Date : 20000426
Dossier : IMM-884-99
Winnipeg (Manitoba), le 26 avril 2000
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL
ENTRE :
DOUGLAS GILLESPIE
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE CAMPBELL
[1] La présente demande de contrôle judiciaire conteste la décision qu'une agente d'immigration supérieure a prise en février 1999 en vertu du par. 114(2) de la Loi sur l'immigration (la Loi) concernant la question de savoir s'il y avait, à ce moment-là , des motifs d'ordre humanitaire dispensant le demandeur de l'application du règlement pris en vertu de la Loi.
[2] On a convenu que la norme de contrôle que la Cour suprême du Canada a énoncée dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration)[1] consiste à savoir si la décision est déraisonnable.
[3] Pour déterminer le processus par lequel on peut répondre à cette question, Madame le juge L'Heureux-Dubé donne la directive suivante, au paragraphe 63 de l'arrêt Baker :
(3) La décision était-elle déraisonnable?
J'examinerai maintenant si la décision dans la présente affaire, et l'interprétation par l'agent d'immigration de l'étendue du pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré, étaient déraisonnables au sens où l'entend le juge Iacobucci dans l'arrêt Southam, précité, au par. 56:
Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve.
[4] À mon avis, la décision qui a été prise en l'espèce n'est étayée par aucun motif capable de résister à « un examen assez poussé » .
[5] On a convenu que les motifs de l'agente d'immigration supérieure se trouvent dans une note de service datée du 5 février 1999. Ces motifs contiennent les observations et la conclusion suivantes :
[TRADUCTION] Monsieur Gillespie a dit qu'il souffrirait psychologiquement et physiquement par suite de la perte d'un soutien affectif au Canada. Cependant, des membres de sa famille vivent toujours dans son pays de naissance, dont plusieurs frères et soeurs qui se trouvent en Écosse.
Monsieur Gillespie a dit que sans ses réseaux de soutien, il souffrirait également sur les plan psychologique et physique; cependant, des réseaux similaires, tels des groupes AA et des organisations liées à des églises, devraient exister en Écosse.
. . .
Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas convaincu qu'il existe suffisamment de motifs d'ordre humanitaire pour dispenser M. Gillespie du visa nécessaire pour demander le droit de s'établir au Canada sans quitter le pays. Monsieur Gillespie ne subirait pas de difficultés excessives et inhabituelles en obtenant un visa d'immigration selon les procédures habituelles, à l'extérieur du Canada[2]. [Non souligné dans l'original.]
[6] Comme l'a clairement souligné l'agente d'immigration supérieure dans ses motifs, le demandeur a fait valoir dans sa demande de dispense pour des motifs humanitaires qu'il souffrirait sur le plan psychologique par suite de la perte de soutien affectif au Canada. Le dossier dont disposait l'agente d'immigration supérieure comprenait un élément de preuve indépendante qui faisait ressortir cette question. Voici le contenu d'une lettre datée du 24 septembre 1998 que le Dr Stanley Yaren, un psychiatre, a fait parvenir à l'avocat du demandeur :
[TRADUCTION] L'individu susmentionné est un patient que je traite à l'établissement de Stony Mountain. Il est dépressif depuis plusieurs mois. Son expulsion imminente lui a fait subir une détresse psychologique si importante qu'il envisage activement de se suicider. Il est présentement sous surveillance à l'établissement de Stony Mountain, car on craint qu'il ne passe aux actes. En effet, on a découvert qu'il ne prenait pas les médicaments qui lui étaient prescrits; il les conservait dans le but de prendre intentionnellement une surdose. En l'expulsant, on court le risque qu'il tente de se suicider.[3]
[7] En ce qui concerne la santé mentale du demandeur et son éventuelle expulsion vers l'Écosse au moment où la décision a été prise, bien que l'agente d'immigration supérieure ait raison de dire que le demandeur y a de la famille, le dossier ne contient pas de preuve établissant le soutien que ces membres de sa famille lui offrirait s'il devait rentrer en Écosse. En fait, les dernières visites du demandeur en Écosse remontent à 1968 et 1977.
[8] À mon avis, la conclusion selon laquelle le demandeur ne subirait pas de « difficultés excessives » n'est pas fondée; il se pourrait même qu'elle était erronée au moment où elle a été prise.
[9] Vu qu'il existe une divergence importante entre la preuve au dossier et la conclusion qui a été tirée, j'estime que la décision de l'agente d'immigration supérieure est déraisonnable.
ORDONNANCE
En conséquence, j'annule la décision et renvoie l'affaire à un autre agent d'immigration supérieur pour qu'il l'examine à son tour.
« Douglas Campbell »
juge
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, B.A., LL.B.
COUR FÉDÉ RALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : IMM-884-99
INTITULÉDE LA CAUSE : Douglas Gillespie c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L'AUDIENCE : le 25 avril 2000
MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS PAR
L'HONORABLE JUGE CAMPBELL
EN DATE DU 26 AVRIL 2000
ONT COMPARU :
David Matas pour le demandeur
Sharlene Telles-Langdon pour le défendeur
Ministère de la Justice
310, rue Broadway, pièce 301
Winnipeg (Manitoba)
R3C 0S6
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Matas pour le demandeur
Barrister & Solicitor
225, rue Vaughan, pièce 602
Winnipeg (Manitoba) R3C 1T7
Morris Rosenberg pour le défendeur
Sous-procureur général du Canada