Dossier : IMM‑2283‑21
Référence : 2022 CF 814
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 3 juin 2022
En présence de monsieur le juge McHaffie
ENTRE :
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CHUKWUNONSO AUGUSTINE IWEKAEZE ET ONYINYECHUKWU FRANCISCA IWEKAEZE
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Monsieur Chukwunonso Augustine Iwekaeze et madame Onyinyechukwu Francisca Iwekaeze ont sollicité la protection du Canada au moyen d’un examen des risques avant renvoi [ERAR]. Ils prétendent que s’ils retournent au Nigéria, ils seront exposés à des risques de la part d’agents de la [traduction] « Direction de la sécurité de l’État »
[la DSS]. M. Iwekaeze allègue que la DSS l’a détenu à trois occasions et continue de le chercher parce que ses travaux de recherche universitaires l’ont mis en contact avec des groupes séparatistes biafrais et qu’elle le perçoit comme un conseiller auprès de l’un de ces groupes.
[2] Un agent principal d’immigration a rejeté la demande d’ERAR et a conclu que la déclaration non assermentée de M. Iwekaeze, qui constituait la seule preuve de son action auprès des groupes séparatistes et des incidents avec la DSS, ne suffisait pas pour établir un risque de persécution ou d’autres types de préjudices au titre des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de ce rejet, et prétendent que l’agent a eu tort de leur demander de produire des éléments de preuve corroborants et qu’il a injustement tiré des conclusions quant à la crédibilité sans tenir d’audience.
[3] Je conclus que la décision de l’agent était raisonnable et juste. Dans ses motifs, l’agent a décrit les éléments de preuve corroborants qui à son avis auraient dû être disponibles et les raisons pour lesquelles la déclaration de M. Iwekaeze était insuffisante sans de telles preuves. La décision était transparente, intelligible et justifiée, et elle n’était pas contraire à la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne les éléments de preuve corroborants, de même que l’insuffisance et la crédibilité de la preuve. Bien que l’absence d’éléments de preuve corroborants puisse être une question qui concerne la crédibilité d’un témoin, elle peut aussi se rapporter à l’insuffisance de la preuve présentée par un demandeur sans soulever des préoccupations concernant la crédibilité. Les conclusions de l’agent en l’espèce étaient suffisantes et ne constituaient pas des conclusions voilées en matière de crédibilité, et il n’était pas nécessaire de tenir une audience.
[4] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Questions en litige et norme de contrôle
[5] La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :
L’agent a‑t‑il commis une erreur en concluant que les éléments de preuve étaient insuffisants pour établir le bien‑fondé de la demande de protection des demandeurs?
L’agent a‑t‑il eu tort de rendre sa décision sans tenir d’audience en tirant des conclusions voilées quant à la crédibilité?
[6] La première de ces questions concerne le bien‑fondé de la décision et est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16‑17, 23‑25. Une décision raisonnable est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes auxquelles le décideur était assujetti : Vavilov, aux para 15, 85, 99‑101.
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[8] En général, les cours qui apprécient les questions d’équité procédurale doivent se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, approche qui est parfois appelée la norme de la décision correcte, ou plus exactement qui ne fait pas appel à une norme de contrôle à proprement parler : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54. Quoi qu’il en soit, comme l’a souligné le juge Diner de la Cour, la jurisprudence de la Cour diverge quant à la norme de contrôle applicable dans l’examen de la question de savoir si un agent d’ERAR a commis une erreur en ne tenant pas d’audience; dans certaines affaires, la norme de la décision raisonnable a été adoptée, tandis que dans d’autres, c’était la norme de la décision correcte : Jystina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 912 au para 19, citant Garces Canaga au para 22, Hare au para 11, Allushi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 722 au para 17, et FGH c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 54 au para 17; A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 498 aux para 69; Diallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1324 aux para 14‑15); voir aussi l’analyse réfléchie effectuée par le juge Rochester sur cette jurisprudence dans la décision Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 447 aux para 11–21, qui a été rendue peu après l’instruction de la présente affaire.
[9] J’estime, avec égards pour mes collègues qui adoptent un point de vue différent, que les questions d’équité procédurale doivent continuer d’être traitées en dehors de l’analyse relative à la norme de contrôle, même lorsque des aspects de la procédure qui s’applique sont dictés par une loi. La Cour suprême du Canada a adopté cette approche dans l’arrêt Khela, dans lequel les dispositions régissant la communication sont dictées par une loi, et dans l’arrêt Moreau‑Bérubé, dans lequel il fallait établir si le processus suivi respectait l’équité procédurale, y compris les exigences législatives en matière de procédure : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 11 aux para 79‑85; Moreau‑Bérubé c Nouveau‑ Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 aux para 74–81. Dans chaque affaire, le fait qu’il existait des dispositions législatives relatives à la procédure qui devaient être interprétées et/ou appliquées ne fait pas déborder la question du cadre de l’équité procédurale.
[10] La Cour d’appel fédérale a aussi adopté cette approche dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique. Dans cette affaire, le litige avait trait à l’application par l’Office des transports du Canada d’un pouvoir de suspendre l’instance dicté par des règles, dans le contexte de délais prescrits pour le prononcé de décisions : Canadien Pacifique aux para 22, 81–85. La Cour d’appel, en citant les arrêts Khela et Moreau‑Bérubé, a confirmé qu’une approche ressortissant à l’équité procédurale s’appliquait : Canadien Pacifique, aux para 34–56. Ce faisant, le juge Rennie a souligné : « L’examen portant sur la procédure et l’examen portant sur le fond visent différents objectifs en droit administratif »
: Canadien Pacifique, au para 55.
[11] J’estime que cette analyse n’est pas touchée par l’arrêt Vavilov, qui portait sur l’examen approfondi quant au fond et non pas quant à l’équité procédurale. Le juge Rennie a souligné que l’arrêt Khela « n’a pas fondu une doctrine distincte du droit administratif, à savoir le droit de l’équité procédurale, dans la norme de contrôle applicable à l’examen portant sur le fond »
: Canadien Pacifique, au para 52. Je crois qu’on peut en dire autant pour l’arrêt Vavilov. Je constate que la confirmation inscrite dans l’arrêt Vavilov selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique aux interprétations législatives des tribunaux ne peut justifier l’adoption d’une approche différente à l’égard de l’équité procédurale selon que la question liée à la procédure découle de la common law ou d’une loi, étant donné que l’arrêt Vavilov préconise aussi que la norme de la décision raisonnable s’applique à la façon dont un tribunal applique la common law : Vavilov, aux para 111‑115.
[12] Dans le cadre de l’approche relative à l’équité procédurale, on peut faire preuve de déférence à l’égard du choix fait par le tribunal en matière de procédure : Canadien Pacifique, aux para 41–46. Il en va aussi de même pour toutes les conclusions de fait qui se rapportent aux questions de procédure. Cependant, cela ne change pas la norme de contrôle applicable de façon générale : Canadien Pacifique, aux para 41–46.
[13] Je formule deux dernières observations. En premier lieu, lorsqu’un législateur dicte des aspects de la procédure dans un texte de loi, comme il l’a fait à l’alinéa 113b) de la LIPR et à l’article 167 du RIPR, il confère en fait moins de pouvoir discrétionnaire en matière procédurale au décideur administratif en dictant des aspects du processus qui s’applique. Il semble alors paradoxal que la Cour fasse preuve de plus de déférence à l’égard du décideur. En second lieu, la Cour doit apprécier la même question en litige en l’espèce — celle de savoir si le décideur a tiré des conclusions voilées quant à la crédibilité et s’il aurait dû, pour cette raison, offrir aux demandeurs la possibilité de se faire entendre sur la question — dans d’autres contextes d’immigration, nommément les demandes de visa. Dans ces contextes, la Cour considère généralement qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte ou la norme « d’équité »
: voir, p. ex., Roopchan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1342 aux para 4–5, 12–27; Adewunmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1186 aux para 12, 24‑26; Opakunbi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 943 aux para 6‑14; Al Aridi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 381 aux para 15‑16, 29‑30. Il semblerait, là encore, paradoxal d’appliquer une norme de contrôle différente à la même question tout simplement parce que la règle contre les conclusions voilées quant à la crédibilité découle d’une exigence de tenir une audience dictée par une loi et non pas d’une exigence en common law.
[14] Par conséquent, je conclus que la question devrait être examinée sous l’angle de l’équité procédurale, en suivant l’approche qui a été adoptée dans les décisions Allushi et FGH. Autrement dit, je déterminerai si les exigences en matière d’équité, comme elles sont définies à l’alinéa 113b) de la LIPR et à l’article 167 du RIPR, commandaient à l’agent de tenir une audience ou, à tout le moins, de prendre en compte les facteurs qui sont énoncés à l’article 167, parce qu’il a tiré des conclusions voilées quant à la crédibilité plutôt que des conclusions quant au caractère suffisant. Vu ma conclusion selon laquelle l’agent n’a pas commis d’erreur, il s’ensuit que le résultat serait le même, même si la norme de la décision raisonnable était appliquée.
III.
Analyse
A.
La conclusion de l’agent selon laquelle les éléments de preuve étaient insuffisants n’était pas déraisonnable
(1)
La demande d’ERAR et son rejet
[15] La demande d’ERAR présentée par les demandeurs reposait sur l’affirmation selon laquelle ils seraient exposés à des risques de la part d’agents de la sécurité de l’État du Nigéria, la DSS. Je m’arrête ici pour faire remarquer que M. Iwekaeze a appelé la DSS la [traduction] « Direction de la sécurité de l’État »
. L’agent n’a trouvé aucune mention de ce nom dans les sites accessibles au public, mais plutôt un [traduction] « département des services de l’État »
qui est aussi connu sous le vocable [traduction] « Service de sécurité de l’État »
. Le nom importe peu, et je me contenterai d’utiliser les initiales « DSS »
que M. Iwakaeze et l’agent ont tous les deux utilisées.
[16] À l’appui de leur demande d’ERAR, les demandeurs ont produit une déclaration non assermentée de M. Iwakaeze. Ce dernier affirme que des agents de la DSS l’ont détenu et interrogé à trois occasions, notamment pendant une semaine en mars 2019. La DSS le soupçonnait d’avoir fait office de conseiller auprès d’un groupe séparatiste, l’Indigenous People of Biafra (peuples autochtones du Biafra) [l’IPOB], après qu’il eut rencontré des membres de l’organisation ainsi que des membres du Movement for the Actualization of the Sovereign State of Biafra (mouvement pour l’actualisation de l’État souverain du Biafra) [le MASSOB] dans le cadre de ses recherches universitaires. Après la détention de mars 2019, des agents de la DSS se sont rendus au domicile des demandeurs pendant que M. Iwakaeze était à l’extérieur et ont exigé que celui‑ci se présente à leurs bureaux à son retour. Le couple s’est enfui au Canada en juillet 2019. En novembre 2019, M. Iwekaeze a reçu des nouvelles de parents et d’un partenaire commercial au Nigéria d’après qui la DSS s’était présentée chez lui et à son commerce en faisant encore savoir qu’il devait se présenter à ses bureaux.
[17] Outre la déclaration de M. Iwekaeze, les demandeurs ont présenté des documents médicaux concernant la naissance de leur fils et de l’information sur leurs antécédents en matière d’immigration. De plus, ils ont produit des documents sur les conditions dans le pays portant sur la violence politique exercée par les agents de sécurité du Nigéria, sur la persécution dont sont victimes les membres du MASSOB et de l’IPOB, et sur la corruption de la classe politique. Cependant, la déclaration de M. Iwakaeze était la seule preuve qui ait été produite eu égard aux allégations précises quant au traitement que la DSS a réservé à M. Iwakaeze.
[18] L’agent a conclu que la déclaration non assermentée de M. Iwekaeze présentait [traduction] « peu de valeur probante et n’était pas suffisamment corroborée par des éléments de preuve supplémentaires normalement accessibles »
. Il a relevé que les demandeurs avaient présenté leur demande d’ERAR en mars 2020 et que des observations supplémentaires avaient été produites en octobre, ce qui laissait aux demandeurs beaucoup de temps pour obtenir des documents corroborants. Il a estimé que certains éléments de preuve corroborants auraient raisonnablement dû être présentés, comme des déclarations en tant que témoin de Mme Iwekaeze, ou du partenaire commercial et des parents qui étaient mentionnés dans la déclaration de M. Iwekaeze. De plus, l’agent a souligné qu’aucun document n’étayait les affirmations de M. Iwekaeze au sujet de ses travaux de recherche universitaires, qui l’auraient exposé à des risques, de son emploi au sein d’un organisme gouvernemental, ou des interrogatoires menés par la DSS. Il a également fait remarquer que l’information portant sur la visite effectuée par la DSS en novembre 2019 reposait sur du ouï‑dire de sources non précisées et non étayé par des déclarations appuyant ses dires.
[19] L’agent a renvoyé aux éléments de preuve relatifs aux conditions dans le pays et a reconnu que la corruption était répandue au Nigéria et que des dissidents politiques, dont certains membres de l’IPOB et du MASSOB, étaient victimes de répression. Il a cependant conclu que les affirmations formulées par M. Iwekaeze ne présentaient pas [traduction] « suffisamment de valeur probante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, son association perçue à une quelconque organisation s’opposant au gouvernement du Nigéria »
ou le traitement que lui avait réservé la DSS. Même s’il existait des éléments de preuve quant au traitement réservé aux dissidents politiques au Nigéria, leur valeur probante était insuffisante pour lier M. Iwekaeze à ce type de risques. Par conséquent, la demande d’ERAR a été rejetée.
(2)
Le rejet de la demande était raisonnable.
[20] Les demandeurs soutiennent que l’agent a essentiellement rejeté le récit de M. Iwekaeze parce qu’il n’était pas corroboré. Ils invoquent la décision du juge Teitelbaum dans l’arrêt Ahortor pour affirmer qu’il est déraisonnable d’écarter les éléments de preuve d’un demandeur pour manque de crédibilité tout simplement parce que celui‑ci n’a pas présenté de preuve corroborante : Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 ACF no 705 (1re inst.) au para 45, citant Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989) 99 N.R. 444 (CA).
[21] En réponse, le ministre renvoie aux décisions Seyoboka, Zdraviak, et II, , selon lesquelles la preuve présentée par un demandeur ayant un intérêt personnel dans la cause doit être corroborée pour qu’on y accorde une valeur probante : Seyoboka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 514 au para 36; Zdraiak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 305 aux para 15‑18; II c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 892 au para 20; chacune appliquant la décision Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 au para 27).
[22] Je conviens avec le ministre que le principe énoncé dans la décision Ferguson s’applique en l’espèce. Il incombe au demandeur d’un ERAR de prouver ses affirmations, et il lui revient d’avancer « ses meilleurs arguments »
pour s’acquitter de son fardeau : Ferguson, au para 22; Ikeji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1422 au para 47; Nhengu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 913 au para 6. Il est raisonnable qu’un agent d’ERAR conclue qu’un demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait lorsque les allégations formulées quant aux risques auxquels il est exposé ne sont étayées que par ses propres déclarations, dans un contexte où on s’attendrait à ce qu’il produise des éléments de preuve corroborants et où il n’a pas présenté d’explications acceptables pour leur absence.
[23] En l’espèce, l’agent a fourni des motifs exhaustifs expliquant pourquoi il s’attendait à ce que des éléments de preuve corroborants soient accessibles et pourquoi la déclaration de M. Iwekaeze était insuffisante pour satisfaire au fardeau de preuve sans corroboration. Cela comprenait le fait que M. Iwakaeze n’a pu fournir qu’une preuve par ouï‑dire en ce qui concerne l’intérêt que la DSS manifestait toujours à son égard comme le démontrait la visite effectuée par ses agents en novembre 2019 ainsi que les nombreux renvois de M. Iwakaeze à des amis et à des parents qu’il n’a pas nommés, et un partenaire commercial qu’il a nommé, qui auraient tous pu présenter des éléments de preuve étayant ses dires, mais qui ne l’ont pas fait. L’agent a pris en compte le contexte factuel, y compris la période au cours de laquelle les demandeurs auraient pu obtenir des éléments de preuve, et l’absence d’explication pour ne pas avoir présenté de preuves. Les motifs de l’agent répondaient aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification et respectaient les contraintes juridiques imposées par la jurisprudence de la Cour : Vavilov, aux para 15, 85, 99‑101.
[24] Les demandeurs soutiennent que l’agent a eu tort d’invoquer le temps qui s’est écoulé entre le moment où ils ont présenté leur demande d’ERAR, en mars 2020, et leurs observations, en octobre 2020 sans tenir compte du contexte de la pandémie de COVID‑19 , période au cours de laquelle il était [traduction] « presque impossible d’obtenir ou de transmettre le moindre document ou élément de preuve étant donné que tout était retardé ou fermé au Nigéria »
. Cependant, en dépit du fait qu’ils ont présenté des observations et des éléments de preuve supplémentaires en octobre 2020, après qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a prolongé le délai pour la présentation d’observations en raison de la pandémie, les demandeurs n’ont donné aucune indication à l’agent qu’ils étaient dans l’impossibilité d’obtenir des documents ou des éléments de preuve du Nigéria. Puisque les demandeurs n’ont pas présenté une explication de ce genre pour l’absence d’éléments de preuve corroborants, je ne puis pas conclure que l’agent a eu tort de ne pas avoir émis d’hypothèses quant aux raisons expliquant le manque d’éléments de preuve.
[25] De plus, les demandeurs prétendent que leur récit était , en fait, corroboré par des éléments de preuve sous la forme d’information sur les conditions dans le pays, et que l’agent n’a pas pris en compte cette corroboration. Cependant, l’agent a bel et bien pris en compte ces éléments de preuve quand il a conclu que, même si elle confirmait la corruption régnant dans le pays et la répression exercée contre les dissidents, la preuve ne tissait aucun lien entre ces éléments et les allégations formulées par les demandeurs, et elle n’établissait aucunement les événements ayant mené à leur départ du Nigéria. Ces conclusions étaient raisonnables.
B.
L’agent n’a pas tiré de conclusions voilées quant à la crédibilité
[26] Les demandes d’ERAR sont habituellement entendues et tranchées suivant les documents produits par le demandeur. L’alinéa 113b) de la LIPR, comme il est reproduit précédemment, prévoit qu’une « audience »
peut être tenue, ce qui dans le contexte signifie une audience de vive voix, si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires énoncés à l’article 167 du RIPR, notamment lorsque des éléments de preuve soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur qui est au cœur de la décision et qui est potentiellement décisive.
[27] Il en résulte, en fait, que lorsque l’agent d’ERAR ne tire aucune conclusion quant à la crédibilité, aucune audience ne sera généralement nécessaire, mais lorsqu’il tire de telles conclusions, il doit prendre en compte la possibilité de tenir une audience. Ce contexte a amené des demandeurs et la Cour à soulever des préoccupations quant à l’équité procédurale lorsqu’un agent semble avoir tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité, mais ne les a pas décrites comme telles, en utilisant la terminologie usuelle pour le caractère suffisant de la preuve : voir, p. ex. Liban c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252 aux para 12‑14; Diallo, au para 20. La Cour a confirmé que la conclusion d’un agent d’ERAR selon laquelle la preuve produite par le demandeur n’est pas suffisante peut être une conclusion d’insuffisance justifiable ou une conclusion voilée quant à la crédibilité : Herman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 629 au para 17; Ferguson, au para 26. Il peut être difficile d’établir une distinction entre les deux, et le choix des termes employés n’est pas déterminant : Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59 au para 32).
[28] En l’espèce, la conclusion de l’agent selon laquelle les éléments de preuve présentés par M. Iwekaeze n’étaient pas suffisants reposait en grande partie sur l’absence de documents étayant ses dires ou d’autres éléments de preuve corroborants. Dans certains contextes, l’absence d’éléments de preuve corroborants lorsqu’il serait raisonnable d’en attendre de la part du demandeur peut amener le juge des faits à tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité. Cela se produit souvent lorsque la Section de la protection des réfugiés tient des audiences relatives à des demandes d’asile : voir, p. ex., Luo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 823 aux para 18‑22; Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968 aux para 21‑36). Cependant, le fait que l’absence de corroboration peut amener le décideur à tirer des conclusions défavorables en matière de crédibilité ne signifie pas que toutes les conclusions d’absence de corroboration sont des conclusions quant à la crédibilité : Ferguson, au para 27; Gao, aux para 29‑32, 44‑46; Haji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 474 aux para 20‑22). L’appréciation dépend de la teneur de l’analyse effectuée par l’agent d’ERAR telle qu’il l’a décrite dans les motifs de sa décision.
[29] En l’espèce, l’agent a renvoyé aux éléments de preuve corroborants qu’il se serait attendu de recevoir, au temps dont les demandeurs avaient disposé pour les obtenir et au caractère relaté de certaines des affirmations formulées par M. Iwekaeze. Après avoir examiné la décision dans son ensemble dans le contexte des éléments de preuve présentés par les demandeurs, je conclus que l’appréciation de l’agent selon laquelle la preuve était insuffisante n’était rien de plus, et n’était pas une conclusion voilée quant à la crédibilité déguisée en conclusion d’insuffisance de la preuve. Les exigences procédurales énoncées dans la LIPR et dans le RIPR ne commandaient pas, par conséquent, la tenue d’une audience, et l’agent n’a pas manqué à l’équité en omettant d’en tenir une.
IV.
Conclusion
[30] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑2283‑21
LA COUR STATUE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Nicholas McHaffie »
Juge
Traduction certifiée conforme
Line Niquet, trad. a.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑2283‑21
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INTITULÉ :
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CHUKWUNONSO AUGUSTINE IWEKAEZE ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 22 MARS 2022
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE MCHAFFIE
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 3 JUIN 2022
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COMPARUTIONS :
Allen Chao‑Ho Chang
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POUR LES DEMANDEURS
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Idorenyin Udoh‑Orok
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Dov Maierovitz
Avocat
Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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