un peu plus sur la situation de l’aîné, je suis convaincue qu’elle n’a pas identifié, défini et examiné l’intérêt supérieur de chaque enfant, en particulier des deux plus jeunes, avec beaucoup d’attention.
[29] Quatrièmement, j’estime que la SAI n’a pas raisonnablement tenu compte de l’effet des mauvais traitements qu’a subis la demanderesse, notamment de l’état d’isolement profond dans lequel elle s’est trouvée, sur sa relation avec ses enfants et sur sa capacité de s’occuper d’eux sur le plan émotionnel, mental et financier. Comme la demanderesse l’a affirmé dans un témoignage précédent, [traduction] « Je ne peux pas fournir à mes enfants ce dont ils ont besoin. Je ne peux même pas m’occuper beaucoup de la maison parce que ma santé n’est pas bonne. … Je ne peux pas m’enfuir. Je ne peux pas laisser les enfants. Parce que j’ai traversé toutes ses épreuves pour mes enfants. »
Et comme elle l’a dit plus récemment lors de la nouvelle audience, [traduction] « J’essaie de prendre bien soin de moi-même, de prendre soin de ma santé. Je suis la seule à m’occuper d’eux [les enfants] ici – je n’ai personne d’autre ».
La demanderesse a également mentionné que son médecin de famille lui avait donné les conseils suivants : [traduction] « Vous vivez beaucoup de stress. Donc, concentrez-vous simplement sur les enfants sinon ils seront eux aussi très stressés. »
Elle a par ailleurs parlé de son état de santé mentale dans les termes suivants : [TRADUCTION] « Je me sens coupable parce que je pleure très facilement et souvent, à cause de mon état mental. Je suis vraiment désolée. »
En effet, plusieurs fois dans la transcription, il est mentionné que la demanderesse semble éprouver une telle détresse.
[30] Pour résumer, je conclus que la SAI a commis une erreur parce qu’elle a omis d’identifier et de définir l’intérêt supérieur des enfants, puis de l’examiner avec beaucoup d’attention : Kanthasamy, précité, au para 29. À mon avis, la SAI a également omis d’appliquer le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui dépend fortement du contexte, en tenant compte de l’âge de chaque enfant, de ses capacités, de ses besoins, de son degré de maturité et de son degré de développement : Obeid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 88 au para 16, citant l’arrêt Kanthasamy, précité, au para 35. Il se peut qu’à l’issue du nouvel examen, l’intérêt supérieur de l’enfant ne l’emporte pas finalement sur l’important manque à gagner de la demanderesse, mais je suis convaincue qu’il était déraisonnable de la part de la SAI de conclure, dans sa décision sur le deuxième réexamen, que ce dernier facteur, celui du revenu insuffisant l’emportait sur les facteurs d’ordre humanitaire, sans procéder à un examen dûment ciblé de l’intérêt de ces enfants.
III.
Conclusion
[31] Si la seule erreur qu’avait commise la SAI avait été l’hypothèse qu’elle a formulée sur la question de savoir si le père de la demanderesse serait en mesure de trouver un emploi compte tenu de son âge, je n’aurais peut-être pas été portée à modifier la décision. Comme l’a souligné récemment la Cour, la moindre lacune ou insuffisance relevée dans une décision ne la rend pas déraisonnable dans son ensemble : Metallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 575 au para 26. Par contre, la répétition d’une même erreur ou d’une erreur similaire pourrait rendre la décision déraisonnable, selon l’issue du nouvel examen et les motifs de la SAI.
[32] Toutefois, puisque la SAI s’est livrée non seulement à une conjecture inappropriée, mais qu’elle a également commis les erreurs importantes décrites ci-dessus dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, je conclus que la décision dans son ensemble est déraisonnable.
[33] La décision est annulée, et l’affaire sera renvoyée à la SAI pour nouvel examen.
[34] Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier et je suis d’avis que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-3086-21
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est accueillie.
La décision de la Section d’appel de l’immigration datée du 16 avril 2021, et publiée sous la référence Dayal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CanLII 141694 (CA CISR), est annulée.
L’affaire est renvoyée à la Section d’appel de l’immigration pour nouvelle décision.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claudia De Angelis
Annexe « A »
: Dispositions pertinentes
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27
Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27
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Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227)
Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3086-21
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INTITULÉ :
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KULWANT KAUR DAYAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 23 FÉVRIER 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE FUHRER
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 1ER JUIN 2022
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COMPARUTIONS :
Barbara Jackman
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Pour la demanderesse
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Rachel Hepburn Craig
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Barbara Jackman
Jackman & Associés
Toronto (Ontario)
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Pour la demanderesse
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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