Date : 20220221
Dossier : IMM-1722-21
Référence : 2022 CF 231
Ottawa (Ontario), le 21 février 2022
En présence de madame la juge Walker
ENTRE :
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JOSE RODOLFO PEREZ AQUILA
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partie demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
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partie défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur est citoyen du Mexique. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision (« Décision ») rendue par la Section de la protection des réfugiés (« SPR »), rejetant sa demande de protection. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible en raison des multiples contradictions et omissions relevées dans son témoignage et dans la preuve présentée. Par conséquent, la SPR a déterminé que le demandeur n’avait pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, les allégations centrales de sa demande d’asile. De plus, la SPR a conclu à l’absence de minimum de fondement de celle-ci en vertu du paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (« LIPR »). Le demandeur conteste uniquement la conclusion d’absence de minimum de fondement de sa demande d’asile.
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. Dans la mesure où elle conclut à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile du demandeur, la Décision est annulée.
I.
Contexte
[3] Le demandeur allègue craindre pour sa vie après avoir refusé d’obtempérer aux directives de membres d’un des cartels brutaux du Mexique (« le Cartel »). Le demandeur fait aussi valoir qu’il craint les autorités mexicaines en raison de leur collusion avec le Cartel.
[4] Le demandeur était propriétaire d’un atelier de mécanique automobile dans la ville de Cabo San Lucas au Mexique. Il allègue avoir été forcé d’effectuer différents travaux de mécanique sur les voitures des membres du Cartel entre le 1er octobre 2017 et le 4 janvier 2018. À cette date, le Cartel aurait exigé que le demandeur se rende à la ville de Culiacan afin de récupérer une voiture et de la ramener à Cabo San Lucas. Le demandeur aurait refusé et aurait ensuite été menacé de mort. Le demandeur se serait réfugié dans la ville de Puebla, mais ses agents de persécution l’auraient retrouvé. Après un autre séjour dans une troisième ville chez l’un de ses neveux, le demandeur a quitté le Mexique. Il est arrivé au Canada le 31 mai 2018 et a demandé l’asile le jour même.
[5] Le 18 février 2021, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur. Elle estime que le témoignage du demandeur était entaché de plusieurs problèmes qui ont miné sa crédibilité quant aux allégations centrales de son récit. La SPR a méticuleusement identifié de nombreuses contradictions et des omissions, lesquelles n’ont pas été raisonnablement expliquées. Les problèmes dans la preuve du demandeur se sont traduits par un manque de clarté en ce qui concerne, entre autres, l’identité des agents de persécution, les dates importantes dans le récit circonstancié du demandeur, la période de sa cachette à Cabo San Lucas, l’identité des personnes vivant avec lui à Puebla, ainsi que le déménagement de sa mère à Puebla. En se basant sur l’effet cumulatif des incohérences soulevées dans son analyse, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir :
(a) qu’il aurait refusé de se rendre à Culiacan à la demande des membres du Cartel, ni qu’il aurait fait l’objet de menaces de mort en raison de son refus;
(b) qu’il se serait réfugié dans le garage d’un ami à Cabo San Lucas et chez sa mère à Puebla;
(c) qu’il aurait été victime de menaces de mort et d’une tentative d’introduction par effraction par les agents de persécution alors qu’il s’était réfugié à Puebla.
[6] Le demandeur a déposé une lettre de son neveu afin de corroborer son séjour chez lui. La SPR a noté que le neveu a mentionné que le demandeur s’était réfugié chez lui en arrivant directement de Cabo San Lucas et y était resté du 30 avril au 31 mai 2018, ce qui contredisait le FDA et le témoignage du demandeur indiquant qu’il s’était d’abord réfugié à Puebla. La SPR a donc accordé une très faible force probante à la lettre. La SPR a aussi abordé le reste des documents fournis en preuve par le demandeur. Toutefois, le tribunal a constaté qu’il s’agissait de documents généraux qui faisaient état de la puissance du cartel et des importants problèmes de corruption auxquels les autorités mexicaines étaient confrontées.
[7] La SPR a conclu que la preuve documentaire ne permettait pas de renverser les problèmes de crédibilité du demandeur ni de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il faisait face à un risque personnalisé advenant son retour au Mexique. De surcroît, la SPR a conclu à l’absence de minimum de fondement de sa demande d’asile.
II.
Analyse
[8] Le demandeur soutient que la conclusion de la SPR qu’il y a « absence de minimum de fondement »
à sa demande d’asile est déraisonnable. Cette conclusion est révisable selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 10, 23 (Vavilov); Aboubeck c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 370 au para 9) (Aboubeck)).
[9] Lorsqu’elle révise une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit décider si la décision est justifiée, transparente et intelligible. Pour ce faire, elle doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
et être « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov au para 85).
[10] L’absence de minimum de fondement d’une demande d’asile est régie par le paragraphe 107(2) de la LIPR :
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(2) |
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[11] La SPR ne peut conclure à l’absence de minimum de fondement à moins qu’il n’y ait aucune preuve crédible ou digne de foi sur laquelle elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au demandeur (Rahaman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 89 au para 51; Ramón Levario c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314 au para 19 (Ramón Levario)). La jurisprudence souligne que le seuil pour conclure à l’absence de minimum de fondement d’une demande d’asile est très élevé (A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 562 au para 30). Il en est ainsi puisqu’une telle conclusion exclut le droit habituel d’interjeter appel à la Section d’appel des réfugiés, ainsi que le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prévu par la loi en attendant l’issue d’un tel appel, et toute demande subséquente d’autorisation et de contrôle judiciaire.
[12] Le demandeur soutient que la SPR n’a pas justifié sa conclusion d’absence de minimum de fondement, puisqu’elle n’a offert qu’un bref paragraphe à la fin de la Décision :
[63] Le tribunal estime qu’il n’y avait aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel il aurait pu fonder une décision favorable. Ainsi, le tribunal conclut à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile.
[13] Je suis d’accord. La SPR n’a fourni aucun motif ou analyse dans la Décision qui justifie sa conclusion, mis à part en répétant le libellé de la LIPR. Le paragraphe cité ci-dessus est la première et la dernière fois que le tribunal traite de cette conclusion. La SPR ne fait pas référence aux principes d’absence de minimum de fondement, et la Cour ne peut pas déterminer si le tribunal a respecté la distinction importante entre les problèmes de crédibilité et l’absence de fondement. Il ressort d’une jurisprudence constante qu’un constat d’absence de minimum de fondement ne résulte pas automatiquement d’une conclusion selon laquelle un demandeur n’est pas crédible ou sa demande n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités (Ramón Levario au para 19).
[14] Le demandeur soutient aussi que la SPR a accordé une importance déraisonnable aux entrevues faites au point d’entrée et que le tribunal a ignoré certains éléments de sa demande d’asile qui, eux, n’ont soulevé aucune contradiction. En plus, le demandeur souligne que la SPR a accordé une très faible force probante à la lettre de son neveu, nonobstant les contradictions entre la lettre et son témoignage. Selon le demandeur, à la lumière du seuil élevé pour conclure à une « absence de minimum de fondement »
et de la jurisprudence pertinente, il n’était pas loisible à la SPR d’en arriver à une telle conclusion.
[15] Le défendeur soutient qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour conclure à un manque de crédibilité. Il souligne que les problèmes relevés par la SPR étaient nombreux et portaient sur les éléments centraux de la demande. Je suis d’accord avec cet argument. Cependant, la SPR a accordé « une très faible force probante »
à la lettre du neveu confirmant l’hébergement du demandeur chez lui. En plus, il y avait des aspects du récit du demandeur non contradictoires quant à son travail comme mécanicien de voitures pour le Cartel.
[16] En l’espèce, j’estime que la conclusion de la SPR portant sur l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile du demandeur n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes (Vavilov au para 85). La SPR n’a consacré qu’un seul paragraphe à cette conclusion, dans lequel elle s’est référée au libellé de la LIPR, sans motif ou explication. À la lumière des graves répercussions d’une conclusion à l’absence de minimum de fondement et de la reconnaissance par la SPR d’une preuve « très faible »
, il n’est pas loisible pour la SPR d’en arriver à une telle détermination sans fournir des motifs transparents qui démontrent une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle.
[17] La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie en partie. La Décision, dans la mesure où elle conclut à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile du demandeur, est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SPR différemment constitué pour réexamen.
[18] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.
JUGEMENT DU DOSSIER DE LA COUR IMM-1722-21
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.
La décision de la Section de la protection des réfugiés (« SPR »), rendue en date du 18 février 2021, dans la mesure où elle conclut à l’absence de minimum de fondement de la demande d’asile du demandeur, est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SPR différemment constitué pour réexamen.
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Elizabeth Walker »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-1722-21
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INTITULÉ :
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JOSE RODOLFO PEREZ AQUILA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 28 octobre 2021
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE WALKER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 21 FÉVRIER 2022
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COMPARUTIONS :
Me Virginie Beaubien
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Pour la partie demanderesse
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Me Isabelle Brochu
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Pour la partie défenderesse
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Virginie Beaubien
Avocate
Montréal (Québec)
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Pour la partie demanderesse
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour la partie défenderesse
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