Dossier : IMM‑2203‑20
Référence : 2021 CF 1271
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2021
En présence de monsieur le juge Southcott
ENTRE :
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PRIMARE INTERNATIONAL LTD.
et NADA AL ZAYED
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demanderesses
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et
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LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1] Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision reçue le 28 février 2020, par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté une demande de parrainage en vue de la résidence permanente au titre du programme de parrainage communautaire de réfugiés [la décision]. L’agent a conclu que la demande ne renfermait aucun document émanant du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le HCR] ou d’un État étranger reconnaissant à l’étranger le statut de réfugié, et que, de ce fait, elle ne satisfaisait pas aux exigences prévues à l’alinéa 153(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002‑227 [le Règlement]. L’agent a aussi rejeté la demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par les demanderesses.
[2] Comme il est expliqué plus en détail ci‑après, la présente demande est accueillie, parce que l’agent n’a pas tenu compte de l’argument des demanderesses selon lequel l’alinéa 153(1)b) du Règlement n’est pas exécutoire et parce qu’il a omis de procéder à une analyse intelligible de l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse principale.
II.
Contexte
[3] En l’espèce, les demanderesses sont Nada Al Zayed [la demanderesse principale] et Primare International Ltd. [Primare]. La demanderesse principale, son mari et leurs trois enfants sont des ressortissants syriens qui, en décembre 2012, ont fui vers l’Égypte afin d’échapper à la violence et aux bouleversements causés par la révolte et la guerre civile en Syrie. Primare est une entreprise détenue par le frère de la demanderesse principale, un citoyen canadien, qui cherche à parrainer sa sœur et la famille de celle‑ci afin qu’ils puissent venir au Canada en tant que réfugiés.
[4] La demanderesse principale et les membres de sa famille vivent actuellement au Caire, en Égypte. Ils soutiennent qu’ils ne peuvent pas retourner en Syrie, parce que le pays demeure dangereux et qu’il est toujours le théâtre d’attaques menées par des extrémistes et des groupes de rebelles. La demanderesse principale ajoute que le système d’éducation s’est effondré et qu’elle craint que ses enfants ne puissent pas poursuivre leurs études. En outre, s’ils sont renvoyés en Syrie, elle craint que l’entreprise de textile de son mari ne survive pas, puisque la plupart de ses clients, qui se trouvent en Europe, ne pourront plus faire d’achats auprès de l’entreprise en raison des sanctions économiques imposées à la Syrie. Enfin, la demanderesse principale a peur que son fils, qui a eu 18 ans en juin 2021, soit assujetti au service militaire obligatoire s’il retourne en Syrie.
[5] La demanderesse principale et les membres de sa famille affirment se heurter continuellement à des difficultés en Égypte. Ils doivent renouveler leur statut tous les 12 mois et ils craignent que le gouvernement égyptien finisse par révoquer le statut des Syriens. Ils affirment qu’il n’y a aucun moyen pour eux d’obtenir la résidence permanente ou la citoyenneté en Égypte. La demanderesse principale soutient que ses enfants ont du mal à accéder à l’éducation postsecondaire et qu’ils n’ont pas de droit à l’emploi, ce qui pose problème étant donné qu’ils approchent de l’âge adulte. Elle ajoute que la pandémie de COVID‑19 a entraîné la fermeture de l’entreprise de son mari.
[6] De 2012 à 2018, les membres de la famille ont vécu en Égypte en tant que résidents temporaires munis de visas non touristiques. En octobre 2018, ils se sont inscrits auprès du HCR et ils ont obtenu ce que l’on appelle la [traduction] « carte jaune »
, un document produit par le HCR pour attester l’inscription en tant que demandeur d’asile. La demanderesse principale et les membres de sa famille ont tenté d’obtenir la [traduction] « carte bleue »
, officiellement reconnue comme étant la preuve du statut de réfugié [la PSR]. Toutefois, en raison d’une entente conclue entre le HCR et le gouvernement égyptien en 2018, la PSR n’est pas automatiquement octroyée aux ressortissants syriens inscrits auprès du HCR en Égypte. Le HCR procède à la détermination du statut de réfugié pour les ressortissants de toutes les nationalités en Égypte à l’exception des Syriens, lesquels ne font l’objet d’une évaluation de leur statut que lorsque le HCR envisage leur réinstallation dans le cadre d’une initiative parrainée par le gouvernement.
[7] En août 2018, la demanderesse principale et les membres de sa famille ont présenté une demande pour immigrer au Canada en tant que réfugiés au titre du programme de parrainage communautaire, en indiquant Primare comme répondante proposée. Dans le cadre de ce programme, l’alinéa 153(1)b) du Règlement exige qu’une demande de parrainage soit accompagnée d’un « document émanant du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ou d’un État étranger reconnaissant à l’étranger le statut de réfugié selon les règles applicables par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ou les règles de droit applicables de l’État étranger [...] »
. La demande a été rejetée du fait que la demanderesse principale n’avait pas de PSR. Les demanderesses ont demandé une dispense de cette exigence pour des motifs d’ordre humanitaire, mais cette demande a aussi été rejetée au motif qu’elles ne pouvaient pas obtenir de dispense dans leur situation.
[8] Les demanderesses ont présenté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire, à la suite de laquelle le décideur a accepté de réexaminer la décision et de leur donner l’occasion de présenter des observations supplémentaires. Les avocates des demanderesses ont présenté des observations dans une lettre datée du 29 janvier 2020 [les observations des demanderesses]. Dans la décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, l’agent a une fois de plus rejeté la demande de parrainage, y compris la demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaires.
III.
Décision faisant l’objet du contrôle
[9] Dans la lettre dans laquelle il fait part de sa décision, l’agent mentionne que, puisque la demande de parrainage n’inclut pas une PSR comme l’exige l’alinéa 153(1)b) du Règlement, il n’est pas convaincu que les exigences prévues par le Règlement sont respectées. Il ressort aussi des notes consignées par l’agent relativement à la décision dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] que la demande a été rejetée en raison de l’absence d’une PSR valide. En ce qui concerne la demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], l’agent souligne les facteurs suivants qui ont été soulevés :
La demanderesse principale et les membres de sa famille ont un statut de résidents temporaires en Égypte qu’ils doivent renouveler, non sans difficultés pratiques, tous les six mois, et ils n’ont aucun moyen d’obtenir la résidence permanente ou la citoyenneté.
Les enfants de la demanderesse principale sont dans l’impossibilité de poursuivre des études postsecondaires en Égypte en raison de leur statut temporaire dans le pays.
La demanderesse principale et les membres de sa famille ne sont pas en mesure d’obtenir des PSR en Égypte, parce qu’ils sont de nationalité syrienne et que les PSR ne sont octroyées par le HCR qu’à des fins de réinstallation.
Ils ne peuvent pas retourner en Syrie en raison de l’instabilité persistante et de la crainte que le fils de la demanderesse principale soit forcé de s’enrôler dans l’armée syrienne.
Ils se heurtent à des difficultés sociales et économiques en Égypte.
L’entreprise de textile que possède le mari de la demanderesse principale en Égypte est plus petite que celle qu’il possédait en Syrie, et il ne peut pas étendre ses activités commerciales en raison de son statut temporaire en Égypte.
La demanderesse principale a un frère, qui est propriétaire de l’entreprise qui les parraine, et une sœur au Canada.
[10] L’agent fait ensuite l’analyse suivante de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire :
[traduction]
Il ne fait aucun doute que le conflit perdure en Syrie, et je reconnais qu’il y a lieu de craindre la conscription pour Ghaith, le fils de la demanderesse principale, qui aura 18 ans en juin 2021. Je souligne que, bien que deux des membres de la famille de la demanderesse principale se trouvent au Canada, ses parents se trouvent en Syrie, une de ses sœurs se trouve au Liban et une autre se trouve en Turquie. En outre, la mère et cinq des frères et sœurs de son mari se trouvent en Syrie et un autre des frères de celui‑ci se trouve au Caire. La demanderesse et les membres de sa famille peuvent donc compter sur du soutien familial dans la région ainsi qu’en Égypte. La demanderesse principale et les membres de sa famille vivent actuellement une situation semblable à celle d’autres Syriens qui ont fui leur pays vers d’autres pays du Moyen‑Orient. Les enfants de la demanderesse principale vivent eux aussi une situation semblable à celle des autres enfants qui ont fui la Syrie avec leurs parents. Entre autres choses, la demanderesse principale et les membres de sa famille se heurtent à des difficultés sociales et économiques, ils n’ont aucun moyen d’obtenir la résidence permanente ou la citoyenneté, les enfants ne sont pas autorisés à fréquenter les établissements publics d’enseignement postsecondaire et ils ne sont pas en mesure d’obtenir des PSR auprès du HCR ou du gouvernement hôte. Toutefois, ils réussissent à renouveler leur statut de résidents temporaires en Égypte depuis décembre 2012. En outre, le mari de la demanderesse principale a été autorisé à travailler et à transférer son entreprise de fabrication de textile de la Syrie vers l’Égypte, et il est en mesure de soutenir financièrement la demanderesse principale et leurs enfants. De plus, la demanderesse dispose d’une autre option viable à explorer sur le plan de la réinstallation, soit la possibilité d’être parrainée par un SEP. Elle ne serait alors pas tenue de posséder une PSR pour pouvoir présenter une demande de parrainage.
[11] L’agent a conclu que les motifs d’ordre humanitaire ne suffisaient pas à justifier une dispense de l’obligation de joindre une PSR valide à une demande de parrainage communautaire.
IV.
Questions en litige
[12] Les demanderesses soumettent les questions suivantes à l’examen de la Cour :
L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas à la demanderesse principale le statut de réfugié, sur le fondement de l’entente conclue entre le HCR et l’Égypte et de la présomption d’inclusion dans les mouvements massifs de réfugiés?
L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en exigeant de la demanderesse principale qu’elle produise une PSR malgré le fait que cette exigence ne pouvait être respectée ni par elle ni par aucun autre ressortissant syrien en Égypte cherchant à devenir résident permanent au Canada au titre du programme de parrainage communautaire?
L’agent a‑t‑il agi de façon déraisonnable ou a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit en concluant que les motifs d’ordre humanitaire soulevés par les demanderesses ne suffisaient pas à justifier une dispense de l’exigence prévue par le Règlement?
V.
Norme de contrôle
[13] Les demanderesses soutiennent que la Cour devrait examiner les deux premières questions, qui concernent l’interprétation législative du Règlement, selon la norme de la décision correcte. Citant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], elles font valoir que ces questions sont visées par l’une des exceptions limitées qui, de l’avis de la Cour suprême du Canada, exigent un degré d’examen supérieur puisqu’il s’agit de questions de droit d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Elles considèrent que la portée de ces questions déborde du cadre du seul droit de l’immigration puisqu’elles font intervenir des principes généraux de justice et d’équité, ce qui justifie l’application de la norme de la décision correcte. Les demanderesses reconnaissent que la troisième question commande l’application de la norme de la décision raisonnable.
[14] Le défendeur soutient que toutes les questions soulevées dans la présente demande commandent l’application par défaut de la norme de la décision raisonnable, tel qu’il est établi dans Vavilov.
[15] Comme il est expliqué dans Vavilov, la norme de la décision raisonnable est présumée être la norme applicable lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative (au para 16). Cette présomption peut être réfutée lorsque le législateur a indiqué qu’il souhaite l’application d’une norme différente ou lorsque la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte. Cette dernière situation s’applique à certaines catégories de questions, soit les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (au para 17).
[16] Il est aussi expliqué dans Vavilov que le simple fait qu’une question soit d’intérêt général ou qu’elle porte sur un enjeu important ne suffit pas pour qu’elle soit considérée comme une question d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Cette catégorie concerne plutôt les questions qui exigent une réponse unique et définitive, par exemple lorsqu’une procédure administrative est prescrite par l’application des doctrines de l’autorité de la chose jugée et de l’abus de procédure ou lorsque les questions concernent la portée de l’obligation de neutralité religieuse de l’État, le bien‑fondé des limites du secret professionnel de l’avocat ou la portée du privilège parlementaire (aux para 60‑62).
[17] Les deux premières questions soulevées par les demanderesses ont trait à l’interprétation de l’alinéa 153(1)b) du Règlement, à son application aux faits de l’espèce et aux arguments sur les principes d’interprétation législative, y compris sur l’effet de la maxime juridique « lex non cogit ad impossibilia ant in utilia »
(qui, en gros, signifie que la loi n’oblige personne à faire quelque chose d’impossible) [le principe de l’impossibilité]. Les demanderesses soulèvent ces arguments dans le contexte des obligations internationales du Canada au titre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés des Nations Unies, RT Can 1969 no 6 [la Convention].
[18] Je conclus que la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique à ces questions n’est pas écartée. Ces questions ont trait à l’interprétation législative faite par un décideur administratif et doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable (voir Vavilov, au para 115). À mon avis, le fait que les demanderesses invoquent le principe de l’impossibilité, les obligations du Canada en vertu de la Convention et les principes de justice ou d’équité en tant qu’outils permettant d’éclairer la question d’interprétation législative dont est saisi le décideur ne permet pas de conclure que les questions soulevées sont d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble.
[19] Je conclus donc que la norme de la décision raisonnable s’applique à toutes les questions soulevées dans la présente demande.
VI.
Analyse
A.
L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en ne reconnaissant pas à la demanderesse principale le statut de réfugié, sur le fondement de l’entente conclue entre le HCR et l’Égypte et de la présomption d’inclusion dans les mouvements massifs de réfugiés?
[20] Pour soulever cette question, les demanderesses s’appuient sur le fait que la demanderesse principale et les membres de sa famille détiennent des cartes jaunes, qui attestent de leur inscription auprès du HCR, ainsi que sur l’approche adoptée relativement à la délivrance de PSR aux ressortissants syriens en Égypte suivant une entente informelle conclue entre le HCR et le gouvernement de l’Égypte. Dans la fiche de renseignements publiée par le HCR en juin 2018, il est mentionné ce qui suit :
[traduction]
Le HCR procède à la détermination du statut de réfugié (DSR) pour les réfugiés de toutes les nationalités à l’exception des Syriens. Les ressortissants syriens sont considérés comme des réfugiés et ne font l’objet de la DSR que lorsque leur réinstallation est envisagée, suivant l’approche régionale et l’entente informelle conclue entre le HCR et le gouvernement de l’Égypte.
[21] Essentiellement, les demanderesses soutiennent que, puisque tous les ressortissants syriens inscrits en Égypte sont considérés comme des réfugiés, les cartes jaunes délivrées à la demanderesse principale et aux membres de sa famille répondent à l’exigence prévue à l’alinéa 153(1)b) du Règlement.
[22] La lettre dans laquelle l’agent fait part de sa décision et les notes afférentes consignées dans le SMGC ne démontrent aucunement que cet argument a été pris en compte. Toutefois, je ne puis conclure que la décision est, de ce fait, déraisonnable, puisque le dossier ne démontre pas que cet argument a été soulevé devant l’agent.
[23] Les demanderesses font valoir que l’agent est censé être au fait du droit applicable et des conditions qui règnent dans la région, y compris des circonstances particulières propres aux ressortissants syriens, et qu’il était tenu de se pencher sur la question de savoir si, dans ces circonstances, les cartes jaunes répondaient à l’exigence prévue à l’alinéa 153(1)b), et ce, même si aucun argument n’avait expressément été soulevé à ce sujet. Pour examiner cette observation, j’ai tenu compte des indications données dans Vavilov quant à l’importance d’exercer un contrôle selon la norme de la décision raisonnable dans le contexte des arguments que les parties ont soulevés devant le décideur administratif (aux para 106, 127‑128).
[24] Dans leurs observations, les demanderesses soulèvent deux arguments principaux à l’appui de leur position selon laquelle la demande de résidence permanente devrait être approuvée. D’abord, elles affirment que l’exigence relative à la PSR prévue à l’alinéa 153(1)b) du Règlement est invalide sur le plan juridique, puisqu’il est impossible pour les ressortissants syriens en Égypte de s’y conformer. Ensuite, elles affirment que cette exigence peut être écartée pour des motifs d’ordre humanitaire. Comme la position des demanderesses repose sur l’incapacité de la demanderesse principale et des membres de sa famille à se conformer à l’exigence prévue à l’alinéa 153(1)b) du Règlement, je ne puis conclure qu’il était déraisonnable pour l’agent de ne pas tenir compte d’un autre argument, qui n’avait pas été soulevé par les demanderesses, selon lequel l’exigence était bel et bien respectée du fait que les membres de la famille détenaient des cartes jaunes.
[25] Je conclus donc que la première question soulevée par les demanderesses ne mine pas le caractère raisonnable de la décision.
B.
L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en exigeant de la demanderesse principale qu’elle produise une PSR malgré le fait que cette exigence ne pouvait être respectée ni par elle ni par aucun autre ressortissant syrien en Égypte cherchant à devenir résident permanent au Canada au titre du programme de parrainage communautaire?
[26] Dans le cadre de cette deuxième question, les demanderesses soutiennent que l’agent a commis une erreur en exigeant que les membres de la famille de la demanderesse principale se conforment à l’exigence prévue à l’alinéa 153(1)b) du Règlement comme condition au traitement de leur demande de résidence permanente. Invoquant l’impossibilité pour les demandeurs d’asile qui se trouvent dans une situation semblable de se conformer à cette exigence, les demanderesses s’appuient sur les principes d’interprétation législative, y compris sur les obligations internationales du Canada, pour faire valoir que l’alinéa 153(1)b) est invalide et non exécutoire.
[27] Comme dans le cadre de la première question, la lettre dans laquelle l’agent fait part de sa décision et les notes afférentes consignées dans le SMGC ne démontrent pas que cet argument a été pris en compte. L’agent mentionne simplement que la demanderesse principale et les membres de sa famille ne possèdent pas de PSR valides et qu’ils ne répondent donc pas à l’exigence prévue à l’alinéa 153(1)b). Cependant, contrairement à la première question, la deuxième question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire a directement été soulevée par les demanderesses dans les observations qu’elles ont présentées à l’agent. M’appuyant de nouveau sur les principes énoncés dans Vavilov cité précédemment, je conclus que la décision est déraisonnable, puisqu’elle ne tient pas compte de l’un des arguments principaux des demanderesses.
[28] Pour en arriver à cette conclusion, j’ai pris en compte la position du défendeur selon laquelle la décision doit être interprétée dans le contexte dans lequel la demande avait été présentée à l’agent. Comme il a déjà été mentionné dans les présents motifs, les demanderesses avaient précédemment présenté, sans succès, une demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Selon ce que je comprends du contexte, cette demande a été rejetée à tort parce qu’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire ne pouvait légalement pas être accordée; la décision défavorable a donc été annulée et les demanderesses se sont vu offrir la possibilité de présenter des observations supplémentaires. Je souscris à la position du défendeur selon laquelle, dans les observations qu’elles ont présentées à la suite de ces événements, les demanderesses ont complété leur argumentation en ce qui a trait aux motifs d’ordre humanitaire et ajouté l’argument selon lequel l’alinéa 153(1)b) n’était pas exécutoire. Cependant, le défendeur n’a rien relevé dans ce contexte factuel qui, à mon avis, empêcherait les demanderesses d’élargir leurs arguments ou qui justifierait que l’agent ait refusé de tenir compte du nouvel argument avancé.
[29] Je m’abstiens de me prononcer sur le bien‑fondé de l’argument des demanderesses. Comme il a été établi dans Vavilov, le contrôle judiciaire d’une décision administrative selon la norme de la décision raisonnable tient compte de la justification de la décision qui fait l’objet du contrôle. En l’absence d’une analyse faite par l’agent de l’argument avancé par les demanderesses, la Cour ne se penchera pas sur cet argument.
C.
L’agent a‑t‑il agi de façon déraisonnable ou a‑t‑il commis une erreur de fait ou de droit en concluant que les motifs d’ordre humanitaire soulevés par les demanderesses ne suffisaient pas à justifier une dispense de l’exigence prévue par le Règlement?
[30] Ma décision de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire repose principalement sur la question qui vient tout juste d’être traitée. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner en détail les arguments avancés par les demanderesses en ce qui a trait à l’analyse faite par l’agent de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cependant, je souhaite ajouter brièvement que je souscris à l’argument des demanderesses selon lequel l’agent n’a pas procédé à une analyse de l’intérêt supérieur des enfants.
[31] Les notes consignées dans le SMGC font état d’un certain nombre de facteurs soulevés par les demanderesses relativement à l’intérêt supérieur des enfants et, au moment de conclure que les motifs d’ordre humanitaire ne suffisent pas à justifier une dispense de l’exigence prévue à l’alinéa 153(1)b), l’agent mentionne avoir pris en compte l’intérêt supérieur des enfants. Toutefois, la décision ne contient aucune analyse qui démontre ce que l’agent a jugé être dans l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse principale ni comment cet intérêt a été évalué ou autrement pris en compte. L’absence d’une analyse intelligible de l’intérêt supérieur des enfants constitue une raison de plus pour moi de conclure que la décision est déraisonnable.
VII.
Questions proposées aux fins de certification
[32] Les demanderesses proposent les trois questions suivantes aux fins de certification :
Lorsque l’asile est accordé à une catégorie de personnes, en l’espèce les Syriens réfugiés en Égypte, suivant une entente conclue entre le HCR et l’État d’accueil temporaire, un agent des visas est‑il tenu de traiter le document d’inscription auprès du HCR comme un
« document émanant du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ou d’un État étranger reconnaissant à l’étranger le statut de réfugié selon les règles applicables par le Haut‑Commissariat des Nations Unies »
en accord avec l’État d’accueil temporaire, en l’absence de toute conclusion selon laquelle la personne n’a pas qualité de réfugié?Le principe de l’impossibilité oblige‑t‑il l’agent des visas à dispenser un demandeur et un répondant (dans le cadre d’un parrainage communautaire, comme en l’espèce, mais aussi d’un parrainage par un groupe de cinq personnes) de l’exigence, prévue au paragraphe 31(1) de la LIPR et à l’alinéa 153(1)b) du Règlement, de produire une PSR émanant du HCR lorsqu’il est publiquement connu qu’une PSR ne peut pas être obtenue par une catégorie de personnes dont le demandeur fait partie? Subsidiairement, s’il est impossible pour un demandeur de répondre à l’exigence de produire une PSR, prévue au paragraphe 31(1) de la LIPR et à l’alinéa 153(1)b) du Règlement, parce que les personnes de la catégorie à laquelle il appartient ne sont pas admissibles à une PSR, même si le demandeur et les personnes faisant partie de la même catégorie sont réputés être des réfugiés, un agent des visas est‑il tenu, sur requête du demandeur, de considérer ce fait comme un facteur déterminant au moment d’examiner une demande de dispense de cette exigence présentée au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR?
L’agent d’immigration a‑t‑il commis une erreur de droit du fait de l’exercice erroné de son pouvoir discrétionnaire pour motifs d’ordre humanitaire prévu au paragraphe 25(1) de la LIPR en diminuant l’importance des expériences individuelles de la demanderesse principale et de ses enfants lorsqu’il a établi une comparaison, fondée sur aucun fait, avec les expériences des nombreux autres Syriens qui ont fui le conflit qui fait rage dans leur pays d’origine, contrairement au raisonnement de la Cour suprême dans Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61; en favorisant le soutien familial à l’extérieur du Canada plutôt que la réunification de la famille au Canada, contrairement aux objectifs énoncés à l’article 3 de la Loi; ainsi qu’en justifiant le rejet des motifs d’ordre humanitaire par la prétendue existence d’un autre recours illusoire auquel les demanderesses ont tenté en vain d’accéder?
[33] Le défendeur s’oppose à la certification de ces questions.
[34] La loi prévoit que la Cour ne doit pas certifier une question en vue d’un appel si la réponse à cette question ne permettrait pas de trancher un appel interjeté à l’encontre de la décision de la Cour. En l’espèce, la décision d’accueillir la demande de contrôle judiciaire ne repose sur aucune des réponses de fond aux questions proposées. La Cour refuse donc de certifier ces questions.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑2203‑20
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.
« Richard F. Southcott »
Juge
Traduction certifiée conforme
Geneviève Bernier
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑2203‑20
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INTITULÉ :
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PRIMARE INTERNATIONAL LTD. ET NADA AL ZAYED c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 25 OCTOBRE 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE SOUTHCOTT
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 19 NOVEMBRE 2021
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COMPARUTIONS :
Barbara Jackman
Charlotte M. Janssen
|
Pour les demanderesses
|
James Todd
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman & Associates
Toronto (Ontario)
Janssen Law Professional Corporation
Toronto (Ontario)
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Pour les demanderesses
|
Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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Pour le défendeur
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