TRÈS SECRET
Date : 20210716
Dossier : DES‑7‑19
Référence : 2021 CF 750
Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2021
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE :
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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demandeur
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et
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KRISTIN ERNEST HUTTON
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défendeur
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JUGEMENT
VU les demandes présentées par le Procureur général du Canada [le PGC] au titre de l’article 38.04 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5 [la LPC] en vue d’interdire la divulgation de parties d’une note au dossier et d’autres documents relatifs à l’enquête entreprise, à la suite d’une plainte, par ce qui était alors le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications [le BCCST];
ET VU la preuve ainsi que les observations écrites et orales des avocats du PGC et de Kristin Ernest Hutton, qui se représente lui‑même, présentées lors d’une audience publique tenue par vidéoconférence le 29 avril 2021;
ET VU la preuve ainsi que les observations écrites et orales des avocats du PGC et d’Anil Kapoor, ami de la cour, présentées durant et après une audience ex parte à huis clos qui s’est déroulée le 15 juin 2021;
ET VU l’ordonnance et les motifs publiés en même temps que le présent jugement, dans les dossiers de la Cour T‑268‑17, T‑1143‑19 et T‑868‑21, où la Cour a suspendu les procédures en vertu de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, en attendant : a) l’issue finale de l’examen effectué par le Barreau de l’Ontario au sujet de la capacité de M. Hutton d’exercer le droit ou b) la nomination, par M. Hutton, d’un avocat qui le représenterait dans ces procédures;
ET VU que :
a) les documents en litige sont susceptibles d’être divulgués dans deux procédures dont est saisie la Cour;
b) le dossier de la Cour T‑268‑17 est une action civile intentée par M. Hutton, qui allègue que les deux parties défenderesses désignées sont ou ont été des agents du renseignement travaillant anonymement pour le compte de Sa Majesté la Reine et lui ont causé un préjudice;
c) le dossier de la Cour T‑1143‑19 est une demande de contrôle judiciaire introduite par M. Hutton après que le BCCST a rejeté sa plainte où il reprochait au Centre de la sécurité des télécommunications [le CST] d’avoir intercepté et manipulé ses communications électroniques;
d) la Cour a conclu que les efforts déployés par M. Hutton pour prouver ses allégations contre les parties défenderesses désignées dans l’action civile constituaient une forme de harcèlement et que ses revendications n’avaient aucun fondement dans la réalité et reposaient sur des idées délirantes (Hutton c Sayat, 2020 CF 1183 aux para 1-2);
e) le Barreau de l’Ontario examine actuellement la capacité de M. Hutton d’exercer le droit et a ordonné qu’il se soumette à une évaluation psychiatrique – l’appel interjeté par M. Hutton à l’égard de cette ordonnance a été entendu le 7 juillet 2021 et son jugement est en délibéré;
ET VU que :
a) le dossier de la Cour DES‑7‑19 concerne la divulgation de la note au dossier du BCCST et de documents afférents dans le dossier de la Cour T‑1143‑19;
b) le dossier de la Cour DES‑5‑21 concerne la divulgation de la note au dossier du BCCST dans le dossier de la Cour T‑268‑17;
c) les deux demandes ont été réunies conformément à une ordonnance du 25 mars 2021 et se sont poursuivies dans le dossier de la Cour DES‑7‑19;
ET VU le critère à trois volets servant à déterminer s’il est opportun pour la Cour de préserver la confidentialité des renseignements dont la divulgation, selon les allégations, serait préjudiciable aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales (Ribic c Canada, 2003 CAF 246), c’est‑à‑dire :
a) le fait que les renseignements que le PGC cherche à garder confidentiels soient, ou non, pertinents dans le cadre de l’instance sous‑jacente;
b) s’ils sont considérés comme pertinents, le fait que leur divulgation soit préjudiciable, ou non, aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales;
c) Si la divulgation est préjudiciable, le fait que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent, ou non, sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation;
ET ÉTANT convaincue que :
a) les renseignements que le PGC cherche à garder confidentiels sont pertinents dans le cadre de l’instance sous‑jacente (Huang c Canada (Procureur général), 2017 CF 662 au para 44);
b) la divulgation des renseignements serait préjudiciable à la sécurité nationale dans la mesure où les renseignements pourraient révéler : (i) l’identité de personnes qui suscitent l’intérêt des enquêteurs du CST; (ii) des techniques et ressources confidentielles; et (iii) des procédures, des méthodes et des noms d’employés qui sont confidentiels;
c) les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation d’un résumé des renseignements et de la conclusion de la note au dossier du BCCST l’emportent sur les raisons d’intérêt public justifiant sa non‑divulgation;
ET VU que :
a) le BCCST a informé M. Hutton dans une lettre datée du 25 juin 2019 qu’il [traduction]
« a effectué une enquête indépendante à l’égard des points soulevés dans la correspondance [de M. Hutton] »
, [traduction]« a vérifié les documents que possède le CST et interrogé les employés du CST »
et [traduction]« a conclu que les activités du CST étaient légales »
;b) le CST a informé M. Hutton dans une lettre datée du 17 août 2020 qu’il n’avait jamais compté parmi ses employés les personnes nommées dans sa plainte et qu’il s’est conformé à l’ancien alinéa 273.64(2)a) de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‑5, où il lui est interdit de mener des activités visant des Canadiens ou toute personne au Canada;
c) le Service canadien du renseignement de sécurité [le SCRS]) a informé M. Hutton dans une lettre datée du 19 février 2020 que ses allégations [traduction]
« ont été examinées soigneusement et [que] les enquêtes internes appropriées ont été effectuées »
et lui a assuré [traduction]« [qu’il] n’était pas impliqué dans la situation décrite par M. Hutton et qu’aucune des personnes qui, selon ses prétentions, travaillent pour le SCRS n’est en fait un employé du Service ou un entrepreneur embauché par le SCRS »
;
ET VU |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| et que toute divulgation de renseignements à la suite de ces demandes se fonde sur les circonstances propres à la présente affaire et n’a pas pour effet de créer un précédent de nature générale justifiant la divulgation dans d’autres instances;
ET VU que les raisons d’intérêt public justifiant la divulgation s’appliquent aussi bien à l’action civile qu’à la demande de contrôle judiciaire et qu’elles se rattachent aussi à l’utilité, pour les parties, d’obtenir des renseignements exacts sur les allégations non fondées et préjudiciables de M. Hutton;
ET VU l’argument de l’ami de la cour, suivant lequel l’intérêt public oblige la divulgation des réponses aux questions suivantes afin de permettre un règlement juste et équitable du dossier de la Cour T‑1143‑19 :
a) Quelles mesures le BCCST a‑t‑il prises pour faire enquête à la suite de la plainte de M. Hutton?
b) Qu’a appris le BCCST à propos des questions qui font l’objet de la plainte?
c) Quelle est la réponse précise du BCCST aux questions soulevées par M. Hutton, telle qu’elle ressort de la conclusion énoncée dans la note au dossier du BCCST?
ET VU l’argument du PGC, suivant lequel toute divulgation de renseignements sera préjudiciable mais que, dans l’éventualité où la Cour ordonne la divulgation malgré l’opposition du PGC, le préjudice pourrait alors être réduit à son minimum si un résumé public des renseignements est divulgué et que l’utilisation de ce résumé par M. Hutton est assujettie à des conditions strictes;
ET VU qu’elle est convaincue que le résumé public des renseignements préparé par le PGC et modifié de la manière proposée par l’ami de la Cour, en sus de la divulgation de la conclusion énoncée dans la note au dossier du BCCST, permettra une divulgation des renseignements utiles pour les parties tout en limitant ou en réduisant le plus possible le préjudice à la sécurité nationale qui résulterait de la divulgation de tous les renseignements que le PGC cherche à garder confidentiels (Canada (Procureur général) c Almalki, 2011 CAF 199 au para 37);
ET VU que la correspondance du BCCST datée du 25 juin 2019, celle du CST datée du 17 août 2020 et celle du SCRS datée du 19 février 2020 ont toutes été divulguées à M. Hutton sans conditions, il n’est donc pas nécessaire d’imposer des conditions à ce dernier en ce qui concerne la divulgation du résumé public des renseignements ou de la conclusion énoncée dans la note au dossier du BCCST;
LA COUR STATUE :
Le résumé public des renseignements ci‑joint doit être divulgué à M. Hutton;
La copie ci‑jointe de la note au dossier caviardée du BCCST, y compris la conclusion non caviardée, doit être divulguée à M. Hutton;
À tous les autres égards, les demandes présentées par le PGC au titre de l’article 38.04 de la LPC en vue d’interdire la divulgation des renseignements sont accueillies.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc
ANNEXE A
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ANNEXE B
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