Date : 20060209
Toronto (Ontario), le 9 février 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von Finckenstein
ENTRE :
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur, Nikolay Vesselinov Stanchev, est un Bulgare d'origine rome. Il est arrivé au Canada en passant par les États-Unis. Le 23 mai 2005, le demandeur est entré aux États-Unis muni d'un visa étasunien valide. Il est ensuite arrivé à Lacolle (Québec), le 6 juin 2005, par autobus et par taxi.
[2] Le demandeur allègue craindre avec raison d'être persécuté du fait de son origine ethnique. Il prétend que tout au long de sa vie, il a fait l'objet de discrimination en raison de son origine rome. Entre autres, ses voisins bulgares l'ont dénigré et harcelé. Étant enfant, il a également été tourmenté et battu par de jeunes Bulgares. Il prétend avoir été attaqué et roué de coups à plusieurs reprises par des groupes de racistes ou de skinheads.
[3] Il fait valoir que le 14 septembre 2001, des skinheads l'ont battu au point où il a eu besoin de soins médicaux. Il a soumis un certificat médical daté du 14 septembre 2001 se rapportant à l'incident allégué.
[4] En mars 2002, la police a fait une descente à son domicile à la recherche de marchandises volées. Il a été emmené au poste de police où il a passé la nuit. Il prétend que, pendant sa détention, la police l'a insulté et battu dans le but de le faire passer aux aveux relativement au vol. Il a présenté un certificat médical daté du 5 mars 2002. C'est à la suite de ces incidents qu'il a décidé de s'enfuir de la Bulgarie.
[5] La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a tenu deux audiences avant de rendre une décision. Après la clôture de la première audience, la Commission a vérifié certains documents soumis par le demandeur. Le demandeur a consenti, à certaines conditions, à ce que les documents soient examinés en Bulgarie et, après vérification, il a été conclu qu'ils n'étaient pas authentiques. Lors de la deuxième audience, la Commission a laissé au demandeur la possibilité d'expliquer pourquoi les documents n'étaient pas authentiques. La Commission a conclu que les documents minaient irrémédiablement la crédibilité du demandeur.
[6] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision et soulève trois questions litigieuses :
1. les conclusions relatives à la crédibilité étaient manifestement déraisonnables;
2. les documents ont été vérifiés sans protection suffisante des droits du demandeur;
3. la Commission n'a pas effectué une analyse distincte fondée sur l'article 97.
La norme de contrôle
[7] Il est clair que la norme de contrôle applicable aux conclusions quant à la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable (voir Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315).
Les conclusions relatives à la crédibilité
[8] Le demandeur prétend que la Commission n'a pas donné de motifs clairs pouvant expliquer pourquoi elle s'interrogeait sur la crédibilité du demandeur. Le demandeur fait valoir que la Commission ayant conclu, à la fin de la première audience, que « dans l'ensemble » , le demandeur « était crédible » , elle ne pouvait raisonnablement décider que le demandeur avait perdu toute crédibilité du fait que les documents qu'il avait soumis étaient faux.
[9] La Commission, préoccupée par la crédibilité du demandeur, a décidé de vérifier l'authenticité des documents. Elle a expliqué pourquoi le fait que les documents étaient faux minait irrémédiablement la crédibilité du demandeur. La Commission a dit, à la page 4 de sa décision :
Le fait que ces documents essentiels soient faux mine irrémédiablement la crédibilité du demandeur.
[10] Puisque les faux documents se rapportaient à l'élément principal de la demande du demandeur, la conclusion de la Commission selon laquelle ils minaient la crédibilité de toutes les autres preuves du demandeur n'était pas manifestement déraisonnable.
La vérification des documents
[11] Le demandeur allègue qu'il a consenti à ce que les documents soient vérifiés à condition que son nom ne soit pas divulgué, pourtant, son identité n'a pas été tenue secrète. Le demandeur prétend que la Commission aurait dû tenir compte, dans sa décision, des préoccupations du demandeur concernant la divulgation de son identité.
[12] La complicité entre les médecins et la police préoccupe le demandeur. Il craint que les médecins aient pu fausser le processus de vérification des documents afin de protéger la police. Le demandeur invoque à l'appui le bulletin d'information de la Direction des recherches de la CISR que l'on trouve à la page 187 du dossier de demande du demandeur et qui dit :
[traduction]
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a tranché dans deux affaires de brutalité policière commise à l'endroit de Roms [...] qui soulevaient toutes deux d'importantes questions de fait et de droit concernant la brutalité policière. Parmi ces questions, mentionnons la réticence des bureaux du procureur à amorcer des procédures judiciaires dans les cas d'abus policier à l'endroit de Roms ou de mettre en accusation des policiers responsables de violation des droits de la personne à l'endroit de Roms; la complicité des professionnels de la santé qui camouflent les crimes des agents de la force publique; et le manque d'impartialité de la part du Bureau du procureur à titre d'agence chargée d'imposer la détention et de poursuivre au criminel (OSI 2001, 99-100).
[13] Même si, en effet, le rapport de la CISR laisse entendre qu'il y a complicité entre le personnel médical et la police, il n'y a aucune preuve que ce fut le cas dans la présente affaire. Le demandeur a eu l'occasion, lors de la deuxième audience, de prouver que cela avait été le cas, mais il ne l'a pas fait. La Commission ne peut se baser sur des hypothèses. Elle doit se fonder sur des preuves et il n'y en avait aucune dans la présente affaire.
[14] Par conséquent, la Commission n'a pas commis d'erreur dans sa décision concernant la vérification des documents.
L'analyse fondée sur l'article 97
[15] Le demandeur allègue que le commissaire aurait dû effectuer une analyse distincte fondée sur l'article 97 afin de déterminer si le demandeur serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités. Le défaut d'avoir effectué une telle analyse constitue une erreur susceptible de contrôle. Le demandeur prétend que s'il existe une preuve qui pourrait établir que le demandeur est une personne à protéger, le tribunal doit effectuer une analyse distincte fondée sur l'article 97.
[16] Le demandeur prétend que puisque la Commission avait reconnu qu'il était Rom et qu'elle avait conclu que, dans l'ensemble, son témoignage était crédible et que, puisque la preuve documentaire révélait les risques auxquels faisaient face les Roms en Bulgarie, une analyse distincte fondée sur l'article 97 était nécessaire.
[17] Il est peut-être opportun d'effectuer une analyse en vertu de l'article 97, mais cela n'est pas toujours nécessaire. Il en est ainsi parce que l'analyse peut se trouver implicitement dans la décision. L'article 97 porte sur la question de savoir si le demandeur serait exposé au risque d'être torturé ou de subir des peines cruelles s'il était renvoyé en Bulgarie.
[18] Dans Yorulmaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 128, il a été décidé que puisque la conclusion défavorable que la Commission avait tirée au sujet de la crédibilité était étayée par les faits, l'omission d'effectuer une analyse fondée sur l'article 97 n'était pas pertinente vu que la preuve n'était pas suffisante pour démontrer la nécessité de l'analyse.
[19] Dans Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1211, le juge Blanchard a dit, au paragraphe 42 :
La Commission a conclu en l'espèce que le témoignage du demandeur était entaché d'importantes omissions, contradictions et invraisemblances, ce qui l'a amenée à conclure au manque de crédibilité de son récit. J'ai déjà statué qu'il y avait matière pour la Commission à tirer ces conclusions. Celle-ci n'a pas prêté foi, spécifiquement et en énonçant des motifs détaillés, aux allégations du demandeur concernant son arrestation, sa détention et les actes de torture que des policiers lui auraient fait subir. Il appert, en outre, que la Commission a tenu compte de la situation régnant en Tunisie et qu'elle a examinée de façon particulière, dans ses motifs, la documentation sur le pays qui lui avait été présentée. Rien ne laisse penser que la Commission n'a pas tenu compte d'éléments de preuve dont elle disposait ni qu'elle a interprété erronément tout aspect de celle-ci. Mis à part les éléments de preuve déclarés non crédibles par la Commission, il n'y en avait pas d'autres dont celle-ci disposait et découlant de la documentation sur le pays ou de toute autre source qui auraient pu conduire la Commission à conclure que le demandeur était une personne à protéger. Dans ces circonstances, je conclus que la Commission a bien commis une erreur en omettant d'analyser spécifiquement la revendication fondée sur l'article 97. Je conclus toutefois également, exerçant à cet égard mon pouvoir discrétionnaire, que cette erreur n'a pas d'effet déterminant sur l'issue de l'affaire. Je conclus qu'il y avait matière, eu égard à la preuve, pour la Commission de conclure que le demandeur n'était pas une « personne à protéger » aux termes des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi.
[Non souligné dans l'original.]
[20] La Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible et qu'il en était de même du reste de ses autres allégations. Il n'y avait donc aucune preuve que le demandeur avait été soumis à la torture ou à de mauvais traitements en Bulgarie.
[21] La preuve documentaire fait état des mauvais traitements réservés aux Roms, mais la Commission a conclu qu'il n'y avait aucune preuve que tous les Roms étaient victimes de harcèlement. Étant donné cette conclusion fondamentale, la Commission n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en omettant d'effectuer une analyse distincte fondée sur l'article 97.
[22] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
COUR FÉDERALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
INTITULÉ : nikolay vesselinov stanchev
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 7 FÉVRIER 2006
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE von FINCKENSTEIN
DATE DES MOTIFS : LE 9 FÉVRIER 2006
COMPARUTIONS :
Robert Moores POUR LE DEMANDEUR
Bernard Assan POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Robert Moores POUR LE DEMANDEUR
Burlington (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada