Date : 20050429
Dossier : IMM-9693-03
OTTAWA (Ontario), le 29 avril 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN
ENTRE :
THAIYALNAYAKI RASIAH
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision relative à l'examen des risques avant renvoi en date du 27 octobre 2003 par laquelle il a été décidé que la demanderesse ne courrait aucun risque si elle retournait au Sri Lanka.
FAITS
[2] La demanderesse est une Tamoule de 77 ans originaire de Jaffna, dans le nord du Sri Lanka. Elle est arrivée au Canada le 5 octobre 2001 en tant que visiteuse, et a revendiqué le statut de réfugié le 18 octobre 2001. La revendication de la demanderesse a été rejetée par la Commission de l'Immigration et du statut de réfugié en mai 2002, et sa demande d'autorisation de saisir la Cour fédérale d'une demande de contrôle judiciaire a également été rejetée.
[3] La demanderesse a ensuite présenté, le 30 mai 2002, une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, qui a été convertie, lors de l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), en un examen des risques avant renvoi (ERAR). En septembre 2003, la demanderesse a présenté des observations supplémentaires à l'appui de sa demande d'ERAR et a fourni une preuve documentaire mise à jour. Plus particulièrement, elle a fait valoir qu'elle serait passible, en vertu de la [traduction] Loi modifiant la Loi sur les immigrants et les émigrants du Sri Lanka, d'une peine d'emprisonnement obligatoire pour avoir quitté le pays illégalement et qu'elle serait probablement la cible de tentatives d'extorsion et d'enlèvement dans le nord. Elle a en outre affirmé qu'il serait déraisonnable de s'attendre à ce qu'elle s'installe dans la capitale, Colombo, parce qu'elle est âgée et n'a plus de famille là-bas.
[4] Dans une décision en date du 27 octobre 2003, un agent d'ERAR a conclu que la demanderesse ne courrait aucun risque si elle retournait au Sri Lanka.
LA DÉCISION RELATIVE À L'ERAR
[5] La décision relative à l'ERAR traite de chacun des principaux points soulevés par la demanderesse. En ce qui concerne la [traduction] Loi modifiant la Loi sur les immigrants et les émigrants, l'agent a estimé qu'un revendicateur du statut de réfugié débouté ne risque pas d'être poursuivi à moins d'entrer au Sri Lanka muni de faux documents de voyage. En l'espèce, la demanderesse avait quitté le Sri Lanka munie d'un passeport valide et pouvait y retourner en présentant le même passeport. Il était donc peu probable qu'elle soit accusée en vertu de cette loi.
[6] En ce qui a trait à la menace d'enlèvement ou d'extorsion, l'agent a conclu que la demanderesse aurait probablement à payer une petite taxe si elle retournait dans le nord et qu'elle pourrait se faire extorquer de l'argent. Cependant, il n'existait qu'une simple possibilité qu'elle soit enlevée ou tuée par des extorqueurs.
[7] Enfin, l'agent s'est demandé si la demanderesse disposait d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) adéquate dans la ville de Colombo, où elle avait vécu pendant neuf ans avant de se rendre au Canada. Il a été précisé que la demanderesse n'avait plus de famille à Colombo et qu'on ne pouvait s'attendre à ce qu'elle travaille pour assurer sa subsistance à l'âge de 77 ans. L'agent a toutefois estimé que puisqu'il ne disposait d'aucun renseignement au sujet des ressources financières de la demanderesse ou des ressources publiques mises à la disposition de celle-ci pour lui venir en aide, il n'était pas [traduction] « en mesure de conclure qu'un retour au Sri Lanka serait déraisonnable compte tenu de l'ensemble des circonstances » . Le fait que la demanderesse n'ait plus de famille au Sri Lanka ne suffisait pas en soi à conférer un caractère déraisonnable à la PRI.
La demanderesse a renoncé à un argument à l'audience
[8] À l'audience, la demanderesse a renoncé à l'argument voulant qu'elle soit passible, en vertu de la loi sri-lankaise, d'une peine d'emprisonnement obligatoire pour avoir quitté le pays illégalement. Les seules questions soulevées par la demanderesse lors de l'audience sont énoncées ci-dessous.
QUESTIONS EN LITIGE
1. L'agent d'ERAR a-t-il commis une erreur en concluant qu'il incombait à la demanderesse de prouver que la PRI était déraisonnable?
2. L'agent d'ERAR était-il tenu de fournir un projet de motifs à la demanderesse ou à l'avocat de celle-ci avant de rendre une décision finale?
ANALYSE
[9] La décision relative à l'ERAR a 21 pages, contient un récit sinueux et manque parfois de clarté. La décision traite également de facteurs qui conviennent davantage à une demande fondée sur des considérations humanitaires (demande CH), comme de savoir si la demanderesse dispose des ressources financières nécessaires à sa subsistance au Sri Lanka où elle n'a plus d'enfants. (La demanderesse est veuve et a trois fils au Canada.) Par contre, la décision comprend une analyse complète de la situation actuelle au Sri Lanka, et se termine, à la page 18, par la conclusion suivante :
1. la menace à la vie de la demanderesse si elle retournait sur le territoire contrôlé au nord par les TLET ne constitue pas [traduction] « une possibilité sérieuse » , mais [traduction] « une simple possibilité » ;
2. si la demanderesse retournait à Colombo, [traduction] « le risque qu'elle tombe aux mains des TLET à Colombo est faible » .
Il est également indiqué, à la page 19 de la décision, que :
3. le retour sur le territoire contrôlé au nord par les TLET est [traduction] « problématique » en raison des [traduction] « mines terrestres, des zones de haute sécurité, des maisons détruites ou occupées, ... de l'imposition d'une taxe par les TLET ... » ; et
4. le retour dans le nord étant « problématique » , il est préférable d'envisager Colombo comme lieu de retour raisonnable. Toutefois, l'agent chargé de l'ERAR ne peut déterminer si la demanderesse serait en mesure d'assurer sa subsistance à Colombo où elle n'a pas de famille. L'agent chargé de l'ERAR ne peut donc déterminer si Colombo constitue une PRI raisonnable pour la demanderesse parce que celle-ci n'a pas fourni de renseignements sur ses ressources financières personnelles.
[10] Cette décision relative à l'ERAR est, au pire, contradictoire, et au mieux, nébuleuse. L'agent chargé de l'ERAR conclut que le retour sur le territoire contrôlé au nord par les TLET est « problématique » parce que la demanderesse se fera probablement extorquer de l'argent par les TLET. Cependant, l'agent chargé de l'ERAR affirme également ne pas pouvoir déterminer si Colombo constitue une PRI raisonnable pour la demanderesse parce que celle-ci n'a pas fourni de renseignements sur ses ressources financières personnelles. C'est pour cette raison que la demanderesse soulève la première question examinée ci-dessous.
Question 1
L'agent d'ERAR a-t-il commis une erreur en concluant qu'il incombait à la demanderesse de prouver que la PRI était déraisonnable?
[11] La Cour d'appel fédérale a jugé qu'il revient au demandeur de prouver qu'une PRI est déraisonnable. Voir le juge d'appel Létourneau dans Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Ranganathan (2000), 266 N.R. 380, au paragraphe 13 :
¶ 13 Dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589, notre Cour a examinéla situation d'un revendicateur n'ayant pas de parents dans l'endroit sûr de son pays oùil se réfugie. Le juge Linden, J.C.A., au nom de la Cour, déclare aux pages 597 à 599 de cet arrêt :
Ainsi, le demandeur du statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit pas déraisonnable de le faire. Il s'agit d'un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause. C'est un critère objectif et le fardeau de la preuve à cet égard revient au demandeur tout comme celui concernant tous les autres aspects de la revendication du statut de réfugié. Par conséquent, s'il existe dans leur propre pays un refuge sûr oùils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s'en prévaloir à moins qu'ils puissent démontrer qu'il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire. (Non soulignédans l'original.)
La demanderesse doit donc présenter des éléments de preuve démontrant pourquoi Colombo ne constitue pas une PRI raisonnable.
[12] Dans l'arrêt Ranganathan, précité, la Cour d'appel fédérale a également statué, au paragraphe 14, que :
...l'absence de parents n'est pas en soi un élément suffisant pour que la PRI soit déraisonnable. Lorsqu'une personne doit abandonner la douceur de son foyer pour aller s'installer dans une autre partie du pays, y trouver du travail et recommencer sa vie loin de sa famille et de ses amis, elle est assurément confrontée à des épreuves, et même à des épreuves indues.
[13] Le critère applicable au caractère déraisonnable d'une PRI est très exigeant. Le juge Létourneau a ajouté ce qui suit, au paragraphe 15 :
... Il ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l'existence de telles conditions. L'absence de parents à l'endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d'autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d'un emploi ou d'une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d'une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d'une personne.
Par conséquent, la demanderesse doit établir l'existence de conditions qui mettraient en péril sa vie et sa sécurité si elle s'installait à Colombo. À mon avis, elle ne l'a pas fait. L'absence de parents à Colombo ne serait pertinente que si elle avait pour effet de mettre en péril la vie et la sécurité de la demanderesse.
La décision relative à l'ERAR atténue la distinction entre la demande d'ERAR et la demande fondée sur des considérations humanitaires
[14] Le caractère raisonnable d'une PRI tient au risque, et non à des considérations humanitaires. Dans Ranganathan, précité, la Cour d'appel fédérale a rappelé que c'est la crainte de persécution (et la menace à la vie), et non des considérations humanitaires comme le soutien économique et affectif, qui est pertinente à l'égard d'une PRI raisonnable. La Cour a affirmé ce qui suit, au paragraphe 16 :
... Le fait d'élargir ou de rabaisser la norme d'évaluation du caractère raisonnable de la PRI dénature de façon fondamentale la définition de réfugié (ou de demandeur d'ERAR) : on devient un réfugié (ou un demandeur d'ERAR qui a eu gain de cause) sans avoir la crainte d'être persécuté et du fait que la vie au Canada serait meilleure sur le plan matériel, économique et affectif que dans un endroit sûr de son propre pays.
[15] La Cour d'appel a fait une mise en garde contre la création d'une confusion par l'atténuation de la distinction entre les différents types de demandes fondées sur la LIPR. La demande d'ERAR a pour objet de déterminer si la demanderesse doit être protégée au Canada parce qu'un renvoi dans son pays d'origine l'exposerait personnellement à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels ou inusités. En l'espèce, il est conclu dans la décision relative à l'ERAR que la demanderesse n'est pas une personne qui a besoin d'être protégée contre de tels risques. C'est donc à tort qu'il est déclaré dans ladite décision qu'il aurait fallu que la demanderesse fournisse des renseignements sue ses ressources financières personnelles pour que le caractère raisonnable de Colombo comme PRI puisse être déterminé.
[16] La demanderesse est une veuve de 77 ans qui n'a plus de famille au Sri Lanka. Elle a trois fils au Canada et veut rester avec eux, au Canada, où ils pourront subvenir à ses besoins. Les directives applicables aux demandes fondées sur des considérations humanitaires sont généreuses et souples. De l'avis de la Cour, et selon l'avocate du défendeur, les directives applicables aux demandes CH pourraient être utiles à la demanderesse dans l'éventualité où elle déciderait de présenter une telle demande. Comme la Cour d'appel fédérale l'a affirmé au paragraphe 17 de l'arrêt Ranganathan, précité :
... Plus on laisse les raisons d'ordre humanitaire intervenir dans le cadre des revendications du statut de réfugié (et des demandes d'ERAR), plus la procédure applicable aux réfugiés (et aux demandeurs d'ERAR) se confond avec la procédure propre à la prise en compte des raisons d'ordre humanitaire. En conséquence, les chances augmentent que le concept de persécution que l'on trouve dans la définition du réfugié (et de risque dans la demande d'ERAR) soit en pratique remplacé par le concept d'épreuve.
[17] L'agent chargé de l'ERAR devrait donc axer son examen sur le risque, et non sur la question de savoir si la demanderesse dispose des ressources financières personnelles nécessaires pour subvenir à ses besoins à Colombo.
[18] Bien qu'elle soit inutilement longue, manque parfois de clarté et soulève des questions qui n'ont aucun rapport avec un examen des risques, la décision relative à l'ERAR comporte tout de même un examen des risques que courrait la demanderesse en retournant au Sri Lanka, que ce soit dans le nord ou à Colombo. Il est clair que Colombo constitue un [traduction] « refuge sûr » ou une PRI pour la demanderesse.
Question 2
L'agent d'ERAR était-il tenu de fournir un projet de motifs à la demanderesse ou à l'avocat de celle-ci avant de rendre une décision finale?
[19] La demanderesse prétend que l'agent d'ERAR a commis une erreur en ne lui fournissant pas de projet de décision avant de rendre sa décision finale. La demanderesse invoque une décision de la Cour dans l'affaire Soto c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] A.C.F. no 1207 (C.F. 1re inst.). Depuis le prononcé de cette décision, la Cour a constitué une jurisprudence abondante et claire selon laquelle l'agent d'ERAR n'a aucune obligation de fournir un projet de motifs au demandeur. Voir, par exemple : Navaratnam c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. no 14 (C.F.), aux paragraphes 11 à 15, le juge O'Reilly, Vasquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 96 (C.F.), aux paragraphes 16 à 28, le juge Russell, Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2004), 256 F.T.R. 53 (C.F.), le juge Blanchard et Akpataku c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 862 (C.F.), le juge Mactavish.
[20] La demanderesse a demandé à la Cour de certifier la question aux fins d'appel. Le défendeur s'est opposé à ladite certification parce que la question a été réglée.
[21] Selon la Cour, il ne s'agit pas d'une question grave de portée générale qui mérite d'être certifiée. La question a été tranchée par la Cour à plusieurs reprises. Chaque fois, la Cour a statué que l'obligation d'équité n'exige pas la communication du projet de rapport d'examen des risques de manière à permettre au demandeur de corriger ce qu'il considère comme des erreurs ou des omissions. La correction de ces erreurs ou omissions peut se faire lors du contrôle judiciaire. Exiger que chaque décision relative à un ERAR soit distribuée sous forme de projet encombrerait et retarderait le processus, déjà complexe et lent, de demande d'ERAR. Par conséquent, la Cour ne certifiera pas une telle question.
CONCLUSION
[22] Bien que la décision relative à l'ERAR sous examen comporte un certain nombre d'erreurs, aucune de ces erreurs ne justifie l'intervention de la Cour. Compte tenu de la preuve qui lui a été soumise, l'agent d'ERAR a raisonnablement conclu que Colombo constituait une possibilité de refuge intérieur adéquat pour la demanderesse. La question de savoir si la demanderesse peut subvenir à ses besoins financiers et affectifs à Colombo ne relève pas d'un examen des risques avant renvoi. Cette question relève davantage d'une demande CH, que la demanderesse devrait peut-être envisager de présenter.
[23] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question de portée générale n'est certifiée.
« Michael A. Kelen » _______________________________
Juge
Traduction certifiée conforme
Diane Provencher, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-9693-03
INTITULÉ : THAIYALNAYAKI RASIAH
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE JEUDI 21 AVRIL 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE KELEN
DATE DES MOTIFS : LE VENDREDI 29 AVRIL 2005
COMPARUTIONS : Kumar S. Sriskanda
Pour la demanderesse
Kareena R. Wilding
Pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : Kumar Sriskanda
Avocat
Scarborough (Ontario)
Pour la demanderesse
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada
Pour le défendeur
COUR FÉDÉRALE
Date :20050429
Dossier : IMM-9693-03
ENTRE :
THAIYALNAYAKI RASIAH
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET
DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE