Date : 20220302
Dossier : IMM-2936-20
Référence : 2022 CF 289
[TRADUCTION FRANÇAISE]
St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 2 mars 2022
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE :
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KULWINDER SINGH BRAR
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS ET JUGEMENT
[1] M. Kulwinder Singh Brar (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté son appel de la décision d’un agent des visas (l’agent) de rejeter la demande qu’il avait présentée dans le but de parrainer ses parents (les demandeurs) pour qu’ils obtiennent la résidence permanente au Canada.
[2] Le 29 juillet 2011, le demandeur a présenté une demande de parrainage afin que les demandeurs puissent obtenir la résidence permanente au Canada. L’agent a rejeté la demande le 22 février 2017 au motif que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences relatives au revenu vital minimum (le RVM) énoncées au sous-alinéa 133(1)j)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) en vigueur au moment de la demande de parrainage. Suivant le Règlement, le RVM se calculait en fonction du revenu gagné par le demandeur durant l’année précédant la demande de parrainage.
[3] Bien que le demandeur n’ait pas contesté la validité juridique de la décision de l’agent, il a interjeté appel devant la SAI afin de lui demander d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’accorder une mesure spéciale pour des considérations d’ordre humanitaire.
[4] La SAI a calculé le RVM du demandeur en suivant une version modifiée de l’article 133 du Règlement. La modification, apportée en 2014, augmentait le RVM requis de 30 % pour le parrainage de parents et exigeait que le revenu gagné par le demandeur au cours des trois dernières années soit pris en compte pour déterminer le RVM.
[5] La SAI a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences relatives au RVM du Règlement modifié et que les considérations d’ordre humanitaire n'étaient pas suffisantes pour justifier une mesure spéciale.
[6] Le demandeur soutient que la SAI s’est fondée de façon déraisonnable sur la version modifiée du Règlement, ce qui va à l’encontre de la décision Tharmarasa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 389. Il fait valoir que si la SAI s’était appuyée sur la version antérieure du sous-alinéa 133(1)j)(i), il aurait satisfait aux exigences.
[7] L’agent a évalué le revenu du demandeur pour l’année 2016 dans le cadre de son examen de la demande de parrainage. Le demandeur n’a pas contesté la conclusion relative au RVM; il a interjeté appel pour des considérations d’ordre humanitaire.
[8] La SAI a instruit l’appel de novo en 2019.
[9] Le demandeur soutient maintenant qu’en 2019, lorsque la SAI s’est appuyée sur la version préalable aux modifications pour évaluer son RVM, elle aurait dû tenir compte uniquement du revenu qu’il avait gagné en 2018. Il avance que le revenu de 2018 satisfaisait aux exigences relatives au RVM, telles qu’elles étaient énoncées dans le Règlement avant qu’il soit modifié.
[10] Le demandeur ajoute qu’il était déraisonnable pour la SAI de lui refuser une mesure spéciale pour des considérations d’ordre humanitaire.
[11] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) soutient que la SAI a raisonnablement choisi d’appliquer la version modifiée du Règlement et qu’elle l’a appliquée convenablement.
[12] Le défendeur soutient en outre que la SAI a évalué de manière raisonnable les éléments de preuve présentés à l’appui de la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et qu’elle a eu raison de refuser d’accorder une mesure spéciale.
[13] La décision de la SAI est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Canada (MCI) c Vavlilov, 2019 CSC 65.
[14] Dans son examen du caractère raisonnable, la Cour doit se demander si la décision qui fait l’objet du contrôle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci »
; voir Vavilov, précité, au para 99.
[15] La SAI a raisonnablement choisi d’appliquer la version postérieure à 2014 du Règlement. Elle a reconnu deux courants jurisprudentiels à la Cour fédérale, c’est-à-dire la décision Tharamarasa, précitée, où la Cour a entériné le recours au Règlement antérieur à 2014, et les décisions Sran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 145, et Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2012] ACF no 1643, où la Cour a reconnu le caractère de novo d’un appel devant la SAI et a appliqué le Règlement modifié.
[16] En l’espèce, la SAI a examiné attentivement les décisions Tharmarasa, Sran et Gill, précitées. Elle a expliqué pourquoi elle avait choisi d’appliquer les deux dernières.
[17] À mon avis, l’approche utilisée par la SAI pour évaluer le RVM était raisonnable. Ses motifs étaient justifiés, transparents et intelligibles.
[18] La demandeur a imploré la SAI d'exercer son pouvoir discrétionnaire en invoquant des considérations d'ordre humanitaire, ce que la SAI a refusé de faire. Je me penche maintenant sur ce refus.
[19] Le paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) prévoit un droit d’appel devant la SAI à l’égard du refus de délivrer un visa à un membre de la catégorie du regroupement familial :
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[20] L’article 65 de la Loi permet à la SAI de prendre en considération des motifs d’ordre humanitaire et est libellé ainsi :
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[21] Le paragraphe 67(1) énonce les motifs pour lesquels la SAI peut faire droit à un appel :
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[22] En l’espèce, la SAI a formulé les observations suivantes au paragraphe 38 de sa décision :
Le revenu de l’appelant pour 2016 et 2017 demeure inférieur au RVM requis pour qu’il puisse parrainer ses parents. En conséquence, pour évaluer les motifs d’ordre humanitaire, je dois appliquer la norme énoncée dans la décision Chirwa plutôt que celle énoncée dans la décision Jugpall.
[23] Dans la note de bas de page 19, la SAI a expliqué pourquoi elle préférait évaluer les motifs d’ordre humanitaire en s’appuyant sur la décision Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1970), 4 AIA 339 (CAI) :
Jugpall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 2 IMM LR (3e) 222 (SAI). L’affaire Jugpall énonce le principe selon lequel il n’est pas nécessaire de chercher des circonstances extrêmement contraignantes pour accorder une mesure spéciale lorsque l’obstacle à l’admissibilité a été surmonté au moment où l’appel est instruit.
[24] La SAI a examiné les sept facteurs suivants :
La nature et l’importance de l’empêchement, c’est-à-dire l’importance ou la gravité des motifs de refus ou du manque à gagner pour atteindre le RVM au moment du refus;
La relation du répondant avec les demandeurs et la solidité de la relation;
Les motifs du parrainage;
La situation du répondant au Canada et sa conduite passée;
La situation des demandeurs à l’étranger, y compris leurs difficultés et leur dépendance financière vis-à-vis de l’appelant;
La facilité de déplacement pour le répondant et les demandeurs;
L’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision.
[25] La SAI a conclu que le manque à gagner pour atteindre le RVM était important en raison des « fluctuations »
de son revenu.
[26] La SAI a conclu que le répondant et les demandeurs entretenaient des rapports familiaux étroits, que les motifs du parrainage étaient un facteur favorable et que le demandeur était bien établi au Canada.
[27] La SAI a examiné la situation des demandeurs à l’étranger et a noté que, même si le demandeur pourrait « économiser de l’argent »
si les demandeurs vivaient au Canada, ces derniers ne dépendaient pas financièrement de lui.
[28] La SAI s’est également penchée sur la facilité de déplacement pour le demandeur et les demandeurs. Elle a conclu que, même s’il était difficile pour le demandeur de se rendre en Inde, les demandeurs « ont été en mesure de passer des périodes prolongées au Canada à l’aide d’un visa de longue durée »
.
[29] Enfin, la SAI a examiné l’intérêt supérieur des trois jeunes enfants du demandeur. Elle a conclu que, bien que les demandeurs aient pris soin de leurs petits-enfants à l’occasion, ces derniers ne dépendaient pas d’eux et leurs principaux fournisseurs de soins étaient leurs parents. La SAI n’a rien dit de plus à ce sujet.
[30] Après avoir examiné la manière dont la SAI a abordé la décision Chirwa, précitée, je remarque qu’elle a déclaré que certains facteurs étaient favorables, mais qu’elle s’est par ailleurs abstenue d’utiliser les mots « favorables »
ou « défavorables »
. Je déduis de cette retenue et de ce silence que la SAI n’a pas jugé que ces facteurs étaient favorables.
[31] Comme il a été mentionné précédemment, la décision de la SAI est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Vavilov, précité.
[32] Après examen des éléments de preuve présentés et des observations orales et écrites des parties, je suis convaincue que la décision satisfait au critère juridique applicable. Le demandeur n’a démontré aucune erreur de droit de la part de la SAI ni aucun motif justifiant une intervention de la Cour.
[33] Il est loisible au demandeur de présenter une autre demande de parrainage si son revenu se stabilise.
[34] Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2936-20
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’il n’y a aucune question à certifier.
« E. Henegan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Mélanie Vézina
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2936-20
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INTITULÉ :
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KULWINDER SINGH BRAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
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DATE DE L'AUDIENCE :
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LE 14 OCTOBRE 2021
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MOTIFS ET JUGEMENT :
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LA JUGE HENEGHAN
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DATE DES MOTIFS :
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LE 2 MARS 2022
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COMPARUTIONS :
Arashveer Brar
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POUR LE DEMANDEUR
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Erica Louie
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Arashveer Brar
Citylaw Group
Surrey (Colombie-Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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