Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220413


Dossier : IMM-1342-20

Référence : 2022 CF 535

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

JUN YUAN PAO

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Pao, a obtenu le statut d’immigrante reçue au Canada en mai 1973, soit il y a environ 48 ans. Elle est âgée de 81 ans. En 2017, elle a renoncé à son statut de résidente permanente. Mme Pao affirme qu’elle avait renoncé à son statut, parce qu’elle avait mal compris les nouvelles exigences relatives aux autorisations de voyage électroniques mises en place en 2016.

[2] Mme Pao a, par la suite, présenté une demande de carte de résident permanent (carte RP), dans laquelle elle a demandé à l’agent de tenir compte des circonstances entourant la renonciation récente à son statut de résidente permanente et de, malgré tout, lui accorder une carte RP. Cette demande a été rejetée en 2018, et la décision a été contestée par voie de demande de contrôle judiciaire. La Cour a ordonné que l’affaire soit renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision, principalement au motif que l’agent avait entravé son pouvoir discrétionnaire en ne rendant pas une décision indépendante et en se ralliant plutôt à l’opinion de la Direction générale du règlement des cas (Pao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1397 [Pao]).

[3] La demande de carte RP de Mme Pao a fait l’objet d’une nouvelle décision et a de nouveau été rejetée en février 2020. Le présent contrôle judiciaire concerne ce deuxième rejet de la demande de carte RP.

[4] La principale question en litige en l’espèce est le caractère suffisant des motifs de l’agent, en particulier il s’agit de savoir si, dans sa décision, l’agent s’est montré sensible aux observations de Mme Pao. Le défendeur (le ministre) reconnaît que l’agent n’a pas abordé directement les observations soumises par Mme Pao au sujet des circonstances entourant la renonciation à son statut de résidente permanente, mais soutient qu’il n’était pas nécessaire de le faire, compte tenu de la compétence limitée de l’agent chargé d’examiner la demande de carte RP.

[5] Je partage l’avis du ministre. La décision de l’agent est raisonnable. L’agent a mentionné les articles de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], qui définissent la portée limitée de l’examen d’une demande de carte RP par un agent lorsqu’une décision a déjà été prise à l’égard d’une demande de renonciation au statut de résidente permanente d’une personne. La plainte de Mme Pao porte en fait sur la décision relative à l’acceptation de sa renonciation et est une tentative de faire réexaminer cette décision au moyen du processus d’obtention d’une carte RP. Dans ses observations, Mme Pao n’a présenté à l’agent aucune analyse quant à la façon dont celui‑ci devait interpréter les dispositions du RIPR pour tenir compte de sa demande de traiter sa renonciation comme étant nulle. Bien que la décision de l’agent aurait pu être plus étayée, dans le présent contexte, compte tenu des renvois appropriés de l’agent aux dispositions de la LIPR et du RIPR, qui énoncent sa compétence limitée, et de l’absence d’observations de la demanderesse portant sur cette question, j’estime qu’il ne serait pas utile de renvoyer l’affaire pour nouvelle décision une troisième fois.

II. Le contexte factuel

[6] Mme Pao a obtenu le statut d’immigrante reçue au Canada en 1973, avant l’introduction dans la LIPR de la carte RP, une attestation du statut de résident permanent au Canada. Avant de présenter la demande qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire, Mme Pao n’avait jamais demandé ou reçu de carte RP. Avant 2016, Mme Pao a voyagé entre le Canada et Hong Kong avec son passeport de Hong Kong, un pays visé par la dispense de visa.

[7] Selon Mme Pao, la confusion concernant son statut est survenue lorsqu’il est devenu obligatoire pour les étrangers originaires de pays visés par la dispense de visa d’obtenir des autorisations de voyage électroniques avant d’entrer au Canada (art 11(1.01) de la LIPR). À l’époque, Mme Pao était une résidente permanente et elle n’était donc pas tenue d’obtenir une autorisation de voyage électronique pour entrer au Canada. Elle a déclaré qu’en mars 2016, son agent de voyage l’avait toutefois informée à tort qu’une autorisation de voyage électronique était nécessaire pour revenir au Canada. Mme Pao a présenté une demande et a reçu par erreur une autorisation de voyage électronique, malgré son statut de résidente permanente au Canada.

[8] Par la suite, Mme Pao a présenté cinq autres demandes d’autorisation de voyage électronique pour venir au Canada en février, en mars et en avril 2017. Toutes ces demandes ont été traitées comme « retirées », parce qu’elle avait déjà le statut de résidente permanente.

[9] Mme Pao a ensuite demandé de l’aide à des membres de sa famille et à des amis, puisqu’elle voulait revenir au Canada. Un membre de sa famille a rempli un formulaire Demande de renonciation volontaire au statut de résident permanent. Mme Pao affirme qu’elle n’avait pas compris le contenu de la demande ou les conséquences découlant de la signature de celle‑ci, mais qu’elle l’avait bel et bien signée le 19 avril 2017, et la demande avait été acceptée le 11 mai 2017. Par la suite, Mme Pao a reçu une autorisation de voyage électronique à titre d’étrangère qui voyage au Canada.

[10] À la fin de 2018, Mme Pao a reçu des conseils juridiques d’un avocat spécialisé en droit de l’immigration. C’est à ce moment-là que, selon Mme Pao, elle a appris les conséquences juridiques d’avoir renoncé à son statut de résidente permanente.

[11] Le 17 décembre 2018, l’avocat spécialiste de l’immigration a déposé une demande de carte RP. Dans cette demande, l’avocat de Mme Pao a fourni une déclaration solennelle de Mme Pao, dans laquelle elle explique les circonstances ayant entouré sa demande de renonciation au statut de résident permanent. Mme Pao demande à l’agent chargé d’étudier la demande de carte RP de considérer la renonciation comme nulle, compte tenu des circonstances.

[12] Le 28 mars 2019, la demande de carte RP de Mme Pao a été rejetée, parce qu’elle avait perdu son statut de résidente permanente à la suite d’une renonciation (art 46(1)e) de la LIPR) et qu’elle n’avait donc pas droit à une carte RP (art 59(1)a) du RIPR).

[13] Mme Pao a contesté ce premier rejet par voie de contrôle judiciaire. La demanderesse s’est dite surtout préoccupée par le fait que l’agent, qui avait indiqué dans ses notes qu’il croyait que Mme Pao devrait avoir droit à une carte RP, avait par la suite demandé l’avis de la Direction générale du règlement des cas et rejeté la demande. La Cour a conclu que « la véritable question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est moins de savoir de quelle manière l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire que de savoir s’il a rendu une décision indépendante ou s’il s’est simplement rallié à l’opinion d’une tierce partie, à savoir celle de la Direction générale du règlement des cas » (Pao, au para 18).

[14] L’affaire a été renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Mme Pao a présenté les mêmes observations et éléments de preuve que ceux déposés en 2017. La demande a été rejetée, au motif qu’à titre de personne qui avait renoncé à son statut de résidente permanente, elle ne satisfaisait pas aux conditions relatives à la délivrance d’une carte RP, en application de l’alinéa 59(1)a) du RIPR.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[15] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de l’agent de rejeter la demande de carte RP de Mme Pao était raisonnable. Les parties conviennent que la norme de contrôle que je devrais appliquer à mon analyse est la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer lorsqu’il s’agit d’examiner des décisions administratives sur le fond. La présente affaire ne soulève aucune question qui justifierait que l’on s’écarte de cette présomption.

[16] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a décrit la norme de la décision raisonnable comme un type de contrôle empreint de déférence, mais néanmoins « rigoureux », et dont l’analyse a pour point de départ les motifs du décideur (au para 13). Les motifs écrits du décideur sont interprétés « eu égard au dossier et en tenant dûment compte du régime administratif dans lequel ils sont donnés » (Vavilov, au para 103).

[17] Selon la description de la Cour, une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Les décideurs administratifs, dans l’exercice du pouvoir public, doivent veiller à ce que leurs décisions soient « justifié[es], intelligible[s] et transparent[es] non pas dans l’abstrait, mais pour l’individu qui en fait l’objet » (Vavilov, au para 95).

IV. Analyse

[18] Le paragraphe 59(1) du RIPR énonce les circonstances dans lesquelles un agent doit délivrer, sur demande, une carte RP. Quatre conditions conjonctives y sont énoncées. La première condition est que le demandeur « n’a pas perdu son statut de résident permanent aux termes du paragraphe 46(1) de la Loi » (art 59(1)a) du RIPR). Le paragraphe 46(1) de la LIPR définit les différentes circonstances dans lesquelles une personne perd son statut de résidente permanente : l’une de ces circonstances est décrite comme « l’acceptation par un agent de la demande de renonciation au statut de résident permanent » (art 46(1)e) de la LIPR).

[19] Aucune des parties ne conteste le fait que la demande de renonciation au statut de résidente permanente de Mme Pao a été acceptée par un agent et que, pour cette raison, elle a perdu son statut de résidente permanente aux termes de l’alinéa 46(1)e) de la LIPR.

[20] Le différend entre les parties porte sur la question de savoir si un agent qui étudie une demande de carte RP au titre du paragraphe 56(1) du RIPR peut délivrer une carte, même si la demande de renonciation au statut de résidente permanente d’une personne a été acceptée.

[21] Dans les observations orales, l’avocat de Mme Pao a soulevé deux points visant à appuyer l’opinion selon laquelle l’agent qui étudie une demande de carte RP a un tel pouvoir discrétionnaire. Je fais remarquer qu’aucune de ces observations n’a été présentée à l’agent ni incluse dans les observations écrites. En tout cas, ni l’un ni l’autre des points ne m’a convaincue de conclure que l’avis de l’agent à l’égard de sa compétence était déraisonnable dans les présentes circonstances.

[22] Tout d’abord, Mme Pao souligne que le premier agent qui a rejeté sa demande avait d’abord indiqué dans ses notes qu’il croyait que sa demande devrait être acceptée. Ses notes ne contenaient aucune autre explication à cet égard et, en fin de compte, l’agent a rejeté la demande. À mon avis, ce point ne permet pas de conclure que l’agent chargé d’examiner la demande de Mme Pao a fait abstraction d’une disposition dans la LIPR ou le RIPR qui lui donnait le pouvoir discrétionnaire d’annuler l’acceptation de la demande de renonciation.

[23] Deuxièmement, Mme Pao demande à la Cour de tenir compte du fait qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a adopté une politique selon laquelle les demandeurs n’ont plus à retourner leurs anciennes cartes RP avant qu’une nouvelle carte leur soit délivrée (Instructions et lignes directrices opérationnelles d’IRCC, ENF 27 à la p 41), même si cette exigence est énoncée à l’alinéa 59(1)d) du RIPR. Mme Pao fait valoir que l’existence de cette politique démontre qu’IRCC comprend qu’il a le pouvoir discrétionnaire de délivrer des cartes RP, même si toutes les conditions du paragraphe 59(1) ne sont pas réunies. Selon moi, cet argument n’aide pas la demanderesse. Il se peut que cette pratique/politique soit incompatible avec le paragraphe 59(1) du RIPR. Encore une fois, Mme Pao n’a invoqué aucune disposition de la LIPR ou du RIPR pour appuyer son opinion selon laquelle l’agent qui examine les demandes de carte RP a le pouvoir discrétionnaire d’annuler l’acceptation d’une demande de renonciation au statut de résident permanent.

[24] De plus, Mme Pao demande à la Cour d’établir une analogie avec les circonstances dans l’affaire Martinez Rodriguez, dans laquelle le juge Harrington a conclu que la Section d’appel de l’immigration [la SAI] était tenue d’examiner si la demanderesse avait véritablement donné son consentement en signant, au bureau des visas, le formulaire dans lequel elle avait abandonné tout droit d’appel dont elle aurait pu disposer devant la SAI et renoncé à son statut de résidente permanente. La SAI ne pouvait pas simplement conclure qu’elle n’avait pas compétence pour examiner l’affaire, au seul motif que la demanderesse avait renoncé à son statut de résidente permanente (Martinez Rodriguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 946 [Martinez Rodriguez]). Ces circonstances diffèrent de celles dans la présente affaire. La SAI est un organe d’appel qui tient des audiences de novo et qui peut envisager des mesures fondées sur l’équité; dans l’affaire Martinez Rodriguez, la renonciation au statut de résidente permanente était liée au fait que la demanderesse avait consenti à abandonner ses droits d’appel devant la SAI — les deux incidents s’étaient produits en même temps au bureau des visas. On ne peut pas en dire autant de la renonciation au statut de résident permanent et du processus de demande de carte RP en l’espèce.

[25] J’ai examiné attentivement si les motifs de l’agent devaient être écartés du fait qu’ils ne tenaient pas adéquatement compte des observations de Mme Pao. Mme Pao s’appuie sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vavilov, plus particulièrement sur l’énoncé selon lequel « [l]es principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » (aux para 127, 128).

[26] Je conviens que l’agent n’a pas explicitement dit qu’il ne pouvait pas considérer la renonciation comme nulle en raison des limites imposées par le paragraphe 59(1) du RIPR. Mais, dans ses motifs, l’agent a cerné les limites de sa compétence en énonçant les dispositions de la LIPR et du RIPR qui s’appliquaient lorsqu’un demandeur avait renoncé à son statut de résident permanent. Dans les observations qu’elle a soumises à l’agent et à la Cour, la demanderesse n’a invoqué aucune disposition de la LIPR ou du RIPR qui donnait à l’agent le pouvoir discrétionnaire de délivrer une carte RP, même si un demandeur avait renoncé à son statut de résident permanent. Les faits sous-jacents à la renonciation ne seraient pertinents que si Mme Pao avait démontré qu’une disposition dans la LIPR ou le RIPR donnait à l’agent ce genre de pouvoir discrétionnaire dans le cadre d’une demande de carte RP.

[27] Dans les présentes circonstances, je ne peux pas conclure qu’il y a lieu d’intervenir à l’égard de la décision de l’agent. Je conclus que la décision tient suffisamment compte des observations dont était saisi l’agent. La décision est transparente, intelligible et justifiée « au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles [l’agent était] assujetti » (Vavilov, au para 85).

[28] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[29] Les parties ont convenu qu’il n’y avait pas de question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1342-20

LA COUR STATUE :

  1. la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1342-20

 

INTITULÉ :

JUN YUAN PAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 octobre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 13 avril 2022

 

COMPARUTIONS :

Robert Y.C. Leong

 

Pour la demanderesse

Julio Paoletti

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lowe and Company

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.