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Date : 20220208


Dossier : IMM‑5536‑20

Référence : 2022 CF 158

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

CHANDRASEGARAN KALIRASAH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte et décision de lagent chargé de l’ERAR

[1] Le demandeur, Chandrasegaran Kalirasah, 56 ans, est un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule. Il est marié et a trois fils; son épouse et le benjamin demeurent au Sri Lanka, l’aîné a demandé l’asile en France, et le fils du milieu vit en Malaisie depuis 2019. M. Kalirasah sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 23 avril 2020, par laquelle un agent d’immigration principal [l’agent chargé de l’ERAR] a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] au motif qu’il ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait, soit celui de démontrer l’existence d’un risque prospectif, suivant l’article 96 ou les alinéas 97(1)a) et b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2] En 1983, un conflit ethnique armé opposant le gouvernement et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET] a éclaté dans le nord‑est du Sri Lanka. Le beau‑père de M. Kalirasah a été arrêté par l’armée sri‑lankaise et tué en 1985, et le frère de M. Kalirasah a été tué par des agresseurs non identifiés en octobre 1988. En juin 1990, alors que les violences reprenaient, M. Kalirasah et sa famille ont fui le Sri Lanka à destination de l’État du Tamil Nadu, en Inde, où ils ont vécu dans un camp de réfugiés jusqu’à ce que le gouvernement indien les force à retourner au Sri Lanka, en 1997. Avant leur retour, le père de M. Kalirasah, qui avait quitté l’Inde pour retourner au Sri Lanka, a été heurté par un véhicule de l’armée sri‑lankaise et est décédé en novembre 1996.

[3] En 1998, M. Kalirasah, ayant obtenu un contrat de travail de deux ans, est allé travailler en Arabie Saoudite, puis il est retourné au Sri Lanka en 2000, après avoir appris que son fils aîné était malade. Au début de 2002, M. Kalirasah s’est présenté aux élections du conseil local comme candidat indépendant affilié à un parti dirigé par M. Periyapody Sooriyamoorthy, qui représentait et défendait les intérêts de la population tamoule. M. Kalirasah affirme qu’il était toujours la cible de menaces de l’armée sri‑lankaise, mais qu’il a néanmoins continué à organiser des réunions, à distribuer des tracts et à installer des affiches dans la localité. En raison de sa participation à la campagne de M. Sooriyamoorthy, les forces armées sri‑lankaises ont usé de menaces contre M. Kalirasah pour l’inciter à cesser de tenir des réunions et à mettre fin à la campagne. Des candidats indépendants proposant une plateforme comparable dans des villages environnants ont également reçu des menaces du même ordre, et certains d’entre eux ont disparu ou ont été tués. Effrayé par ce qui se passait, M. Kalirasah a décidé de mettre fin à sa campagne, et les élections qui devaient se tenir en mars 2002 ont été annulées; peu après, son parti indépendant a été démantelé.

[4] En août 2002, M. Kalirasah, laissant derrière lui son épouse et leurs trois enfants, a quitté le Sri Lanka à destination de la Grèce muni d’un permis de travail temporaire. Il est demeuré en Grèce pendant deux ans, puis il est rentré au pays en 2004 pour aider des membres de sa famille touchés par le tsunami. De retour au pays, il a commencé à recevoir des appels téléphoniques suspects; un soir, des individus armés non identifiés ont frappé à sa porte, mais il a pu s’échapper avec sa famille par la porte arrière du domicile. Il affirme qu’il craignait pour sa vie et qu’il est donc retourné en Grèce, en mars 2005, laissant derrière lui son épouse et ses enfants. M. Kalirasah, muni d’un permis de travail temporaire, a ensuite passé environ 10 ans en Grèce. Il affirme que, pendant cette période, le chef du parti politique dont il avait été candidat en 2002 a été tué (en mai 2005) et qu’il a perdu un autre membre de sa famille en raison de la guerre au Sri Lanka (en 2009). Par ailleurs, le frère cadet de M. Kalirasah s’est vu reconnaître le statut de réfugié au Canada en 2006.

[5] M. Kalirasah est rentré au Sri Lanka en décembre 2015 afin de recevoir un traitement médical pour un problème cardiaque. Toutefois, deux mois plus tard, les menaces ont recommencé : quatre individus se sont présentés à son domicile alors qu’il était parti au marché. Ceux‑ci l’ont ensuite repéré au marché, mais M. Kalirasah a réussi à leur échapper. Il s’est caché chez sa belle‑fille, dans un village, et il y a planifié avec un passeur sa fuite du Sri Lanka à destination du Canada, où réside toujours son frère cadet.

[6] Il est retourné en Grèce une troisième fois en mai 2016, grâce à son permis de travail temporaire grec, et, avec l’aide du passeur, il a rejoint la France et ensuite le Panama, puis, de là, il a traversé le Costa Rica, le Nicaragua, le Honduras, le Guatemala et le Mexique, pour arriver aux États‑Unis en décembre 2016. Il est demeuré dans un centre de détention de l’immigration des États‑Unis jusqu’à ce qu’en juillet 2017, il parte en direction du Canada, où il est arrivé en août 2017; il a immédiatement demandé l’asile. Pendant qu’il était au centre de détention américain, M. Kalirasah a été informé par son frère que son fils aîné avait été attaqué et torturé par l’armée sri‑lankaise, qu’il avait ensuite été hospitalisé en raison de ses blessures, et qu’il avait finalement fui en France, où il avait demandé l’asile. Son deuxième fils a également été torturé, en 2019, et il a plus tard souffert d’une dépression qui l’a amené à tenter de s’enlever la vie; il réside maintenant en Malaisie.

[7] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile de M. Kalirasah le 17 novembre 2017 au motif qu’il n’avait pas établi son identité, mais elle n’a pas évalué le risque prospectif auquel il était exposé; la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée. Toutefois, la décision rendue par le commissaire de la SPR a été décrite comme un exemple flagrant de manque de sensibilité; ce dernier a pointilleusement disséqué tous les éléments de preuve que M. Kalirasah avait produits pour établir son identité, et la principale source de préoccupation était que la traduction anglaise du nom de M. Kalirasah n’était pas orthographiée de la même façon sur son passeport, sur les certificats de naissance, dans les lettres de son épouse et d’autres personnes qui soutenaient sa demande d’asile, dans la lettre de l’avocat américain de M. Kalirasah et dans un rapport biométrique produit aux États‑Unis. L’orthographe de la version anglaise du nom de M. Kalirasah variait nettement dans les divers documents, mais ce n’était pas la première fois que le nom d’une personne dans une langue qui n’utilise pas l’alphabet latin était altéré et, une fois traduit en anglais, écrit différemment d’un document à l’autre. Je suis conscient que M. Kalirasah n’a pas aidé sa cause lorsqu’il a tenté d’expliquer les différences – ce qui, tout compte fait, a eu une certaine incidence sur la décision de la SPR –, mais il est plutôt décevant de constater que la SPR n’a pas reconnu cette réalité culturelle et n’a pas fait suffisamment preuve d’indulgence pour mettre au clair les irrégularités concernant l’orthographe anglaise du nom de M. Kalirasah. Quoi qu’il en soit, la décision de la SPR n’est pas celle qui fait l’objet du présent litige.

[8] Après que la décision de la SPR eut été rendue, une mesure de renvoi a été prise, et M. Kalirasah s’est vu accorder l’occasion de présenter une demande d’ERAR. Même s’il était certainement loisible à l’agent chargé de l’ERAR d’accepter la nouvelle preuve que M. Kalirasah tentait de soumettre, conformément à l’alinéa 113a) de la Loi, pour démontrer qu’il était bien la personne qu’il disait être, il l’a refusée au motif que M. Kalirasah n’avait pas expliqué pourquoi les nouveaux documents, pourtant antérieurs à la décision de la SPR, n’étaient pas normalement accessibles au moment du rejet ou, s’ils l’étaient, pourquoi il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés à la SPR. M. Kalirasah a tenté de présenter en preuve une traduction de sa carte d’identité nationale du Sri Lanka – la SPR n’avait pas tenu compte de cette pièce d’identité, parce qu’aucune traduction n’y était jointe –, mais l’agent chargé de l’ERAR a jugé que la traduction n’était pas, en soi, un nouveau document parce qu’elle aurait pu être fournie à la SPR. M. Kalirasah a tenté de présenter une copie de sa carte d’identité de réfugié du Sri Lanka, qui a cependant été rejetée parce qu’elle n’avait pas été traduite en anglais ou en français, mais aussi parce qu’elle ne constituait pas un nouveau document, car elle était antérieure à l’audience devant la SPR. En ce qui concerne les lettres de l’épouse de M. Kalirasah, du juge de paix et d’un voisin de M. Kalirasah, qui attestent que M. Kalirasah est bien la personne qu’il dit être, l’agent chargé de l’ERAR les a également rejetées, parce qu’elles étaient des versions reformulées (portant une date différente) de lettres déjà rejetées par la SPR au motif qu’il ne s’agissait pas de pièces d’identité officielles du gouvernement ou qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’elles aient été présentées à la SPR au moment du rejet.

II. Analyse

[9] Si la vérification de l’identité de M. Kalirasah effectuée par l’agent chargé de l’ERAR était la question déterminante en l’espèce, je serais enclin à accueillir la présente demande de contrôle judiciaire; or, elle ne l’est pas. Après avoir conclu que M. Kalirasah ne s’était pas acquitté du fardeau d’établir son identité, comme le risque prospectif auquel il était exposé n’avait pas été apprécié par la SPR, l’agent chargé de l’ERAR a apprécié le risque auquel M. Kalirasah serait exposé s’il retournait au Sri Lanka.

[10] Devant moi, M. Kalirasah soulève trois arguments; il est inutile de traiter de la question des nouveaux documents qu’il a cherché à présenter pour établir son identité, puisque je ne considère pas qu’il s’agit de la question déterminante soulevée par la décision de l’agent chargé de l’ERAR. Il en va de même pour la question de savoir si l’agent chargé de l’ERAR a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne tenant pas une audience visant à permettre à M. Kalirasah de répondre aux préoccupations de l’agent chargé de l’ERAR en matière de crédibilité liées à ses pièces d’identité. Par conséquent, la seule question qui reste à trancher est celle du caractère raisonnable de la décision de l’agent chargé de l’ERAR : ce dernier a‑t‑il commis une erreur dans son appréciation de la preuve et du fait qu’il n’a pas apprécié le risque auquel serait exposé M. Kalirasah en tant que Tamoul? En outre, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16‑17 [Vavilov]). La Cour doit donc intervenir seulement si la décision à l’examen ne possède pas « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » et si la décision n’est pas justifiée « au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99).

[11] M. Kalirasah commence par invoquer l’arrêt Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1990] 3 CF 250 de la Cour d’appel fédérale [Salibian] à l’appui de la proposition selon laquelle l’appréciation de la crainte de persécution d’une personne doit tenir compte de la souffrance des personnes de son entourage avec qui elle est étroitement liée, et le sort réservé à des membres de la famille ou du groupe racial ou social d’une personne est le meilleur indicateur d’un préjudice possible pour elle. M. Kalirasah demande que j’examine les effets destructeurs de la guerre au Sri Lanka sur sa famille, et il affirme que l’agent chargé de l’ERAR aurait dû apprécier le risque de persécution auquel il serait exposé en gardant à l’esprit que son père, son beau‑père et son oncle ont été tués, et que ses deux fils ont été pris pour cibles.

[12] Il ne fait aucun doute que M. Kalirasah et sa famille ont grandement souffert de la guerre au Sri Lanka qui s’est terminée en 2009, et je souscris à la proposition énoncée dans l’arrêt Salibian, mais, en l’espèce, l’agent chargé de l’ERAR n’a pas négligé d’apprécier le contexte lié à l’allégation de M. Kalirasah. Cependant, tout bien considéré, la preuve ne suffisait pas à établir un risque prospectif : l’agent chargé de l’ERAR n’était tout simplement pas convaincu que M. Kalirasah s’était acquitté du fardeau d’établir qu’il serait exposé à un risque prospectif de persécution s’il devait retourner au Sri Lanka.

[13] L’agent chargé de l’ERAR a examiné la preuve, notamment les nouveaux documents soumis par M. Kalirasah concernant la question du risque prospectif, et il a conclu que ces documents établissaient les faits en question, mais qu’ils ne suffisaient pas à établir que M. Kalirasah serait toujours exposé à un risque au Sri Lanka.

[14] En ce qui concerne le registre des décès où figurent les noms de son père, de son beau‑père et de son oncle, l’agent chargé de l’ERAR a conclu qu’il établit leur décès, mais que M. Kalirasah n’avait pas indiqué qu’il serait personnellement exposé à un risque en raison de son lien avec eux ni qu’ils avaient été pris pour cibles en raison de leur lien avec lui. En ce qui concerne son engagement politique en 2002, l’agent chargé de l’ERAR a souligné que le parti de M. Kalirasah avait cessé ses activités et que plus de 18 ans s’étaient écoulés depuis l’annulation des élections, et il a conséquemment conclu que M. Kalirasah n’avait pas fourni suffisamment de renseignements ou d’éléments de preuve concernant ses activités politiques passées pour démontrer qu’il était exposé à un risque au Sri Lanka aujourd’hui en raison de celles‑ci. En ce qui concerne les incidents qui se sont produits en 2004 et en 2016, alors que M. Kalirasah était de retour dans son village au Sri Lanka, l’agent chargé de l’ERAR a conclu que la preuve ne suffisait pas à établir un lien entre eux et les activités politiques antérieures de M. Kalirasah. Après examen des documents, je ne suis pas persuadé que les conclusions de l’agent chargé de l’ERAR concernant ces questions sont de quelque façon déraisonnables.

[15] Pour ce qui est des événements de 2016 concernant le fils aîné de M. Kalirasah qui ont conduit à son hospitalisation et finalement à son départ à destination de la France, l’agent chargé de l’ERAR a jugé que la preuve ne suffisait pas à établir que l’attaque était attribuable ou liée de quelque manière à M. Kalirasah et qu’elle ne permettait pas d’affirmer que ce dernier était exposé à un risque prospectif. Devant moi, M. Kalirasah mentionne un passage de l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] dans lequel il rapporte s’être retrouvé dans un centre de détention aux États‑Unis et y avoir appris que son fils avait été battu par l’armée sri‑lankaise; il y déclare, en parlant de son fils : [TRADUCTION] « On l’a questionné à mon sujet. » M. Kalirasah affirme que cette simple phrase de l’exposé contenu dans son formulaire FDA établit que le sort réservé à son fils est lié à lui et à ses activités politiques passées. Je n’en suis pas convaincu. L’agent chargé de l’ERAR a pris soin de souligner que le document Attestation de demande d’asile reçu par le fils en France avait été soumis, mais qu’il ne contenait pas les renseignements sur lesquels se fondait la demande d’asile du fils et qu’il n’établissait pas que cette demande d’asile avait effectivement été accueillie. Aucune raison expliquant l’absence des renseignements sur lesquels se fondait la demande d’asile du fils n’a été fournie dans la demande d’ERAR de M. Kalirasah.

[16] Laissons de côté un instant la question de savoir si l’affirmation [traduction] « On l’a questionné à mon sujet » se rapporte aux activités politiques passées de M. Kalirasah ou à son profil en tant que Tamoul. Il me semble qu’attirer l’attention sur quelques mots du long exposé circonstancié sur lequel se fonde la demande d’asile de M. Kalirasah pour établir un lien entre le sort du fils et les activités politiques du père est un peu poussé dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, surtout quand il est difficile de savoir si ce passage a été porté à l’attention de l’agent chargé de l’ERAR au moment du rejet. Dans sa déclaration signée jointe à sa demande d’ERAR, M. Kalirasah n’a pas répété cette affirmation, mais il a simplement allégué que les situations vécues par sa famille, en particulier par ses fils, étaient liées à ses activités politiques passées. Il est regrettable que les renseignements sur lesquels se fondait la demande d’asile du fils présentée en France n’aient pas été inclus dans la demande d’ERAR de M. Kalirasah. Cependant, bien que M. Kalirasah affirme que les horreurs que sa famille a subies sont liées à ses affiliations politiques passées, aucun élément de preuve ne l’établit. Dans ces circonstances, je ne peux reprocher à l’agent chargé de l’ERAR d’avoir conclu que M. Kalirasah n’avait pas démontré qu’il serait toujours exposé à un risque en raison de ses activités politiques passées s’il devait retourner au Sri Lanka.

[17] En ce qui concerne la lettre de l’épouse de M. Kalirasah, dans laquelle cette dernière atteste l’attaque contre leur deuxième fils, l’agent chargé de l’ERAR a, encore là, accepté le fait qu’elle a eu lieu, tout comme l’hospitalisation, mais, comme dans le cas du fils aîné, il a accordé une faible valeur probante à la lettre relativement à la question du risque prospectif auquel M. Kalirasah était exposé. Je dois convenir que les raisons pour lesquelles le fils a été pris pour cible demeurent inconnues, et rien dans le récit des événements ou dans les dossiers hospitaliers n’établit un lien entre l’attaque et les activités politiques menées par M. Kalirasah de nombreuses années auparavant. De nouveau, je ne vois rien de déraisonnable dans les conclusions de l’agent chargé de l’ERAR.

[18] D’un point de vue plus général, l’agent chargé de l’ERAR a conclu que, même s’il acceptait le fait que M. Kalirasah avait été candidat aux élections en 2002, ce dernier avait fourni peu de renseignements sur les positions de ce parti politique indépendant, hormis lorsqu’il avait affirmé qu’il représentait les Tamouls. Aucun élément de preuve n’indique la portée et l’influence de ce parti au Sri Lanka, ni qu’il appuyait le séparatisme tamoul (la conseil de M. Kalirasah ayant d’ailleurs concédé qu’elle ne trouvait rien à cet égard dans le cartable national de documentation [le CND] sur le Sri Lanka), qu’il était lié au parti séparatiste des TLET au Sri Lanka ou que son chef avait réellement été tué : aucun article de presse ou aucun autre élément de preuve objectif n’avaient été présentés pour étayer de telles affirmations. Il ne revenait certainement pas à l’agent chargé de l’ERAR de fouiller dans les centaines de pages du CND, contrairement à ce qu’a laissé entendre M. Kalirasah, pour trouver des éléments à l’appui de l’allégation de ce dernier concernant un parti marginal, très local et très rural qui n’aurait existé que pendant quelques mois il y a plus de 20 ans.

[19] M. Kalirasah invoque la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 [Maldonado], à l’appui de la présomption de véracité et de la proposition qu’un tribunal agit arbitrairement s’il met en doute, sans motifs valables, la crédibilité d’un demandeur d’asile, et il soutient que l’agent chargé de l’ERAR a commis une erreur lorsqu’il a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité en se fondant sur l’absence d’éléments de preuve corroborants (Bagri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8138 (CF) au para 11; Maldonado à la p 305; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 162 au para 28; Ortega Ayala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 611 aux para 19‑21). J’accepte la proposition en ce qui concerne les événements que M. Kalirasah et sa famille ont vécus, mais je rejette l’hypothèse de M. Kalirasah en ce qui concerne les risques prospectifs auxquels il serait exposé s’il retournait au Sri Lanka. Jamais dans sa décision l’agent chargé de l’ERAR n’a remis en question les affirmations de M. Kalirasah à propos de ce que sa famille et lui avaient vécu ou de ses activités politiques passées. En fait, l’agent chargé de l’ERAR a tout simplement jugé que peu d’éléments permettaient à M. Kalirasah d’extrapoler la preuve, comme il le voulait, pour montrer que ce que ses fils avaient vécu plus récemment était d’une certaine manière lié à ses activités politiques. Au contraire de la situation décrite dans la décision Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968, une preuve corroborante n’a pas été exigée pour éviter une conclusion défavorable en matière de crédibilité.

[20] Je ne souscris pas non plus à l’affirmation de M. Kalirasah selon laquelle l’agent chargé de l’ERAR a rejeté des éléments de preuve en raison « de ce qu’ils ne disent pas » et a complètement ignoré « ce qu’ils disent » (Njeru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1281 au para 73). L’agent chargé de l’ERAR a accepté les éléments de preuve et tenu compte de ce qu’ils disent, mais il n’a pas jugé qu’ils étayaient suffisamment ce que M. Kalirasah voulait qu’ils disent, à savoir que les attaques contre ses fils étaient liées à lui. Il y a une différence entre une situation où un agent chargé de l’ERAR n’accorde aucune valeur à un document parce que certains détails y figurent et que d’autres en sont absents, et celle en l’espèce, où l’agent chargé de l’ERAR a jugé que les documents établissaient seulement certains faits qui, à eux seuls, ne suffisaient pas à démontrer que M. Kalirasah serait toujours exposé à un risque s’il devait retourner au Sri Lanka. La preuve n’établissait tout simplement pas de lien entre ce qui a été allégué en l’espèce et le risque prospectif auquel M. Kalirasah était exposé, et je ne vois rien de déraisonnable dans la décision de l’agent chargé de l’ERAR d’accorder peu de valeur probante à la preuve concernant l’existence d’un tel risque.

[21] D’après M. Kalirasah, l’agent chargé de l’ERAR n’a pas considéré la preuve dans son intégralité, parce qu’il n’a pas apprécié les effets cumulatifs des documents et qu’il n’a fait qu’une « lecture sélective de la preuve » (Alvarado c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 255 au para 2). Cependant, je conviens avec le ministre que M. Kalirasah n’a tout simplement pas fourni une preuve suffisante pour démontrer qu’il serait exposé à un risque prospectif s’il retournait au Sri Lanka, et qu’il demande à la Cour de pondérer la preuve à nouveau dans le cadre du contrôle judiciaire (Ogbonna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 93 au para 16). Le fardeau d’étayer suffisamment une allégation incombe au demandeur. M. Kalirasah devait fournir à l’agent chargé de l’ERAR « tous les éléments de preuve qui permet[taient] à ce dernier de prendre une décision » (Nhengu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 913 au para 6, citant Lupsa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 311 au para 12).

[22] En outre, M. Kalirasah soutient que le risque auquel il serait exposé en raison de son profil en tant que Tamoul n’a pas été apprécié par l’agent (Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 244 au para 12) et que la preuve objective sur le pays à cet égard n’a pas non plus été appréciée par l’agent, alors que ce dernier était tenu d’examiner la situation actuelle au Sri Lanka (Ampong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 35 aux para 39‑40). L’agent chargé de l’ERAR s’est appuyé sur le CND et a examiné les conditions au pays, puis il a jugé que la preuve objective de M. Kalirasah ne suffisait pas à démontrer qu’il présenterait, en raison de son profil, un intérêt particulier pour les autorités au Sri Lanka. Dans ses observations écrites, M. Kalirasah s’appuie sur certains documents du CND qui sont postérieurs à la décision de l’agent chargé de l’ERAR; je ne vois pas comment il pourrait être raisonnable de s’attendre à ce que l’agent chargé de l’ERAR se soit appuyé sur ces documents. L’agent chargé de l’ERAR n’a pas négligé d’examiner la situation dans le pays; il a raisonnablement jugé que la preuve concernant la situation dans le pays ne permettait pas d’affirmer que M. Kalirasah était exposé à un risque au Sri Lanka en raison de son profil.

[23] Enfin, M. Kalirasah affirme qu’en se concentrant sur ses activités politiques, l’agent chargé de l’ERAR a apprécié d’une façon déraisonnablement limitée le risque personnalisé auquel il était exposé, et que, par conséquent, l’agent chargé de l’ERAR n’a pas apprécié le risque auquel il serait exposé en tant que demandeur d’asile débouté de retour au pays (Gunaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 358 aux para 53‑54). Cependant, M. Kalirasah n’avait pas soulevé cet élément de risque dans sa demande d’ERAR, alors il m’est difficile de reprocher à l’agent chargé de l’ERAR de ne pas en avoir traité.

[24] Somme toute, à l’égard des conclusions concernant la question déterminante, soit le risque prospectif auquel était exposé M. Kalirasah, je ne juge pas que la décision de l’agent chargé de l’ERAR est déraisonnable.

[25] En terminant, j’ajouterais que je ne vois pas en quoi l’agent chargé de l’ERAR aurait manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas une audience pour traiter des préoccupations en matière de crédibilité concernant le risque auquel M. Kalirasah serait exposé s’il retournait au Sri Lanka. Comme je l’ai mentionné, aucune préoccupation en matière de crédibilité n’a été exprimée par l’agent chargé de l’ERAR, qui, tout simplement, n’a accordé que peu de valeur probante, sinon aucune, à la preuve liée au risque prospectif auquel M. Kalirasah était exposé, suivant l’article 96 et le paragraphe 97(1). Par conséquent, l’agent chargé de l’ERAR n’avait pas à tenir une audience.

III. Conclusion

[26] Je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5536‑20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5536‑20

 

INTITULÉ :

CHANDRASEGARAN KALIRASAH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 décembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 février 2022

 

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman

 

POUR LE DEMANDEUR

Daniel Engel

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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